Résumé : Cela fait déjà dix mois qu'Eri a été sauvée. Dix mois qu'elle tâche de se reconstruire. Dix mois que les choses changent, peu à peu... Mais la route est encore longue. Il est des rêves qui la tourmentent encore, et des images qui ne la quitteront jamais... Heureusement, Mirio et les autres sont là pour lui rappeler que tant qu'elle existe, elle brille.


Coucou Hatsu,

Ton OS de Noël arrive très en retard et j'en suis désolée. Ce fut un plaisir pour moi de reprendre cette tâche en cours de route et j'ai fait au plus vite. Ta liste m'a inspirée l'histoire que tu vas lire et j'espère sincèrement que tu apprécieras ce texte. Faire un tour sur ta planète m'a bien plu et j'ai fait de mon mieux pour que ton cadeau finisse par arriver. Je te souhaite une bonne lecture.

Biz.


Petit mot pour Momo : Encore un énorme merci pour la correction, l'aide pour le résumé et le soutien moral

Merci au Discord qui l'air de rien m'inspire. Et à Zofra qui a régulièrement pris mon poul et vérifié que je respirais toujours.

Et pour tous les autres, bonne lecture !


Une étoile en papier

« Tu es prête Eri ?

-Oui, Madame Tanaka. »

Eri se redressa un peu sur sa chaise et releva la tête vers le visage de la femme qui était assise en face d'elle. Elle avait passé la totalité de la séance à regarder le tapis sombre du cabinet et fut presque éblouie par la chemise bleu clair et surtout le châle mauve que portait son interlocutrice. Remarquant le léger trouble d'Eri, Madame Tanaka enleva son foulard et le déposa derrière le petit meuble à côté d'elle, hors de la vue de la petite fille. Ensuite, quand elle sentit que c'était le bon moment, elle tendit son bras droit devant elle en direction d'Eri et leva son index. Elle attendit quelques secondes, le temps que la petite fille fixe bien son doigt, et lorsque son regard fut suffisamment intense, son bras entama un mouvement de pendule légèrement rapide. La femme d'adressa d'une voix douce et monotone à Eri :

« Raconte-moi un souvenir ancien...

-Je ne sais pas si c'est vraiment mon plus vieux souvenir.

-Ce n'est rien. Raconte-le. »

Elles avaient fait cet exercice un grand nombre de fois et Madame Tanaka savait très bien qu'il ne fallait pas embarrasser Eri avec des choses accessoires. La petite fille était soucieuse de répondre aux demandes de sa thérapeute mais elle était rapidement perturbée par les détails. Il fallait donc être le moins spécifique possible. Le cabinet était aménagé dans cette optique. Ainsi, avant chaque séance, Madame Tanaka prenait soin de rendre cette pièce la plus neutre possible, retirant les décorations, les petites statuettes, les dessins de ses précédents patients accrochés au mur, les coussins rouges de son grand fauteuil ou le gros éléphant en peluche habituellement posé en haut de l'étagère et à qui de nombreux enfants avaient confié beaucoup de secrets. Tout cela avait disparu et du cabinet confortable et chaleureux, il ne restait qu'une pièce aux murs beiges, des rideaux blancs, une moquette grise, un tapis brun et des meubles vides. En l'état, ce lieu aurait été peu rassurant pour n'importe quel enfant, mais Eri n'était pas comme les autres. Son esprit usait de nombreuses stratégies pour fuir la séance et se distraire avec les éléments du décor en faisait partie. Cette sobriété était nécessaire. Eri prit enfin la parole après une habituelle hésitation :

« Je suis dans une pièce.

-Et comment est cette pièce ?, répondit Madama Tanaka toujours avec la même voix douce.

-Il y a des murs jaunes et un tapis bleu. Et une grande fenêtre. Je pense aussi qu'il y a un jardin.

-Tu es seule ?

-Non.

-Qui est là ?

-Il y a d'autres enfants avec moi.

-Que font-ils ?

-Ils chantent. Et moi aussi, je chante.

-Et puis que se passe-t-il ?

-Une femme entre. Elle m'appelle. C'est ma mère. Mais je ne vois pas son visage. Je ne m'en souviens plus.

-Ne te force pas à te le remémorer.

-D'accord. »

Eri venait chez Madame Tanaka depuis de longs mois. C'est cette dernière qui avait recommandé UA comme lieu de séjour provisoire et Shouta Aizawa comme personne de référence pour la gestion de son alter et de son traitement.

À chaque séance, Madame Tanaka et Eri voyageaient ensemble dans un monde de rêves et de souvenirs. La méthode qu'utilisait la psychiatre était assez proche de l'hypnose. C'était une stimulation sensorielle bi-alternée par mouvement oculaire (*). Eri suivait le doigt de Madame Tanaka qui passait devant ses yeux et racontait ses souvenirs, guidée par la voix de la thérapeute. Elles avaient ainsi travaillé sur les évènements traumatiques que la petite fille avait vécus. Celle-ci les libérait un par un et beaucoup de séances étaient parfois nécessaires pour en aborder un seul. Le passé avait laissé une blessure profonde, comme une entaille à vif. Les mouvements oculaires permettaient de traiter ce passé, de diminuer sa vivacité et de le mettre à distance jusqu'à atteindre une forme d'effacement. Les émotions incontrôlables se connectaient à nouveau à la pensée, rendant les évènements supportables. Il ne s'agissait pas d'oublier. Eri avait été confrontée de manière brutale et inattendue à la réalité de la mort dans ce qu'elle a d'horrible et d'innommable. Personne ne pouvait oublier ça. Il s'agissait en fait d'être capable de se le remémorer sans souffrance. De pouvoir regarder ce qui s'était passé et l'accepter pour continuer à vivre. Recoudre l'entaille et laisser la cicatrice.

Cette discussion n'était que le préparatif d'une autre conversation bien plus ardue. Sentant que la petite fille était prête, Madame Tanaka prononça ces mots qu'elle avait déjà dits des dizaines de fois :

« Parle-moi encore de ton cauchemar, Eri. »

Eri allait mieux. Ces mois de travail acharné avaient remis la petite fille sur le bon chemin, mais depuis avril, une faible rechute était observée. Eri était de temps en temps sujette à des terreurs nocturnes. La petite fille n'en avait évidemment pas souvenir mais les évènements avaient été rapportés par Monsieur Aizawa et ainsi, Madame Tanaka s'attelait à traiter le problème. Cependant, ce n'était pas simple car la porte du monde des rêves ne s'ouvrait pas comme celle de la mémoire. Et depuis trois longs mois, elles n'avançaient que millimètre par millimètre sur ce sujet. Suivant des yeux les mouvements de sa thérapeute, Eri commença son récit par ces phrases qui au fil des séances, devenaient presque un rituel:

« J'éteins ma lampe de chevet et je ferme les yeux. Puis je les ouvre à nouveau.

-Et que se passe-t-il ?, demanda Madame Tanaka

-Il fait toujours sombre mais quand je me redresse, je sais que je ne suis plus dans ma chambre.

-Où es-tu ?

-Dans une caverne.

-Tu es seule ?

-Non.

-Qui est là ?

-Il y a un grand oiseau sur un rocher. Il dort.

-Comment te sens-tu ?

-J'ai peur.

-De quoi ?

-L'oiseau me fait peur. Parce qu'il est très grand. Et il fait un drôle de bruit en respirant. Mais il dort, donc ça va. En fait… »

Eri cessa de parler mais ses yeux suivaient toujours les doigts de Madame Tanaka.

« Oui, Eri ?, encouragea la thérapeute.

-La caverne… Il y a une sortie. Mais c'est un trou noir.

-Et qu'est-ce qu'il y a au-delà ? »

-Je ne vois rien. C'est tout noir. Mais j'ai peur car même si je ne vois rien au-delà, je sais qu'il y a quelque chose et que c'est là. Ça m'attend et je ne peux pas sortir. »

C'était un nouveau pas en avant. Eri n'avait pas beaucoup parlé de cette sortie dans la caverne, ni du fait qu'elle était très sombre. La thérapeute ne savait pas encore ce que cela signifiait mais sentait que c'était un élément décisif. Cependant, elle ne put avancer davantage car la petite fille se vouta et dit :

« Je suis fatiguée.

-Nous allons arrêter pour aujourd'hui, répondit la femme. C'était très bien, Eri. »

Madame Tanaka immobilisa son bras et Eri eut l'impression de se réveiller. Trois coups retentirent sur la porte. Il était dix heures et c'était la fin de la séance. Comme d'habitude, Monsieur Aizawa qui était très ponctuel venait la chercher. La thérapeute sourit à Eri et s'adressa à elle de sa voix toujours aussi douce :

« Je dois parler à Monsieur Aizawa. Peux-tu l'attendre dehors ? »

Eri sortit en remerciant la thérapeute et s'assit sur la petite chaise du couloir, en face de la porte du cabinet, non sans un dernier regard vers la silhouette longiligne de son protecteur. La porte se ferma. La petite fille s'immobilisa, ferma les yeux et se concentra sur les voix qui franchissaient le bois. Elle avait l'habitude d'écouter aux portes. Cela avait été une des clefs de sa survie mentale car parvenir à prévoir ce qui adviendrait d'elle le jour qui suivait lui permettait de se préparer et s'y résigner. Elle avait moins peur car elle savait. Bien qu'Eri ait à présent conscience que c'était une mauvaise chose d'écouter les conversations des autres, elle ne parvenait pas encore à se passer de cette stratégie. L'avenir lui faisait encore peur. Il n'était plus fait de souffrance, mais d'incertitude. Elle entendit la voix de Madame Tanaka :

« Elle a fait d'énormes progrès durant ces dix mois. Je suis très fière d'elle. Cependant, je sens qu'elle stagne. Elle a besoin de stabilité. Ça devient urgent. Son hébergement à UA ne devait être qu'une solution provisoire.

-Les procédures prennent du temps, répondit Monsieur Aizawa. Il a fallu mener une enquête pour vérifier s'il lui restait de la famille. Si ça avait été le cas, cette famille aurait été prioritaire pour la garde.

-Monsieur Aizawa... Je ne vais pas pouvoir couvrir ça éternellement. Ma recommandation de la placer dans votre internat ne tiendra plus quand l'administration réalisera qu'elle est là depuis bien plus que six mois... Avant la fin de la pause estivale, il faut qu'Eri ait un « chez elle » afin d'entamer l'école sereinement.

-Ce n'est pas un peu tôt pour l'école ?

-Elle en est capable. Il est à présent impératif qu'elle fréquente des enfants de son âge. Même si je comprends votre réticence. J'étais d'ailleurs d'accord quand nous avons décidé qu'elle ne commencerait pas en avril et de continuer avec la préceptrice.

-J'en suis conscient. Mais Hizashi et moi avons eu un entretien important hier et je pense que ça s'est bien passé.

-Je l'espère car… »

Eri arrêta d'écouter. Elle ne comprenait pas les mots « procédures », « garde », « administration », « entretien ». La seule chose qu'elle savait, c'est que Monsieur Aizawa ne souriait pas quand il les prononçait. Mais heureusement, juste après, il y avait toujours Monsieur Yamada qui venait près de lui et ça allait mieux car Monsieur Aizawa souriait à nouveau.

Eri le connaissait bien à présent, ce grand homme blond qui la laissait toujours porter ses lunettes. Monsieur Aizawa le lui avait présenté un mois après son arrivée et au fur et à mesure, elle l'avait vu plus souvent. D'abord, il accompagnait Monsieur Aizawa quand celui-ci venait passer du temps avec elle. Il lui disait simplement « Bonjour » et puis repartait. Ensuite, après quelques semaines, il resta chaque fois un peu plus longtemps et s'en allait quand Monsieur Aizawa lui faisait un signe. Finalement, il resta avec eux. Il les accompagna pour leur balade du samedi et lui lut même une histoire. Cependant, il y avait toujours Monsieur Aizawa pour observer ce qu'il faisait.

Mais un jour, Monsieur Yamada vint seul et même si pour elle ça restait une nouvelle personne, même si elle savait bien qu'elle devait toujours faire attention, Eri fut contente de le voir. Car c'était l'ami de Monsieur Aizawa et qu'elle savait qu'il l'aimait beaucoup. Alors, elle voulait bien l'aimer aussi et lui faire confiance.

Monsieur Yamada et Monsieur Aizawa étaient deux personnes très différentes. Monsieur Aizawa parlait peu et Monsieur Yamada parlait tout le temps et souvent fort. Quand elle se promenait avec Monsieur Aizawa, ils marchaient en se tenant la main et s'arrêtaient de temps en temps pour regarder les arbres ou les oiseaux. Ils s'asseyaient souvent sur un banc et à ce moment, elle pouvait alors poser sa tête sur son bras et il ne disait rien. Avec Monsieur Yamada, la promenade était une course et quand Eri était fatiguée, elle pouvait monter sur ses épaules, lever les bras et crier fort. Monsieur Aizawa savait la rassurer autant que Monsieur Yamada savait la faire rire. Si l'un pouvait silencieusement poser sa main sur son front pour calmer sa respiration, l'autre trouvait toujours la musique qui la faisait danser jusqu'à perdre son souffle. Et si l'un lui prenait la main pour qu'elle puisse marcher en équilibre sur un mur étroit, l'autre la jetait si haut dans les airs qu'elle avait l'impression l'espace d'un instant de flotter.

Elle ouvrit son ce petit sac qu'elle emmenait partout avec elle et en sortit un petit walkman. C'est Monsieur Deku qui le lui avait donné, ainsi que toutes les cassettes qui pouvaient aller dedans. Il y en avait dix. Il y avait des cassettes jaunes qui contenaient de la musique et des cassettes bleues qui contenaient des histoires enregistrées. Monsieur Deku lui avait raconté que c'était son papa qui les lui avait enregistrées car il ne pouvait pas toujours venir le voir le soir pour lui lire une histoire. Mademoiselle Kyoka lui avait offert par la suite de gros écouteurs « HAGE » bleus pour qu'elle puisse écouter les cassettes dans n'importe quel lieu. Et c'est Mademoiselle Momo qui lui avait fourni le petit sac violet qui lui permettait de transporter le lecteur audio partout où elle allait. Quand elle fut bien installée avec les écouteurs sur les oreilles et l'appareil sur les genoux, Eri appuya sur le bouton qui avait un petit triangle et continua l'histoire entamée la veille.

« Sur cette colline qui surplombait la ville de Nagasaki, la belle geisha Cio-Cio San attendait avec impatience son futur mari l'officier de marine Benjamin Pinkerton. Elle ne quittait plus la fenêtre de cette petite maison où elle pourrait vivre avec lui. Elle l'avait seulement rencontré hier mais elle était directement tombée sous le charme de ses grands yeux bleus, de ses cheveux blonds et de sa voix grave qui la surnommait désormais « Butterfly », à cause du nœud bunko misubi de son obi dont les deux boucles symétriques avaient l'aspect d'ailes colorées. »

Eri imagina les ailes de la geisha Cio-Cio San et son visage rêveur à la fenêtre de cette petite minka dominant la ville de Nagasaki. La voix du papa de Monsieur Deku était grave et douce. Eri n'avait pas rencontré une autre grande personne qui parlait comme ça. Pour l'instant, le récit était calme, mais de temps en temps, le papa de Monsieur Deku mettait de l'intonation dans les dialogues et modulait son timbre pour imiter les voix des personnages. Parfois, il en faisait trop et toussait un peu. Quand il imitait la mort de quelqu'un, il manquait souvent de s'étouffer car il mettait trop d'énergie et puis, il reprenait l'histoire après s'être raclée la gorge.

« Elle appela sa servante Suzuki pour qu'elle aille préparer sa robe et… »

La porte du cabinet s'ouvrit et Monsieur Aizawa sortit en remerciant Madame Tanaka. Eri éteignit le petit lecteur et le rangea dans son sac avec ses gros écouteurs. Ensuite, elle se leva de sa chaise, attrapa la main de Monsieur Aizawa et dit bien « Au revoir, merci et à mardi » à la thérapeute. Ils quittèrent le cabinet et en sortant du bâtiment, Eri jeta rapidement un œil à la plaque brillante qui scintillait sous le soleil de juillet et sur laquelle il y avait des caractères noirs que Monsieur Aizawa lui avait une fois lus :

«Tanaka Chiyu, Pedopsychiatre. »


Après l'habituelle balade du samedi qui clôturait la matinée, Eri rentra dans sa chambre et s'allongea tout habillée sur son lit. Son regard parcourut la pièce qui n'était décidément pas très en ordre. Il y avait sur le sol de nombreux jouets, vestiges d'une bataille difficile entre les factions d'ours en peluche et les troupes de dinosaures en plastique. La guerre s'était achevée par l'intervention de la voiture téléguidée qui avait tout simplement roulé sur les adversaires pour se renverser un peu plus loin, détruisant une tour en Kapla sur son passage. Aucun survivant. Tous ces jouets avaient été apportés par Monsieur Deku. Il lui avait dit que c'était des cadeaux de son papa et qu'il était trop grand pour les garder. Eri n'avait aucune envie de ranger et se demanda ce qu'elle allait bien pouvoir faire aujourd'hui. Il était presque midi. Elle aurait pu flâner jusqu'à la cantine pour demander de quoi manger mais son esprit était ailleurs.

Elle se tourna sur le côté et tendit le bras vers le tiroir de sa table de nuit. Sous la boîte qui contenait les cassettes de son lecteur, il y avait une autre petite boîte métallique. Elle la saisit, l'ouvrit et sentit immédiatement l'odeur sucrée qui en émanait. Monsieur Yamada lui avait dit que prendre un chocolat pouvait aider pour les petits chagrins. Un petit chagrin, c'était une petite bêtise, un petit bobo, un ami perdu ou une journée fatigante. Il lui avait aussi dit de ne pas répéter ça à Monsieur Aizawa et de ne surtout pas en prendre après l'heure du coucher. Eri n'avait ni bobo, ni fait de bêtise. Mais un ami lui manquait et elle était fatiguée, alors elle en prit deux.

Cela faisait trois mois et six jours que Monsieur Lemillion était parti… Elle se figea en pensée. Ah non, ça, elle ne pouvait plus le dire. Monsieur Lemillion avait bien précisé qu'il fallait l'appeler Mirio à présent. Elle se souvenait très bien de ce jour où il lui avait dit que ça lui ferait très plaisir qu'elle essaie de l'appeler plus souvent par son prénom. C'était exactement deux mois avant son départ. Au début, c'était difficile de prendre cette habitude mais à présent, elle ne se trompait presque plus, et même qu'elle l'avait tutoyé au téléphone la semaine passée.

Mirio était parti au début du mois d'avril pour suivre une formation de plusieurs mois à l'Université de Kyoto. Comme il n'avait toujours pas récupéré son alter, il avait entamé l'Ecole de Police et étudiait la criminologie en plus de la formation de base, car il aspirait à être inspecteur. Il semblait heureux et passionné par toutes les nouvelles choses qu'il apprenait. Sa voix était toujours enthousiaste au téléphone quand il parlait de ses journées sur le campus. Il y a plusieurs mois encore, Eri se serait sentie profondément coupable de cette situation, mais le travail avec Madame Tanaka lui avait permis de ne plus se voir perpétuellement comme responsable et d'au contraire se considérer comme la solution. Elle n'était plus un problème ou un fardeau. Elle ne se sentait plus comme ça. Elle devait être forte et redoubler d'efforts pour apprendre à maîtriser son alter. Elle rendrait à Mirio ce qu'il avait perdu. Pas parce qu'elle le lui devait, mais parce que c'était quelqu'un de bien qui ne méritait pas d'être privé de ses pouvoirs. Mirio était une bonne personne.

Eri fut soudainement envahie d'une immense tristesse. Mirio avait beau lui téléphoner toutes les semaines, son absence avait créé un grand vide qu'elle ne parvenait pas à combler. Heureusement, Monsieur Deku venait de temps en temps lui rendre visite. Elle était toujours très contente quand la petite frimousse verte se glissait dans sa porte entrouverte, mais rien ne remplaçait cette joie intense quand elle voyait la silhouette massive de Mirio. Comme Cio-Cio San, elle adorait cette chevelure blonde, ces yeux brillants et cette voix qui l'appelait « Eri » ou « Mademoiselle Eri ». D'ailleurs, quand il disait « Mademoiselle Eri », elle lui faisait remarquer que ce n'était pas correct car si elle ne pouvait plus l'appeler « Monsieur Lemillion », il ne pouvait plus utiliser « Mademoiselle Eri ». Ça devait être juste Eri et pas non plus Eri-chan, car c'est Monsieur Aizawa qui l'appelait ainsi. À ne pas confondre avec Monsieur Yamada qui la surnommait Eri-Cherry. « Cherry », c'était une cerise, mais Monsieur Yamada lui avait bien précisé que ce n'était pas les cerises des sakuras du parc de Musutafu… Cette réflexion faisait le grand huit dans sa tête au point qu'elle n'entendit pas la porte s'ouvrir et sursauta presque quand une voix qui ne lui était pas inconnue prononça ces mots :

« Mademoiselle Eri… »

Eri resta sans voix. C'était Monsieur Lemillion. C'était Mirio. Mirio était revenu. Elle sauta hors de son lit et courut dans ses bras en criant :

« Si « Monsieur Lemillion » est interdit, alors « Mademoiselle Eri » l'est aussi ! »

Mirio l'attrapa et la souleva très haut. La petite fille tendit les bras comme à son habitude. Elle adorait cette sensation de légèreté dans les bras du jeune homme. Elle avait l'impression de ne rien peser et fut d'ailleurs déçue de retrouver si vite le sol. Cependant, ce fut vite oublié car Mirio posa un genou à terre et reboutonna correctement la robe de la petite fille, qu'il avait désordonnée en la portant ainsi.

« La dernière partie de ma formation a été annulée et je suis donc revenu. »

Eri n'écoutait pas ce que Mirio disait. Il était là et c'était le plus important. Elle regardait ses beaux cheveux blonds et trouva que sa coupe avait changé. Puis elle tomba immédiatement sur ses deux yeux noirs qui la regardaient à présent.

« J'ai quelque chose à te proposer, dit-il.

-Ah oui ?

-Est-ce que ça te plairait d'aller à la Fête des Étoiles demain ? »

Eri n'avait pas la moindre idée de ce dont parlait Mirio mais elle savait très bien ce que voulait dire le mot « fête ». Elle répondit avec enthousiasme :

« Oui !

-Parfait. Monsieur Yamada et Izuku ne vont pas tarder… »

Elle n'eut pas le temps de demander pourquoi Monsieur Yamada et Monsieur Deku devaient venir car sa porte se rouvrit brutalement. Une voix forte et chantante qu'elle avait appris à connaître résonna dans toute la pièce (tout l'internat).

« Hey ! Eri-Cherry ! J'espère que tu as faim car Madame est servie. »

Monsieur Yamada portait deux sacs en papier qui devaient contenir de la nourriture pour quatre ou cinq personnes (si pas six). Le mois de juillet leur donnait encore une belle et chaude journée. Ils sortirent et s'installèrent tous les quatre sur une table à l'extérieur pour manger. Eri se mit entre Mirio et Monsieur Deku et Monsieur Yamada s'installa en face d'elle. Ce dernier déballa le plat de la petite fille et lui demanda joyeusement :

« Alors, est-ce que tu vas à la Fête des Étoiles avec Mirio ?

-Oui, répondit Eri avec enthousiasme, avant de s'emparer de sa part de nourriture.

-Il te faudra un vêtement spécial pour ça, dit encore Monsieur Yamada avec le même ton.

-Ah bon ?

-Oui. Il te faut absolument un yukata. Alors, si tu n'es pas encore fatiguée, Mirio, Izuku et moi, nous t'emmènerons à la galerie marchande pour t'en trouver un. »

Eri voulut crier de joie mais se retint car une question lui vint directement à l'esprit.

« Monsieur Aizawa est au courant ? Il est d'accord ? »

C'est Monsieur Aizawa qui lui avait demandé de toujours poser cette question avant de faire une activité avec Monsieur Yamada. Elle avait d'ailleurs trouvé étrange qu'elle ne doive pas faire cela pour Mirio ou Monsieur Deku. De toute façon, à bien y réfléchir, il y avait des choses qu'elle avait bien voulu passer sous silence. Comme la boîte de chocolats cachée dans sa table de nuit, la fois où elle était venue avec lui dans une station de radio et aussi le jour où ils s'étaient perdus pendant une promenade, qu'il pleuvait et que Monsieur Yamada avait oublié de prendre la veste de la petite fille. Il l'avait alors emballée dans son blouson noir. Monsieur Yamada lui jeta un regard complice :

« Oui. Mirio et moi lui en avons parlé. Il aurait aimé se joindre à nous mais il doit donner cours toute l'après-midi et il croule sous les corrections. Sinon, Izuku, tu n'accompagnerais pas Mirio et Eri demain ? »

Monsieur Deku fut vraisemblablement surpris par la question et faillit avaler de travers. Il souffla sur un ton qu'Eri ne lui connaissait pas :

« Euh… Non… En fait, j'ai un truc de prévu avec quelqu'un… Je ne suis évidemment pas obligé d'y aller… Car il a juste dit qu'il voulait me voir pour faire un tour mais ça ne va pas forcément durer toute la fête… Un tour ça peut durer une heure et puis c'est fini ou alors toute la journée…Mais je crois que je vous rejoindrai plus tard quand même… Mais franchement, je… »

Le rire de Mirio interrompit le discours incohérent de Monsieur Deku, qui rougit pour une raison qu'Eri ne comprit pas.

« Prends le temps qu'il faut pour ton rencard, dit Mirio en lui donnant une tape à l'arrière de la tête.

-Ce n'est pas un « rencard ». C'est juste un tour. Pour parler, avoir une conversation, se promener… je crois », répondit Monsieur Deku avec une fermeté plus que discutable.

Sur les rires de Monsieur Yamada et de Mirio et les protestations de Monsieur Deku, ils finirent le repas et se préparèrent pour aller en ville. Eri enfila sa petite veste bleue et suivit Monsieur Yamada avec une main pour Mirio et une main pour Monsieur Deku. La galerie marchande était vraiment très proche de UA et la petite fille fut émerveillée par l'enseigne du magasin devant lequel ils s'arrêtèrent. La vitrine était décorée de tissus multicolores sur lesquels étaient brodés des grues majestueuses, des fleurs de jasmin, des gons aux écailles brillantes et de grandes femmes aux visages blancs. Avant qu'elle ne puisse dire quoi que ce soit, la petite fille se retrouva dans une cabine d'essayage avec un kimono. Elle commença à se déshabiller. Elle entendait les voix de ses compagnons près du rideau qui essayaient d'être discrètes mais qui n'avait probablement pas conscience que pour Eri, c'était loin d'être suffisant.

« Comment s'est passé l'entretien ? », dit la voix de Mirio.

Monsieur Yamada se racla la gorge, probablement pour contrôler sa voix, et répondit :

« Très bien et ce n'est pas étonnant. Nous avons préparé cet entretien tous les soirs pendant trois semaines… Trois semaines passées à réunir des documents, aménager notre appartement pour la visite, prévoir toutes les questions tordues qu'ils pourraient nous poser… Et franchement, on a eu raison ! C'était une inspection doublée d'un interrogatoire… En tout cas, la décision du juge tombera la semaine prochaine. Je ne suis pas inquiet. »

Monsieur Yamada soupira avant de continuer :

« Merci d'avoir négocié avec moi cette expédition dans ce magasin, Mirio… Sans ça, j'aurais eu plus de mal à convaincre Shouta que c'était une bonne idée.

-Vraiment ?, dit Mirio.

-Comment dire… Il a parfois encore un peu de mal à…. »

La voix de Monsieur Yamada se fit hésitante, puis il dit :

« … me laisser gérer.

-Comment ça?, reprit immédiatement Mirio.

-Il a eu le coup de foudre pour elle et Shouta n'est pas doué pour le partage. Il adore cette gosse. Et pourtant, il va bien falloir qu'il s'y fasse vu qu'en pratique, je passerai beaucoup de temps avec elle.

-Ah bon ?

-Il faut que l'un de nous deux travaille avec des horaires réguliers. Shouta n'est pas tout à fait prêt à lâcher son travail nocturne. Donc… »

Il y eut un bref silence avant que la voix de Mirio qui essayait de contrôler son volume dise :

« Monsieur Yamada… Vous arrêtez votre carrière de héros ?

-Je n'arrête pas ma carrière, je fais un break.

-Il n'y a vraiment pas d'autre solution ? »

Monsieur Yamada allait lui répondre quand la voix de Monsieur Deku s'éleva :

« Non. C'est la bonne chose à faire. »

Comme personne ne disait rien, il ajouta de façon moins audible, presque pour lui-même :

« Ce temps que vous lui consacrez, elle en aura besoin. Il y a des moments que des jouets, des vêtements ne remplacent pas. »

Rien ne fut ajouté car immédiatement après, Eri se décida à sortir de la cabine d'essayage dans un yukata blanc aux jolis motifs floraux qui consistaient en des branches de cerisiers. Il y avait même un petit oiseau au niveau de l'épaule. Eri se regarda dans le grand miroir. Elle tendit les bras, comme lui avait appris Mademoiselle Momo pour vérifier la longueur des manches et tourna une fois sur elle-même. Elle avait aussi enfilé la ceinture rose foncé et bien que le nœud ne fût pas fait correctement, ce fut trois regards éblouis qu'elle vit quand elle se détourna définitivement du miroir.

Mirio mit sa main devant sa bouche et murmura quelque chose qui ressembla à : « Comment vous allez faire quand elle aura seize ans… »

Monsieur Yamada lui donna un coup de coude sans quitter Eri des yeux et s'exclama en souriant :

« Tu es magnifique Eri ! Il te plaît ?

-Oui, répondit Eri qui regardait à présent le sol. Mais est-ce qu'il y en a un avec des chats ? »


Ils revinrent de la galerie marchande où ils avaient passé une bonne partie de l'après-midi avec le fameux kimono aux motifs de chats. Eri aurait bien voulu le remettre dans sa chambre pour le montrer à Monsieur Aizawa mais elle apprit en arrivant qu'il avait été appelé et qu'elle ne le verrait que le lendemain. Elle n'eut pas le temps d'être déçue car Mirio proposa d'aller voir le feu d'artifice qui avait lieu le soir même à la plage de Dagobah pour inaugurer le festival. Musutafu avait emprunté cette tradition à la ville de Sendai qui faisait de même le long du fleuve Hirosegawa.

Monsieur Yamada insista pour que Monsieur Deku et Mirio se rendent à la plage avec Eri pendant que lui s'occuperait du précieux yukata qu'il préparerait pour le lendemain. Ainsi, trois silhouettes quittèrent l'internat. Ils se rendirent au centre-ville pour le repas du soir et puis marchèrent jusqu'à la digue. Eri ne parvint pas à parcourir toute la distance car l'escapade de l'après-midi l'avait déjà épuisée. Elle termina le dernier kilomètre sur les épaules de Mirio, qui avait gagné la partie de pile ou face devant le départager de Monsieur Deku qui était aussi volontaire pour la porter. Sur la digue, tous les bancs étaient occupés mais ils trouvèrent une place sur les escaliers descendant vers la plage. Eri se blottit alors entre Monsieur Deku et Mirio et sentit l'excitation monter en elle.

Vers vingt-deux heures, le feu d'artifice commença et même si ce n'était pas la première fois qu'elle en voyait un, Eri cria de joie à la première explosion de couleur. Elle agita les bras d'excitation et toucha plusieurs fois Monsieur Deku et Mirio sans le vouloir. Ils n'en dirent rien et au contraire, observèrent la petite fille du coin de l'œil, car il y avait pour eux un spectacle bien plus précieux que les lumières de la plage. Eri afficha une moue déçue quand le feu d'artifice fut terminé. Cela avait été bien trop court pour elle mais elle bailla immédiatement après, comme si son corps rappelait à son esprit l'heure qu'il était. C'était au tour de Monsieur Deku de la porter et il la prit sur son dos pour l'ensemble du trajet du retour malgré les multiples propositions de Mirio pour faire la moitié de la route. Eri somnola au rythme des pas de Monsieur Deku et ne remarqua qu'ils étaient arrivés que lorsque la lumière artificielle de sa chambre l'éblouit. Monsieur Deku la posa sur le tapis, l'aida à se préparer pour le lit et l'y porta. Quand Eri sentit le coussin sous sa tête et la couverture qui remontait, elle releva un peu les yeux et tomba sur le regard sombre de Monsieur Deku. Pendant un bref instant, elle crut comprendre ce qu'il entendait quand il avait parlé de ce que des jouets ou des cassettes enregistrées ne remplaçaient pas. Il parlait d'un moment comme celui-là, le dernier instant avant d'éteindre la lumière de la lampe de chevet. Juste avant de s'endormir avec cette certitude d'être aimé.

« Bonne nuit Eri, dit Monsieur Deku. Monsieur Aizawa viendra te réveiller demain. »

Eri entendit aussi la voix de Mirio qui lui rappelait de faire de beaux rêves. Ce n'était malheureusement pas une promesse qu'elle pouvait tenir. Les terreurs nocturnes avaient cessé mais Eri savait que même si l'obscurité de sa chambre ne cachait ni monstres, ni fantômes, ni démons, ceux-ci peuplaient le gouffre de son sommeil.

Elle ouvrit les yeux et se redressa. Sans surprise, elle constata que le décor avait changé autour d'elle. La caverne, l'oiseau, tout cela était bien trop familier. Eri avait cependant compris depuis longtemps que ce rêve n'était qu'un leurre et que son esprit la défendait tant bien que mal contre cette attaque frontale des peurs de son passé qui revenaient en force dès qu'elle s'endormait. Elle n'en disait mot à Madame Tanaka, mais cette dernière avait probablement dû comprendre. Chaque nuit, au fur et à mesure que les secondes passaient dans cet autre monde, Eri voyait son rêve s'écouler comme la craie sous la pluie. Son esprit ne pouvait lutter bien longtemps. La caverne et l'oiseau se transformèrent et comme toutes les autres nuits, Eri se retrouva dans son ancienne chambre dans le sous-sol du bâtiment de Shie Hassakai. Elle était chez Kai Chisaki. Et Kai Chisaki était là. Endormi sur une chaise, respirant bruyamment à cause de son masque. Eri sentit son cœur battre de plus en plus vite, son corps trembler et ses yeux s'écarquiller. La peur. Elle était là. Elle serrait son estomac et entravait sa respiration. Elle ne venait pas vraiment de la présence de Kai Chisaki car même si le jeune homme la terrifiait, elle avait compris depuis longtemps qu'il n'était plus une menace. Ce qu'il y avait de vraiment effroyable, c'était cette porte ouverte au fond de sa chambre. Cette porte ouverte sur une obscurité totale. Une porte ouverte sur du noir mais pas une porte ouverte sur rien. Car Eri en avait la certitude, tapie dans l'ombre il y avait quelque chose qui ne se montrait pas mais qui, à travers cette obscurité menaçante, l'observait et sans aucun doute l'attendait. Cette porte était malheureusement la seule sortie et, tôt ou tard, Eri devrait la franchir. Mais elle n'osait pas. Et comme à chaque fois, les murs de la chambre finirent par se déchirer, faisant entrer une lumière aveuglante. Eri eut la sensation de tomber et se réveilla. Elle était de nouveau à l'internat et c'était le matin.

À peine Eri se fut-elle redressée sur son lit que la porte de sa chambre s'ouvrit après un petit tapotement. Sans surprise, c'est Monsieur Aizawa qui entra dans la pièce.

« Bonjour Eri-chan, je vois que tu es déjà réveillée.

-Bonjour Monsieur Aizawa.

-Tu as déjà faim ?

-Oui, je crois bien.

-C'est bien, vu le programme que t'a préparé Mirio, tu vas avoir besoin de forces.

-D'accord, je vais m'habiller.

-Non, surtout ne bouge pas, il arrive.

-Ah oui ? »

Avec un petit sourire énigmatique, il quitta la pièce sur ces mots. Une dizaine de minutes plus tard, la porte se rouvrit et Mirio entra avec un plateau où étaient disposées suffisamment de crêpes pour nourrir quatre petites Eri-chan. Il précisa immédiatement que c'était Nejire qui s'en était chargée.

« Salut Eri ! Tu as bien dormi ?

-Oui », mentit Eri qui était bien trop heureuse de voir Mirio de si bon matin.

Et la journée ne faisait que commencer.

Elle mangea bien trop de crêpes, au point que Mirio fut soulagé quand Monsieur Yamada fit irruption dans la pièce avec le yukata acheté la veille. Il avait délaissé son costume de héros professionnel pour des vêtements plus simples, à savoir une chemise blanche et un pantalon sombre. Ses cheveux étaient noués en un chignon et heureusement, il portait ses lunettes aux verres orange qui le rendaient reconnaissable.

« Hello Listeners ! Victory ! J'ai réussi à esquiver Shouta ! Il ne va pas en revenir quand il verra Eri-Cherry là-dedans ! »

Monsieur Deku entra à son tour, juste derrière Monsieur Yamada.

« Bonjour Eri, dit-il timidement, je vois tu as adoré les crêpes de Nejire. »

Mirio débarrassa le plateau et sortit pour laisser Monsieur Yamada et Monsieur Deku aider la petite fille à se préparer. Le grand homme blond dit immédiatement au jeune homme qui l'accompagnait :

« Occupe-toi d'Eri. Moi, je fais le guet. Tu as trois quarts d'heure. »

Monsieur Deku n'eut pas le temps de protester car Monsieur Yamada était déjà dehors. Eri prit une douche, se sécha et enfila son yukata dans la salle de bain et puis, elle appela Monsieur Deku qui entra pour les derniers préparatifs. Il allait commencer à nouer son obi derrière elle quand une petite voix l'interrompit.

« Est-ce que le nœud pourrait ressembler à un papillon ?

-Oui, bien sûr, murmura Monsieur Deku dontla petite fille vit l'air légèrement nostalgique dans le miroir. J'imagine que tu veux un nœud bunko misubi.

-Oui. »

Il s'appliqua à réaliser sa demande. Puis, il peigna ses longs cheveux mais remarqua rapidement l'air dubitatif de la petite fille.

« Qu'est-ce qu'il y a Eri ? Tu n'aimes pas tes cheveux ?

-Si. Mais j'aimerais un chignon…, répondit Eri avec un air gêné. Un peu comme celui de Madame Inko… »

Eri observa le reflet de Monsieur Deku. Elle vit ses lèvres relever ses joues vers ses yeux plissés, dont les rides qui partaient du coin de son regard ne faisaient aucunement douter Eri. Elle avait appris à décrypter les visages en quelques secondes car cela avait été indispensable à sa survie. Et là elle savait ce qu'elle voyait : un sourire vrai. Monsieur Deku était heureux d'être avec elle et sa demande ne l'ennuyait nullement. Que du contraire.

Quand elle sortit de la salle de bain, Mirio, Monsieur Aizawa et Monsieur Yamada l'attendaient dans sa chambre. L'habit qui avait été choisi était un kimono bleu ciel avec des silhouettes de chats noires mêlées à des motifs d'arabesques. Son obi mauve était parfaitement noué. Dans le magasin, ils avaient beaucoup hésité avec un yukata rose décoré de petites têtes de chats grises et un obi blanc. Un autre kimono rouge avait été écarté car jugé par Monsieur Yamada : « Beaucoup trop mignon, si elle porte ça, on va nous la voler. » Bien que Mirio l'ait déjà vu dans son yukata, il cligna des yeux plusieurs fois comme s'il venait de se réveiller. Puis il sourit à Eri qui lui rendit son sourire. Lui aussi était habillé pour l'occasion avec un kimono bleu et rouge. Monsieur Aizawa resta silencieux, baissa les yeux, passa sa main sur son front et jeta un bref regard à son compagnon qui lui faisait des signes de tête vers Eri.

« Tu es vraiment très jolie, Eri », souffla-t-il.

Ce fut le moment de se rendre à la Fête des Etoiles. Monsieur Deku partit de son côté. Ils quittèrent l'internat et se dirigèrent vers le parc du centre-ville. Eri marchait devant avec Mirio alors que Monsieur Yamada et Monsieur Aizawa restaient en retrait en se tenant la main. Aujourd'hui, c'était la journée de Mirio et d'Eri et ils avaient simplement décidé de les regarder de loin. Ils traversèrent à nouveau la galerie marchande qui avait bien changé depuis la veille. De longues bandes colorées étaient suspendues à des tiges de bambou. Elles étaient tellement longues que les plus grands pouvaient essayer de les frôler de la tête. Si Monsieur Yamada avait eu sa fameuse coiffure, il aurait pu les toucher sans aucun doute. On voyait aussi accrochées un peu partout des grues, des étoiles et des fleurs en papier.

Quand ils arrivèrent enfin dans le grand parc de Musutafu, où Eri allait si souvent se promener, celle-ci ne put s'empêcher de le trouver méconnaissable. Les arbres étaient ornés de décorations de papier et de grandes banderoles flottaient gracieusement au-dessus des allées. De nombreuses activités étaient organisées sur les pelouses. Mirio avait d'ailleurs un plan précis pour leur parcours. Il jeta un dernier regard derrière lui afin de vérifier s'il avait toujours bien l'approbation des deux hommes qui le suivaient à moyenne distance. Il fut conforté dans ses intentions par le hochement de tête d'Hizashi Yamada. Ainsi, le petit duo commença par l'atelier d'encrage. Eri repassa à l'encre noire de contours prédéfinis au crayon et remplit l'intérieur des formes. Elle trembla un peu et fit quelques taches sur le papier mais fut heureuse de terminer ces deux petits chats assis devant un aquarium. L'atelier couture lui plut beaucoup même s'il était plus difficile. Elle se piqua quelques fois en essayant de lier entre eux deux petits carrés de tissu sur lesquels étaient brodés les deux parties d'une même fleur. Elle suivit ensuite Mirio à l'atelier de musique où elle souffla quelques notes dans un shakuhachi. Juste après, elle regarda passer le défilé des tambours sur les épaules de son grand ami.

Monsieur Yamada et Monsieur Aizawa restèrent continuellement à l'écart et ne vinrent auprès d'eux que pour leur apporter un petit assortiment de yakitori et de légumes grillés pour le repas de midi. Alors qu'elle attendait Mirio qui demandait des beignets de crevettes, elle jeta un regard au-dessus de son épaule et vit les deux hommes assis sur un banc. Monsieur Aizawa regardait le sol et Monsieur Yamada écarta sa chevelure noire pour révéler son profil. Là, Monsieur Aizawa se tourna vers lui et lui parla avec un air soucieux et triste. Mais l'homme blond passa sa main sur sa joue et lui répondit d'une voix forte, ce qui rendit sa réponse parfaitement audible :

« Evidemment que je suis sûr, Shouta ! Tu n'as pas à t'en faire pour ça ! »

Monsieur Aizawa perdit son air triste et Eri put y voir à nouveau le vrai visage du bonheur. Mais son attention fut immédiatement attirée par ce qu'il se passait sur sa droite. Elle voyait Monsieur Deku assis sous un arbre. Il n'était pas seul. Un garçon était à côté de lui. Il était blond et Eri se souvint que c'était un élève de UA. Il criait tout le temps mais pas comme Monsieur Yamada car il ne souriait jamais en criant. D'ailleurs, il ne souriait jamais tout court et même s'il criait, il parlait peu. En réalité, elle n'avait même quasiment jamais entendu le son de sa voix car dès qu'il alignait une phrase, Mademoiselle Momo ou Mademoiselle Kyoka ou Mademoiselle Ochaco lui bouchait les oreilles immédiatement. Eri les observa. Ils ne se parlaient pas. Le garçon blond regardait le sol tête baissée, comme l'avait fait Monsieur Aizawa. Monsieur Deku était à côté de lui et se grattait la tête comme lorsqu'il réfléchissait à ce qu'il devait faire. Elle se tourna à nouveau vers Monsieur Yamada qui touchait les cheveux de Monsieur Aizawa et puis regarda encore Monsieur Deku. Ses pensées furent brutalement interrompues par la voix de Mirio :

« Tiens Eri, goûte-moi ce beignet !

-Qu'est-ce qu'on fait maintenant ?, dit la petite fille, en prenant le beignet que Mirio lui tendait.

-Direction l'atelier de papier. Notre dernière station ! »

Après avoir englouti le beignet, Eri suivit Mirio d'un pas sautillant jusqu'au centre du parc. L'atelier de papier était le plus vaste de tous les ateliers et aussi le plus beau. Mirio installa Eri à une petite tablette et partit chercher du papier coloré et des modes d'emploi pour réaliser divers animaux en origami. Eri se retourna et aperçut au loin que Monsieur Yamada et Monsieur Aizawa étaient toujours sur le même banc. Monsieur Deku et son ami n'avaient pas bougé non plus. Son attention fut soudainement captée par l'immense affiche qui décorait un arbre à proximité. Le dessin était grandiose. Un homme et une femme se faisaient face sur un ciel de nuit et étaient séparés par une rivière d'étoiles. La femme portait une robe rose et mauve et l'homme était habillé comme un paysan. Il transportait sur son épaule un joug où pendaient deux seaux. Eri vit alors que dans chaque seau il y avait un enfant. Intriguée, elle attendit avec impatience le retour de Mirio pour l'interroger.

« C'est quoi cette affiche ?, lui dit-elle.

-Elle représente la légende qui est célébrée lors de la Fête des Etoiles. C'est le Bouvier et la Tisserande.

-Quelle légende ?

-Ah… Si j'avais su que tu ne connaissais pas l'histoire, je te l'aurais racontée plus tôt. »

Eri n'avait en effet aucune idée de ce qui était fêté aujourd'hui et ne s'en était pas vraiment préoccupée jusqu'à maintenant. Elle se trémoussa d'excitation en entendant le début du récit ('*) :

« Donc c'est l'histoire d'un bouvier…

-C'est quoi un bouvier ?

-Quelqu'un qui s'occupe des bœufs.

-D'accord.

-C'est donc l'histoire d'un bouvier. Il avait un buffle et justement, il s'occupa si bien de son buffle que lorsque sa dernière heure vint, l'animal lui conseilla de conserver sa peau en lui promettant qu'elle exaucerait n'importe quel vœu. Un peu plus tard, le bouvier se maria à une très belle femme qui lui donna deux beaux enfants. Cependant, cette femme était en réalité une fée du ciel appelée la « Tisserande des Nuages Colorés du Couchant ». Un jour, sa mère, la Déesse Céleste, apprit son mariage avec un humain. Comme terre et ciel doivent rester séparés, la déesse vint chercher la tisserande et la ramena au ciel pour qu'elle y demeure pour l'éternité.

-Mais… mais… c'est horrible ! Qu'est-ce qu'ils vont faire ?, s'écria Eri, horrifiée.

-Attends la suite…, répondit Mirio d'un air rassurant. Le bouvier prit alors ses deux enfants et les porta à l'aide d'un joug, comme sur l'affiche, tout en revêtant la peau du buffle. Il fit le vœu de pouvoir rejoindre sa femme et aussitôt s'envola pour le ciel. Malheureusement, lorsque la Déesse Céleste vit le bouvier à leur poursuite, elle fut folle de rage et brisa le ciel en deux pour séparer le couple pour toujours. Une rivière d'étoiles se forma et stoppa l'avancée de l'homme qui ne cessa d'appeler sa femme avec ses enfants qui pleuraient. Alors la Déesse Céleste regretta son geste et changea le bouvier et la tisserande en étoiles de part et d'autre du fleuve céleste. Et leur accorda de se rejoindre une fois par an, le septième jour du septième mois. Les oiseaux feraient la passerelle entre eux. Et c'est donc aujourd'hui, le 7 juillet. (*'') »

La petite fille s'exclama directement avec une petite moue déçue :

« Elle est triste ton histoire. Ils sont séparés presque toute l'année… »

-C'est vrai que la fin aurait été heureuse si le Bouvier avait pu vivre sans restriction avec la Tisserande, mais…

-Mais ce qui est en bas ne rejoint jamais ce qui est en haut et c'est comme ça », dit brusquement Eri.

Mirio fut surpris par les paroles de la petite fille et remarqua aussitôt qu'elle était passée de la joie à la déception. Elle affichait à présent une tristesse à laquelle il ne savait quoi répondre.

« Eri ?, osa-t-il. Tu veux me parler, ma chérie ? »

Eri baissa la tête, non par crainte ou timidité mais plutôt par honte. Elle lui répondit abruptement :

« J'ai menti, Mirio.

-Pardon ?

-J'ai pas bien dormi la nuit dernière. »

Mirio tendit son bras au-dessus de la tablette de travail et caressa les cheveux de la petite fille en murmurant :

« Je sais bien. »

Eri laissa la main de Mirio frôler sa joue. Ce geste lui donnait de la force. Elle n'avait rien à craindre. Elle était aimée de la meilleure personne qu'elle aurait pu trouver sur cette terre. Cependant, elle ne releva pas la tête, car elle savait qu'elle ne pouvait se contenter de ce premier aveu. La petite fille ferma les yeux et respira lentement. Elle visualisa la caverne et l'oiseau et ensuite, la chambre sombre et Kai Chisaki. Elle dit en gardant la tête baissée :

« Quand je dors, je rêve que je ne suis plus là.

-Et où es-tu ?

-Tu sais. »

Un silence lourd s'installa. Eri gardait les yeux rivés sur le sol mais elle entendit la respiration difficile de Mirio et sentit les gestes nerveux de ses bras.

« Et comment tu te sens là-bas ?, demanda-t-il

-J'ai peur.

-Et de quoi as-tu peur ? »

Eri aurait voulu répondre que c'était l'oiseau qui lui faisait peur mais dans ce cas, elle aurait dû expliquer l'entièreté du rêve pour que Mirio comprenne, ce qui l'embarrassait. De plus, elle savait au fond d'elle que ce n'était pas tout à fait vrai.

« J'ai peur de sortir, dit-elle

-Pourquoi ?

-Parce que c'est tout noir.

-Et c'est du noir dont tu as peur ?

-Oui. »

Et comme elle avait décidé de ne plus mentir à Mirio, elle ajouta :

« J'ai peur que dehors… Ce ne soit pas chez moi. »

-Mais pourquoi, ma petite Eri ?, s'exclama-t-il. Tu ne dois pas avoir peur ! Ici, c'est déjà chez toi.

-C'est pas ça. »

Mirio ne comprenait pas et Eri ne pouvait lui en vouloir. Elle savait que ce n'était pas de sa faute. Vivre comme il le faisait était pour lui une évidence. Il était né comme ça. C'était comme lui dire que le bleu n'était pas une couleur. Quand elle osa lever la tête, Eri vit les paupières de Mirio retomber. Son menton s'abaissa et son regard devint vide. Il essayait de rester neutre mais la petite fille ne s'y trompait pas. Il était triste. Elle était en train de le blesser. Elle pensa alors qu'elle était née pour détruire les gens et sentit immédiatement après un frisson parcourir son corps. « Tu es née pour détruire les gens (*''') », on le lui avait déjà dit. C'était Kai Chisaki qui le lui avait crié alors que Mirio la tenait dans ses bras et refusait de la rendre. Elle avait travaillé sur ce souvenir avec Madame Tanaka et c'est sans crise d'angoisse qu'il lui revenait à présent en mémoire.

« Je t'en prie, Eri, parle-moi. », dit Mirio, presque à voix basse.

Cela faisait en effet de longues minutes qu'elle était silencieuse. Son esprit l'avait brutalement ramenée en arrière et elle ne trouvait toujours pas les mots pour Mirio. Son regard se posa alors sur les feuilles qu'il avait apportées. Elle en prit une et la lui montra.

« Ça c'est toi. »

Elle posa doucement la feuille de papier coloré sur la tablette en y faisant très attention pour ne pas l'abîmer et en prit une autre.

« Et ça c'est moi. »

Elle chiffonna la feuille de toutes ses forces, la déchira en deux et la déposa à côté de la première.

« Même en allant chez Madame Tanaka tous les jours, je peux pas être comme ta feuille. C'est pour ça que j'ai peur de sortir. »

Une feuille chiffonnée se verrait toujours parmi les feuilles neuves. Elle serait toujours une erreur. Pour Eri, c'était comme si elle n'appartenait pas à ce monde. Elle se revoyait dans la chambre obscure qu'elle connaissait si bien et qui hantait désormais son sommeil. Elle avait vécu la plupart de son existence dans cette pièce. Cette chambre l'avait faite. Elle lui avait appartenu. Et cette porte ouverte sur le noir était comme une porte ouverte sur le ciel. Et il n'y avait pas besoin de rivière d'étoiles pour lui barrer la route. La peur et la certitude de ne pas y avoir sa place étaient suffisantes pour ne pas qu'elle daigne ne serait-ce que s'approcher de la porte. Elle n'appartenait pas à ce ciel. Elle n'avait rien d'une étoile. Sa lumière était aussi faible que la flamme d'une petite allumette. Et devant elle, il y avait cette personne qui rayonnait plus qu'un million de soleils et qui restait silencieux.

Cependant, Mirio prit soudainement les deux parties de la feuille de papier d'Eri. Il aplatit ensuite les deux morceaux sur la table. Il replia les feuilles pour former deux carrés de tailles différentes. Il plia le plus grand en deux et puis en quatre. Puis il ramena les deux côtés vers le centre et après, le haut et le bas. Il continua divers pliages et Eri vit apparaître successivement un triangle, un carré et un losange. Elle ne parvint pas à suivre l'entièreté du processus et ne put que constater que le résultat était une étoile à quatre branches avec sur une face des bords qui pouvaient être repliés à partir du centre. Mirio fit une opération similaire avec le petit carré de papier qui restait et obtint à nouveau une étoile à quatre branches. Il reprit alors la première étoile et Eri fut stupéfaite de voir les deux étoiles s'emboiter parfaitement grâce aux petits bords relevés, obtenant ainsi une étoile à huit branches parfaitement équilibrée. Les papiers avaient beau avoir été chiffonnés, Eri trouva l'étoile belle car les marques donnaient un certain relief. Mirio prit une respiration et s'adressa à elle avec douceur :

« C'est vrai que les mauvaises choses qui nous arrivent nous cassent. Elles nous malmènent, elles nous déchirent. Mais surtout…

Il tendit l'étoile à Eri qui la prit de ses deux mains avec précaution.

« …Elles nous changent. »

Il posa ensuite la main sur les cheveux de la petite fille qui n'avait pas baissé la tête et qui le regardait à présent avec des yeux intenses.

« La vie peut faire mal. Tu n'étais pas censée le savoir à ton âge. »

La voix de Mirio se brisa légèrement car la seule pensée des souffrances endurées par Eri lui nouait l'estomac et serrait sa poitrine.

« Tu aurais dû ignorer tout ça, dit-il encore, mais tu le sais et c'est comme ça. Tu as raison. La vie laisse des marques, des cicatrices et ça ne sert à rien de les cacher. Mais elles ne te rendront pas forcément laide ou faible. »

Mirio passa le dos de sa main sur la joue d'Eri et ajouta :

« Au contraire, ces cicatrices sont une part de ta beauté. »

La petite fille écarquilla les yeux et ses joues rougirent un peu. La voix de Mirio se fit plus basse et il murmura :

« Je ne pourrai jamais effacer ce qui est arrivé mais je serai toujours là, Eri. Il n'y a rien qui pourra nous séparer. Quoi qu'il arrive, nous serons toujours sous le même ciel.»

Eri fixa longuement l'étoile en papier pour se remettre des mots de Mirio. Elle profita du silence entre eux qui n'était troublé que par le cri des autres enfants autour.

« Tu m'apprends à faire un pliage ? », dit soudainement la petite fille.

Mirio prit alors le modèle de la grue et donna le papier adéquat à Eri, qui suivit consciencieusement les instructions et obtint trois oiseaux presque parfaits alors que le soleil se couchait. Ils entendirent soudain la voix forte de Monsieur Yamada qui les sommait d'aller à la plage.

« Pourquoi aller à la plage ?, demanda Eri.

-Tu verras, c'est la meilleure partie. »

Mirio et Eri rassemblèrent les petits modèles de papier. Le jeune homme alla les confier à Monsieur Aizawa qui gardait depuis le début toutes les réalisations de la petite fille. Mirio emmena ensuite Eri à la plage où ils avaient vu le feu d'artifice. Comme le parc et la galerie marchande, l'endroit était complètement métamorphosé. De grandes tiges de bambou avaient été plantées dans le sable. Des papiers y avaient été accrochés et flottaient dans le vent. Eri écarquilla les yeux devant le spectacle et se tourna vers Mirio qui lui expliqua :

« On raconte que le septième soir du septième mois, après avoir retrouvé sa famille, la Tisserande recueille les souhaits et fait en sorte qu'ils se réalisent. Pour ça il faut les écrire sur un papier et l'accrocher à une branche de bambou. Vers minuit, on brûlera les tiges et les vœux se réaliseront. »

Mirio sortit des poches de son yukata du papier et de quoi écrire.

« Je peux écrire le vœu pour toi ou tu peux aussi le dessiner. Je suis sûr que la Tisserande comprendra. »

Eri fut pensive. Des souhaits, elle en avait mais elle ne savait pas comment les demander. Puis, comme si ses jambes la guidaient, elle courut vers Monsieur Yamada et Monsieur Aizawa qui continuaient à leur laisser de l'espace et écrivaient leurs souhaits à une dizaine de mètres. Mirio la vit revenir avec l'étoile qu'il avait fait pour elle.

« Je veux accrocher ça », dit-elle.

Mirio acquiesça et fit un trou dans l'étoile pour y passer un fil. Il porta Eri pour qu'elle puisse l'accrocher elle-même le plus haut possible. Il la reposa sur le sol et tous deux, main dans la main, observèrent les bambous qui s'agitaient sous le vent.

« Alors, la journée a été bonne ? », dit une voix derrière eux.

Eri et Mirio se retournèrent et tombèrent sur Monsieur Deku qui les avait rejoints.

« Et toi ?, répondit Mirio. Comment était ton rencard ? »

Monsieur Deku soupira en passant une main sur son front.

« Plutôt moyen.

-Vous vous déjà êtes disputés ?

-Non. Mais c'est difficile de se disputer quand la plupart des conversations se limitent à une ou deux phrases… Bon, ça ne l'a pas empêché de faire la tête pour je ne sais quelle raison et de rester renfermé.

-Je suis désolé pour ça, dit sincèrement Mirio.

-Il ne faut pas…, fit Monsieur Deku avec un air morose. C'est juste que…

-Il fallait toucher ses cheveux !, interrompit Eri.

Les deux garçons la regardèrent, stupéfaits, mais la petite resta très sûre d'elle :

« Quand Monsieur Aizawa est triste, Monsieur Yamada touche ses cheveux et là juste après Monsieur Aizawa est content. »

Il y eut un silence suivi des éclats de rire de Monsieur Deku et de Mirio.

« Je vous présente Eri, consultante en séduction », dit Mirio d'une voix théâtrale.

Puis, il la prit dans ses bras et la souleva dans les airs comme elle aimait bien. En reposant la petite fille, il s'adressa à Monsieur Deku qui était parvenu avec difficulté à se reprendre :

« Tu veux écrire un souhait ?

- Ce ne serait pas de refus, répondit Monsieur Deku en prenant le matériel que lui tendait le jeune homme blond.

-Et que vas-tu souhaiter ?

-Que… »

Monsieur Deku réfléchit un bref instant et dit en écrivant :

« … Que les choses soient plus simples. »

Il accrocha ensuite son souhait sur le bambou et regarda l'horizon avec ses amis. Eri se blottit entre eux et sentit la main de Mirio sur ses épaules.

« Elle existe vraiment, cette rivière d'étoiles ?, demanda-t-elle

-Oui, répondit Mirio, je te la montrerai quand il fera nuit. De même que les étoiles du Bouvier et de la Tisserande (*''''). »

Eri souhaita ne jamais oublier ce moment avec Mirio et Monsieur Deku. Elle regardait flotter son étoile de papier dans le vent marin sous les nuages colorés par la Tisserande du couchant. Elle respira l'air frais de la mer.

Elle avait encore peur mais elle savait qu'elle pourrait le surmonter. Elle ne pourrait de toute façon jamais vivre sans peur de mourir, ni aimer sans peur de souffrir, ni apprécier le présent sans peur de l'avenir ou tenir la main de Mirio sans la crainte d'être séparée de lui. La peur était inévitable mais elle l'avait enchaînée. Ça ne pouvait plus être comme ça. Elle devait sortir de sa chambre et vivre intensément sur cette terre sans chercher à rejoindre le ciel mais plutôt le prendre pour guide, sachant qu'il serait toujours assez vaste pour y trouver une étoile à suivre. Et après quelque temps, elle regarderait à nouveau ce ciel et le trouverait si petit car ses rêves seraient devenus bien trop grands.

Elle douterait sûrement encore mais n'oublierait jamais que son ennemi n'est pas la peur mais la solitude, qu'une feuille de papier devient une grue si l'on sait comme faire, qu'il n'y a pas de rivière infranchissable qui sépare une famille et que c'est toujours dans la nuit la plus noire que les étoiles brillent.

Fin


J'espère que tu as aimé ce cadeau, Hatsu !

Et pour les lecteurs de passage, merci de m'avoir lue.


(*) Il s'agit de la thérapie EMDR qui est l'acronyme de "Eye Movement Desensitization and Reprocessing", en français: "Désensibilisation et retraitement par le mouvement des yeux". Cette thérapie se base sur le principe selon lequel des mouvements oculaires répétés permettraient au cerveau de traiter les émotions négatives actuelles en les dissociant du choc initial. La thérapie fut proposée pour la première fois en 1987 par la thérapeute Francine Shapiro aux États-Unis. Bien que recommandée par l'OMS, les mécanismes en jeu de l'EMDR ne sont pas connus.

(*') L'histoire a été simplifiée et raccourcie.

(*'') Bien que fêtée le 7 juillet dans de nombreuses villes japonaises, la Fête des Etoiles ou Tanabata est également célébrée de 7 Août qui est plus proche de la date obtenue avec le calendrier lunaire.

(*''') Version anglaise, chapitre 151, p1

(*''') La « rivière d'étoile » est la Voie Lactée. L'étoile du Bouvier est Altaïr et celle de la Tisserande, Vega.