La sueur perlait sur son front, coulant lentement le long de sa tempe. Sasha ne pouvait s'empêcher de suivre avec attention la progression de cette infime goutte salée, la sensation de roulement sur sa peau étant tout à fait irrésistible. Ça chatouillait affreusement. Il fallait dire qu'elle avait pas grand-chose d'autre pour l'occuper, la course d'endurance n'étant pas l'activité la plus passionnante au monde. Mais bon, il fallait bien garder la forme malgré la relative sécurité des murs et courir chaque matin était un moyen comme un autre d'y parvenir. Autour d'elle ses camarades râlaient un peu entre deux foulées, sans doute quelque peu déçus de devoir quitter leur lit de si bonne heure. Mais pas Sasha. Sasha courait presque joyeusement, chantonnant un air de son enfance sans vraiment y faire attention. Après tout, pourquoi se serait-elle apitoyée sur son sort ? Elle était logée, blanchie et trois repas chauds lui étaient servis chaque jour. Mieux encore, elle était payée pour ça. Payée pour courir et manger. Ça aurait pu être le paradis si, en contrepartie, elle n'avait pas dû affronter des titans et risquer sa vie régulièrement. Courir de toit en toit, manœuvrer pour éviter les mains tendues et les bouches monstrueuses. Manger ou être mangée. Finalement, tout se réduisait toujours à une banale question de nourriture.
Ils arrêtèrent de courir après une heure seulement, tous collants mais encore frais. Ils avaient subi tellement pire durant leur entraînement, ce n'était pas soixante minutes qui allaient les casser en deux. Ils étaient des soldats confirmés après tout, il ne fallait pas les sous-estimer. La jeune femme repensa avec nostalgie à son premier jour, quand l'instructeur l'avait condamnée à courir jusqu'à en crever et sans même avoir droit à un repas une fois la journée achevée. Heureusement que Christa l'avait sauvée. Souriante, Sasha chercha la blonde du regard et la trouva en train de discuter avec Conny non loin de là. Elle se dirigea vers eux et, une fois à leur hauteur, ils échangèrent les banalités habituelles sur la météo, la tête des uns, le regard morne de l'officier supérieur, les rêves étranges de Conny et les nouvelles du front. Ces dernières, surtout, retinrent leur attention mais rien de nouveau ne semblait s'être produit depuis la veille. Après tout, ce n'était pas comme si le titan colossal apparaissait tous les jours. De plus la mission de ravitaillement n'était partie que la veille, il était donc encore bien trop tôt pour que le commandant Erwin envoie un messager. A moins qu'ils ne rencontrent un sérieux problème à peine sortis de l'enceinte des murs, mais ça personne ne le souhaitait. C'est donc plutôt détendu que le groupe d'amis prit la direction des douches avant de se rendre ensuite au réfectoire où un petit déjeuner les attendait. Comme de coutume Sasha se jeta sauvagement sur la nourriture, ne se souciant plus du tout du monde autour d'elle. Elle racla cinq fois le fond de son écuelle pour s'assurer de ne rien gaspiller puis se tourna promptement vers sa voisine de gauche. Mikasa. Elles avaient pris cette habitude de toujours se mettre côte à côte durant la session de recrutement et elles avaient beau avoir rejoint le bataillon d'exploration depuis, cette habitude ne les avait pas quittées. On ne change pas une équipe qui gagne après tout. Sasha se tourna donc vers la jeune femme, attendant fébrilement qu'elle lui tende sa portion de pain comme elle le faisait toujours. Mais pas cette fois-là. La belle asiatique semblait ailleurs, ses yeux fixés loin sur une table derrière elles. Suivant son regard, Sasha découvrit la table où se trouvait Eren, entouré de son équipe de surveillance. En l'absence du commandant Erwin le caporal-chef Rivaille se retrouvait responsable de la caserne qu'il avait donc dû rejoindre, emportant dans ses bagages Jäger et ses gardiens. Cependant, même s'il était moins isolé que dans son lointain château, le garçon était toujours tenu à l'écart de ses anciens camarades et dormait dans une pièce tenue secrète. Mikasa avait les sourcils froncés, un air soucieux assombrissant son si exotique visage. Empathique aux sentiments de son amie, la jeune chasseuse se sentit devenir inquiète elle aussi, se demandant avec candeur ce qu'elle pourrait bien faire pour l'aider. La solution lui paraissant soudain évidente, elle attrapa la main de sa compagne pour attirer son attention, un sourire réconfortant et un peu niais sur les lèvres.
« Mange ! lui dit-elle en lui tendant sa petite cuillère. Tu te sentiras mieux ensuite ! »
Mikasa la considéra un moment, avec ce visage totalement lisse qui était le sien. Avant de finalement attraper son morceau de pain et le lui enfoncer dans la bouche. Sasha se reconcentra aussitôt sur la mastication du féculent, sans même remarquer le sourire discret que fit son amie en soupirant. Quand elle releva enfin la tête, Mikasa était en train d'avaler le contenu de son auge.
En somme, la journée avait plutôt bien commencé. Malgré la tension ambiante dû au départ de l'équipe de ravitaillement et les regards inquiets, curieux, voire même parfois haineux que provoquait la présence d'Eren parmi les soldats, l'humeur de Sasha restait au beau fixe. Elle faisait partie de ces gens à la constitution optimiste que peu de choses peuvent estomper, à part peut-être un ventre vide et un titan. Fort heureusement pour elle, elle était rassasiée et le mur Rose était encore bien debout. S'étirant nonchalamment, la jeune femme allait repartir vaquer à ses occupations – elle devait aller veiller à la bonne santé des chevaux – quand un officier supérieur lui barra la route. Il avait ce regard glacial des gens en colère et elle dû faire de son mieux pour ne pas laisser transparaitre son angoisse alors qu'elle se mettait au garde à vous.
« Sasha Braus, tu es convoquée dans le bureau du caporal. Maintenant.
Il la toisa encore un moment, l'air toujours aussi menaçant.
_ Et je ne le ferais pas attendre si j'étais toi.
_ Oui monsieur ! »
D'un mouvement du menton l'homme lui fit signe de déguerpir et elle ne se fit pas prier. Prenant ses jambes à son cou de la manière la plus digne qui soit, elle fila en direction du bureau du commandant où devait sans doute s'être établi le caporal. Pourquoi voulait-il la voir d'ailleurs ? Et pourquoi l'officier semblait si furieux contre elle ? Aurait-elle fait quelque chose de mal ? Elle réalisa soudain avec horreur que c'était elle qui avait été chargée du ménage de la salle la semaine précédente. Une rumeur courait entre les soldats sur la maniaquerie du caporal, mais il ne pouvait tout de même pas l'avoir convoquée pour ça n'est-ce pas ? La peur au ventre, la jeune femme accéléra et tourna au coin sans vraiment regarder où elle mettait les pieds, trop prise dans ses pensées. Tant et si bien qu'elle ne remarqua que trop tard Reiner et son seau rempli de patates à éplucher et le percuta violemment, envoyant voler récipient et tubercules aux quatre coins de la cour.
« Bordel Sasha, regarde où tu vas !
_ Désolée Reiner, je suis vraiment infiniment désolée ! Ne m'en veux pas s'il te plait, mais je suis pressée ! Encore désolée ! »
Et elle partit en courant, laissant derrière elle un carnage et un blond en colère. Mais elle n'avait pas le temps pour la politesse aujourd'hui, Rivaille passait en priorité. On lui avait décrit de lui un portrait si terrible que la brune le craignait sans même l'avoir jamais rencontré, mais persuadée que mieux valait ne pas le contrarier. Sans doute avait-elle raison sur ce dernier point. Aussi c'est angoissée qu'elle frappa à la porte du cabinet et presque terrifiée qu'elle prit position devant l'homme au regard d'acier. Le poing sur le cœur, elle ne put néanmoins s'empêcher de remarquer que le légendaire caporal était bien plus petit que ce à quoi elle s'imaginait. Assis derrière son bureau, les avant-bras appuyés sur celui-ci, Rivaille la fixait avec un mélange d'énervement et d'ennui. Des hommes qu'elle ne connaissait pas se tenaient près de lui, les insignes sur leurs vestes lui permettant de les identifier comme des gradés. Un seul soldat semblait être aussi bleu qu'elle.
« Tu es… le soldat Sasha Braus, c'est ça ? demanda le caporal après avoir lu son nom sur une feuille posée devant lui.
_ Oui monsieur !
_ Sais-tu pourquoi tu es là, soldat ?
La question la déconcerta un peu. Elle s'attendait à ce qu'on lui annonce directement sa faute, pas qu'on la fasse mariner de la sorte.
_ Est-ce que…, commença-t-elle, hésitante, est-ce que je suis là à cause du ménage ? Il restait de la poussière ?
Les personnes présentes dans la pièce la regardèrent avec étonnement, Rivaille allant même jusqu'à lever un sourcil circonspect. Il se demanda pendant une fraction de seconde si elle se moquait de lui, mais elle avait cette moue honnête des imbéciles, aussi fut-il obligé d'admettre qu'elle était sérieuse. Se radossant au dossier de son fauteuil, il poussa un long soupir en joignant les mains sur son ventre.
_ Bien que la saleté de cette pièce soit proprement criminelle, non tu n'es pas convoquée pour ça.
Sasha se détendit sensiblement, sans même se douter du revers qui n'allait pas tarder à lui tomber dessus.
_ Il y a eu un vol dans la réserve des officiers cette nuit. Un quartier de viande a disparu. »
Oh. Voilà qui expliquait la présence des gradés ainsi que leur colère. Les officiers n'aimaient pas trop partager leurs privilèges avec la bleusaille et encore moins se les faire dérober. Pourtant, la jeune femme ne comprenait toujours pas pourquoi on lui avait demandé de venir ; elle avait dormi comme une souche toute la nuit.
« Un soldat de garde dit avoir aperçu une silhouette féminine s'éloigner de l'entrepôt, et même s'il faisait trop sombre pour distinguer les traits de son visage ou la couleur de ses cheveux, il affirme qu'ils étaient attachés.
Sasha blêmissait au fur et à mesure que le caporal parlait, son regard allant de lui à la jeune recrue à ses côtés – pas besoin d'être un génie pour comprendre que c'était le soldat de garde en question. Ils ne pensaient tout de même pas… ?
_ Avec le départ des troupes, peu de personnes actuellement présentes correspondent à cette description. De plus, tes antécédents ne parlent pas en ta faveur si j'en crois ce dossier. Alors dis-moi soldat Braus, où étais-tu ce matin entre 4h et 5h ? »
La jeune femme ouvrit une fois la bouche, deux fois, mais aucun son ne voulait en sortir. Elle était comme tétanisée par ces accusations. Réalisant que son silence jouait contre elle, Sasha se força au calme et se dressa de toute sa hauteur.
« J'étais dans mon lit monsieur.
_ Quelqu'un peut-il le confirmer ?
_ Non, mes camarades de chambre sont toutes parties avec l'expédition, j'étais seule.
_ Je vois. »
Le ton employé ne laissait rien présager de bon. Roide, elle resta aussi fière qu'elle le put tandis qu'elle sentait le caporal la dévisager. Une nouvelle goutte de sueur roula le long de sa tempe, mais elle n'en retira aucun plaisir cette fois-là. Ça ne chatouillait plus, elle était sans doute bien trop tendue pour ça. Après un silence qui lui parut interminable, Rivaille se redressa en soupirant, prenant appui sur le bureau de chêne.
« Bon. Une enquête a été ouverte, tu es donc libre pour l'instant. Le temps qu'elle soit terminée Erwin devrait être rentré, je le laisserai donc se démerder avec ton cas ; j'ai horreur de toute cette paperasse.
Même debout il faisait une tête de moins que Sasha, mais elle se garda néanmoins de faire la moindre remarque. Cet homme valait un escadron à lui seul, même elle n'était pas assez stupide pour se le mettre à dos.
_ Tu sais ce qui t'attend si t'es coupable hein ?
_ Oui monsieur.
Elle ne le savait même que trop bien. Le mitard. Et sans aucun doute on la priverait aussi de dîner, pour bien enfoncer le clou. Si rester enfermée dans une pièce exiguë et sans fenêtre pendant un nombre inconnu de jours ne l'effrayait pas plus que ça, la perspective de passer tout ce temps sans manger la terrifiait franchement. Pitié, tout sauf ça.
_ Bien. Alors j'espère pour toi que tu l'es pas, sinon tu regretteras de t'être foutue de ma gueule en me mentant.
Sasha sentit son sang se glacer alors que le caporal la fixait avec insistance. La torture dura à peine quelques secondes, mais cela lui sembla des heures.
_ Allez, hors de ma vue. »
Elle salua ses supérieurs et sortit au pas de course, utilisant tout son self-control pour fermer la porte de la façon la plus douce possible. La jeune femme resta un moment sur le perron, les bras ballants, encore un peu sonnée par tout ce qui venait de se passer. Il y avait eu un vol. Elle était le principal suspect. Si jamais on ne trouvait personne à accuser à sa place, elle finirait au mitard. Sans nourriture. Et Rivaille réclamerait sans aucun doute sa tête pour s'en servir comme ballon. Soudainement ses jambes ne la portèrent plus et Sasha se laissa lentement glisser le long du mur, la tête entre les mains. Dans une semaine le commandant rentrerait, avec son lot de mauvaises nouvelles, de blessés et de morts. Et dans une semaine, il rendrait son jugement sur son cas, sans doute influencé par tous ces facteurs négatifs. Dans exactement 168 heures son sort serait réglé. Bon dieu, qu'allait-elle devenir ?
Bonjour/bonsoir cher lecteur !
Me revoilà avec une fanfic qui devrait être en plusieurs chapitres pour une fois (je délaisse la sureté du one-shot, folle que je suis) ! Pour des raisons assez évidentes de spoil de nombreux sujets sérieux ne seront pas abordés dans cette histoire (tmtc scan reader) donc ne vous étonnez pas si nos héros semblent évoluer dans un monde un peu plus gentillet que celui de l'œuvre originale (le ton léger étant lui imputable à la stupidité du personnage principal). Du coup je pense pouvoir affirmer que cette histoire sera lisible par tous, même ceux ne regardant que l'anime, les très légers spoils qui s'y trouveront n'étant pas d'une importance folle.
Sur ce je vous laisse avec Sasha et le mystère de la viande disparue (mais qui est le coupable ?) et vous dis à bientôt pour la suite de ses trépidantes aventures !
Crédits : les personnages et l'univers de SnK sont l'entière propriété de Hajime Isayama.
