La musique troublée, provenant de la radio, sonnait dans la tente. Une jeune femme aux cheveux emmêlés, peu soignés, était accroupie non-loin de l'objet en question, les traits tirés, l'air sombre, fatiguée. Un jeune homme, la tignasse noire et ébouriffée, une paire de vielles lunettes cabossées sur le nez, ses yeux verts posés dans le vide et une cicatrice en forme d'éclair à peine visible sous ses cheveux grossièrement coupés. Il était assis, ses mains sales jointes sur son ventre, et laissait ses pensées aller et venir, écoutant vaguement la mélodie d'O Children.

Il finit par prendre une inspiration, et se leva, se dirigeant vers la jeune femme. Un maigre sourire se forma sur ses lèvres rêches, se voulant rassurant et encourageant. Une de ses mains se tendit toute seule vers son amie, qui l'accepta et se leva à son tour. Leurs mains se joignirent, et, ils commencèrent se balancer légèrement au rythme de la musique. Ils dansaient.

Ce n'était peut être pas le moment d'entamer une danse, certes. Dehors, l'époque se faisait sombre. Les morts et les disparus se multipliaient. La guerre était là. Et, pourtant, ils étaient tous deux là, à danser pour combler leur profond manque. Une famille, un ami, des êtres aimés, toutes ces personnes manquaient. Alors, ils dansaient.

Ils tournèrent tour à tour dans les bras de leur partenaire, avec un sourire qui, ils le savaient, ne dura pas longtemps. Leurs gestes étaient hasardeux, un peu ridicules, mais qu'est-ce qu'ils s'en foutaient. Ils oubliaient, l'espace d'un instant, le dehors. Ils restaient dans leur bulle. Ils ne voulaient pas se rappeler de ce qui les attendait. Alors, ils dansaient.

La musique baissait petit à petit. Leurs gestes étaient moins grands. Ils se blottissaient l'un contre l'autre, dans l'espoir d'obtenir un peu de chaleur humaine pour se rassurer, pour savoir qu'au moins, l'autre était là pour eux. Qu'ils n'étaient pas seuls. Cela ressemblait plus à un simple slow... Mais ils dansaient toujours.

Et puis, la musique se tut. Ils s'écartèrent, et se regardèrent mutuellement dans les yeux. Chocolat contre émeraude. Ils attendaient. Attendre quoi, me diriez-vous. Attendre que l'un d'eux fasse le premier pas. Mais pas un ne s'avança. Aucun d'eux ne le fit, ce pas. Le contact visuel se brisa. Leurs corps s'éloignèrent. Ils ne dansaient plus.

Et ce fut leur dernière danse.