PROLOGUE

« Je ne t'ai donné ni visage, ni place qui te soit propre, ni aucun don qui te soit particulier, ô Adam, afin que ton visage, ta place, et tes dons, tu les veuilles, les conquières et les possèdes par toi-même. Nature enferme d'autres espèces en des lois par moi établies. Mais toi, que ne limite aucune borne, par ton propre arbitre, entre les mains duquel je t'ai placé, tu te définis toi-même. Je t'ai placé au milieu du monde, afin que tu puisses mieux contempler ce que contient le monde. Je ne t'ai fait ni céleste, ni terrestre, mortel ou immortel, afin que de toi-même, librement, à la façon d'un bon peintre ou d'un sculpteur habile, tu achèves ta propre forme. Par ta propre puissance, tu pourras dégénérer, prendre les formes les plus basses de la vie, qui sont animales. Par ta propre puissance, tu pourras grâce au discernement de ton âme, renaître dans les formes les plus hautes, qui sont divines. »

Pic de la Mirandole, De la dignité de l'homme


Le sorcier marchait dans une rue sombre d'un quartier mal famé du Londres moldu. Il devait être aux alentours de deux heures du matin. La lune éclairait son chemin et une petite brise d'été venait caresser sa longue cape noire qui claquait sur ses jambes à chacun de ses pas. L'air était lourd. Il transpirait légèrement car il avait rabattu sa capuche sur sa tête. On ne distinguait pas ses traits. Il était seul, hormis un clochard qui était couché ivre mort en travers d'un trottoir. Le bouledogue qui appartenait à ce dernier aboya lorsqu'il passa devant lui, mais il ne lui accorda même pas un regard.

Quelques pâtés de maisons plus tard, il aperçut enfin sa destination. Un pub qui donnait sur la rue était ouvert, on pouvait percevoir les grosses basses de la musique qui en sortait. Il entra sans attendre.

L'atmosphère était glauque, la salle était à peine éclairée. Les corps se pressaient sur la petite piste de danse aménagée. Les odeurs de transpiration et de cigarettes étaient omniprésentes. Il jeta un coup d'œil autour de lui avant de bousculer plusieurs personnes qui ne lui prêtèrent pas la moindre attention, bien trop dans leur monde pour être réactives. Enfin, il put accéder au bar.

Il la reconnu tout de suite. La personne qu'il cherchait depuis presque deux mois. Une jeune fille aux longs cheveux noirs était assise sur un tabouret devant le comptoir. Elle était presque allongée sur celui-ci, un verre d'il ne savait quel liquide à la main. Complètement saoule, pensa-t-il. Un homme beaucoup plus âgé qu'elle était assis à côté et ne se gênait pas pour la tripoter, sans qu'elle ne réagisse. S'il ne voulait pas qu'elle lui passe sous le nez il devait agir. Il s'accouda à son tour au comptoir et appela son prénom:

- Astoria.

La dénommée dodelina de la tête, visiblement à demi inconsciente. L'homme à côté d'elle l'observait d'un oeil soupçonneux. Il se rendit compte que sa tenue - tout en noir de la tête au pied - jurait avec celles des autres moldus, mais à ce stade là, il s'en fichait. Il n'avait surtout pas envie de s'attarder dans cet endroit. Il voulut soulever Astoria de son tabouret et l'emmener avec lui lorsque l'homme l'apostropha soudain.

- Eh, toi! Qu'est-ce que tu fous?

Il jura tout bas. Il n'avait pas pris en compte les pervers incommodants dans son plan.

- Je suis venu la chercher, répondit-il d'un ton ferme à toute discussion.

Mais l'homme lui avait agrippé le bras.

- Casse-toi, cracha-t-il. Je l'ai vu en premier. Elle est à moi.

Il lança un regard dégoûté à la main en contact avec son avant-bras. Il commençait vraiment à perdre patience devant ce moldu agaçant. Il avait très envie de lui lancer un sort, là, maintenant, mais il devait à tout prix éviter de se faire remarquer. Il analysa alors les alentours. Personne n'était assez près d'eux pour les entendre, surtout pas avec la musique qui résonnait. Le gros barman était un peu plus loin, en train de parler à une femme et ne semblait pas les avoir remarqués. Il devait créer une diversion pour pouvoir se débarrasser de l'homme et sortir d'ici avec Astoria.

Tout se mit rapidement en place dans son esprit et il contourna le tabouret où elle était posée pour venir se placer devant ce dernier. Il lui attrapa le col d'une main et sortit sa baguette de sa manche de l'autre. En la pointant sur l'homme, il murmura Impero. L'expression peu avenante de l'inconnu se transforma en un regard vide et soumis qui arracha un sourire sadique au sorcier. Il adorait cette formule qui lui faisait ressentir toute la puissance et le contrôle qu'il avait devant ses ennemis. Cette incapable vermine allait regretter de l'avoir dérangé ce soir.

- Tu vas aller voir le barman et te battre avec lui, énonça-t-il. Quand cette fille et moi aurons quitté les lieux, tu oublieras nous avoir vus et redeviendras comme avant. C'est compris?

L'homme hocha lentement la tête.

- Maintenant! articula-t-il en le lâchant.

Le moldu passa derrière le comptoir et s'élança vers le barman avant de lui décocher un coup de poing. La fille qui lui parlait lança un cri aigu qui couvrit le son de la musique et rameuta les autres personnes qui voulaient savoir ce qu'il se passait. « Bagarre ! » cria quelqu'un. Le barman ne se laissa pas faire et répliqua par plusieurs autres coups. Il devait bien faire une tête de plus que l'autre et sa masse musculaire était également bien supérieure. Le pervers eut tôt fait de se retrouver à terre, le nez en sang, complètement déboussolé.

Mais l'homme qui avait investigué toute cette mise en scène n'était déjà plus là pour le voir. Il avait transplané dehors avec la jeune fille sur son épaule.


L'homme, débarrassé de sa grande cape, paraissait beaucoup plus jeune que son accoutrement le laissait penser au départ. Il bailla et étira ses muscles endoloris. Il se trouvait dans une petite pièce, avec pour seule lumière une mince fenêtre qui laissait passer un rayon de soleil. C'était l'aube. Une table basse et un matelas où dormait encore Astoria étaient les seuls autres meubles occupant le lieu. Lui avait dormi à peine une heure, passant le reste du temps à l'observer, à fumer et à réfléchir dans son fauteuil qui n'était pas vraiment confortable. Il s'alluma une énième cigarette.

C'était bien la seule habitude nocive qu'il s'accordait à avoir: la nicotine. Il ne fumait même pas régulièrement. Cela l'aidait juste à se détendre, à se concentrer et à passer le temps lorsqu'il s'ennuyait. Il ne touchait jamais à l'alcool ou aux diverses autres drogues. Il ne connaissait que trop bien les risques et les dégâts nombreux que cela pouvait causer. Il en avait déjà assez vu dans son entourage, cela suffisait pour le dissuader d'y toucher. Mais en procurer aux autres ne lui posait aucun problème de conscience. C'était d'ailleurs parce qu'il était clean que c'était l'un des fournisseurs les plus renommés du monde sorcier. Le milieu était assez nouveau, et touchait surtout les sang-purs aisés,mais il en connaissait tous les recoins. Ses plus grandes qualités étaient l'intelligence, la discrétion, et l'efficacité. En affaires, il ne se faisait jamais avoir. Jamais.

Tout en exhalant sa fumée, il regarda encore Astoria. C'était une autre preuve de ce que l'abus de substances illicites pouvait produire de pire. Son corps frêle et bien trop mince, à peine sorti de l'enfance, semblait avoir grandi trop vite. Les os saillaient sous sa peau qui paraissait plus diaphane encore avec le contraste de ses cheveux noirs parfaitement lisses. Les traits de son visage étaient creusés, mais aristocratiques, comme le sang - plus si pur que ça avec tout ce qu'elle ingurgitait - qui coulait dans ses veines. Les yeux maquillés de noir, une mini-robe de couleur flashy, elle paraissait plus âgée qu'en réalité.

Elle n'avait que quinze ans...

A l'âge où les filles de son âge commencent à peine à connaître les premiers émois de l'amour, elle avait déjà fait défiler un grand nombre de garçons dans son lit. Alors qu'elles ont leurs premières sorties, elle est une habituée des meilleurs et des pires bars et boîtes de nuit. Elle avait déjà plus d'expérience dans ces choses-là que la plupart des personnes plus âgées qu'elle. Elle était connue comme la plus jeune dépravée de tout Poudlard, entre autres surnoms plus ou moins vulgaires. Elle n'avait pas d'amis, elle n'en avait pas besoin. Des camarades de sorties lui suffisait. Même sa soeur Daphne, qui avait deux ans de plus, ne lui adressait plus du tout la parole depuis son entrée à Poudlard. C'était son exact opposé: très sage et attachée aux traditions, pour elle sa soeur ne représentait qu'une hontepour les Greengrass.

Elle était seule. Fragile. Paumée. Elle n'avait aucun sens des responsabilités. Une addiction à tout ce qui était dangereux. Un goût certain pour l'autodestruction... Exactement ce qu'il lui fallait, pensa-t-il avec un sourire aux lèvres en écrasant son mégot.


Astoria remua un peu, puis ouvrit les yeux. Son premier réflexe fut de porter la main à sa poitrine d'un geste angoissé.

- C'est ça que tu cherches ? dit lentement le jeune homme en faisant tourner la baguette de la jeune fille entre ses doigts. Ce n'est pas en la cachant dans ton soutien-gorge que cela empêchera de te la faire voler.

Il se redressa sur son fauteuil et le rayon de soleil vint éclairer sa figure. Il reprit:

- Tu n'en as pas besoin. Je ne compte pas te faire du mal.

Les paupières d'Astoria s'écarquillèrent lorsqu'elle le reconnut.

- Théodore Nott? murmura-t-elle.

- C'est bien moi, répondit le dénommé avec un petit sourire. Je ne crois pas que nous ayons été présentés auparavant, bien que nous sommes dans la même maison... et que nous évoluons dans le même milieu.

- J'ai beaucoup entendu parler de toi, oui..., dit Astoria, le menton relevé et désormais assise sur le matelas, ses jambes repliées sous elle.

Elle essayait de garder contenance devant son aîné bien qu'un mal de tête affreux lui emplissait le crâne.

- Moi de même, on jase beaucoup sur tes exploits, répliqua-t-il narquois.

Elle s'affaissa un peu sous son sous-entendu ironique, mais ne releva pas.

- Où suis-je? questionna-t-elle.

- Dans un de mes studios, ce n'est pas important.

Astoria n'insista pas, elle avait l'habitude de se retrouver dans des endroits plus improbables les uns que les autres au réveil. Mais pourquoi l'avait-il emmené ici ? Que lui voulait-il ? Elle se rappelait vaguement avoir passé la soirée dans un vieux bar miteux. Etait-il venu la chercher jusqu'ici ? Les questions se bousculaient dans sa tête mal en point. Elle se frictionna les bras pour se réchauffer et observa le jeune homme se lever. S'il avait voulu lui faire du mal, il l'aurait déjà fait. Et elle savait qu'il lui donnerait bientôt les réponses à ses questions sans qu'elle ait besoin de les poser.

Il revint vers elle avec un verre d'eau dans les mains.

- Tiens, tu dois avoir soif, dit-il en lui tendant.

- Merci.

Effectivement, elle avait la bouche pâteuse et le liquide coulant dans sa gorge l'apaisa. Lorsqu'elle eut finit le verre et l'eut posé à terre, il resta un moment silencieux, dos à elle. Elle ne brisa pas le silence, l'observant en restant sagement assise.

- Plutôt dangereux de traîner aussi tard dehors, dit-il brusquement. Surtout à ton âge. Si tes parents te voyaient...

Il ne finit pas sa phrase. Elle se leva d'un coup et cria, furieuse de son ton condescendant.

- Va te faire foutre, Nott! J'ai été patiente, mais si tu m'as amené dans ce trou seulement pour me faire la morale, tu ferais mieux de me rendre ma baguette et de me laisser partir!

Il se retourna vers elle, impassible devant sa colère. Il s'avança et lui attrapa le bras de sa main glacée. Elle essaya de se dégager mais il colla encore plus son corps près du sien. Il dégagea une mèche d'ébène près de son oreille avant d'y approcher sa bouche pour murmurer:

- Je connais tout de toi, Astoria. C'est bientôt la rentrée à Poudlard... Comment comptes-tu te procurer ta came, dis moi?

Elle resta silencieuse, soumise. Il lui était impossible de regarder dans ses yeux aussi sombres que l'enfer. Son pouls martelait contre ses tempes, elle avait du mal à respirer. Il savait qu'elle ne pouvait pas s'en passer, il savait et il allait lui faire du chantage. Lui seul était capable d'en faire passer au château sans se faire prendre. Elle le savait, et il savait aussi qu'elle n'allait jamais rien lui refuser.

Elle choisit néanmoins le déni, sa dernière arme.

- Je n'ai pas besoin de toi, je n'ai pas besoin de ta marchandise..., répliqua-t-elle, mais sa voix tremblante la trahissait facilement.

- Menteuse! cria-t-il en la repoussant violemment.

Elle resta la tête baissée, les yeux fixés vers le sol dans la peur de croiser son regard. Ses cheveux étaient ramenés devant son visage. Elle n'osait plus faire un seul geste.

- Tu connais très bien ma réputation, reprit-il d'un ton doucereux, en s'approchant à nouveau. Je peux t'aider. J'ai des relations. Il suffit seulement que tu y mettes du tien et que tu m'aides.

Astoria était réticente. On ne pouvait pas faire confiance à Théodore Nott. Il pouvait se montrer dangereux et imprévisible, comme le moment précédent le montrait. Mais elle ne pourrait pas se débrouiller seule à Poudlard. Elle allait sans doute le regretter, mais elle n'avait pas d'autre choix. Elle était piégée.

- Quel genre d'aide? demanda-t-elle tout bas.

Elle releva la tête et plongea ses yeux dans les siens. Théodore sourit largement. Gagné.

- Il faut que tu m'aides à détruire Drago Malefoy.