Cet OS est écrit dans le cadre d'un jeu du Fof, il fallait écrire sur le thème "place" en une heure... Ce que je n'ai pas fait puisque je l'ai écrit en deux heures en insérant DEUX thèmes (place et quand). Et je prévois d'écrire la suite. Bravo la tarée d'écriture.

Excusez-moi pour ce que je vais dire, mais j'ai toujours détesté La petite sirène. Non mais sérieusement comment on peut accepter de perdre sa voix pour un type qu'on a juste VU ?! Comme Anna qui veut épouser Hans en fait, heureusement on a bien vite vu que c'était une bêtise de sa part. Donc j'ai ruminé ça pendant longtemps, pour finalement écrire, dans un bus, quelques idées sur mon téléphone... En août 2016. Ce fut ensuite enterré quelque part dans ma mémoire.

Donc c'est ressorti lors de cette soirée, je me suis dis "pourquoi pas, allez hop une histoire rapide pour rire". Et j'ai fini avec un OS plus long que prévu et tout un scénario développé sur les bras. Cela peut ne pas vous plaire, puisque c'est une réécriture. Mais j'ai beaucoup aimé l'écrire :)

Bonne lecture !


Ariel inspira longuement, ses branchies d'homme-poisson filtrant doucement l'air. Il lança un tendre regard à son ami Polochon, qui signifiait "ça va aller, ne t'inquiète pas". Il lui tendit son sac, contenant ses trouvailles du bateau, afin que le poisson les mette en lieu sûr. Restait maintenant à affronter la colère de son père, le roi Triton, pour avoir oublié le concert durant lequel il était censé chanter, alors qu'il fouillait l'épave d'un navire humain.

Il ressortit de longues minutes plus tard, la tête baissée et la mine sombre. Les reproches de son père et de Sébastien roulaient dans son crâne, encore et encore comme les vagues de l'océan orageux. Lui, le dernier-né de la famille royale, n'était qu'une tête de linotte, un rêveur qui osait s'intéresser aux humains, ces êtres répugnants qui avaient assassiné sa mère, Marina, quand il n'était qu'un petit enfant. Oui, il connaissait la chanson. Des marins l'avaient aperçu, se prélassant sur un rocher près de la mer, et, sans pitié pour la pauvre femme, l'avaient transpercée de leurs flèches, sans aucune raison. Fou de rage et de douleur, Triton avait interdit tout contact avec les humains, sous peine de bannissement. Et chacun respecta cette règle, dégoûté par ce meurtre absurde.

Mais voilà. Même si Ariel ne bravait pas l'interdit, il passait son temps dans les épaves, à chercher les restes d'une ancienne vie à la surface qui titillait sa curiosité. Ce qui ne manquait pas d'irriter grandement son père. Tout le monde partageait l'avis du roi du monde aquatique.

Tout le monde, sauf une personne. Et Ariel pouvait se tourner vers elle lorsqu'il avait besoin de réconfort.

Justement, deux petites voix flûtées bien reconnaissables lui firent lever la tête.

- Tu as encore eu droit à un savon, hein ?

- Ça se voit facilement à ta tête !

Deux longues anguilles, au regard pétillant, s'enroulaient comme deux légers rubans sombres devant le jeune homme-poisson. Angesam et Bellasam étaient les messagères, et les yeux de sa tante. Si elles se présentaient au jeune prince, c'était pour prendre de ses nouvelles, et surtout le guider jusqu'à sa marraine. Elles se précipitèrent brusquement vers le garçon aux cheveux rouges, et entreprirent de le chatouiller avec leur corps lisses se glissant contre sa peau. Ariel s'étrangla de rire et demanda immédiatement grâce, mais les anguilles ne s'arrêtèrent qu'au bout de quelques minutes. Puis il appela Polochon, et les deux amis suivirent les anguilles qui filèrent, s'éloignant de la cité lumineuse des sirènes.

Entre les longues algues, chevelure verte se balançant selon les courants, et les arbustes aquatiques dont les étranges troncs reflétaient la lueur de la surface, se dressait une immense grotte, ancien volcan qui avait craché le basalte en fusion pendant des siècles, pour finalement se tarir. L'occupante de cette grotte était penchée sur le plat qu'elle était en train de préparer, algues découpées avec dés de plancton. Elle sut d'office qu'elle n'était plus seule, et salua sans se retourner l'arrivant.

- Bonjour, Ariel.

Elle sentit deux jeunes bras entourer difficilement son énorme dos, et un sourire contre sa peau.

- Bonjour, Tatie Ula.

Ursula termina de découper un ingrédient, l'ajouta dans le saladier, puis se retourna pour rendre l'étreinte au jeune garçon. Ils restèrent un long moment enlacés, la femme-pieuvre caressant tendrement les longs cheveux rouges rassemblés en tresses plaquées. Puis le câlin prit fin, et voyant que sa tante avait préparé à manger, Ariel mit rapidement la table, sans qu'Ursula n'ait à lui dire quoi que ce soit. C'était devenu un rituel ; ses anguilles la prévenaient du moral bas de son filleul, elle cuisinait un bon repas et terminait au moment où le jeune homme arrivait. Il dressait la table, et tous deux s'installaient pour commencer à discuter, entre deux bouchées.

- Encore un oubli, n'est-ce pas ?

- Je suis vraiment désolé, Tatie… Je sais que tu voulais absolument me voir chanter…

- Je plains le pauvre Sébastien, il avait travaillé pendant des mois pour ce concert ! Où étais-tu allé, cette fois ? Encore le cimetière de navires ?

Le jeune garçon hocha la tête.

- Voudras-tu me montrer tes trouvailles ?

Il hocha derechef, un peu plus vigoureusement cette fois. Sitôt le repas terminé, il se saisit de son lourd sac et versa le contenu sur le sol. Polochon, Angesam et Bellasam se penchèrent vers les objets avec curiosité, tandis qu'Ariel et sa tante analysèrent chacun d'eux.

- Ça, je m'en souviens, c'est un tire-bouchon ! s'exclama t-il en brandissant fièrement l'objet en question. Ceci, euh… un chandelier, je crois ? Et là… Je ne sais pas.

- Tu sais où chercher, dit Ursula avec amusement en désignant l'immense bibliothèque creusée à même la roche.

- Oh non Tatie, donne-moi un coup de main, s'il te plaît ! Je n'arriverai jamais à trouver l'image de ce truc tout seul dans un de tes livres, il y en a trop ! S'il te plaîîîît ? supplia t-il avec des yeux de chiot battus.

Comment résister à un tel regard ? Pouffant légèrement, la grosse femme-pieuvre piocha une énorme encyclopédie illustrée parmi tant d'autres, et elle la feuilletta avec l'aide de son neveu.

- J'ai trouvé ! s'écria t-il, victorieux, un doigt sur l'image. Donc c'est une… fourchette ? À quoi ça sert ?

- Les dictionnaires sont là pour toi, mon chéri~ Allez, c'est facile à chercher~

- T'es pas gentille ! bouda t-il en lui tirant la langue. Alors, lettre F, lettre F…

Il tira le dictionnaire portant ladite lettre, puis, trouvant ce qu'il cherchait, il lut à voix haute la définition.

- Quoi, les humains utilisent ça pour manger ? Mais pourquoi se cassent-ils autant la tête, ils ont des doigts tout comme nous ! Pas palmés mais bon, quand même.

- De ce que j'ai compris, ils ne mangent pas tous avec des couverts, cela dépend des cultures apparemment. Je ne peux malheureusement pas te le dire avec certitude. Enfin bref, as-tu trouvé un livre ?

- Oh oui, trois !

Il tendit le papier imbibé d'eau, à l'encre complètement illisible. Mais ce n'était pas un problème pour Ursula. Prenant les restes du plat, elle saisit la nourriture d'une main, posant l'autre sur les trois livres empilés. Il y eut une douce lumière, l'eau vibra autour de la femme-pieuvre, le liquide rempli d'énergie. Un tourbillon se forma autour de la nourriture, l'aspirant, tandis que les ouvrages redevinrent comme neuf, protégés à présent de l'humidité. L'eau ne pourrait plus jamais altérer leur contenu.

- L'Enéide… Bon, ce sera le sixième exemplaire.

- Je veux quand même le lire !

- Mais les deux autres sont nouveaux…

Il refit ses yeux brillants de chiot battu. Soupirant et souriant, elle lui tendit le livre qu'il commença à dévorer, tandis qu'elle parcourut les deux autres. Un carnet de voyage et un livre de recettes humaines. Le second ne pourrait jamais lui servir, dommage… Elle saisit alors l'autre et s'installa aux côtés de son filleul, chacun plongé dans le monde de la surface.

Ursula était la tante et la marraine d'Ariel, mais également une puissante magicienne. Elle lui avait expliqué de nombreuses fois que la magie avait un prix, qu'en échange de ce que l'on souhaitait, il fallait offrir quelque chose de la même valeur. Mais manipuler la magie lui avait valu la méfiance de ses pairs, et elle avait préféré vivre en marginale plutôt que de supporter leurs mauvais regards.

Plus jeune, Ursula, fille aînée d'une puissante famille de politiciens et de militaires, avait été mariée au futur roi Triton. Mais elle savait que lui et sa soeur, qu'elle chérissait plus que tout, partageaient un amour de plusieurs années. Elle ne voulait que le bonheur de Marina, qui dépérirait probablement de tristesse de ne pas pouvoir vivre aux côtés de celui qu'elle aimait, et Ursula savait qu'elle-même serait malheureuse, avec un homme qui n'avait pas de sentiments pour elle. Elle proposa alors un marché à Triton : elle ferait croire qu'elle était infertile. C'était la seule chose qui autoriserait le roi à divorcer et à prendre une autre femme, en l'occurrence Marina. C'est ce qui se produisit, et Ursula fut "exilée" soit disant pour ne pas apporter la honte à sa famille. En réalité, c'était une excuse pour s'exercer pleinement à la magie sans déranger personne ; le roi, reconnaissant envers elle, lui trouva un logis confortable, et lui versa chaque mois suffisamment de quoi subsister. Puis les enfants de Marina naquirent, de nombreux fils, et ce fut avec le dernier-né qu'un puissant lien s'établit. Ariel et Ursula partageaient la curiosité dévorante, la volonté de découvrir le monde où aucun ne s'était vraiment senti à sa place. Ursula était l'étrange, la sorcière. Étant le cadet, Ariel n'héritera ni de la couronne, ni même d'un important héritage, et c'était une raison suffisante pour que les filles de la noblesse se détournent de lui. Il finirait probablement vieux garçon, mais peu lui importait. La cour n'avait pas de place pour un jeune homme rêveur collé à une sorcière, intéressé par ces horribles humains, et uniquement admiré pour son don au chant, sa voix mélodieuse. C'était son seul talent reconnu et apprécié d'ailleurs.

Il a plusieurs talents, arguait Ursula. Il était généreux, toujours à l'écoute du peuple aquatique, respectueux de la mer nourricière qu'il priait et honorait, franc, peut-être lunatique, naïf et trop superficiel, mais sa curiosité l'avait aidé plus d'une fois. Il avait appris à guérir les blessures grâce aux livres de la surface, il avait cousu de nombreux et beaux vêtements pour ses frères grâce aux aiguilles, si difficiles à créer sous la mer, mais abondantes dans les épaves et les bords de plage, et bien d'autres choses encore.

Ariel avait peu d'amis. Mais au moins Polochon, Angesam et Bellasam lui étaient-ils fidèles, et intéressés par le monde d'en haut. Tout comme Ursula, qui n'avait malheureusement jamais eu l'occasion autrefois d'approfondir un peu plus ses connaissances sur les humains. Avant la mort de Marina, elle avait eu la chance de discuter avec quelques individus, certains hostiles et d'autres amicaux, qui avaient éclairé sa lanterne. À présent qu'il était interdit de toucher la surface, il ne lui restait plus que les livres et les artefacts récoltés ici et là.

Si remonter était interdit, alors Ursula et Ariel exploreraient chaque recoin du royaume de l'Atlantide, trouvant ici et là de fabuleux trésors, minuscules indices sur leur passé ou sur les humains. Mais également pour découvrir d'autres cultures du royaume, rencontrer une diversité de personnes, ce qu'Ariel pouvait se permettre malgré son statut de prince, croiser la richesse de la flore et la faune sous-marine, et assister à des spectacles que bien peu ont vu, le plancton fluorescent, l'accouplement multicolore des seiches, les volcans maritimes crachant leur puissance, ou encore les poissons des abysses qui apparaissaient de temps à autre. Le régalec mourant, ruban des mers et serpent des profondeurs, remontait parfois hors de sa tanière, et laissait doucement son corps remonter vers la surface, pour expirer aux yeux des hommes.

Mais une simple question taraudait Ursula. Un simple mot qui hantait son subconscient et remontait de temps à autre.

Quand ?

Quand est-ce que les deux créatures marines auraient-elles tout vu ? Quand auront-ils fini de ratisser la moindre parcelle de leur royaume, jusqu'à ses confins, jusqu'aux frontières avec les voisins ennemis ? Quand Ariel finirait-il par être lassé du monde aquatique et des miettes de la surface ? Quand est-ce que cette dernière rattraperait le jeune garçon, pour l'attirer à elle ? À ce moment-là, Ursula savait qu'il devrait partir, son instinct lui murmurant qu'il en serait ainsi. Elle ne pourrait retenir l'être le plus cher à ses yeux, et elle espérait que la cause de son départ soit juste.

La statue, qui arriva bien des années plus tard, ne l'était pas.

La chevelure d'or, si.