Rien n'a d'importance

Il ne fait pas toujours beau, à Chiryu. C'est une ville, quoi. Une ville comme il y en a des millions sur cette Terre énorme, avec de grosses tours, des petites boutiques, des embouteillages et des gens, des tas et des tas de gens.

Ces gens sont comme il y en a tant d'autre sur cette Terre gigantesque, c'est à dire qu'il y en a des intéressants et d'autre moins. Certain sont plein d'espoir et de rêves, d'autre sont malheureux comme les pierres, et puis c'est tout. C'est comme ça.

C'est la vie.

Moi aussi, je suis quelqu'un d'ordinaire. Je ne suis qu'une ado en fait. Comme toutes les autres. Avec ses rêves et ses espoirs, ses craintes et ses doutes, ses goûts et ses envies.

Je suis Sasame Fûma.

J'ai seize ans. J'ai de beau cheveux. Très longs, épais et souple, il font ma fierté. Malheureusement, je suis rousse, et, pour certain, sa gâche tout. J'ai les yeux gris, et les sourcils toujours froncés, selon mon cousin. J'ai un teint halé, et une silhouette mince et athlétique.

Je fais de la danse depuis toute petite. Mais je n'aime pas ça du tout. Je n'ai aucune grâce et je suis maladroite, c'est pour palier à cela que mes parents m'ont traînée de force vers ces cours de danse que j'évite le plus souvent possible. Mais je ne suis pas désobéissante, alors, j'y vais quand même souvent, parce que je ne suis pas une rebelle, ni une fille indépendante. Je suis juste une ado qui fait ce que ses parents lui disent de faire.

Je n'ai pas de bonne notes. En fait je suis la dernière de ma classe, et je suis passée en seconde de justesse. Mais je m'applique, et les professeurs m'encouragent parce qu'ils le voient, que je fais des efforts.

Je ne fume pas, ne bois pas, ne sors pas tard le soir, mange cinq fruits et légumes par jours et n'ai pas de troubles du sommeil. Mes parents m'aiment et je les aime aussi. Mon cousin, Arashi, est presque un frère pour moi. J'avais quelques copines au collège. Mais là, je vais au lycée. Je ne sais pas si ce sera pareil. J'espère. J'aime ma petite vie bien rangée.

Petite, je n'étais pas quelqu'un de très timide. C'était il y longtemps. Très longtemps.

J'étais une petite fille pleine d'énergie. Je courrais, sautais, criais et je jouais plus avec les garçons qu'avec les filles, parce qu'eux faisaient des choses bien plus drôle que de jouer à la marelle. J'avais un groupe d'amis, je rentrais chez moi avec eux et on faisait la course sur le chemin. Le week-end, j'allais voir mon cousin Arashi, et je jouais avec lui au monopoly lorsqu'il pleuvait, et au ballon lorsqu'il faisait beau.

L'amitié est une chose facile quand on est enfant. Il suffit de trouver que quelqu'un a l'air gentil pour aller lui parler. Et voilà. On a un nouveau copain à chercher quand on joue à cache cache. Mais, ça change au fil du temps. On n'a plus le droit de dire à quelqu'un «comment tu t'appelles ?» sans une bonne raison. On n'a plus le droit de dire quoi que se soit à qui que se soit sans une bonne raison. Alors, on ne dit rien. On attend que les événements de la vie nous mettent sur le même chemin. Moi, je n'ai vu personne sur mon chemin. Alors, je suis restée toute seule.

Au collège, je n'avais strictement aucun ami. En plus, les filles et les garçons ne se mélangeaient plus. Du coup, je suis restés là, à attendre bêtement que quelqu'un vienne me parler. Mais personne ne l'a fait. A force de solitude, je suis devenue transparente. Timide, silencieuse, je passais mes journée à ne rien faire, et mes week-end seule, car mon cousin Arashi est allé à Tokyo chercher un travail, lui qui n'a jamais eu de bonnes notes. J'en suis devenue fade, insipide, abominablement banale. Finalement, je suis devenue celle que l'on intègre dans un groupe le temps d'une journée parce qu'elle est seule et qu'on la prend en pitié.

Ça ne me dérange pas. Pourquoi serais-je malheureuse ? Les gens auxquels je parle sont amusants. C'est mieux que de se retrouver avec un groupe de compagnons du début jusqu'à la fin. De plus, l'amitié est assez vaine. Les gens finissent toujours par partir et s'oublier, comme mon cousin qui ne vient presque plus me voir et qui ne me téléphone plus. On a beau faire tous les efforts du monde, cela ne sert à rien. Les chemins se séparent toujours.

Oh, je ne suis pas pessimiste. Juste réaliste.

Petite, je n'avais pas de difficultés à l'école. Je ne sais pas ce qu'il c'est passé. Je n'arrive plus à suivre. Je rame, même si mes professeurs m'encouragent et que mes parents me payent des cours du soir.

J'ai cru qu'au moins, mes difficultés scolaires encourageraient mes parents à me laisser quitter la danse pour réserver mes samedi aux révisions. Mais non. Ils veulent que je continu, parce que je pourrais devenir danseuse si je rate mes études. Moi, danseuse. Je n'ai jamais entendu quelque chose de plus stupide.

Moi qui étais une petite fille heureuse.

Mais c'était il y a longtemps, très longtemps.