Yuya s'était souvent demandé comment des gens, tellement entourés et appartenant bel et bien à un groupe, pouvaient oser dire qu'ils se sentaient seuls. Elle avait toujours répliqué à ces gens qu'ils n'avaient pas connu la solitude, la vraie, la dure. Celle où on est vraiment tout seul sur les chemins ou dans sa petite baraque. Celle où personne n'est là pour nous sourire, nous embrasser, nous encourager. Cette solitude noire où personne ne veut être, que personne ne veut connaître.

Néanmoins, son point de vue sur ces gens avait changé. A présent, elle comprenait ce qu'était être solitaire en compagnie. Deux termes oxymoriques, au premier abord. Mais pas tant que ça, lorsqu'on était dans sa situation.

Après la mort de l'Ex Roi Rouge, le groupe s'était peu à peu reformé. L'auberge qu'elle avait montée était devenu leur QG. Ils venaient lui tenir compagnie, faisaient des allers retours, buvaient un verre, discutaient, souriaient. Ils étaient là, elle était au sein du groupe. Au sein d'un groupe dans lequel elle était totalement intégrée. Et pourtant, elle se sentait seule. Seule en compagnie d'amis exceptionnels. Car il n'était pas là. Il n'avait donné aucune nouvelle, aucun signe de de vie. Rien. Tous s'inquiétaient mais personne n'en parlait vraiment de peur d'inquiéter encore plus les autres.

Alors ils faisaient comme si.

Et elle suivait le mouvement. Que pouvait-elle faire d'autre ? Elle se persuadait qu'il reviendrait tôt ou tard. Que d'ici là, il n'y avait plus qu'à attendre.

Mais l'attente était terriblement longue. Et, bien sûr, elle souriait sincèrement. Elle aimait ses amis, leurs caractères bien trempés, leurs disputes et leur solidarité. Ils étaient aussi tous là pour elle. Elle leur était sincèrement reconnaissante.

Malgré tout, il y avait toujours ce sentiment piquant au fond du cœur. Celui de se trouver seule. Au milieu de tout ce beau monde. Un sentiment qu'elle ne savait réellement comment expliquer, comment définir. Un sentiment dont elle n'osait pas parler, à dire vrai. De peur de vexer, de faire de la peine à ses amis. De peur qu'ils ne se mettent à penser qu'elle se sentait mal avec eux. Trop à l'écart, trop oubliée. Alors que ce n'était pas seulement.

Seulement cette perpétuelle contradiction.

Etre seule en compagnie.

Elle ne parlait pas. Mais ses pensées vagabondaient par monts et par vaux. Elle le revoyait. Son sourire narquois aux lèvres, son regard de braise, son air de je-m-en-foutiste au visage alors même qu'il faisait plus attention que n'importe qui à ses amis et compagnons de route. Elle entendait encore ses sarcasmes, ses piques bien lancées qui dissimulaient une grande affection et une tendresse étonnante venant de lui. Elle sentait l'espoir qu'il portait en lui. La lueur, maigre flamme dans le noir. C'était pour ça qu'elle l'aimait. Pour cet avenir qu'il tenait entre ses mains. Et le rayon de soleil qu'il apportait, en dépit de sa noire réputation.

Dans ses pensées et souvenirs, il devenait plus présent que jamais.

Et alors, elle le sentait enfin.

Ce sentiment de plénitude. N'être enfin plus seule. Etre complète face au monde.

Avec un sourire, elle s'endormait. Et savait qu'un jour, cela serait vrai.

Elle ne serait plus seule.