1.
Aldéran éteignit son ordinateur et prit sur le dossier de son fauteuil un long manteau d'un noir de suie doublé de rouge vif.
- Tous au Van d'Interception ! jeta Melgon Doufert qui avait traversé le plateau pour se diriger vers la zone où se trouvait les bureaux des membres de son Unité. Je vous brieferai durant le trajet.
- Je devais partir tôt, aller chercher ma cadette à l'Etude de son école, marmonna Aldéran.
- Je n'avais pas oublié que tu m'en avais prévenu ce matin. J'ai appelé Laured qui te remplacera et la gardera jusqu'à ce que nous ayions fini. Tu as juste le temps de téléphoner à l'école pour leur dire qui vient chercher ta petite sœur.
Le jeune homme inclina positivement la tête.
Dix minutes plus tard, dans le froid glacial d'un automne précocement rigoureux, l'Unité Anaconda quittait l'immeuble qu'occupait entièrement le Bureau AZ37 de la Police Spéciale.
Yélyne Morvik au volant, en liaison avec Jelka Ourosse demeurée au Bureau pour servir de relai entre toutes les sources d'informations, Melgon quitta le siège passager pour se rendre à l'arrière du van où se trouvaient le très jeune Soreyn Romdall et Aldéran Skendromme.
- Je viens d'avoir Darys Lougar au téléphone. Il râle ferme d'être justement en jour de congé et de ne pouvoir être de l'Intervention qui va bouter dehors les Marchands d'Esclaves ! Aldie, ça va ?
- Laured, il va…
- Tu peux lui faire confiance, assura le Lieutenant de l'Unité Anaconda. Mon fiancé ramènera la petite Eryna chez nous et ils nous y attendront.
- Ce n'était pas ça, je sais que ton ami saura s'occuper de ma petite sœur. Mais, elle va pester : je lui avais promis d'aller avec elle lui acheter une grosse peluche, avant qu'on aille récupérer Torko chez mon aîné ! Et, là, je doute que tout soit terminé avant la fermeture des Centres Commerciaux.
- Tu lui en offriras deux ! Voire trois, vu qu'après avoir stoppé ici le sillage humiliant de ces Marchands, je compte bien vous emmener fêter ça !
- Pitié, pas le karaoké ! fit mine de se lamenter Aldéran en passant la main dans sa chevelure d'un roux flamboyant, ses prunelles bleu marine brillant doucement.
- Oh si ! ricana Soreyn qui n'était pas loin de fêter ses vingt ans. Cette fois, tu n'y couperas pas ! On veut t'entendre chanter !
Aldéran haussa les épaules, moqueur.
- Avec un peu de chance, si je me fais descendre tout à l'heure, j'éviterai de devoir monter sur scène…
- … et de nous casser prévisiblement les oreilles ! compléta Melgon. Je doute cependant que tu coures le moindre risque. Tu prendras ta position de sniper et tu nous couvres tous, d'accord ?
- A tes ordres, fit le jeune homme, sans plus plaisanter.
Depuis plusieurs années, la sinistre réputation des Marchands d'Esclaves s'était répandue à travers l'univers et ils avaient fini par atteindre l'Union Galactique qui était un des plus grands groupes d'alliances d'Etats, sa stabilité et sa paix – en général – établie en moins de quelques décennies !
Les Marchands avaient été signalés sur Radel six mois auparavant et, invisible en orbite, leur véritable flotte avait « emmagasiné » la marchandise à mesure que l'on signalait les disparitions non résolues sur tout le territoire !
De galactopole en galactopole, les informations avaient été relayées, jusqu'au moment où les Marchands étaient arrivés à RadCity où toutes les Unités d'Intervention de la Police Spéciale avaient été mobilisées avec pour ordre de les arrêter, avec carte blanche en ce qui concernait les moyens pour atteindre le but de la mission.
Et, le dernier groupe signalé dans la galactopole allait être appréhendé par l'Unité Anaconda !
2.
Retranchés dans le Port de RadCity, un bras artificiel ayant été créé pour le relier au fleuve, les Marchands d'Esclaves avaient formé une sorte de cercle avec leurs tous-terrains et semblaient attendre de pied ferme ceux qui venaient les mettre hors d'état de nuire, leur bloquant, pour l'instant, toute voie de sortie !
En position sur une grue, dans le viseur de son fusil de haute précision, Aldéran pouvait voir ses équipiers s'approcher tandis qu'il surveillait aussi les faits et gestes de leurs ennemis.
« Qu'ils menacent seulement un seul des membres de l'Unité, et je les dégomme comme au tir à pipes ! ».
Alors que d'autres Unités, parties de leurs Bureaux plus lointains, rejoignaient le lieu, derrière leur individuel bouclier de protection presque aussi grand qu'eux, Melgon et son équipe s'étaient avancés.
- Vous êtes cernés ! aboya le Lieutenant de la Spéciale. Rendez-vous, cela vaudra mieux !
- Mais bien sûr, comme si nous étions des oisillons tombés du nid. On dirait qu'en dépit de toutes ces années, vous ignorez totalement à qui vous avez affaire ! Au fait, de quels renforts parlez-vous ? rétorqua sèchement Hugan Ten Vorkel l'Esclavagiste, au teint gris, chauve comme presque tous les siens - vêtus de combinaisons spatiales étaient une véritable armure sur laquelle les balles ricochaient, de lourdes bottes magnétiques aux pieds.
Une balle se fichant dans le sol à moins d'un centimètre de sa haute chaussure, l'Esclavagiste comprit que – en partie – son ennemi n'avait pas menti – mais il n'était pas né de la dernière pluie et lui aussi avait pris ses renseignements, depuis longtemps !
Hugan vrilla ses prunelles d'un rose foncé dans celles grises du Chef de l'Unité Anaconda.
- Si tu étais en véritable position de force, cela ferait un moment que les Agents d'Intervention nous seraient tombés sur le poil ! J'ai donc la confirmation qu'il n'y a que tes hommes, dont cette femme et ce gamin ! Dès lors, je doute que tu puisses m'empêcher de rejoindre ma flottille, nous allons repartir pour notre planète, avec notre cargaison !
- Mes ordres vont en sens contraire. Je vous somme une dernière fois de vous rendre à nous. Et, vous avez aussi constaté que mon sniper a le tir dans le sang !
Le Marchand d'Esclave partit dans un rire bruyant, mais nullement vulgaire, juste celui d'un meneur en pleine connaissance de ses capacités, de son intelligence et des êtres sous ses ordres.
- Doufert Melgon, policier brillant mais sans imagination et servi par la chance. Skendromme Aldéran, policier au grand avenir, intelligent mais rebelle à tout et forçant la chance, récita-t-il. Deux poules mouillées, au fond ! Je vais d'ailleurs vous le prouver en quittant ce sol sans être inquiété, pas plus qu'un seul de mes Récolteurs !
Melgon porta la main gauche à son casque, faisant mine de régler une ultime fois les capteurs de sa visière.
Aldéran sourit, carnassier.
« A tes ordres, Melgon. Je vais faire taire ce baratineur et j'espère que leur organisation est celle des insectes et donc qu'une fois le leader à terre… ».
Tournant soudain le dos aux membres de l'Unités Anaconda, Hugan Ten Vorkel se dirigea vers un des tous-terrains et en ouvrit la portière arrière.
Poignets entravés, de l'adhésif sur la bouche, Laured et Eryna tressaillirent quand le froid mordant envahit le véhicule.
- Tu n'as ni le sens de l'honneur, et encore moins celui du respect des ordres de ta hiérarchie ! siffla Hugan Ten Vorkel, au volant de son tous-terrains, s'étant un instant arrêté à hauteur du Lieutenant de l'Unité Anaconda.
- Tu relâcheras tes otages, une fois à ta navette ?
- Non, j'ai menti, évidemment ! Je les emmène : ils seront ma sauvegarde jusqu'à ce que je quitte les Frontières de cet Union ! ricana le Marchand d'Esclaves.
- Tu les tueras…
- Bien sûr ! C'est dans ma nature, tout comme il est dans la tienne de baisser les armes devant des otages ! Vous, les soi-disant représentants de l'Ordre, êtes si prévisibles, programmés, quasi lobotomisés pour toujours vous coucher et perdre !
- Je vais te…
- Rien du tout ! Ta Juridiction se limite à une toute petite partie de cette galactopole. Pour moi, l'espace est infini, la liberté absolue et j'y fais ma loi, rien ni personne ne peut m'empêcher de vivre ma vie ! A moins que tu n'aies un vaisseau, et l'immunité absolue, je te laisse sur ce sol !
- Il a ma petite sœur ! vitupéra Aldéran qui, son fusil toujours à la main, ne tenant plus en place.
- Et mon ami… tint à faire remarquer Melgon dont la mine était sombre et défaite.
- Oui, ton fiancé et ma cadette. Et, ce Ten Vorkel, tu l'as laissé…
Melgon serra les poings, tenté de souffleter les joues roses – dont la gauche était traversée par une balafre – de son jeune subordonné, mais comprenant au premier point les inquiétudes qu'il pouvait ressentir et que lui-même partageait, il s'abstint !
- Les otages avant tout, finit-il par énoncer. Un de mes premiers préceptes… Sûrement pas ceux du SiGIP, sinon cette Police des Polices n'aurait pas ce « palmarès » à son actif si elle respectait la vie, quelle qu'elle soit ! Je suis, moi, fidèle, à mes enseignements et, puisque tu fais partie de mon Unité, tu dois t'y conformer !
- Ils ont emmenés ma petite sœur !
- J'ai prévenu tous les Patrouilleurs Spatiaux, ainsi que les vaisseaux Wirds Surveillants les plus proches, informa Jelka depuis sa Centrale de Communications. La flottille des Marchands d'Esclaves ne passera pas !
- Mensonges ! rugit alors Aldéran. Melgon, tu les as laissés partir, et ils tueront leurs otages, un point c'est tout ! Il faut les poursuivre et les arrêter !
- Ten Vorkel avait raison sur un point : la Juridiction… Je n'ai aucun pouvoir à quelques distances du Bureau… Et puis, aucun d'entre-nous n'a un vaisseau !
- A bord ! siffla Aldéran qui, sans attendre de réponse ou de contrordre, s'était dirigé vers le Van d'Interception et s'était mis au volant, enfonçant le bouton du contact pour activer la puissance du lourd véhicule.
Ses collègues de l'Unité Anaconda ne purent que monter à l'arrière alors que le jeune homme démarrait sur les chapeaux de roues.
