Yo !
Voilà, je voulais écrire un petit remix du chat botté en Yuffentine qui, au final, n'est plus si petit, ne ressemble plus trop au chat botté, mais reste du Yuffentine. Il y aura également des personnages d'autres Final Fantasy, notamment du XIII.
Ça se passe dans un univers alternatif, évidemment, donc il y aura certaines incohérences par rapport à l'Univers original, puisque je réutilise des termes pour d'autres choses etc.
Le Chat Botté – Première Partie
Le brun resta impassible. Il s'y attendait. De toute façon, son père l'avait toujours détesté, alors c'était normal que ce sentiment persiste après sa mort. Depuis sa tombe, six pieds sous terre, il le haïssait encore. Il signa, se détourna du notaire et de son frère, et sortit.
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Il entra dans l'appartement rue Mortecerf et soupira. La peinture se craquelant sur les murs leur donnait une allure post-apocalyptique sale. Il alla s'installer sur le canapé rose moche qui semblait venir d'une déchèterie. C'était même probable que son père l'ait trouvé là-bas, en y réfléchissant. L'odeur de la litière pour chat lui agressait les narines. Il sentit un poids s'abattre à ses côtés et tourna la tête pour voir le petit chat noir qui avait pris place sur le coussin moisi. Il bascula la tête en arrière, fatigué. Mais qu'allait-il faire de cette chose ? Alors, le chat grimpa sur le rebord du canapé et vint se frotter contre le visage pâle. Vincent posa sa main sur le chat et gratta son cou, puis soupira encore. Quel héritage de merde.
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Il claqua la porte contre le mur et pénétra dans l'appartement, furieux. Il ne criait pas, il ne bougeait presque plus, dessiné dans l'embrasure de la porte, son visage même semblait calme, mais ses poings serrés, son cou tendu et ses yeux plus rouges que jamais démontraient une colère sourde. Sale journée, se dit le félin. La boule de poils vint se frotter contre ses jambes, ronronnant. Le ronron des chats avait un effet apaisant sur la plupart des êtres humains, et l'animal avait déjà remarqué que ça marchait sur Vincent. Ce dernier se détendit presque instantanément, et se baissa pour caresser son nouveau compagnon. Il souffla, l'air d'expulser avec le dioxyde de carbone toute la colère de ses poumons.
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Allongé sur son lit, Vincent ressassait encore et encore sa journée au bureau. Du café dégueulasse à ses collègues stupides, tout l'énervait, le déprimait. Sa vie et sa médiocrité se reflétait dans ce travail. Alors il ouvrit son ordinateur portable, et commença à écrire. Il écrivait sur le monde, sur la vision qu'il avait de lui. Sur les rues goudronnées et les coulures de rouilles en-dessous des fenêtres, sur les gens qui marchent vite et les animaux qui meurent, quelque part. Le félin se postait toujours à côté de lui, à sa gauche, il le regardait écrire. Toujours, c'était un grand mot. Ça faisait moins d'un mois qu'ils habitaient ensemble, mais c'était vite devenu une habitude, d'être deux. C'était un quotidien fabuleux et, pour une fois, Vincent n'avait pas envie de se séparer de cet être, même si c'était soûlant de changer la litière, même si le canapé et les draps étaient bousillés parce qu'il y avait fait ses griffes, et même si les croquettes coûtaient un bras. C'était agréable, d'avoir quelqu'un, quelque chose. Un fond sonore fait de miaulements et de ronrons quand on rentre chez soi. Un objet qui tombe, au hasard, s'écrase sur le sol – on sait où est Le Chat, toujours. Et tant pis s'il devenait un vieux à chats.
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Il claqua la porte, encore. Il voudrait bien réussir à se calmer avant d'entrer ici, quelques fois, pour que sa boule de poils n'ait pas à supporter ça. Peut-être que maintenant, ça irait mieux. Il était à peine quatorze heures et en temps normal, il ne rentrait pas avant le soir. De toute façon, il rentrait pour de bon. Demain, il ne retournerait pas avaler ce café au goût de chiottes pour pouvoir supporter les débilités que les humains seuls savent déblatérer avec une vitesse folle. Et merde au système monétaire.
« Tu parais de plus en plus énervé chaque jour, Vinnie. »
Sur le canapé, tranquillement allongée sur le ventre, son ordinateur sur l'accoudoir, une jeune fille lisait. Lisait ce qu'il avait écrit. La jeune fille sursauta, écarquilla grand les yeux et, comme par réflexe, se transforma en chat. L'ordinateur toujours ouvert et sa phrase toujours dans l'air lui faisaient pourtant perdre toute crédibilité. Mais, peut-être avait-il été trop choqué par ce détail, Vincent éluda le fait que son chat s'était transformé en jeune fille, et entra dans une colère noire.
« Tu as lu ce que j'ai écrit ? »
Il était calme, en apparence. Il s'approcha lentement, très lentement, trop lentement pour que ce soit naturel, de la chatte et la saisit par la peau du cou, la portant jusqu'à la hauteur de ses yeux. Elle était figée, les pattes grandes ouvertes, la gueules jetée en arrière mais ses yeux chocolat toujours plongés dans les siens.
« Tu peux m'expliquer ?
—Ça ne t'a jamais dérangé… »
La voix sortait étranglée, rauque.
« C'est que jusqu'ici, tu étais un chat.
—Je suis un chat.
—Un chat qui parle, bon sang ! Et tu… »
De choc, il relâcha la bête au sol, qui, pour ne pas mentir à sa réputation, se réceptionna sans problème sur ses pattes, pour immédiatement se retransformer en humaine. Nue.
« Es aussi humaine ? » Oui, je sais, ton père a eu la même réaction la première fois.
—Je peux avoir des explications ? Et enfile quelque chose.
—J'aime pas les vêtements.
—J'aime pas qu'une inconnue se balade nue chez moi.
—Ça fait plus d'un mois qu'on vit ensemble.
—Ça fait plus d'un mois que je vis avec un chat. »
La jeune fille soupira et, comme acceptant sa défaite, entra dans la chambre du brun et lui prit un T-shirt et des bottes. Parce qu'elle avait toujours rêvé de porter des bottes, parce que les bottes, c'est au moins aussi cool que les nœuds papillon. Elle attacha une cravate au niveau des chevilles, sans quoi les chaussures ne tiendraient jamais, puis revint dans la pièce avec une démarche… féline, en toute logique. Elle tomba. Une fois, deux fois. Mais sur ce visage si joueur, l'ombre du ridicule ne pouvait se fixer. Elle s'installa sur le dossier du canapé, croisa les jambes et regarda son propriétaire.
« Alors ? il y a des choses que tu veux savoir, Vinnie ?
—Qui es-tu ?
—Comme mon propriétaire n'a pas daigné me donner de nom je n'en ai pas, on m'appelle couramment « Le Chat ». Ce qui est plutôt vexant, puisque je suis une femelle, d'ailleurs.
—Ce…
—N'est pas ce que tu voulais me demander, ah je vois, tu te fiche de qui je suis, ce que tu veux vraiment savoir c'est ce que je suis. Pas vrai ?
—Oui.
—Eh bien, je vais te le dire : je n'en ai pas la moindre idée. Et je m'en fiche pas mal, en fait, je le vis plutôt bien »
Si le visage de Vincent avait eu pour coutume de refléter son état émotionnel, nul doute que ses yeux auraient été écarquillés. Ce chat, non, cette fille, était incompréhensible.
« Mais puisqu'on en est aux questions, beau brun, pourquoi rentres-tu si tôt et si énervé ? D'ailleurs, tu fais quoi comme travail ? Tu es auteur professionnel ? Raconte-moi ta journée.
—Je suis au chômage.
—Quoi ?
—Enfin, je le serai, dès que j'aurai rempli les papiers. Enfin, avec l'administration, disons que j'y serai dans quatre mois.
—Tu m'expliques ?
—Écoute Le Chat, enfin… t'as pas un nom ?
—Tu demandes seulement maintenant ?
—Alors ?
—Oui. Yuffie.
—Quoi ?
—Yuffie Kisaragi. C'est mon nom.
—Ça vient d'où ?
—Des terres de l'Est, sur le continent de Wutaï. Donc ?
—J'ai démissionné. »
Un regard dubitatif lui fut adressé, puis Yuffie descendit de son perchoir et se planta devant l'homme, fière et souple comme une lionne.
« Alors il est temps.
—Quoi donc ?
—De publier tes écrits !
—C'est absolument hors de question. »
La jeune fille –si tant est qu'on puisse la nommer ainsi – eut une sorte de moue boudeuse, comme déçue, mais la pointe de malice qui restait dans ses yeux montrait bien qu'elle avait autre chose derrière la tête. Elle le regardait de manière supérieure, comme un chat regarde un humain. Puisqu'elle était une chatte qui regardait un humain. Vincent choisit de ne pas s'en inquiéter, de toute façon, cette fille ne pouvait rien faire sans son accord, puisqu'elle lui appartenait. Même si c'était moche, bizarre dit comme ça. Elle était son animal de compagnie, sa saleté d'héritage, qu'elle parle ou pas n'y changeait rien. Elle se détourna de lui en une sorte de bond et s'écrasa lamentablement au sol dans un miaulement étouffé. Puis se releva, l'air habitué, et se dirigea vers le frigo. Ouvrant la porte, elle se retourna vers l'humain et lâcha :
« Au fait. Je ne mange pas de croquettes. C'est dégueulasse. »
Puis, une tranche de jambon entre les dents, elle s'en retourna dans la chambre dévorer son repas sur un matelas confortable. Et le brun sut qu'à présent, ce chat ne lui attirerait plus que des emmerdes.
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Le soleil pointait à travers les rideaux troués, envoyant ses rayons désagréables dans les yeux d'un homme. Il se retourna vers le ronron familier, et posa la main sur une boule de… peau ? Il ouvrit les yeux, vif mais pas pressé. Vincent n'avait jamais l'air pressé, quoi qu'il fasse. Et rares étaient ceux qui l'avaient un jour vu courir. L'image d'un sourire malin s'imposa sur sa rétine et tout lui revint à l'esprit. Son chat était une fille, ou tout du moins, pouvait se transformer en fille. Et avait gardé ses habitudes de chat. Ses yeux se reposèrent sur les lèvres de la fille. Même dans son sommeil, elle avait l'air diabolique. Une peste dans l'âme, cette chatte. Et alors, comme sous l'impulsion de ces pensées, les fines paupières blanches s'ouvrirent sur deux grands yeux fendus d'une prunelle ovale. La fille se mit a ronronner plus fort, quémandant des caresses. Le brun passa la main dans son cou, et gratta doucement la base de sa nuque. La jeune fille poussa sur la main de sa tête, plus fort, disait son corps, plus fort. Peu importe la forme, dans le fond, ce qui compte, c'est l'âme. Mais comme elle se mettait à pousser plus fort, la main du brun se trouva repoussée, éjectée si elle n'avait pas été reliée au bras, à l'épaule, et à tout le corps du brun dont la masse faisait contrepoids. Alors il se mit à caresser plus bas, passant la paume de sa main sur le dos qui se voutait, s'aventurant jusqu'à la naissance des fesses. Ça n'avait rien d'érotique, se disait Vincent, puisque c'était un chat. Mais de là à savoir si c'était ce qu'il pensait vraiment, il y avait un monde. Puis, soudain, un miaulement fâché sortit d'entre les lèvres à peine ouvertes, suivi de près par un grognement.
« Pas touche au ventre l'humain. »
Et elle se releva, dos à l'homme, puis sortit. Sur ses fesses tombait la lumière du soleil en rayons éparses, faisant comme des étoiles sur la peau assombrie par l'obscurité familière de la pièce.
« Mets quelque chose. »
Elle attrapa la même T-shirt que la veille et l'enfila. Mais cette victoire du brun sur elle, cette toute petite concession, ne saurait que lui assurer une victoire prochaine. Parce qu'ils jouaient, pas vrai ? Les chats jouent tout le temps. Il ne lui restait plus qu'à déterminer quel était le jeu et quelles étaient ses règles, et elle gagnerait. Rien de plus simple, quand on passe sa vie à détourner les règles pour s'en servir comme des avantages, à frôler la limite entre le bien et le mal pour atteindre ses fins. Mais peut-être, se dit Vincent, oui peut-être n'avait-elle aucune notion de bien ou de mal, à proprement parler. Elle quitta la pièce et prit dans le frigo une bouteille de lait, qu'elle vida dans un bol tellement immense qu'on aurait plutôt dit un grand saladier. Petite lampée par petite lampée, elle but le bol plus vite que nul ne l'aurait cru. C'était le pied, de pouvoir boire du lait sans le vomir plus tard. Le brun entra à son tour dans la cuisine. Si la chatte ne tourna pas la tête pour le regarder, ses oreilles, elles, redevenues félines, étaient tendues en direction de Vincent. Elle n'avait même pas besoin de bouger pour l'observer, et c'était atrocement gênant.
« Tu vas réclamer le chômage aujourd'hui ?
—Non, je prends un jour de repos.
—Tu vas écrire ?
—Peut-être, qui sait ?
—Du coup, tu bouges pas d'ici ?
—Je ne sais pas, pourquoi ?
—J'vais m'promener ! »
Elle sauta de son tabouret et se réceptionna sur le sol, pantelante. Elle se rattrapa à la table, puis s'appuya sur les murs jusqu'à arriver devant la porte d'entrée. Elle abaissa la poignée, entrouvrit la porte et sortit, laissant flotter derrière elle son T-shirt vide et des relents de voix disant :
« Oublie pas de fermer la porte, j'ai pas de mains ! »
Vincent la regarda partir, la regarda partie, regarda la porte. La ferma et, d'une voix étrange dit :
« Ne rentre pas trop tard. »
Laissé seul avec ses pensées, il s'assit à la table de son salon-cuisine et sortit son ordinateur. Bon gré mal gré, il pensa à ce que lui avait dit Yuffie. Se faire publier ? Et puis quoi encore. Elle était la première à avoir lu ses écrits et serait sûrement la dernière. Pourtant, il y avait sur son disque dur des millions de mots, des centaines de pages, des dizaines de récits achevés et plusieurs encore en cours. Certains étaient même embryonnaires tant cela ne ressemblait à rien. Tout cet ensemble d'écrits, dans le fond, ne ressemblait pas à grand-chose. Il ne se relisait jamais, par honte ou par peur. Par peur d'avoir honte. C'était stupide, enfantin, même infantile, mais peu importait. C'était son espace de liberté à lui seul, c'était privé et plus encore. Et si cette fille n'était pas venue s'incruster dans sa vie, si son père n'était pas mort ou avait laissé ce cadeau empoisonné à son frère, si seulement, alors ce serait encore à lui et à lui seul. Il se demanda ce qu'elle pouvait bien trouver à ce qu'il écrivait pour l'avoir lu par choix. Mais de toute façon, un chat ne devait pas avoir de très grandes connaissances en matière de littérature. Il se souvenait à peine de toutes ces histoires. Les premières dataient de quand il avait treize ans à peine. Ça devait être horrible. Les titres eux-mêmes étaient laids. Vraiment, il ne voulait pas les lire. Vraiment. Et si déjà il cliquait sur son tout premier écrit, c'était seulement pour se souvenir et jamais, au grand jamais, parce que Yuffie l'avait fait.
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Le goudron humide sous ses coussinets lui rappelaient l'époque durant laquelle elle avait vécu à la rue. Elle était resté avec ce clochard dont jamais elle n'a su le nom. Elle était seule et il était seul. Il lui avait donné un nom, Breloque, parce qu'il était lui-même une loque et qu'elle était comme lui, mais en mieux. Il lui avait pas donné un toit, il lui avait donné le ciel. Souvent il disait « Tu sais, Breloque, c'est pas nous qui sommes à la rue. C'est la rue qu'est à nous. » et elle le croyait, parce qu'ils étaient chez eux sur le trottoir. Ils sont restés ensemble de longues années. Quand il était défoncé, elle lui parlait. Ça l'aidait, vraiment, ou tout du moins Yuffie en avait eu l'impression. Ça l'empêchait de se perdre, ça l'avait toujours empêché de se perdre. Et puis il était mort, comme tous ses maîtres avant. Elle était restée des jours à miauler devant son cadavre, pour signifier aux gens –à la police, aux urgences par les sept enfers – qu'ils marchaient à côté d'un mort. Elle avait failli se transformer. Et, une nuit, alors qu'elle était seule avec le corps froid de son ami, elle lui avait parlé. Elle avait regardé ses joues sales, ces mains qui avaient mendié pour pouvoir la nourrir, au détriment de lui-même. Elle avait regardé ses yeux bleus, trop clairs pour survivre dans la rue, encore un peu ouverts. Il était mort, ça se voyait, pourtant c'était toujours lui, en face d'elle, toujours son corps et dans cinq secondes, cette bouche puante pourrait se fendre d'un sourire et lui dire des mots doux, ces mains gonflées pourraient caresser son dos, gratter entre ses oreilles, et même toucher son abdomen. Si elles bougeaient encore. Si seulement elles avaient pu bouger encore. Et alors, elle a fait quelque chose qu'elle s'était promis de ne plus jamais faire. Elle avait pris son corps d'humain. Et avec ses bras faibles, elle avait tiré l'homme qu'elle avait aimé et qui l'avait aimé jusque dans ses bras, enfoncé sa tête dans son cou. Il avait toujours la même odeur, la puanteur du clochard de base, tellement fort qu'elle masquait encore l'odeur de décomposition. Et elle se mit à pleurer. Parce qu'il était mort, parce qu'il ne reviendrait pas. Pas parce qu'elle revivait la mort d'un autre de ses maîtres ou anticipait la suivante. Parce qu'elle l'avait perdu pour toujours. Parce qu'il pourrait plus revenir. Parce qu'elle aurait voulu lui demander son nom. Parce que, des années durant, il avait été son ami.
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Lorsqu'elle rentra, alors que le soir commençait seulement à pointer à l'horizon, rien ne semblait avoir changé dans l'appartement rue Mortecerf. Mais semblait seulement, se disait Yuffie. Nul doute que l'homme avait réfléchi aux derniers évènements. Et sûrement ne s'était-il pas arrêté à « mon chat est une fille ». Elle connaissait bien Vincent, malgré le peu de temps qu'elle avait pu passer à l'observer. Elle savait qu'il réfléchissait à tout, parfois même des milliers de choses à la fois. Elle savait qu'il voyait plus de choses que les gens normaux, qu'il remarquait les micro-sourires des gens heureux et le cadavre du clochard. Elle savait aussi qu'il aimait écrire. Plus encore, si bien qu'elle ne trouvait pas d'autre mot que ce terme, « aimer », si vague et si vaste. Elle savait que le peu d'énergie qui n'était pas dévorée par son travail, il l'utilisait pour écrire. Dans ces moments-là, ses doigts semblaient entrer en relation directe avec l'âme du brun. Il ne pensait pas ce qu'il écrivait, il le sentait. Il créait quelque chose, un monde nouveau qui purgerait les pêchés de celui-ci, qui paierait sa faute, pour une fois. Il y avait toute la frustration et la rage accumulée la journée qui serrait sa mâchoire, tendait sa gorge, contractait ses épaules, allait jusqu'à faire trembler ses bras pour finir par crisper ses mains et sortir par le bout de ses doigts pour pourrir son ordinateur de lâchetés humaines et autre joyeusetés. Elle savait qu'il écrivait bien. Et elle le ferait publier, sans l'ombre d'un doute. Mais il était loin de l'avoir compris.
« Qu'est-ce que tu as fait de ta journée ? »
Il se retourna vers elle, surpris. Il ne semblait pas l'avoir entendue arriver. Elle remarqua qu'il écrivait encore, et s'en voulut de l'avoir interrompu. Il enregistra son travail et ferma son ordinateur. Quoi ? Il ne voulait pas qu'elle le lise ? Il se servit un verre de vin rouge, marqua une pause.
« Rien de spécial. »
… Ou la réponse la plus anodine qui soit. Elle soupira encore, et tenta d'attraper le verre du brun. En vain. Il l'éloignait d'elle à chaque fois qu'elle tendait son bras vers le vin. C'est pour ça qu'elle détestait les Hommes. Toujours à se croire plus intelligents juste parce qu'ils sont plus grands. Ainsi donc, ils ne se comportaient pas seulement comme ça avec les chats mais aussi entre eux. C'est fou comme les humains sont futiles. Elle tendit encore le bras et tomba lamentablement. C'était mal fichu, le corps humain, franchement. Il n'avait rien pour faciliter le sens de l'équilibre, que ce soit la bipédie, le poids incroyablement mal réparti, les oreilles trop petite et par-dessus tout, l'absence de moustaches et de queue. Et les humains tenaient debout des heures durant sans tomber. Les Hommes sont parfois stupéfiants. Elle se releva et jeta un regard noir au brun qui souriait doucement. On savait toujours où était Le Chat, pas vrai ? Elle tendit de nouveau le bras, et cette fois il le repoussa du dos de la main.
« C'est pas pour les gamines. »
Ladite gamine le regarda, effarée. Certes, elle n'était pas grande. Elle était même petite. Elle l'admettait, elle faisait jeune. Mais tout de même. Elle avait cinq cent vingt trois ans, par Hadès ! Elle le fusilla du regard. Ses dents se firent plus pointues et la pupille de ses yeux s'étendit. Elle eut un sourire pas du tout rassurant et se rapprocha de l'homme à pas de velours. Elle le dépassa, se servit à son tour un verre de vin. Derrière elle sa queue se balançait doucement. Elle était en colère. Vivement, elle se retourna vers lui, et il remarqua que des poils incroyablement longs sortaient de ses sourcils. Elle sourit encore.
« Écoute, l'humain je buvais du vin alors que t'étais encore dans les couilles de ton père, alors si tu t'avises encore une fois de m'appeler gamine… »
Elle laissa le silence refroidir l'atmosphère, puis vida le contenu de son verre sur son vis-à-vis.
« La tâche rouge sur ta chemise sentira le fer. »
Et sur ce, elle prit la bouteille et s'installa sur le canapé pour la vider tranquillement devant la télévision. Sauf qu'il n'y avait pas de télévision.
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Elle ouvrit les yeux sur le plafond sale, tâché de fumée de cigarettes et se retourna. Son cerveau sembla se cogner contre son crâne et elle gémit. La nuit était noire. La veille elle avait dû s'endormir soûle, sur le canapé. Elle tenait très mal l'alcool. Elle alla dans la salle de bain et se passa de l'eau sur le visage. Elle adorait l'eau, tant qu'elle n'en avait pas plein les poils. Sa tête la lançait encore. Elle fouilla dans l'armoire à pharmacie et en exhuma un paquet d'aspirine 1000. Elle l'avala et retourna se coucher, espérant que ça irait mieux le lendemain.
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Lorsque Vincent se réveilla, il posa les yeux sur le corps chaud à côté du sien. Il soupira. Elle était encore nue. Il poussa vivement l'épaule de Yuffie de la main. Elle était chaude. Pas chaude comme un corps humain, presque brûlante. La chatte lâcha un miaulement énervé, qui s'embourba dans une toux. Elle avait mal au ventre. Elle se tordit sous les couvertures. Puis, dans un effort incommensurable, elle courut jusqu'aux toilettes, vomit. Vincent se leva à son tour, un sourire presque victorieux sur les lèvres. Il marcha posément jusqu'à la salle de bain pour trouver la jeune fille penchée sur la cuvette, presque amorphe.
« Je te l'avais dit, que t'aurais pas dû boire.
—Ferme-la, l'h- »
Et de nouveau le contenu de son estomac coula de sa gorge aux toilettes. Mais pas que. D'un regard rageur, elle fit sortir Vincent de la pièce qui leva les mains comme pour renoncer. Il y avait quelque chose de rouge. Qui semblait couler de partout, que ce soit de sa bouche, de son nez ou de son vagin. C'était ignoble. Elle toussa du sang dans sa main et le regarda, horrifiée. Puis tomba dans le sommeil.
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Toc. Toc-toc.
Ouvrant les yeux en sursaut, la lumière l'éblouit jusqu'à lui faire mal à la tête. Elle avait envie de dormir, encore. Elle ne voulait plus jamais se réveiller.
« Yuffie. Allez, ça fait des heures que t'es là-dedans. J'aimerais bien prendre une douche.
—Je t'emmerde, Vinnie. »
Elle essuya tant bien que mal le sang au sol –vive la carrelage – et se leva. Tomba. Se releva. Tomba encore. Se releva de nouveau, appuyant douloureusement ses mains sur les meubles, les murs. Et enfin, sortit. Pour tomber encore devant la porte. Elle avait encore envie de vomir. Vincent essaya de l'aider à se relever, et ses ongles griffèrent la main. Il faillit être surpris, puis resta froid. De toute façon, ce n'est pas la peine de discuter avec un chat énervé. Il s'enferma dans la salle de bain et Yuffie, toujours au sol, jura. Elle se traina difficilement jusqu'au lit et s'assoupit de nouveau.
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Elle se réveilla en sursaut, couvertes de sueurs froides. Elle vomit puis se rendormit.
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La voix de Vincent lui parvenait, de loin. Il avait l'air énervé. Elle l'envoya chier et se rendormit.
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Elle se releva un peu. À ses côtés, Vincent écrivait. Elle aurait voulu lire. Si elle ne voyait pas flou. Si elle n'avait pas eu aussi mal aux entrailles. Si elle ne s'était pas rendormie.
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Elle entendit quelqu'un l'appeler et ouvrit les yeux. On disait « Breloque, Breloque, j'ai du jambon ! ».
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Elle inspira brusquement par la bouche, s'étouffant sur le coup avec sa salive. Elle se redressa. De son nez coulait du sang noir. Elle eut envie de vomir. L'odeur de fer était partout. Il y avait une bassine à côté du lit. Elle vomit encore.
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Vincent la regardait. Il avait peur, un peu. Il avait peur parce qu'il ne savait pas, ni ce qu'elle avait, ni ce qu'il devait faire, ni qui il pouvait appeler. Il se demanda si les chats supportaient particulièrement mal l'alcool. Sur internet, ils disaient qu'ils étaient soûls et pouvaient vomir. Rien sur l'hémorragie. Il la voyait se tordre de douleur, grelotter malgré la température trop élevée de son corps, la laissait tâcher son draps et sûrement son matelas de sang. Il avait mis une serviette, mais il doutait que ça suffise.
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Elle voyait des gens de dos, en flou. Tous les mêmes. Ou peut-être était-ce la même personne en plusieurs fois ?
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Elle ne voulait plus bouger, plus jamais. Elle n'avait même pas faim.
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On lui présenta quelque chose. À manger. Elle cracha, balança sa patte dans la cuillère. Se rendormit.
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Vincent la regardait toujours, tout à ses réflexions. Qu'aurait-elle bien pu prendre pour la mettre dans un tel état ? Ça faisait depuis hier matin qu'elle vomissait, crachait du sang. Et était au passage d'une humeur massacrante. Elle n'était pas enceinte quand même ? Non, il était presque certain qu'elle était stérilisée. Il jeta un regard à la porte de la salle de bains. Il sortit de la chambre et ouvrit l'armoire à pharmacie. Tout était bien rangé, ordonné. Sauf l'aspirine. Il fit des recherches si elle avait atteint le seuil critique il faudrait l'emmener à l'hôpital. Il regarda les effets, sa peau déjà blanche palissant à vue d'œil. Léthargie ok, grognements et protestations ok, hyperthermie ok, coma… coma ? Hémorragies ? Il lisait la page à toute vitesse. Et, bien sûr, il n'y avait pas d'antidote. Un médecin ne pourrait rien pour un empoisonnement à l'aspirine et un vétérinaire serait démuni face à un corps humain… Il soupira, appela les urgences vétérinaires. Il n'avait rien de spécial à faire. Juste attendre et si ça durait encore, l'emmener voir un véto. Le voilà bien avancé, tiens. La peau de Yuffie était recouverte de sueur. Même dans son sommeil, elle semblait souffrir. Vincent se demanda s'il aurait été aussi inquiet si Yuffie avait été un simple chat. Sûrement que non. Enfin, tout d'abord, si elle n'avait été qu'un simple chat elle n'aurait pas pris d'aspirine.
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Elle se redressa légèrement. Dans son ventre, parmi les mille douleurs insupportables de l'empoisonnement, elle sentait un mal nouveau. Un mal qui faisait du bien la faim lui tordait le ventre. Elle voulut parler, mais se rendormit.
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Elle avala ce qu'on lui tendait, soupirant en sentant la fraîcheur de l'aliment trouver son palais, sa langue. Elle sourit, doucement. C'était du jambon. Ça lui faisait penser au clochard c'était agréable.
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Elle espérait que là où vont les morts, il n'y a plus de société gangrénée par l'argent comme ici. Elle espérait que son ancien maître ne dormait plus sous les ponts.
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Vincent la regardait vomir. Elle semblait à peine consciente de ce qu'elle faisait. Le midi-même, elle avait souri dans son sommeil, et le brun s'était demandé à quoi elle pouvait bien penser. Et quand elle pensait, pensait-elle comme un chat ou comme un humain ? Est-ce que les chats pensaient comme les humains ? Est-ce que, de toute façon, on pensait d'un manière ou n'était-ce là que l'assemblage complexe et aléatoire d'idées qui traversent l'esprit à une vitesse folle et ce, peu importe l'espèce ? Vincent s'en retourna à son ordinateur. Il aimait cette chatte, vraiment, mais pas au point de la regarder vomir des heures durant sans s'occuper. Veiller un malade demande une grande patience et cette patience, le brun ne l'avait pas. Alors il se mit à écrire, une sonate pour piano de Mozart en fond sonore. Et quelque chose d'étrange se produisit depuis son lit, Yuffie ouvrit grand les yeux, elle tremblait, vibrait. Lorsque les accords étaient forts, tout son corps se contractait, et quand le rythme se faisait plus doux elle respirait. Son visage aussi se muait du sourire à la grimace, à la surprise. Elle vivait la musique, l'incarnait. L'incarnait c'est le mot, elle prenait les notes et les mettait dans sa viande, son être physique. Vincent ne pouvait plus détacher son regard de ce corps qui, quelques instants plus tôt, se tordait penché sur une bassine, et maintenant… dansait. Parce qu'il y avait là quelque chose de gracieux, de magique. Finalement, les trois derniers accords résonnèrent, faisant s'écarquiller les yeux de la chatte plus encore. Lorsque la musique s'arrêta, le dos de Yuffie se relâcha mollement sur le matelas, épuisé d'avoir été tant arqué. Et la fille se remit à vomir. Alors, vite, Vincent choisit un autre morceau plus doux, de Tchaïkovski cette fois. Les yeux de la chatte se perdirent presque aussitôt dans le vide. Les violons semblaient sortir de ses yeux. Elle resta inerte quelques instants, jusqu'à ce que Sayka Shoji entame véritablement le concerto. Alors ses lèvres se mirent à trembler, ses yeux à se mouiller. Ses mains se mirent à bouger au-dessus de sa tête, comme si elles tentaient de dessiner dans l'air cette musique prenante. Ses épaules se crispèrent puis se détendirent, et elle leva ses mains plus haut encore. La musique était là-haut, dans le ciel caché par le plafond, et s'envolait jusqu'aux nuages, jusqu'au anges qui n'existent sûrement pas. Le tempo s'accéléra, se respiration suivit. Le final, intense, la laissa sans souffle et elle sembla mourir avec les dernières notes. Vincent mit la sonate numéro 16 de Mozart. Pour rien au monde il ne voudrait qu'elle s'arrête de bouger. Elle était frétillante. Féérique.
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Elle sentait son corps se mouvoir contre sa volonté. C'était douloureux, enivrant. Ses yeux ouverts lui transmettaient les images de la chambre. Parfois, son regard se tournait vers Vincent et elle le voyait la fixer fasciné. Elle ne comprenait pas. Elle ne cherchait pas à comprendre. Son corps avait toujours raison, quoi qu'il arrive. Les notes se firent plus suaves et ses pieds tournaient de manière élégante. Elle n'aurait jamais cru que ses pieds puisent être élégants. Un morceau commença encore, puis un autre. Et, finalement, éreintée elle retomba dans le sommeil, comme morte.
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Il était sidéré. Plus aucune note ne la réveillait. Il avait tout essayé, de Chopin à Liszt en passant par Adrian von Ziegler ou même Metallica. Tous les styles de musique y étaient passé –il avait tenté les One Direction également, ce qui avait eu pour seul effet de faire vomir Yuffie dans sa léthargie et saigner ses oreilles-, plus rien. Alors il se remit à pianoter sur son ordinateur, quoiqu'encore préoccupé. Il resta dans la chambre jusques au soir, vérifiant régulièrement que Yuffie respirait correctement. Il essaya de lui faire manger du jambon, sans succès. C'est à peine si elle avait soupiré en guise de désapprobation. Elle avait l'air d'être morte, et il avait peur. C'était désagréable, comme une boule dans la gorge et une autre dans le ventre. Sa mâchoire n'arrêtait pas de se contracter, en un tic nerveux qui l'énervait lui-même. Lorsqu'il finit par se coucher à côté du corps chaud –trop chaud –, encore, sa tête fourmillait de mille idées. Il eut l'impression qu'un éternité passa avant qu'enfin il ne s'endorme.
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Elle se réveilla, vomit. C'était plutôt agaçant, comme habitude. Elle se sentait étrangement mieux. Enfin, déjà, elle se sentait ce qui n'avait pas toujours été le cas ces derniers… temps. Si bien sûr on exclut la douleur sourde et pure. Elle se leva précipitamment. Elle devait absolument faire caca. Ou alors elle allait mourir. Enfin, plus probablement se faire dessus mais la perspective d'un Vincent en colère était plutôt inquiétante. Elle allait mourir. À peine fut-elle sur ses jambes qu'elle tomba remarquablement, la face sur le plancher. Magnifique, vraiment. Un jour il faudrait qu'elle arrive à se servir correctement d'un corps humain. L'appartement était vide. Elle fonça vers les toilettes, s'écroula dessus. Ses jambes tremblaient. Elle avait faim, et se demandait bien ce qu'elle pouvait avoir encore dans le ventre à éjecter. Lorsqu'enfin elle eut fini, au prix d'un effort exceptionnel, elle sortit et vacilla jusqu'à la cuisine-salon. Sur le plan de travail il y avait un post-it noté « je vais faire des courses. » Venant de quelqu'un d'autre, elle l'aurait mal, très mal pris. Mais Vincent n'aurait pas pu laisser un mot plus rempli de sentiments, alors elle décida de lui pardonner. Surtout que s'il était parti faire les courses il reviendrait avec de la nourriture. Et elle se sentait parfaitement incapable de faire la tête à quelqu'un se présentant à elle de la nourriture à la main. Son corps avait toujours raison, comme elle disait. Le frigidaire était presque vide. Presque seulement, c'était déjà ça de pris. Mais elle n'aimait pas tellement le mot presque. Alors elle le vida totalement.
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Il marchait dans les rayons avec classe. Parce qu'il était possible pour quelqu'un comme Vincent d'avoir la classe avec un sac de courses à la main. Quand il avait quitté l'appartement une heure plus tôt, elle dormait toujours d'un sommeil imperturbable. Elle ne se réveillait même plus pour vomir. Il aurait voulu rester à son chevet, mais si jamais elle s'était réveillée dans un appartement sans nourriture, elle en serait devenue folle. Et puis, les chats savent s'occuper d'eux-mêmes. Le problème était qu'il n'avait absolument aucune idée de ce qu'elle aimait, en dehors du jambon. Les chats son carnivores mais son corps humain nécessitait sûrement un apport en vitamines végétales. Non, franchement, la simple existence de cette fille était une galère.
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Elle avait faim. Plus exactement, elle avait encore faim. Elle priait pour que Vincent revienne vite, parce que non seulement elle était affamée –elle pourrait lui faire un procès pour maltraitance envers les animaux – mais en plus elle s'ennuyait. Cet appartement était inintéressant au possible, il n'y avait ni jeu ni balles. Pour jongler, les balles. Elle était un chat, mais tout de même. Avisant d'une pomme, elle la prit. Il y avait trois pommes d'a peu près la même taille et le même poids. Elle pensa à jongler avec. Elle les fit rouler sur ses épaules, sauter dans les airs, elle n'avait pas fait ça depuis longtemps. Finalement, elle se lassa. Elle fit le tour de l'appartement des yeux, à la recherche de quoi que ce soit qui aurait pu l'occuper ne serait-ce que quelques minutes. Sagement posé sur la table gisait l'ordinateur du brun. Il la détesterait sûrement, l'enguirlanderait peut-être, mais elle n'avait jamais été chatte à s'en faire pour si peu. Au pire, elle remettrait ça sur son dos, pour l'avoir laissée seule dans un appartement aussi vide que le frigidaire.
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Quand il arriva, il trouva Yuffie sur son ordinateur. Yuffie réveillée. En forme. Avaient-ils un timing si mauvais que sur les deux jours qu'avait duré sa maladie elle ait dû se réveiller au cours des deux heures durant lesquelles il n'était pas là ? Il retint un soupir et s'avança pour fermer son ordinateur. Elle se retourna vers lui, en sursaut, et un grand sourire s'étala sur ses lèvres. Défensivement, il tendit le saucisson à la brune, qui se jeta dessus et tomba, le précieux met toujours coincé entre ses pattes. Elle planta ses dents dedans et arracha un bout de viande, tentant de le mâcher. Comme ses dents étaient carrées elle prit celles d'un chat et put enfin dévorer son porc.
« Ça a l'air d'aller mieux.
—Ouaip. En y réfléchissant, je crois me souvenir que l'aspirine c'est toxique pour les chats.
—Tu n'es pas capable de détecter ce qui est mauvais ou non ?
—Ben, c'est-à-dire… l'instinct me le dit, pour sûr. Cependant, sachant que je suis partiellement humaine et que je vis avec des humains depuis plus de cinq siècles, mon sens animal s'est atrophié. À chaque fois que je me transforme, je perds une partie de mon animalité, c'est pour ça que souvent je reste en chat. Les humains sont méprisables tout vaut mieux que de devenir comme eux.
—Je suis humain.
—Mais, Vinnie, tu es mon maître. Je ne peux pas te détester, du moins tant que tu ne me maltraites pas ni ne meurs. Je ne me suis mise à détester ton père qu'après sa mort, par exemple.
—Il savait que tu étais… comme ça ?
—Malheureusement oui.
—Pardon ?
—Non, c'est bon. T'as vachement écrit ces derniers jours dis-moi ! T'as réfléchi à ce que je t'ai proposé ?
—C'est déjà limite que toi tu les lises alors non.
—Alors pourquoi tu as recorrigé tous tes anciens écrits ?
—J'ai dit non. »
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Le lendemain matin, Vincent partit demander les allocations, laissant Yuffie seule dans l'appartement. Elle se jeta sur l'ordinateur, motivée. Elle avait des plans pour Vincent.
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Lorsqu'il rentra le soir venu, Yuffie avait l'air calme, trop calme. Vincent était fatigué, épuisé. Alors il se laissa simplement tomber sur le canapé, et regarda la chatte, perchée au-dessus de lui.
« Dis, Vinnie ?
—Quoi ?
—Quand j'étais malade…
—Oui ?
—Tu as mis de la musique ?
—Pourquoi tu me demandes ça ?
—Je me demandais si c'était un rêve. Maintenant, je sais que non.
—Tu étais où, avant ?
—Avant quoi ?
—Cet appartement. »
Ils ne se regardaient pas. Vincent avait les yeux fermés. Il avait envie qu'elle parle, pour pouvoir l'écouter. Elle avait ancré ses yeux sur le plafond. Il était pourri par l'humidité.
« J'ai habité dans des centaines d'endroits. Ton père m'a trouvée dans la rue.
—Pourquoi t'a-t-il ramassée ?
—Je parlais. Avec mon maître.
—Dans la rue ?
—C'était la maison.
—Oh.
—Oui. Oh. C'est une belle maison, le monde, tu sais. Le ciel est le toit le plus merveilleux sous lequel j'ai jamais vécu.
—Ça te manque ?
—Je ne crois pas, pas vraiment. C'était beau parce que j'étais avec lui.
—Tu l'aimais ?
—Plus qu'aucun autre homme. Et il m'a aimée, lui aussi. Il a été mon frère presque. Compagnon de galère comme on dit. Sûrement que s'il m'avait connue sous ma forme humaine on aurait été « meilleurs amis ».
—Mais tu lui parlais, non ?
—Pas quand il s'en souviendrait. Toi, tu étais où avant ? Je ne t'ai jamais vu avec le père.
—Je sous-louais un appartement au sixième étage sans ascenseur d'un immeuble minable.
—Alors ça ne te change pas beaucoup.
—Hm.
—Dis, tu comptes faire quoi maintenant ?
—Être libre quelques jours encore. Et puis je chercherai un nouveau travail.
—Et tu veux faire quoi ?
—Partir d'ici. Faire exploser l'immeuble. Saccager la tombe de mon père. Dormir.
—Et pourquoi tu le fais pas ?
—Il y a les « À quoi bon ? ».
—T'as pas de copine ? Pour te motiver.
—Comme tu as pu le constater, je suis plutôt… solitaire.
—Pourtant…
—Quoi ?
—Tu ne parles pas beaucoup. Mais tu as des choses à dire. Tu ne sais pas comment alors tu les écris. En lisant seulement une ligne, on sait dans quel état d'esprit tu étais quand tu as écrit. Tu mets une partie de ton âme là-dedans.
—C'est pour ça que j'aimerais mieux que tu ne lises pas.
—C'est pour ça que j'aime lire.
—Lis autre chose.
—Et c'est pour ça aussi que d'autres devraient te lire.
—Ouvrir mon cœur à des inconnus ne fait pas partie de mes passe-temps les plus habituels.
—Tu dis des choses justes, et tu les dis bien. Tes romans, ce sont des réflexions. Et le pire, c'est que je crois en avoir compris une bonne partie. »
Il ne répondit pas, et elle ne chercha pas à relancer la conversation. Leurs mots flottaient encore dans l'air, s'ils fermaient les yeux, ils pouvaient les voir s'envoler.
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On sonna à la porte. Vincent, enfoui dans les couvertures, ne semblait pas des plus enclins à se réveiller convenablement. Ses cheveux emmêlés se mélangeaient aux draps dans un contraste noir et blanc saisissant. Yuffie ne voulait pas le réveiller, il avait passé la nuit à écrire. S'il était fatigué, il serait de mauvaise humeur, et s'il était de mauvaise humeur elle serait celle qui en paierait les frais. Bon gré mal gré, elle prit sa forme humaine, enfila un T-shirt et ouvrit la porte. En face d'elle se trouvait une femme plutôt jeune, d'à peu près l'âge de Vincent, sûrement, se dit Yuffie. Ses cheveux roses étaient attachés en deux couettes énergiques. Yuffie n'avait jamais vu quelqu'un avec des cheveux roses. Elle avait envie de jouer avec. Elle se voyait déjà planter ses griffes dans les nœuds, couper l'élastique et les voir retomber librement sur les épaules de la jeune femme. Jeune femme qui la regardait, un air mi-surpris mi-amusé sur le visage. Elle répondit à ce regard perçant « Oui, bonjour, vous êtes bien chez Yuffie la magnifique et Vincent le ténébreux, que puis-je pour vous ? » en langage du matin, c'est-à-dire quelque chose comme :
« Gn ?
—Euh… Vincent est là ? Je suis désolée, je ne savais pas qu'il vivait avec quelqu'un, je dérange peut-être ? »
Ah oui. Elle était un chat magique, donc il était normal que les autres n'aient pas connaissance de son existence. Et sa présence en ce lieu pouvait donc paraître suspecte. Nue sous un T-shirt de Vincent encore plus. Vraiment, ça pouvait prêter à confusion. Elle aurait bien expliqué, mais elle avait la flemme. Impérialement, parce qu'elle était un chat, et que quoique glandue, elle avait un égo à entretenir.
« Ouais, tu déranges mais tant qu'à faire, rentre. Vincent dort, comme tout être normalement constitué à… treize heures du mat'. T'es qui, au fait ? »
Les mots étaient à moitié mangés pas les brumes du sommeil mais l'autre sembla comprendre et partit d'un rire franc. Son rire était beau, et ses dents très blanches. Sa jupe mi-longe laissait voir ses jambes fines et ciselées et son débardeur des épaules douces. C'est fou, Yuffie aurait juré qu'on était en plein hiver, pourtant. C'était ça, ce que les humains appelaient une jolie fille. C'était plutôt impressionnant, pour Yuffie. Elle avait l'air d'une enfant. D'une adolescente au mieux. L'étrangère reprit doucement sa respiration et regarda Yuffie. Puis repartit dans un fou rire. Yuffie marmonna quelque chose comme « on chauffe pas le couloir », mais pas trop fort parce que plutôt que « on », c'était surtout Vincent. La… rousse, si tant est que l'on puisse l'appeler ainsi, toussota et répondit enfin.
« Vanille, je m'appelle Vanille.
—Est-ce que tu es comestible, Vanille ? Moi c'est Yuffie. »
Ladite Vanille faillit rire de nouveau mais se retint. Elle entra dans l'appartement, l'observa. Il était bien moins rangé qu'elle ne l'aurait cru, quelques objets gisaient au sol. Devant elle, la brune tomba, emportant dans sa chute un ustensile quelconque que, bien sûr, elle ne rattrapa pas en se relevant. Et la rousse comprit.
« Tu veux à boire ?
—Qu'est-ce que vous avez ?
—Euh… Je sais pas utiliser la cafetière ni faire du thé, mais on a de l'eau. Et du lait, s'il en reste. Et du rouge. Ah non, ça y en a plus. »
Vanille rit encore. Yuffie la regarda, épuisée. Si elle était venue la réveiller pour se taper des barres toute seule, elle pouvait bien rentrer chez elle. C'est vrai, ça, elle devait bien être là pour une raison ou une autre. Elle se leva, baragouina un « Vincent » faible, et se rendit dans la chambre. Le brun ne s'était pas réveillé malgré les rires. Il devrait vraiment être crevé. Et Yuffie prit un malin plaisir à le secouer dans tous les sens pour le réveiller. Il grogna mollement, puis lança un regard rageur à la jeune fille. Regard qui perdait une bonne partie de sa crédibilité masqué qu'il était sous les cheveux désordonnés. Yuffie sourit de toutes ses dents.
« Y a quelqu'un pour toi. Vanille qu'elle s'appelle. »
Il la regarda, ahuri.
« T'as quand même pas fait rentrer cette folle ? »
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« Donc… cette fille est une amie du fils de ton frère et elle fait son stage professionnel chez toi ?
—Oui.
—Oh, et alors, Yuffie, qu'est-ce que tu veux faire dans la vie ?
—Comme Vincent !
—C'est-à-dire ?
—Chômeuse ! »
Vincent regarda son chat d'un air blasé, et Vanille rit encore. Savait-elle réagir autrement que par le rire ? Yuffie la suivit, répondant au brun par un regard mi-moqueur mi-amusé. Oui, elle le chambrait plus ou moins, mais c'était dans sa nature, et puis pour une fois elle n'était pas la seule. La rousse se reprit, toussota légèrement. Elle prit un air mortellement sérieux qui ne lui ressemblait pas vraiment et qui d'ailleurs, sur son visage naturellement joueur, ne faisait pas du tout sérieux.
« Dis-moi Yuffie, tu as quel âge exactement ? »
Son cerveau tourna à tout vitesse dans sa tête, c'était combien la majorité ici déjà ? La jeune femme la regardait, dans l'expectative. Ah oui !
« Bientôt dix-sept ans.
—Tu es encore dans tes études ?
—Oui, mais d'ici deux trois ans je commencerai à bosser. »
La rousse approuva et se laissa tomber dans le canapé.
« Mais dis-moi, dix-sept ans, c'est l'âge des mecs, non ?
—Bah c'est-à-dire que… non. Juste non.
—Quoi ? T'aimes les filles ? Ça tombe bien je suis célibataire ! Et en plus moi j'aime tout le monde !
—Euh non plus c'est juste que… je suis trop dans mes études, je pense pas à me trouver de copain ou de copine. Faute de temps.
—C'est si difficile les études pour être chômeur au final ?
—Oui, je fais du droit social pour m'assurer de le toucher ! »
Vanille rigola à moitié, incapable de dire si la brune était sérieuse ou non. Vincent, lui, était simplement consterné. Comment cette fille faisait-elle pour déblatérer autant d'âneries à la seconde sans que la rousse ne le remarque ? Mais si elle avait dit « Yo, je suis le chat magique de Vincent ! », est-ce que ce serait forcément mieux passé ?
« Ah au fait Vincent, tu sais pas la dernière !
—Hm ?
—J'ai mis un papier « Hors Service » sur la machine à café. Pendant deux jours.
—Et ?
—Jérôme et Ludovic sont partis en congé, Lassa a fait une crise de nerfs et le boss a reçu tellement de plaintes qu'il s'est mis à pleurer devant tout le monde. Hier, je me suis servi un café. T'aurais vu la tête de tout le monde quand ils ont compris que la machine marchait ! Ils se sont tous jetés dessus. Du coup, maintenant, elle est vraiment cassée. »
Et elle éclata de rire, encore. Yuffie lui tendit la patte et Vanille la frappa. Deux emmerdeuses qui se trouvent, c'est sublime. Elle commencèrent à discuter à voix basse, de conneries passées et futur, et Vincent se dit qu'il pouvait commencer à avoir peur.
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Lorsque Vanille partit, le soir était déjà tombé sur la ville et il commençait à faire faim. Quoique Yuffie lui ait proposé de rester, elle avait préféré rentrer chez elle sous le regard dur de Vincent. Dit regard qui s'était à présent posé sur le brune, encore toute joyeuse qu'elle était de cette nouvelle rencontre. Elle se détourna de la porte et se cala dans le canapé, une tranche de jambon de pays dans une main et du bœuf dans l'autre. Vincent soupira. Ce chat n'avait aucune idée de ce que c'était qu'être un humain. Bien sûr, vous diriez, c'est évident qu'on ne lui a pas appris qu'il faut manger des légumes et prendre des douches, pas plus qu'on ne lui a dit de ranger ses affaires ou de travailler puisque ? C'est un chat, un chat n'a pas besoin de légumes, fait sa toilette seul, n'a pas d'affaires et est dépendant de son maître. La belle vie. Le brun s'avança vers elle et prit de ses mains le morceau de bœuf encore saignant, pour le remplacer pas une pomme. Elle grogna.
« Tu crois faire quoi, là ?
— Manger uniquement de la viande risque de te tuer. D'autant qu'il faut la faire cuire.
— Et… elle désigna la pomme, ça ? J'en fais quoi ?
— Tu la manges.
— T'es sûr que ça se mange ? Vraiment ? J'ai pas tellement confiance, garde- la.
— Non, tu vas me faire le plaisir de la manger, je suis ton maître bon sang !
— Et tu as déjà réussi à forcer un chat à manger quelque chose ? Un chien, un furet je dis pas, ils sont cons comme leurs pattes. Pour forcer un chat à manger, il faut avoir un avantage physique considérable sur lui, et accepter qu'il grogne miaule morde et griffe pendant et après l'opération. Et, sous cette forme, tu n'as pas l'avantage nécessaire. Donc non.
— Tu vas manger cette pomme.
— Non.
—Si
—Non
—Si
—Non
—Si
—Non
—C'est puéril enfin Yuffie !
—Quoi ? J'ai dit que je mangerai pas ce truc je le mangerai pas c'est tout.
—Je peux ne pas acheter de viande pendant un certain temps.
—Comme si. T'as autant besoin de protéines que moi.
—Des protéines comme on en trouve dans les poivrons, le soja…
—Franchement ? Mais rien que les noms donnent envie de vomir !
—Ça risque d'être ton régime pendant un certain temps si tu refuses de manger cette pomme.
—Et bien soit. Je mangerai pas ça quand même. »
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Voilà pour cette première partie ! Il ne se passe pas forcément grand-chose proportionnellement à la longueur, mais c'est pour planter le décor déjà, tout ça…
Il y aura sûrement trois parties au total, et peut-être un exodos. J'ai presque fini la troisième partie donc je devrais pas mettre trois ans à poster.
Enfin bref, dites-moi ce que vous en pensez !
Mata nee ^^ !
