Respecter les doses prescrites

La seconde quatre bourdonnait toujours pendant l'heure du déjeuner. C'était le moment où les élèves en profitaient pour se raconter leur soirée de la veille, faire des projets pour le soir, ou simplement se détendre après une longue matinée de cours.

Normalement Kaname appréciait vraiment cette pause. Mais aujourd'hui, elle avait une curieuse migraine qui n'en finissait pas et trouvait tous ces bavardages insipides assez pénibles.

Elle n'avait pas assez dormi, comme souvent, et elle ressentait ce tiraillement désagréable derrière l'œil droit, lui indiquant clairement que son corps n'avait pas apprécié de rester éveillé jusqu'à deux heures et demi pour regarder la rediffusion intégrale de Samouraï Champloo.

Attablée avec ses amis, elle était incapable d'avaler quoi que ce soit ni de suivre la conversation, ce qui retint l'attention de Sosuke.

Il la connaissait comme toujours loquace, pour ne pas dire bruyante, et son silence l'inquiéta de même que sa pâleur. Mais quand il l'interrogea, elle balaya ses inquiétudes d'un revers de main en avouant un simple mal de tête et partit s'enfermer aux toilettes, pensant qu'un peu d'eau fraîche sur le visage pourrait l'aider à dépasser la douleur.

Revenant à sa place, elle demanda à Kyouko un comprimé, sachant que son amie avait toujours de l'aspirine sur elle, en cas de besoin. La petite blonde lui tendit son sac et Kaname farfouilla à la recherche du précieux médicament qui pourrait la soulager.

Elle trouva enfin le flacon au fond d'une petite poche latérale et en sortit deux cachets qu'elle avala sans réfléchir.

Fermant les yeux, elle s'adossa à sa chaise et attendit là, jusqu'à la fin de la pause repas que son mal de tête veuille bien diminuer.

La douleur s'estompa légèrement, remplacée assez rapidement par une sensation nouvelle et bien différente, localisée plus bas.

Le cours de gym l'après-midi était en plein air et quand Kaname ressentit cette curieuse chaleur dans son ventre, elle crut tout d'abord à un simple contre-coup de l'effort. Malheureusement plus le temps passait et plus ses émotions s'emballaient, de même que le picotement dans ses reins, la laissant essoufflée et moite comme après une longue course au soleil.

Sauf que son tour de batte n'était pas encore arrivé pour cette manche.

Regardant autour d'elle, elle fut captivée par le terrain de basket où les garçons de sa classe s'entraînaient. Certains, pour une raison qui lui échappait, avaient retiré leur t-shirt, ne portant que leur dossard coloré pour se différentier des autres joueurs. Ainsi, la jeune fille avait droit une une délicieuse exposition de muscles luisants et elle dut se forcer à croiser les jambes pour calmer la tension de plus en plus forte qui s'invitait en elle.

Elle tenta de fermer les yeux et de se calmer, malheureusement son cerveau ne semblait pas coopérer puisque tout ce qu'elle avait en tête alors qu'elle se concentrait sur sa respiration, c'était des images assez explicites d'elle-même en compagnie de la moitié de ses camarades de classe. Et vu ce qu'elle pensait en général des garçons de son lycée, elle comprit immédiatement qu'il y avait un problème.

Ce n'était déjà pas bien habituel pour elle de fantasmer en pleine journée, mais si ça impliquait plus qu'un certain adolescent zélé et stoïque pour lequel elle n'éprouvait rien de plus qu'une grande compassion toute fraternelle, alors la situation était clairement anormale.

Se tournant vers Kyouko tout juste revenue de son tour de terrain, Kaname lui redemanda un cachet d'aspirine pour vérifier qu'elle n'avait pas commis d'erreur.

Suivant son amie jusqu'aux vestiaires, la déléguée fut assez contrariée en découvrant qu'effectivement, les comprimés qu'elle avait pris ne correspondaient à ceux que lui tendait son amie.

Déglutissant laborieusement, Kaname interrogea Kyouko sur le flacon qu'elle avait dans son sac et dans lequel elle avait pioché de quoi calmer sa migraine.

La blonde fronça les sourcils, perplexe, et soudain, elle poussa un cri de stupeur, réalisant la méprise de son amie.

Alarmé par le départ précipité de sa protégée, Sosuke avait lui-aussi quitté le cours de sport pour se rendre aux vestiaires et surveiller les alentours. En entendant le cri haut perchée de Kyouko, il se précipita à l'intérieur de la pièce son arme à la main.

En voyant rien de suspect, il rengaina son pistolet et avança lentement vers les deux jeunes filles. Il restait sur ses gardes, l'oeil à l'affût, mais il ne vit rien d'anormal.

En dehors des pupilles dilatées de Kaname, de son souffle court et de ses joues rougies. Il crut que sa migraine avait empiré et il s'enquit de son état, surprenant les deux lycéennes par sa présence.

Au lieu de s'emporter, Kaname resta à le dévisager, notant qu'il faisait partie de l'équipe des sans t-shirt et elle apprécia tout particulièrement le dessin de ses épaules, fermes et puissantes qui se dégageaient du dossard.

Kyouko fut la première à réagir et prenant le sergent par la main, elle lui expliqua que Kaname allait devoir rentrer plus tôt parce qu'elle ne se sentait pas bien et elle lui recommanda de se changer rapidement afin de pouvoir la raccompagner.

Sosuke acquiesça, et levant la tête vers Kaname, il fut étonné de trouver ses yeux encore braqués sur lui avec une intensité qu'il ne connaissait pas mais il fut prestement poussé dehors avant d'avoir une chance de l'interroger.

Une fois entre filles, Kyouko expliqua à Kaname qu'elle n'avait pas pris le bon médicament. Au lieu de l'aspirine, elle avait avalé un complément hormonal destiné à soulager les règles douloureuses, et apparemment, cumulé aux contraceptifs que la déléguée prenait déjà, les effets secondaires étaient multipliés.

Rien qu'en regardant l'air hagard de son amie, Kyouko avait compris que la jeune fille subissait de plein fouet les contrariétés engendrées par le traitement et elle se hâta de l'aider à rassembler ses affaires.

Le pic d'efficacité des comprimés était deux heures après l'ingestion, par conséquent, quoi que Kaname ressente pour l'instant, ça ne pouvait qu'empirer au cours de la prochaine demi-heure. Il lui fallait donc rentrer chez elle au plus vite pour éviter de commettre l'irréparable.

Kyouko était extrêmement embarrassée d'être à l'origine d'une telle nuisance pour sa amie et elle n'avait aucune idée de comment se faire pardonner. Elle suggéra à Kaname de prendre une douche froide avant de repartir avec Sosuke et la déléguée approuva.

Elle se rhabilla rapidement et retrouva son protecteur dans la cour, les cheveux encore mouillés et elle constata que la situation était plus grave qu'elle ne l'avait imaginée.

Sosuke avait également pris la peine de se doucher et il avait lui-aussi les cheveux encore humides. Quelques gouttes se perdaient le long de son cou avant de disparaître sous le col de son uniforme et Kaname se mordit les lèvres pour ne pas imaginer le trajet délicieux qu'elles devaient faire sur sa peau. Tous les bien faits de l'eau glacée qu'elle s'était efforcée de supporter sur le dos afin de se calmer furent anéantis en quelques secondes face à son garde du corps.

Voyant le regard trouble de sa protégée, le sergent voulut obtenir un peu plus d'explications sur son état, mais ni Kaname ni Kyouko ne semblait disposée à les lui fournir. Chacune évitait de l'affronter, l'une mortifiée par son état et l'autre coupable d'avoir mis son amie dans une telle position sans le vouloir.

Après s'être assurée que la déléguée était entre de bonnes mains, Kyouko repartit sur le terrain de sport justifier l'absence de ses deux camarades, les laissant rentrer le plus vite possible.

Leur marche jusqu'à la gare se fit dans un silence tendu. Sosuke était assez contrarié par l'attitude étrange de la jeune fille qui manifestait clairement son manque de confiance en refusant de lui parler et Kaname gardait ses distances de peur de ne pas être capable de se retenir.

Comme toutes les adolescentes, elle avait déjà ressenti ce genre d'émotion, mais jamais rien d'aussi puissant et elle craignait vraiment de perdre le contrôle si elle se rapprochait de lui. A chaque pas, elle avait l'impression que le brasier dans son ventre s'intensifier et que l'afflux sanguin entre ses jambes devenaient de plus en plus important.

Non seulement ses hormones lui jouaient des tours, mais au fond d'elle, elle savait que l'attirance qu'elle éprouvait pour Sosuke n'était pas due uniquement aux comprimés qu'elle avait avalés. Il ne faisait qu'emplifier le phénomène et si elle avait réussi jusque là à dissimuler ses sentiments, elle devrait bien être capable de continuer encore un peu.

Au moins le temps d'arriver chez elle et de se mettre à l'abri. Du moins c'était ce qu'elle espérait de tout son coeur.

Une fois dans le train, Kaname refusa de s'asseoir pour éviter tout contact avec son protecteur et elle se tassa dans un coin du wagon, adossée contre une vitre afin d'être le plus isolée possible. Elle ferma les yeux et tenta de se raisonner une fois de plus en se concentrant sur son repas du soir et ce qu'elle allait préparer. Malheureusement, là encore, son cerveau refusa de coopérer et tous les ingrédients qui lui venaient à l'esprit prenaient une dimension nouvelle, avec des utilisations relativement originales.

Elle étouffa un gémissement en se rappelant la crème et les fraises qu'elle s'était achetées la veille et elle se cogna l'arrière du crâne contre la paroi du compartiment dans le but improbable de se vider la tête.

Entrouvrant les paupières, elle arrêta de respirer en découvrant Sosuke à quelques centimètres d'elle seulement, les yeux rivés dans les siens et la main prête à se poser sur son front. Sa chaleur irradiait assez pour l'envelopper et elle se noyait dans le parfum neutre de sa peau fraichement lavée, comme envoûtée par sa simple présence.

Kaname voulut reculer et lui échapper, sauf qu'elle s'était elle-même coincée au font du train et elle frissonna quand la paume rugueuse de son protecteur rentra en contact avec sa peau brûlante.

Le geste du sergent était innocent et la partie encore consciente du cerveau de Kaname lui criait de ne pas s'emballer. Seulement elle était entièrement sous le contrôle de ses hormones et de celles qu'elle avait avalées au déjeuner et sans se rendre compte de ce qu'elle faisait, elle vint se blottir contre Sosuke en soupirant.

Elle ne réalisait pas vraiment ce qu'elle faisait, mais elle sentit tout de même son garde du corps se tendre instinctivement alors qu'elle se frottait presque imperceptiblement contre lui.

Même s'il appréciait de l'avoir si près de lui, Sosuke ne put s'empêcher de lui demander si tout allait bien. Son comportement était des plus étranges et il commençait réellement à douter qu'il s'agisse d'une simple migraine.

Utilisant toute sa volonté, Kaname se redressa et réussit à lui faire face.

« Je n'ai plus mal à la tête, si c'est ça qui t'inquiète, murmura-t-elle en baissant les yeux.

- Alors qu'est-ce que... »

Sosuke ne put finir sa phrase. Il se fit bousculer par un homme d'affaires pressé et il tituba contre sa protégée, renouvelant le contact entre eux. En tentant de retrouver son équilibre, Sosuke se retrouva à glisser une jambe entre celle de Kaname et il lui frôla la cuisse par inadvertance.

La jeune fille ne put retenir son gémissement de plaisir à ce simple geste, laissant le sergent interloqué et embarrassé.

« Chidori ? »

Sosuke déglutit et se fixa sur sa protégée qui rougit en fermant les yeux.

La chaleur continuait de monter en elle et le vide dans son ventre devenait de plus en plus évident. C'était insupportable. Son sang battait dans ses tempes, dans ses reins, de son entre-jambes jusqu'à la pointe de ses seins et elle sut qu'elle était perdue.

« Chidori, est-ce que ça va ? Je peux faire quelque chose ? »

Le ton concerné de Sosuke culpabilisait la lycéenne qui ne savait comment se sortir de cette situation puis finalement, alors que leur arrêt était annoncé, elle prit sa décision.

Prenant une profonde inspiration, elle murmura simplement :

« Non, ça ne va pas, mais je devrais pouvoir tenir jusque chez moi. »

Elle n'avait plus très longtemps à devoir lutter. Sauf qu'elle réalisa qu'elle n'avait pas de solution, même une fois à l'abri dans son appartement. Certes, elle ne commettrait rien de honteux mais d'un autre côté, elle ne pourrait pas se calmer non plus simplement en s'enfermant dans sa chambre.

Comme Sosuke continuait à lui proposer son aide, une horrible idée prit forme dans son cerveau noyé d'hormones.

Ce n'était probablement pas le meilleur plan possible, mais en cet instant tout ce qu'elle avait en tête, c'était qu'il lui fallait un homme avec lequel assouvir ses désirs. Et quitte à se compromettre, autant le faire avec quelqu'un de confiance qui n'irait pas se vanter de leurs prouesses, pas plus qu'il ne se moquerait d'elle après coup.

Kaname rassembla son courage avant de faire face à son protecteur qui malheureusement pour lui continuait de la toucher, n'arrangeant absolument rien à sa condition.

Elle lutta contre les larmes de honte qui menaçaient de couler le long de ses joues et quand Sosuke réitéra sa question pour savoir ce qui n'allait pas, elle finit par avouer d'une voix à peine audible ce qu'elle avait avalé et les conséquences physiologiques qui en découlaient.

Le sergent se redressa et sentit son coeur s'arrêter un instant alors qu'il comprenait enfin ce qui troublait sa protégée.

Il chercha à s'éloigner de Kaname, comme si elle était devenue tout à coup dangereuse et réalisa son erreur en voyant son regard désespéré et mortifié.

Il lui prit alors la main pour la guider hors du train et la raccompagner chez elle, mais il ne pensa pas que ce simple contact allait déclencher une réaction si vive chez la jeune fille.

Elle se précipita vers lui et sans se laisser le temps de réfléchir ou de permettre à son orgueil d'intervenir, elle lui demanda son aide.

Sosuke eut le souffle coupé et tenta de se désister, malheureusement il n'avait pas tellement d'argument à lui opposer. C'était lui qui le premier s'était proposé et même s'il voulut insister sur son manque d'expérience et de connaissance sur le sujet, il savait bien que ce n'était que de fausses raisons.

Kaname le regarda droit dans les yeux et lui annonça froidement sa conclusion :

« Je suis navrée de faire appel à toi pour ce genre de choses Sosuke et je comprends que c'est beaucoup attendre de toi, mais je ne vais pas te supplier. Si ce n'est pas toi, ce sera un autre. Je devrais bien trouver un garçon volontaire pour me suivre jusque chez moi. »

Son ton ne laissait pas de place au doute. Elle était déterminée et s'il ne lui accordait pas ce qu'elle voulait, elle irait le prendre ailleurs. Et cette solution était parfaitement inacceptable.

Mais ce qui finit réellement de le convaincre fut le dernier argument de sa protégée qui lui écrasa le coeur.

« Je sais que tu ne me vois pas de cette manière et que tu n'es pas intéressé mais j'ai vraiment besoin d'aide et je préférerai que ça vienne de toi. »

Ils étaient pratiquement au pied de son immeuble et Sosuke réalisa qu'il n'avait pas de bonne solution. Il n'imaginait que les choses évolueraient de cette manière entre eux, en tout cas pas si vite, ni pour une raison aussi grotesque, mais devant ses grands yeux chocolat terrifiés, il sut qu'il devait suivre son instinct et la ramenant jusqu'à sa porte, il demanda d'une voix éteinte : « Qu'est-ce que je dois faire au juste ? »

Il évitait de la regarder et quelque part, elle lui en était reconnaissante.

Rougissant, elle se rapprocha de lui et rentrant chez elle, elle lui répondit dans un murmure : « Touche-moi. »