Sur le chemin vers le logis de son futur époux, traditionnellement, la fiancée chinoise doit verser d'amères larmes de nostalgie pour montrer son regret de quitter sa famille. Je ne regrette pas une seule seconde de quitter ma famille. Pour autant, je ne manque pas de raisons de pleurer. Mais c'est toujours dans les moments les plus terribles que rien ne vient. Mes yeux restent secs ce qui déçoit beaucoup ma mère.

« Tu aurais pu faire mine de te moucher au moins, m'assène-t-elle sèchement, toi qui es du genre pleureuse d'habitude !
- Voyons Maman, je rétorque, une mariée ne se mouche pas. »

I peine cinq minutes, j'ai manqué de carboniser ma grosse carcasse en sautant par dessus un brasero pour éloigner les mauvais esprits. Je ne suis vraiment pas d'humeur à recevoir ce genre de reproches. Après cela, en plus, d'autres corvées m'attendent. Il faut s'incliner pendant des heures et boire le vin en croisant le bras avec son fiancé. Evidemment, cet imbécile de Dai m'en renverse la moitié sur la figure dans un sursaut nerveux.

« Je venais de capter le regard de ton père, m'explique-t-il lorsqu'on se retrouve dans notre chambre. »

Nous sommes tous les deux seuls, au calme. C'est trop calme. Au mariage de la cousine Bei Bei, j'avais participé avec d'autres jeunes gens à distraire les jeunes époux en faisant des mauvaises blagues. Mais ce mariage là est un peu honteux et a donc eu lieu en comité très restreint. Les rares jeunes gens n'ont pas vraiment le cœur à faire des blagues. Après tout, même si tout le monde s'accorde pour dire que le Seigneur des Ténèbres a vraiment tort de traiter les Moldus comme ça, tout ça, tout ça, il y a un monde entre : désapprouver qu'on torture ces créatures et en épouser une.

« Au moins, a dit mon père, fataliste, quand il a rencontré Dai, il est aussi Chinois. »

Dai n'est pas si mal ce soir. Le rouge de son costume de marié lui va assez bien au teint et dans la lumière tamisée de cette chambre, sa peau aussi prend des tons ocres. Il a ôté ses chaussures et se masse les pieds avec un entrain qui cache mal sa gêne.

« Heu, hésite-t-il sans me regarder, et je suis désolé aussi quand je me suis pris les pieds dans ta r... »

Soudain, un craquement retentit et Dai fait un bon en arrière. Il ne s'habitue vraiment pas aux transplanages.

« C'est très impoli ce que vous venez de faire, je lance à l'agent du ministère qui vient de débarquer dans notre « nid nuptial. »
- Ouais, imaginez que vous ayez fait votre tour de magie alors qu'on fricotait ! Vous auriez eu l'air fin, lance Dai en se redressant d'un air bravache. »

Le pauvre. Il tremble encore de peur. L'agent lui jette un regard froid et condescendant. Celui là, je l'ai déjà dans le nez.

« Vous auriez pu être traumatisé à vie, renchéris-je pour détourner son attention, imaginez-moi nue. C'est atroce hein ? »

L'agent se trouble, toussote, sort sa baguette et fait apparaître un parchemin et une plume qui lévitent vers nous.

« Voilà les papiers qui nous permettrons d'enregistrer ce Moldu dans le registre du Secret Magique comme votre conjoint ce qui lui évitera d'être victime des Oubliators. J'ai fait vite en évitant les politesses car les bureaux ferment bientôt. »

En voyant le parchemin avancer vers lui ce pauvre Dai a instinctivement reculé et il est à présent plaqué contre le mur. Je me saisis du parchemin qui le menace et le lui tend avec la plume que Dai fixe d'un air indécis.

« Y a pas d'encrier, commente-t-il.
- C'est un modèle pro, encre intégrée et elle part au Recurvit, explique distraitement l'agent.
- Ca fait combien de temps que vous travaillez dans cette branche, je lui demande.
- Quinze ans cette année même si l'année où Celui... où Vold... enfin l'année sombre, j'étais au Paraguay, admet-il avec une honnêteté inattendue.
- Eh bien, en quinze ans, vous auriez quand même pu apprendre à être courtois avec les Moldus !
- Heu, c'est pas grave si, hésite Dai.
- Toi, contente-toi de remplir ses papiers ! Je lui ordonne.
- Vous avez vu qui j'épouse hein ! dit Dai à l'agent en commençant tout de même à écrire, un vrai dragon ! Ce sera pas évident tous les jours. »

L'agent a un rire bref de courtoisie. Je jette pour ma part un regard noir à mon « époux ». S'il pouvait éviter ce genre de plaisanteries ce ne serait pas mal ! Elles ont un goût amer.
Heureusement, Dai achève bientôt de remplir ses papiers en silence. Le manque de réaction aux alentours l'a refroidi. Je récupère le parchemin et le paraphe à mon tour : Cho Wenzhou, avant de le rendre à l'agent. Accomplir ce genre de gestes est un peu humiliant mais je n'ai toujours pas récupéré ma baguette. Je l'aurai dans une semaine et on fera la bilan de ma thérapie qui, selon moi, est un échec cuisant. Autre conséquence du manque de magie, tout à l'heure, j'ai dû allumer les feux d'artifice « à la main ». Comble de l'humiliation pour mes parents qui, malgré la situation, ont insisté pour qu'on garde ce cérémonial idiot.

« Il faudra l'emmener se faire marquer dans le courant du mois au Département du Secret Magique et des Affaires Moldues, conclut l'agent.
- Ahah, je suis dans la confidence maintenant, s'amuse Dai, attendez ! Comment ça me faire marquer ? On va me tatouer comme un chienchien ?! »

Il le réalise seulement. C'est presque mignon.

« C'est une marque invisible que les Oubliators détecteront aisément si vous leur dites que vous êtes « de la famille ».
- Encore faudrait-il qu'ils lui laissent le temps de le dire. On connaît le zèle de vos Oubliators, dis-je, grinçante.
- Le département est en plein remaniement. »

L'agent prend congé et Dai lui tira la langue quand il a disparu. L'idiot. En silence, nous achevons ensuite de nous préparer pour la nuit. Nous nous couchons côtes à côtes nous éteignons la lumière. On ne se touche pas et on prend même grand soin de ne pas s'effleurer. La situation est vraiment trop bizarre. Bientôt cependant, j'entends la respiration régulière de Dai et je sens son souffle contre mon épaule. Il s'est retourné. Je soupire. Comme veut-il que je dorme maintenant ?
Dans le noir, je me remémore comment j'en suis arrivé là.