Ouf. J'ai bien cru que je n'y arriverai jamais.

De retour avec une nouvelle histoire, un peu à la façon d'un épisode de Castle, avec enquête et tout le tintouin. C'est la première fois que je me lance dans ce genre d'histoire, et j'espère parvenir à vous embarquer avec moi dans cette aventure...!

Hop hop hop, on n'oublie pas de laisser une trace de son passage, même pour dire bonjour, ça fait toujours plaisir :)

Disclaimer: j'ai beau hurler, taper du pied, me rouler par terre, Castle ne m'appartient toujours pas. Ni d'esprit, ni de corps, bouhouh. Toutes les références à la série (personnages, lieux, scènes) sont à Marlowe et ABC. En revanche, l'histoire et les autres personnages, j'en revendique pleinement la maternité :)

Saison: mi-saison 5.

Have fun :)


Prologue.

L'air encore frais de ce début de printemps charriait des effluves délicatement fleuries, et c'était comme un soudain renouveau après la nuit de l'hiver.
Elle prit le temps de respirer à pleins poumons.
Une fois.
Lentement.
Deux fois.
Elle ferma les yeux pour mieux se laisser pénétrer par ce sentiment de renaissance.
Quand elle les rouvrit, elle sut que cette journée serait le début de quelque chose.

Avec grâce et détermination, elle descendit les marches métalliques de la caravane.
Un ciel de plomb s'étalait à l'horizon. Les nuages tourmentés s'enchevêtraient pour ne plus former qu'une masse sombre et menaçante. Un orage, déjà. Il n'était que six heures trente du matin.
Elle frissonna. C'était l'effet de la rosée résiduelle de l'aube qui pénétrait sa fine combinaison d'entraînement, autant que la tension du défi qu'elle s'était promis de relever.

Hier encore, même lors des répétitions, elle avait échoué.
Et c'est là qu'elle avait surpris le regard de sa mère.
De la déception.
Elle n'y avait lu que de la déception.
Une dispute avait irrémédiablement éclaté à la fin de la séance. Gestes de colère, cris, volontés qui se heurtent.
De rage, elle avait tourné le dos à celle qui l'avait toujours supportée, et était allée passer ses nerfs dans les bottes de foin toutes proches.
Lorsqu'elles avaient discuté, le soir, de retour dans la caravane, sa mère, tout en l'assurant de sa fierté et de son soutien, l'avait poussée à se dépasser toujours plus.
Dans ce métier, dans ce domaine, on ne pouvait pas se contenter de timides compromis. Il fallait innover. Prendre des risques. Défier les règles de la gravité et tenter la fortune, qu'elle soit bonne ou mauvaise. Sinon, c'était la mort de toute la troupe.

Du haut de ses quinze ans, elle regarda le destin dans les yeux. Le sien, celui de sa mère, celui des autres.
Le renouvellement et la survie de la troupe passait par elle, par ceux de la jeune génération.
Elle devait réussir.
Elle s'entraînerait deux fois plus que d'habitude, mais elle y arriverait. Elle s'en faisait le serment.
C'est pleine de cette hargne contre elle-même, contre ses propres limites, et de cette peur de retrouver le reflet de ses propres échecs dans le regard maternel, qu'elle traça droit devant elle.
Elle atteignit le chapiteau sans s'être rendue compte qu'elle s'était mise à courir à petites foulées, perdue dans ses angoisses.
Elle s'arrêta devant l'entrée principale, qui barrait, provocante, sa progression. Elle sentit comme une hésitation à la franchir. Une fois à l'intérieur, sur la piste, elle ne pourrait plus reculer. Elle serait seule pour affronter les démons du trapèze.
Une odeur persistante de terre mouillée lui parvint. Tant mieux. Si la pluie s'abattait sur le cirque, tous prendraient un moment de répit supplémentaire au chaud sous les draps, et ce seraient toujours quelques précieuses minutes de gagnées pour sa voltige solitaire.
Elle tendit la main vers les liens qui fermaient le carré rouge et jaune, et dont certains n'avaient pas été correctement noués. Et si quelqu'un avait eu la même idée ? Si un des artistes s'était levé plus tôt, comme elle, pour s'entraîner ? Elle réprima une vague soudaine de panique à la pensée que ses intentions tombaient à l'eau, que sa détermination n'avait servi à rien et qu'elle devrait la reconstruire.

Non. Elle avait passé une grande partie de la nuit à forger cette armure grâce à laquelle elle se sentait prête à renverser des montagnes. Elle ne pouvait pas flancher maintenant.
D'un geste sec, elle défit les cordelettes de part et d'autre de l'ouverture, puis souleva le lourd plastique.
Une bouffée bienfaitrice la prit par surprise. Un mélange de poussière de sable, d'alcool à brûler et de relents fauves le disputait à la chaleur humide qui flottait encore dans l'air depuis le spectacle de la veille. Elle s'avança, apaisée.

Sa place était là. Elle s'y sentait entière.

La piste avait été nettoyée, le sable ratissé. Les tapis et filets de protection avaient été repositionnés au centre de l'arène, prêts à accueillir les artistes funambules pour leur séance d'entraînement. Elle avisa la grande échelle métallique qui permettait aux athlètes de grimper vers la gloire. Elle expira avec conviction, pour se recentrer et se donner une dernière impulsion. C'est là, du coin de l'œil, qu'elle le perçut. Le détail inhabituel. Anodin. Mais le détail de trop dans le tableau si lisse et routinier du chapiteau au petit matin. Elle leva la tête et releva la discrète oscillation d'un des trapèzes, pas tout à fait immobile.

« Maman ? »

Elle se morigéna : pourquoi sa mère, à qui le médecin avait prescrit un repos forcé, viendrait-elle faire des acrobaties à une heure aussi matinale ? Même, pourquoi s'obligerait-elle à être présente à l'entraînement de sa fille après leur altercation de la veille ? Pourtant, aucun courant d'air ne s'était engouffré quand elle avait soulevé le pan de l'entrée.

« Il y a quelqu'un ? » lança-t-elle dans le silence du chapiteau.

Seule sa propre voix lui répondit. Elle ne percevait aucun bruit autre que celui de sa respiration un peu trop rapide.
Elle était seule.
Elle s'approcha alors de l'échelle et posa ses mains sur les deux montants, dont le froid lui arracha un frisson. Et soudain, aussi lestement qu'un chat, elle gravit les échelons.
Une fois sur la plate-forme, elle obéit à son rituel : elle s'assit en tailleur, laissa reposer ses paumes sur ses genoux, ferma les yeux et entama une lente respiration abdominale. Ne plus retenir une seule pensée. Les laisser glisser. Évacuer tous les parasites qui faisaient obstacle à la concentration dont elle avait besoin pour être performante et réduire le risque d'erreur. Dans ces moments, le temps n'avait plus d'importance. Elle demeura ainsi, figée, pendant dix bonnes minutes. Lorsque son corps et son esprit lui signifièrent qu'ils étaient opérationnels, elle se releva lentement, se frotta les mains d'un peu de magnésie prise dans la petite urne toujours à disposition, et s'approcha du bord de la plate-forme. Avant de saisir le trapèze accroché au barreau, elle avait toujours l'habitude de baisser les yeux au sol. Comme pour conjurer le vertige qu'elle n'avait pas, comme une superstition à laquelle elle devait se soumettre pour amadouer le sort.
Cette fois-ci, le sort ne fut pas clément.

Son regard fut irrémédiablement attiré par cette grande tache sombre quelques mètres plus bas. Cachée derrière les épais matelas. Tordue.

Un corps désarticulé.

Un corps qu'elle pouvait reconnaître entre mille.
Son cri se perdit dans sa gorge. Seul un son rauque, presque animal, franchit la barrière de ses lèvres. Elle connut alors pour la première fois la sensation de vertige, au point qu'un gouffre s'ouvrait devant elle, sous elle, pour l'attirer tout entière. Un instinct de survie qu'elle ne s'expliqua pas la poussa à s'asseoir au bord de la plate-forme, et à serrer de toute la force de ses doigts blanchis le métal stable et rassurant. Ses yeux ne se détachaient pas du spectacle macabre qui refusait de se dissiper. Elle ne se rendit pas compte du gémissement qui était apparu au rythme de son léger balancement. Elle ne se rendit pas compte que cette journée s'était transformée en cauchemar et que rien ne serait plus jamais pareil. Elle ne se rendait compte de rien d'autre que de ce corps noir qui voulait l'aspirer avec lui.
Maman...Maman...Maman...Maman...Maman...Maman...