Hermione se réveilla
soudainement. Des gouttes d'eau martelant la petite fenêtre ronde
surplombant son immense lit à baldaquins l'avaient tirée du
sommeil plus efficacement que le son sourd de la télévision,
pourtant allumée depuis des heures. Draco n'était pas rentré.
Elle le sentait, elle pouvait le dire rien que par l'atmosphère de
la pièce qui avait perdu toute chaleur.
Etonnant comme la
présence d'une seule personne peut illuminer tout un appartement,
toute une vie.
Se levant prestement, sans même chercher à couvrir son corps nu, Hermione gagna la cuisine à pas lents et se réchauffa négligemment une tasse de chocolat à l'aide de sa baguette magique. La fine tige de bois trembla légèrement en effectuant le sortilège, plongeant sa propriétaire dans une longue réflexion. Oui, beaucoup de choses étaient arrivées depuis le début de la guerre. Sa baguette avait subi des dommages irréparables, ne ressemblait plus à rien et menaçait de se rompre à chaque sort trop complexe.
Mais Hermione avait
décidé de ne pas s'en séparer.
Comme beaucoup de choses
qu'elle gardait, sa baguette correspondait à un passé auquel elle
s'accrochait. Ses amis, sa famille, Poudlard… Tout disparaîtrait
plus rapidement si ces souvenirs s'effaçaient. Et Draco ne
comprenait pas.
Evidemment.
Pour lui, le passé
importait peu. Il avait été trop heureux de pouvoir se construire
un avenir, trop heureux d'abandonner les siens à une guerre
interminable et sans merci. De son manoir, des vifs d'or, de
son statut privilégié de sang-pur ou de la surprotection de sa
mère, rien ne lui manquait. Il s'était incroyablement bien
habitué à la vie parisienne, à la vie moldue, et rien ne
semblait vouloir le changer. Et étrangement, c'était en échappant
à la dictature de ses parents et au rang de sorcier supérieur dont
il avait été si fier, qu'il s'était montré sous son vrai
jour : Draco était devenu un homme exceptionnel, rivalisant de
gaieté et de curiosité, de vitalité et de passion. La colère
était aussi intense que la joie, la persuasion aussi incontournable
que l'entêtement.
Et parce qu'ils avaient tous les deux été
évincés de la guerre, parce qu'ils étaient tous les deux dans le
même camp, et parce qu'ils vivaient ensemble depuis près de 3
ans, ils étaient tout simplement tombés amoureux.
Oh, en vérité ça n'avait pas été si simple.
Ils avaient déjà longuement tourné autour du pot avant de pouvoir accepter l'idée qu'un quelconque sentiment positif s'immisce entre eux. Alors, parler d'amour ! Après tout, Hermione était une sang-de-bourbe, Draco un sale cochon manipulateur.
Mais c'était arrivé naturellement.
Il ne restait plus
que l'un pour l'autre, ils se retrouvaient soudainement dans une
ville inconnue, éloignés des aimés et avec un éternel sentiment
de culpabilité. La culpabilité du survivant.
Et d'une simple
poignée de main au baiser langoureux, en trois ans, leur vie
avait complètement changé.
Aujourd'hui, ils partageaient les mêmes rêves, le même avenir. Mais Hermione ne pouvait oublier son passé. Tous les jours, elle pensait à Harry, à Ron, à l'Ordre du Phoenix, aux morts et aux vivants qu'elle ne pouvait différencier faute de nouvelles. Elle ne digérait pas la façon dont on l'avait écarté du monde des sorciers « pour son bien », elle ne supportait pas l'inactivité de sa vie face à la guerre qui faisait rage et dont la présence se manifestait silencieusement, tous les jours, à travers le silence des moldus qui ne se rendaient compte de rien. Elle détestait avoir à jouer un rôle qui ne lui allait pas, celui d'une femme en sécurité et comblée, alors que tant d'autres devaient endurer l'attente. L'attente du retour d'un fils, d'un mari, d'un frère.
Elle, ne devait et n'avait jamais à attendre.
Tout en tartinant sans le voir son pain français d'une épaisse confiture faite maison – et entendez par là que Draco avait déniché quelque part un vieux livre de recettes et avait voulu vérifier que son talent naturel s'exerçait aussi en cuisine -, la jeune brune gardait un œil sur l'horloge vétuste accrochée au-dessus du four. Il était 5 heures et demie du matin. Dans exactement 30 minutes, Draco passerait le pas de la porte d'entrée d'un air flâneur, poserait nonchalamment son manteau sur le dos d'un fauteuil, et offrirait un grand sourire à la femme qu'il aimait venue l'accueillir avec une tasse de chocolat chaud. Comme toujours, Hermione rangerait avec un soupir, d'un coup de baguette magique, l'énorme chaudron où elle entassait ses vieux livres élimés d'école, son album à photos mobiles, et tout ce qui pouvait prouver qu'elle était une sorcière. Draco aurait cet adorable plissement du nez ironique, petit vestige de sa royale époque, et lui pardonnerait encore une fois son obstination à faire revivre la magie chez eux. Il s'avancerait vers elle, lui volerait un baiser, caresserait gentiment Pattenrond et irait se coucher.
Elle n'avait pas à attendre.
Leur routine lui convenait parfaitement, c'était une sorte de cocon doux et chaud dans lequel se réfugier. Du reste Draco se contentait parfaitement de leur vie actuelle, il aurait pu aisément oublier leur passé, la magie, la guerre. Il le voulait.
Seule Hermione était encore là pour lui rappeler qui il était, mais il avait besoin d'elle pour ça. Même s'il s'en défendait, il ne pouvait s'empêcher de relier son petit monde de moldu parfait à celui du parfait sorcier qu'il avait été ; que cela soit juste ou non, il avait interdit à Hermione de se servir de la magie en sachant pertinemment que ce simple geste la dissuaderait de jamais se séparer de ses affaires magiques. Dans un sens, il souhaitait qu'on lui rappelle que toute sa précédente vie n'était pas basée sur des mensonges ou des fantaisies, sur un univers irréel. Il était conscient qu'Hermione savait ce qu'il ressentait ; elle devinait facilement tout de lui.
Il était presque 6h. Hermione se leva, brandit sa fidèle baguette et s'en servit pour réchauffer le chocolat matinal de Draco. Elle décida tout-à-trac de ranger en avance ses affaires magiques, comme une marque de rébellion. Puis elle s'habilla d'une chemise oubliée, se coiffa rapidement les cheveux, vérifia que la baguette magique de Draco était à sa place attitrée (une misérable boîte trônant sur la cheminée) et attendit.
Et Draco ne vint pas.
Le goût vide et
amer de son propre sang dans la bouche, Draco, affalé dans une
ruelle sombre de Paris, le regard vitreux et le cœur battant
sourdement, pensait à la magie. Quelle cruelle ironie ! Toute
sa vie il avait cherché à exceller dans la magie, et voilà que ses
trois dernières années de survie avaient été consacrées à la
renier. Et voilà que cette volonté, aussi opiniâtre qu'illogique,
de tourner le dos à sa nature de sorcier, aboutissait à une pâle
vision de lui-même, à moitié mort dans une ville de moldus,
stupidement attaqué par un clochard en manque d'argent.
Dire
qu'il avait voulu prendre un raccourci et rentrer plus tôt. Dire
qu'il avait voulu faire une surprise à Hermione.
La dernière pensée de Draco Malefoy fut pour Hermione Granger, la femme qui l'attendait.
