L'AUTRE MONDE

Chapitre 1

Seiya était fatigué. Depuis la mort de la Princesse Saori seulement quelques années plus tôt, il n'avait plus autant de verve. Il lui arrivait souvent de se remémorer ses jeunes années, lorsqu' il était encore simple chevalier de bronze, et que ses amis et lui menaient des combats acharnés pour sauver Athéna et le monde. C'était le bon temps. Depuis qu'il était devenu Pope, sa vie se bornait à recevoir les doléances des villageois et à lire des rapports interminables sur l'entraînement des apprentis et autres banalités du même genre. Rien à voir bien sûr avec la vie de chevalier. Ses amis l'avaient quitté pour d'autres charges aussi importantes que les siennes, et peut être plus passionnantes encore. Mais à vrai dire, qu'en savait-il ? Ils n'avaient plus guère de contact avec eux, excepté avec Shun qui s'occupait d'un centre pour jeunes en difficultés, et qui lui envoyait des rapports réguliers concernant de potentielles recrus pour la chevalerie. Encore des rapports, soit, mais au moins il avait des nouvelles de son ami.

Il enleva sa lourde robe de pope qu'il ne portait qu'en la mémoire de sa chère Saori. Chaque fois, il ne pouvait s'empêcher de penser à ceux qui l'avaient portée avant lui et qui étaient morts depuis.

Comme tous les jeudis après-midi il se rendit au cimetière, situé derrière la maison d'Athéna, où reposaient Saori et les chevaliers disparus. Il avait toujours cette boule douloureuse dans la gorge quand il allait là- bas et qu'il voyait les noms écrits sur les pierres tombales, Saori Kido bien sûr, mais aussi Shion, Saga, Dohko, Mü, Aiolia, et tous les autres, qu'il avait d'abord combattus et qui étaient devenus ses amis par la suite. Malgré ses 70 ans, la douleur de leur perte était encore très vive. Un autre homme aux longs cheveux blancs était présent, agenouillé sur la tombe de Saga. Il se retourna à son approche

- Ah, c'est toi, c'est vrai que nous sommes jeudi.

- Que sommes- nous devenus, Kanon ? Deux vieillards vivant dans nos souvenirs !

- Je suppose que c'est de notre âge. Mais tu as d'autres occupations plus importantes que de fleurir les tombes. Mais pourquoi le jeudi, au fait ?

- Elle est morte un jeudi, répondit Seiya les yeux remplis de larmes, fixés sur la tombe blanche de Saori.

Kanon se releva péniblement, posa la main sur l'épaule de Seiya et s'en alla lentement, en se protégeant du soleil.

Ma visite aux disparus terminée, je repartis vers la maison du Pope, où m'attendait encore cette fichue paperasse, mais je la laissais en plan. Après tout, elle serait encore là demain. Yorgos, mon serviteur depuis de nombreuses années, m'apporta une légère collation sur la terrasse. Il savait que le soir je mangeais peu. Ce soir là, il était nerveux, et au lieu de s'en aller en me laissant manger tout en regardant le coucher du soleil, il restait là, crispé, le regard figé sur ses pieds.

- Et bien qu'y a-t-il ?

- Majesté…

Je ne me ferai jamais à ce nom qu'on me donnait désormais, mais l'attitude de Yorgos était bien curieuse, ce soir.

- Et bien parle !

Je sentais la colère et l'impatience me gagner. La patience n'avait jamais été mon fort, et l'âge n'avait rien arrangé.

- Majesté…je suis désolé, mais…

- Mais quoi ? Fis-je perdant un peu patience.

- Ne le réprimandez pas ! Il n'y est pour rien.

La voix que l'on entendait provenait d'une personne entièrement recouverte d'une longue cape à large capuche et qui la dissimulait entièrement. Elle se tenait dans le cadre de la porte-fenêtre qui séparait la terrasse de mon bureau.

Ne sentant aucune agressivité de la part de l'inconnu, je pris le temps de congédier mon brave serviteur d'un geste de la main, avant de me lever et de me diriger vers l'inconnu.

A mon approche, il eut un mouvement de recul qui me surprit. Visiblement, il ne tenait pas à être reconnu. Tout ce que je pouvais déterminer pour le moment, c'est qu'il devait s'agir d'un homme.

- Très bien, commençais-je un peu agacé, puisque vous ne voulez pas me dire qui vous êtes… là-dessus, il acquiesça… dites moi au moins pourquoi vous êtes là !

- Vous ne devez pas savoir qui je suis. Je suis venu vous chercher, j'ai une mission pour vous et vos amis.

- Une mission ? Savez-vous à qui vous parlez ?

- Oui, vous êtes Seiya, ancien chevalier de bronze de Pégase, chevalier d'or du Sagittaire et gardien du Sanctuaire sacré d'Athéna.

Que pouvais-je répondre à ça ? Je restais donc sans voix attendant qu'il veuille bien continuer.

- Encore une fois je ne suis pas votre ennemi. Je suis venu vous chercher car j'ai besoin de votre aide et de celle de vos amis.

- De quels amis parlez-vous ?

- Des autres anciens chevaliers de Bronze, Shiryu, Hyoga, Shun et Ikki.

- Mais enfin, expliquez-vous ? J'étais de plus en plus sur mes gardes.

- Athéna a besoin de vous.

- Athéna ?

Je restais estomaqué devant autant d'audace. Si c'était une plaisanterie, elle était de mauvais goût… surtout aujourd'hui !

- Athéna est morte, juste au cas où vous ne le sauriez pas. Sa nouvelle réincarnation n'aura pas lieu avant une bonne centaine d'années.

- Dans votre monde, peut-être… mais pas dans le mien.

La visite de cet inconnu m'avait bouleversé. Son histoire pouvait paraître étrange, mais, j'avais vu tellement de choses au cours de mon existence, que je n'en fus pas tellement surpris. Cependant, une chose m'intriguait, je n'avais plus 20 ans, et mes amis non plus, si tant est qu'ils se souvenaient encore de notre amitié. Si Saori avait besoin de moi, encore une fois, comment refuser ?

Je mis mes dernières affaires en ordre et fis appeler le chevalier du Bélier. Chaque génération depuis Shion avait assuré la garde du domaine sacré, en tant que Pope ou par intérim. D' ailleurs, j'avais déjà fait appel à Kiki à de nombreuses reprises pour me remplacer quand j'étais absent.

Mis à part ses cheveux roux, le chevalier d'or du Bélier, qui était agenouillé devant moi, ressemblait beaucoup à Shion, chose qui n'était pourtant pas flagrante lorsqu'il était enfant : les mêmes traits, la même allure, les mêmes cheveux en bataille…

- Kiki, mon ami, je t'ai fait appeler car je dois m'absenter. Je ne sais pas combien de temps je serai absent, aussi, je me demandais si tu accepterais, encore une fois, la charge de gardien par intérim.

- Majesté, c'est toujours un honneur pour moi !

- Pas de « Majesté » entre nous, tu veux ? Tu sais que j'ai horreur de ça. Nous nous connaissons trop bien et avons pratiquement le même âge.

Puis voyant une légère trace d'inquiétude se dessiner sur son visage, j'ajoutais :

- Je pars en voyage ! J'ai envie de savoir ce que sont devenus mes anciens compagnons.

Il parut assez surpris par ce que je venais de dire. Même son expression de surprise me rappelait Shion, c'était vraiment surprenant !

- Je ne sais même pas si Hyoga est toujours en vie, vois-tu ? Et puis, j'ai besoin de m'éloigner. Alors, je peux compter sur toi ?

- Vous savez bien que oui. Mais tout de même, je n'aime pas vous savoir voyager seul. Je pourrais venir avec vous.

J'éclatais de rire. Mais plus d'un rire forcé, pour faire le brave, que franc. Son inquiétude me touchait, mais ne me surprenait plus.

- Ne t'inquiète pas, je ne suis pas encore foutu, seulement âgé. Et puis, je ne pars pas me battre, je vais voir mes amis. Je ne risque rien à prendre une tasse de thé.

Cette remarque le détendit et le fit sourire.

- Tu ressembles vraiment…

- Je sais, vous me l'avez déjà dit plusieurs fois, Mü aussi me l'avait dit, répondit il l'air assez fier.

- Et il pouvait être fier. Shion était resté une référence, lui succéder en tant que Pope n'avait pas été chose aisée.

Je partais l'esprit tranquille, laissant le domaine sacré entre de bonnes mains. Je pris la direction du Japon, là où résidaient Shun. Il était le seul à me donner des nouvelles. Je ne savais pas s'il accepterait de me suivre, vu qu'il avait définitivement abandonné la chevalerie. Au moins, j'étais sûr qu'il accepterait de me recevoir et peut être même d'écouter ce que j'avais à lui dire. Je prenais néanmoins le risque de me faire passer pour un demeuré. Je voyais d'ici la réaction de mes compagnons « mais enfin, Seiya ! Tu as fait tout ce chemin pour me dire ça ! Tu dors bien en ce moment ? ». Je ne savais pas encore comment j'allais leur présenter la chose sans les braquer et surtout en restant crédible. Ce n'était pas vraiment gagné.