Parfum intense et profond, lumière éblouissante et ravageuse, fontaine de whisky, de vodka sans oublier le brandy. Tel était le tempo de cette époque ravageuse. Époque d'après guerre où libération et folie cohabitaient pour façonner un intenable paradis. Tandis que les femmes raccourcissaient leurs jupes sans oublier leurs chevelures à la garçonne, cette société mondaine s'ouvrait à l'extravagance, au luxe, et à l'amour d'un tout nouveau genre. J'ouvris un de mes livres bien-aimés et commençai un fragment de lecture.
- Je sentais ma poitrine se fendre, mon cou se frayait un chemin parmi les mains sanglantes de mon amant. J'accrochai son regard comme un fil d'araignée qui glissait entre mes doigts. Les larmes coulaient sous le glissement de ma paupière. Je l'aimais, comme une lune qui ne pouvait briller sans l'éclat d'un soleil.
« Regarde moi. » marmonnai-je avec des lèvres humides.
C'est ainsi que, peu à peu, je me suis mis à dormir. Mais le bonheur chaotique auquel j'avais accoutumé mes lèvres, avait arraché les plumes de mes ailes. Je vais vous conter les mémoires d'un homme, dont on retrouva le corps dans un motel à la périphérie de Paris. Vous verrez, c'est un conte encore plus pétillant que celui de Cendrillon, mais malheureusement, les amants ne vécurent pas assez heureux et n'eurent jamais d'enfant. -
Chapitre 1
J'observais Paris de ma fenêtre, tout en faisant danser mon esprit sur le boléro du tourne disque qui diffusait la voix de Joséphine Baker. L'odeur du café réveillait mes narines engourdis tandis que la musique se chargeait de mon humeur. En cet été 1926, il n'était pas bon de se promener dans les rues de la capitale. Le champagne et le vin coulaient à flot et le nombre d'ivrognes sur les trottoirs de la ville était moins effrayant que ceux équipés d'une automobile. J'étais journaliste dans un grand journal parisien, Le Populaire. Je travaillais afin de m'y construire un nom mais j'avais également l'ambition de participer à la reconstruction de la France. Ma mère avait perdu la vie suite à la mort de mon père pendant la grande guerre. Orphelin, j'avais vécu avec une ami d'enfance, Mikasa. Ce qui m'avait toujours étonné chez elle, c'était son regard, il donner à voir une douce mélancolie que même la plus sublime des tristesses ne pouvait assouvir. Enfin, elle travaillait maintenant en tant que rédactrice en chef. Son talent pour le lyrisme et les mots avait fait d'elle une femme de lettre hors-pair. Mais là n'était pas la question, aujourd'hui il me fallait enquêter sur un lieutenant, Lévi Ackerman, il supervisait les actions de la Légion étrangère. Personne n'avait vu cet homme, on le connaissait de nom et on louait son courage et ses victoires. Il était une ombre glorieuse et meurtrière, un mythe, une légende ; une proie excellente pour notre journal. Cependant, des rumeurs circulaient sur ses relations. Relations d'un tout nouveau genre, un peu tabou mais dont les lecteurs étaient friand. Le téléphone se mit à sonner.
« Allô ! Eren Jaeger à l'appareil. »
« Eren ! c'est Armin. Est-ce que ce soir tu es libre pour m'accompagner ? »
« T'accompagner ? »
« Oui, Mikasa ne t'as pas prévenu ? Il y a un dîner mondain aux Argonautes.»
Eren soupira.
« Ce genre de soirée... »
Armin se mit à rire.
« Oui mais là ce sont tous les plus grands écrivains du siècles et les plus célèbres personnalités qui se donnent rendez-vous ! C'est une opportunité pour un journaliste qui veut se faire un nom. »
Eren plaqua le téléphone contre sa poitrine et se mit à réfléchir. Le rêve et le désir d'accomplir sa volonté avait planté dans sa cervelle la graine d'une détermination frissonnante. Il esquissai un sourire.
« Brûlons la chandelle par les deux bouts ! »
« Eh bien, tu vois quand tu veux ! » acheva Armin.
Chapitre 2
Lorsque la Terre se décrocha avec regret du soleil, le ciel se fendit et pleura des larmes écarlates témoin d'un monde à l'agonie. La pendule sonnait les vingt-et-une heure et je regardais toujours par cette fenêtre une ville aux mille est une couleurs. Le klaxon résonna et je m'empressai de descendre les marches. Arrivé dans le hall, je réajustais ma cravate et mon tailleur d'ébène. Un chauffeur ouvrit la porte.
« Monsieur est-il prêt ? »
« Je le suis. » répliquai-je.
Je montai dans la voiture et baissai la vitre. Je ne pouvais supporter les parois d'une voiture, je voyais en elles, une cage pour oiseau et même, une fenêtre à barreaux. Après quelques longues minutes, je me réveillai d'un délicieux sommeil. Le chauffeur descendit, fit le tour de l'auto et m'ouvrit la porte.
« Passait une bonne soirée monsieur. »
Un long tapis de pourpre venait embrasser mes chaussures italiennes. De jeunes catalpas étaient disposés autours de l'entrée. Je m'avançai en direction de la porte puis, au moment où je me préparai à saisir la poignée, un individu sortit avec précipitation et me bouscula.
« Vous pourriez faire attention ! » m'exclamai-je.
Je me retournai et tombai nez à nez avec Armin.
« Ah ! Eren, excuse-moi. J'avais oublié de t'envoyer une auto et j'ai un peu paniqué. » s'excusa-t-il. « Mais dis moi, comment tu as fait, tu es venu à pied ? »
Je le regardai avec étonnement.
« Non, j'ai pris une auto. Je croyais que c'était toi qui l'avait envoyée. »
Il regarda vers la rue.
« C'est peut-être Mikasa… de toute façon tu es là. Entrons avant qu'ils n'aient aspiré tous les verres de porto ! »
C'est ainsi que nous entrâmes. Le jazz américain s'accaparait de la raison et des cœurs des visiteurs d'un soir. Les femmes étaient vêtus de robes rectilignes coiffées de plûmes et de diamants. La rougeur de leurs lèvres aurait pu faire pâlir les plus sombres créatures de la nuit. Les danses, quant à elles, étaient des plus impressionnantes. On pouvait voir des hommes voltigeaient dans les airs, passer entre les jambes des femmes et descendre des bouteilles entières de brandy. Un serveur se précipita sur moi.
« Tenez monsieur ! C'est la maison qui offre. »
Il me tendit un verre, aussi grand qu'un rince doigt, où la vodka qui embrassait les parois avait laissé à jamais l'odeur de son poison. Armin me donna une grande tape dans le dos.
« Cul sec ! » s'exclama-t-il.
Chapitre 3
Je multipliai les coupes de champagnes, les verres de whisky, et les bouteilles de pastis. Mes yeux suivaient la ritournelle des danseuses et mon esprit paraissait fondre dans cet opium liquide. Les lustres m'éblouissaient et la symphonie, délice des enfers, réveillait en moi des talents de chorégraphe qui m'étaient inattendus. Après m'être délecté de cette réjouissance démoniaque, je me dirigeai vers le bar. J'apercevais deux individus dont les bavardages me paraissaient irrésistiblement attrayant.
« Alors messieurs ! De quoi parlez-vous ?! »
Un des deux hommes, grand, blond, me lança un regard amusé. Je lisais sur son torse : Erwin Smith.
« De rien, de rien. Lévi, tu es sûr de ne pas vouloir profiter de la soirée ? »
Je m'étonnai. Tel un idiot, je me suis mis à contempler cet homme, brun, le regard froid mais fascinant. Le visage jeune mais dure, la voix calme mais ferme.
« Vous êtes bel homme ! » m'exclamai-je.
Erwin tentait d'étouffer son rire.
« Alors Ackerman, voilà une avance digne de ce nom. »
Je lâchai mon verre.
« Lévi Ackerman ! C'est vous ! »
Il me tourna les talons et dit à haute voix :
« Les gens de votre espèce me répugne. »
Le fracas de ces paroles fit naître en mon esprit une bombe à retardement dont les effets se multipliaient sous l'emprise de l'alcool. Étant à proximité du bar, je saisissais un des verres gorgé de liquide et le rattrapait.
« Retournez-vous Ackerman ! »
Il sortit une cigarette et tout en m'ignorant, l'alluma. Consommé par une étrange rancœur, je lui saisissais le bas de sa veste et la tirai vers moi. Par réflexe, il se retourna subitement avec la jambe positionnée pour m'offrir un coup de pied. Mais avant même que celui-ci ne m'atteigne, je déversai sur son visage l'ensemble du verre. Un frisson me traversa le dos et pendant quelques secondes qui me parurent interminables, nous nous regardâmes sans prononcer un seul mot. Subitement, et dans l'incompréhension la plus totale, j'éclatai de rire sous le nez de cet élégant prédateur. J'avais malheureusement oublié un des inconvénients de l'ivresse, notamment l'aversion qu'avait le sujet à découvrir la dentelle de sa pensée.
« Alons Ackerman, il ne faut pas se mettre à rougir ! Il me fallait faire redescendre vos ardeurs ! » m'égosillai-je imbu de moi-même.
« Mes ardeurs... »
Il me saisit par l'entre jambe et rapprocha mon bassin du sien. Le beau monde s'étant dilué dans l'alcool et l'éclat des saxophones, était devenu aveugle et insensible à cet étrange spectacle. Paralysé, il s'approcha de mon oreille et susurra :
« Tu ne sais pas qui je suis , petit. »
J'arrivai à déplacer ma main vers le haut de son crâne. J'attrapai ses cheveux et tentai de retrouver mon équilibre. Je prononçai avec difficulté :
« C'est ça le mythe… T'es vraiment un petit con… Tu vas faire quoi, hein… Lâche moi... »
L'alcool m'était monté d'un coup. Tel le doux fracas d'un vase sur un crâne de verre, je sentais ma pensée se fissurée et voyais des ondulations là où la géométrie avait élu domicile. Mon corps s'écroula sur le lieutenant et mon visage caressa le sien. Mais durant cette accolade, mes lèvres humides eurent le temps de faucher les siennes. Erwin après avoir déambulé sur le bar revint voir Lévi qui me portait sur son épaule.
« Ah ! Il a pas fait long feu. » dit-il avec un sourire malicieux.
« Je rentre. » répliqua le lieutenant.
« Laisse le là, son ami viendra le prendre. » ajouta Erwin en achevant son verre.
Ne détournant pas son regard de la sortie, Lévi conclua avec un sourire méprisant.
« Non, je vais m'amuser un peu. »
