Playlist
« Je te déteste » Vianney
« Differents roads » Joe Cocker
« Je vole » reprise de Marina Kaye (chanson originale de Céline Dion)
« Apologize » One républic
« English rose » Ed Sheeran
« Marie » Johnny Hallyday
Chapitre 1
Point de vue d'Ella
Dans un couloir de l'hôpital de Solaria…
Mes yeux se sont fermés doucement avant que je ne me réveille un peu désorientée, l'esprit embrumé, sans comprendre réellement l'agitation autour de moi. Ma tête est posée sur le mur de la salle d'attente à la tapisserie verte, décolorée par le soleil. Les stores sont vieux, décolorés aussi par la chaleur du soleil. Des magazines sont empilés sur une table au milieu de la pièce. On dirait que je suis sous médicaments. Je regarde dans le vide sans porter une attention particulière à l'environnement qui m'entoure. Le tic tac de la pendule de la salle d'attente m'insupporte. Le son résonne dans ma tête. Tic tac. Tic tac. J'ai suffisamment surveillé les aiguilles qui bougent pour savoir que les nouvelles viennent au compte gouttes. La lumière des néons me font mal aux yeux. La lumière naturelle me manque. Mes yeux se fixent sur l'ouverture en direction du couloir, là où les urgences se passent, là où les gens s'informent et où l'agitation prend du sens.
Dans un couloir, il y a de l'agitation, sûrement une urgence dans une chambre proche de là où je suis. Des infirmiers s'échangent des informations correspondant au patient. Je ne sais pas de qui il pourrait s'agir. Si c'était Rose ? Si elle ne sortait pas de l'hôpital à cause d'un problème supplémentaire ? Peut-être que je me fais des films ? Je baisse les yeux vers le sol. L'espoir n'est pas de mon côté. Il me semble si loin. Et le temps semble s'être arrêté. Et c'est dur de le penser. Je suis d'humeur plus optimiste d'habitude mais les choses ont changé avec la maladie de Rose. Rien n'est plus comme avant. On a beau faire en sorte que la vie reste inchangée. Ce n'est qu'une illusion. Une fois que la maladie s'installe, le cours de l'existence n'est plus le même. Inutile de le nier. C'est vrai. Il faut l'admettre.
Je tente de faire rire ma sœur, de l'écouter quand il le faut et lui parler d'autre chose que de son état. Je conçois que Rose ait besoin de parler de choses parfois futiles. Dans ces moments là, elle sourit. Elle est joyeuse de nature. Je la connais par cœur. Son traitement est difficile à gérer et plus fort que le premier. Je le sais. Elle sait que je m'inquiète. Elle reste tout de même combative. Parfois plus que moi. Certains jours, je n'ai pas envie de sortir de chez moi car la charge mentale me pèse. J'en ai marre de penser à diverses choses sans pour autant penser à moi. Rose est moi. Nous sommes complémentaires. Moi sans elle, ce n'est pas possible.
« Tu attends quelqu'un ? ».
Je regarde celui qui me fait face. Il s'agit d'un infirmier. Il me sourit poliment et j'explique pourquoi je suis ici. Il est vrai que ce n'est pas l'endroit pour dormir. Il sait ce que c'est d'attendre, d'être dans l'incertitude et de voir des proches assis sur une chaise, un banc qui tentent de chercher une réponse qui ne viendra jamais les les yeux d'un médecin ou d'un infirmier. Dans les hôpitaux, nous sommes obligés d'attendre. Les heures paraissent des minutes et les minutes des secondes. C'est très étrange.
« Ma sœur ».
Je sors de la salle d'attente, il faut que je trouve la chambre de Rose. Tant pis, je n'ai plus le temps de patienter qu'un médecin vienne me chercher ou me donne des informations avant de disparaitre aussitôt. Mes membres sont engourdis et des fourmis me parcourent le corps, comme si je ne ressens pas le moindre effet bénéfique du sommeil. Être ici ne me donne pas l'impression que la vie ait un sens. C'est horrible à dire parce qu'un hôpital est un lieu dédié aux soins. Tout le matériel nécessaire est là pour sauver des vies. Le destin est capable d'en décider autrement.
« Je ne peux pas t'aider, on m'attend en salle d'examen pour une radio mais demande des renseignements à mes collègues ».
Mon regard se dirige vers les numéros des portes des chambres. Des regards me dévisagent, sans prendre la peine de me demander ce que je cherche.
Je finis par trouver la chambre de Rose. Le regard rivé vers ma sœur, je tente de comprendre pourquoi ce sont des branchements à des machines qui l'aident à respirer. À ma dernière visite, elle respirait seule. Sa poitrine monte et descend lentement, ma soeur ne semble pas réveillée. Elle doit s'être endormie. Ma respiration s'accélère, mes pensées sont confuses, mes lèvres sont sèches, je passe la porte en étant muette. Je reporte mon regard sur les autres personnes qui déambulent dans le couloir. Je ne sais pas quoi dire. On me regarde d'un air grave, comme absent. Ils ne semblent pas réaliser l'ampleur de la nouvelle qu'ils s'apprêtent à me dire. Mon regard se pose directement sur le doux visage de Rose. J'ai besoin de lui dire, de la serrer aussi fort que possible dans mes bras. Impossible, elle dort. Elle semble dormir en tout cas. Maman est près de moi. Je ne sens pas sa main posée sur mon épaule pour me rassurer. Papa est en train de discuter avec les infirmiers.
« L'état de Rose... » me dit une infirmière, le regard grave. « Ça a été compliqué ».
Elle se met à ma hauteur. « Je n'ai plus cinq ans » ai-je envie de lui dire mais je m'abstiens.
« Nous pouvions plus agir ».
Elle est rassurante avec moi. Elle m'explique que Rose n'a pas souffert, qu'elle a souhaité nous dire quelques mots avant de s'endormir pour toujours. L'infirmière me les récite, comme une poésie à l'école primaire. Les mots de Rose ont une saveur spéciale. Ce ne sont pas n'importe lesquels, ce sont les derniers, les plus importants et les seuls que je vais retenir. Sa voix cristalline ne sera plus qu'un souvenir qui s'effacera de mon esprit au fil des années. Rien ne pourrait changer ça, il s'agit d'un phénomène naturel, la vie reprend son cours, on ne peut penser à l'être perdu pendant des années. Ils vivent pour la personne disparue et non plus pour eux. Pour eux, c'est déjà terminé.
« Vous ne pouvez pas me dire ça ».
« Je suis désolée ».
« Tu ne peux pas » répétais-je trois fois. « Sans toi Rose, je sers à quoi ? ».
Tout est terminé. Rose est dans un monde plus paisible, un monde meilleur sans doute, sans contraintes.
Je ne comprends pas.
Je ne comprendrai jamais.
Je ne suis pas non plus certaine de vouloir comprendre.
Tout change, mon esprit est brouillé. Je n'ai pas envie de parler. Il n'y a pas grand chose à dire. Les larmes perlent mon visage de plus en plus. Je ne les contrôles pas.
Je n'aurais pas pensé que la vie puisse être chamboulée à ce point, pas en quelques minutes. J'en ai la preuve, Rose n'est plus là.
Sa présence était indispensable à la maison, elle nous faisait rire, elle aimait la vie. Je fais partie du monde du Soleil, un élément naturel qui réchauffe les cœurs, qui apporte de la joie, qui aide au maintient du moral. Il brûle et tue aussi. Cet élément naturel fait partie de ma vie, il me maintien en vie. Sauf qu'il ne fait pas son travail, avec la perte de Rose, mon monde s'écroule, comme un château de cartes. D'un simple geste, les cartes basculent, le destin change. Et ça fait très mal. Une partie de moi n'existe plus.
Les parents m'appellent depuis le couloir. Ils veulent m'épargner.
Je suis assez grande.
« Tu es trop jeune pour être confrontée à ça ».
« Tout le monde est trop jeune pour être confronté à ça ».
Je n'ai aucune idée de la suite. Ne pas y penser pour le moment. Je m'assois sur le sol du couloir, incapable de dire quoique ce soit et les larmes continuent de perler mon visage. Je n'ai plus envie de discuter, de sourire, juste pleurer pendant des heures jusqu'à ce que mes yeux soient rouges et me piquent.
Je décide de passer un coup de fils à ma meilleure amie. Il faut que je lui parle. Il faut qu'elle soit mise au courant.
Sa messagerie vocale me fait mal, j'espérais entendre sa voix et non celle d'un robot.
« Nova » dis-je. « Il y a des jours où ça va et des jours où ça ne ça pas, aujourd'hui ça ne va pas du tout. Si tu as ce message, rappelle moi ».
Je ne sais plus quoi dire. Le ciel me tombe sur la tête. Mon monde s'écroule. Plus aucune carte n'est entre mes mains. Je ne peux plus rien faire.
Mon téléphone se rallume. Un message vocale s'affiche sur l'écran d'accueil. Nova.
« Ella, je viens d'écouter ton message, qu'est-ce qu'il se passe ? Tu as eu des nouvelles de Rose ? Je te rappelle dans cinq minutes ».
Il faut que je sorte du bâtiment, le réseau n'est pas bon ici. L'hôpital. Je suis les panneaux de circulation du bâtiment « ascenseur », « sortie ».
Une fois dehors, mon téléphone capte enfin du réseau et le nom de Jeanne apparait.
« Allô ? Que se passe t-il Ella ? ».
« C'est Rose » dis-je la gorge serrée.
« Comment ça Rose ? Tu as des nouvelles ? ».
« Elle n'est plus là Nova » dis-je en prenant une profonde inspiration sans pour autant réussir à retenir mes larmes. « C'est terminé ».
« Comment ça, c'est terminé ? C'est pas vrai ? Non » dit-elle sans savoir quoi répondre. « Je suis désolée. Sincèrement désolée ma belle. Tu es toujours à l'hôpital ? ».
« Oui » sanglotais-je. « Dehors ».
« Attends moi devant la porte d'entrée du bâtiment, j'arrive ».
Nova raccroche la première. Je suis toujours devant la porte d'entrée, tremblante. Je n'ai pas envie de m'asseoir sur le banc mais de courir le plus loin possible de cet endroit.
« Rose n'est plus là » est la phrase qui m'arrache le cœur. Je ne me fais pas à cette idée. Jamais. Je tente de réguler ma respiration, pour garder un minimum de sang froid. Mes yeux sont rouge, les larmes coulent le long de mon visage. Je m'essuie le visage à l'aide de ma manche.
« J'ai fait au plus vite Ella » dit une voix familière qui me tire de mes pensées. Nova se précipite dans mes bras. « Je ne te lâche plus » dit-elle. « Je suis désolée, sincèrement désolée ».
« Merci » dis-je émue.
« C'est arrivée il y a combien de temps ? ».
« Cette nuit apparemment ».
« C'est pas vrai » dit-elle le visage entre ses mains.
« Elle n'a pas souffert Nova ».
« Elle avait quasiment terminé son traitement non ? ».
« Le cancer était trop important, les récidives ne pardonnent pas. Pas dans son cas en tout cas ».
« Qu'est-ce-que je peux faire ? ».
« Je » dis-je sans savoir quoi répondre.
« Viens » dit-elle en me prenant à nouveau dans ses bras.
Trois semaines plus tard…
Le manque profond est la sensation la plus horrible qui soit. Elle vous obsède. Ces derniers temps, j'ai l'impression d'être un robot. J'agis pour Rose et non pour moi. Mes journées se ressemblent.
Je n'arrive pas à me faire à cette idée.
L'eau chaude coule le long de ma tête sans que je ne réagisse. D'apparence sûre de moi, toujours d'après les autres, ce n'est pas le cas. Je suis une vraie éponge, trop sensible parfois, c'est dans ma nature. Je ne montre pas beaucoup cette phase de moi-même, par peur je pense d'être jugée. Lorsque l'on me connait bien, on s'aperçoit que la sensibilité fait partie de mon caractère.
Il me faut du temps pour remonter à la surface. Je ne suis pas encore prête à sortir de chez moi. Il va pourtant falloir mettre le nez dehors. Je ne peux rester indéfiniment entre ces quatre murs, les cours reprennent bientôt, mon année ne se validera pas en un coup de baguette magique.
Une fois séchée, habillée, coiffée à l'aide d'une barrette sur le côté de ma tête pour retenir une mèche qui m'agace, je décide de prendre le soleil.
Je me mets en route vers le jardin, cela me fera penser à autre chose. L'été se termine et les parfums de fleurs me consolent. Je pense à Flora. Rose aussi aimait les fleurs. Elles se seraient bien entendues. Les fleurs coupées, encore recouvertes de la rosée du matin, disposées dans un joli vase. Rose aimait se lever très tôt pour réaliser des bouquets de fleurs sauvages, elle magnait l'harmonie des couleurs. Son regard se portait sur l'horizon, son désir de vivre le moment présent, Rose croyait en un avenir heureux.
Mes idées sont brouillées dans mon esprit. Je me demande pourquoi je n'ai pas prévenu mes amis pour ta disparition ou une autre personne de la famille, une personne de confiance ? La réponse me saute aux yeux, elle est évidente. Je refuse d'entendre des discours sans émotions. Des discours qui n'auront pas de sens avec ce que Rose est vraiment, ils ne la connaissent pas. Je ne peux pas supporter des regards de pitié, des regards compatissants par politesse en apparence parce qu'ils ne connaissent pas la personnalité de Rose.
Des fois, on a envie de se confier parce que l'on en ressent le besoin et parfois pas du tout, par manque de confiance et parce que l'on ne se sent pas prêt. Dans mon cas, je ne dis rien pour me préserver, parce que je ne suis pas capable de formuler le moindre mot.
« N'y pense pas » me dit ma mère.
« Je ne cesse d'y penser » dis-je le regard perdu dans le vide.
« Je sais » dit-elle en s'installant à mes côtés. « Elle t'aime, sois en certaine ».
« Nous l'aimons tous ».
« Ella, tu ne peux surmonter cela seule ».
« Je ne suis pas seule » dis-je en regardant ma mère.
« Je n'ai pas toutes les réponses à tes questions ».
« Est-ce qu'il y en a ? ».
« Le temps te permettra d'y répondre, peut-être pour certaines mais pour d'autres je ne sais pas ».
« C'est quoi la suite ? ».
« Pense à toi maintenant, il est temps ».
À ma fenêtre, je constate que le soleil se couche. Il est orange ce soir. La couleur préférée de Rose.
« Tu crois que la douleur s'apaisera ? ».
« Non. On s'habitue seulement à l'absence. On oublie jamais. Par moment, la douleur pointera le bout de son nez. La présence de Rose t'aidera à passer ce cap difficile ».
Ma mère me sourit, essuie une larme du revers de son pouce contre ma joue. Elle garde quand même espoir, d'un avenir moins sombre peut-être et de jours plus heureux que ceux que nous traversons. Rose sera toujours avec nous. Nous l'aimons et elle le sait, c'est tout ce qui m'importe actuellement.
« Tu devrais te reposer » dit-elle en embrassant ma main. « Il est tard ».
Je ne sais pas de quoi demain sera fait. Et je ne pense pas que mes parents le savent non plus. On dit qu'il faut rebondir mais pas quand exactement. Je me pose la question.
« Demain est un autre jour » murmure t-elle en passant la porte de ma chambre.
C'est toujours ce que l'on dit, « demain sera un autre jour », un nouveau chapitre commence.
La pleine lune ne m'aide pas à trouver le sommeil. Cela dure depuis un moment.
« Je t'aime » murmurais-je avant de sombrer definivement dans les bras de Morphée. Mon rêve porte encore sur Rose.
