Il refusait d'ouvrir les yeux. Il s'entêtait à ne pas vouloir voir le monde, affreux et laid. Le monde le détestait, et ça, il le savait, il le sentait. Son cœur lui hurlait qu'il avait mal, mais il n'a qu'à chanter autant qu'il le veut, il ne l'écoutera pas, il ne l'écoutera plus. Il lui avait trop menti, il l'avait mené en bateau. Il l'a noyé d'illusions et bercé de mensonges. C'est de sa faute s'il en est arrivé ici. Et puis d'ailleurs, il n'a jamais demandé d'avoir un cœur, on lui en a donné un, mais jamais personne ne s'est intéressé à son avis. Puisque c'est comme ça, il le jettera, ce cœur de malheur. Qu'il vole au vent et aille au diable ! Ses oreilles lui sifflaient des choses, mais il ne souhaitait que les couper. Elles l'avaient confronté à des horreurs.

Il aurait voulu ne pas exister. Pourquoi ? Il ne le savait pas lui même. Sa vie se passait bien. Tout était parfait. Il se souvenait encore du goût de la tarte au pommes de sa maman. Un goût bien terne. La douceur de ce plat l'envelopperait pour le reste de sa vie. Et puis, si sa vie cessait, il en serait bien content. Il ne désirait plus ce cadeau. Trop doux, trop généreux. Et puis, à quoi sert la vie ? On lui a toujours répété que lors de la fin de sa vie, les liens qu'il possédait avec d'autres personnes s'effaceraient, pour ne pas qu'il souffre de leur châtiment. Certaines personnes se réjouissaient de ça, lui non. Sa vie n'aurait plus aucun sens, elle serait réduite à néant. Ce qui le définissait en tant que personne allait disparaître. Il espère qu'il aura au moins une importance, mais il ne sait pas pour quoi. Il ne savait pas pour quel but il souffrait chaque jour, et ça lui faisait peur. Il avait peur. Vivre lui faisait peur, car vivre n'existe que lorsqu'on meurt, et lorsqu'on meurt, la vie n'existe plus.

On le pensait fou. Il ne comprenait pas le terme fou. Serait-ce une maladie ? Non, le terme ''malade'' aurait été utilisé. Tant qu'il n'était pas malade, il s'en fichait. Cela voulait dire qu'il ne mourrait pas.

Il se rappelait avoir été perdu, adolescent. Les filles se faisaient belles pour les garçons, les garçons se faisaient beaux pour les filles. Ils voulaient se prouver que des gens pouvaient les aimer. Il n'aimait pas les gens fiers, il les haïssait. On le pensait asocial. Arrivé au lycée, lorsque qu'il fut révélé qu'il était encore pur, on le pensait asexuel. Il se pensait juste normal. On se moquait de lui et de ses passions bizarres. Et lui, il n'en était pas sûr, mais il pense qu'il en pleurait. On pointait du doigt son apparence. Son être entier. Il se sentait fatigué.

Il se rappelait avoir été traîné à une fête par sa mère, qui craignait de le voir seul. Il avait horreur du bruit. Suite à plusieurs évènements, on l'avait forcé à retirer son t-shirt, à côté d'autres garçons qui faisaient de même. Les côtes apparentes effrayèrent les adolescents qui s'en moquaient.

Il se souvenait qu'on lui avait fait manger quelque chose. Il n'était pas sûr du goût, mais il éprouvait une grande envie de vomir. On lui avait fait boire quelque chose par la suite. Il voulait rentrer chez lui. Il ne voulait pas décevoir sa mère, alors il resta. Il était fatigué, alors il ferma les yeux. Et à présent, il ne voulait plus les rouvrir. Il avait peur. Son souffle aussi avait peur, alors il a décidé de s'enfuir. Son cœur, le traître, il l'avait réduit à néant. Tant pis. Il se sentait secoué, par quelque chose. Il s'en fichait. Il ne savait pas ce qui serait en face de lui. Mais il était sûr d'une chose. Ça serait laid. Comme tout ce qui était dans ce monde. Comme lui. Il ne voulait pas voir son reflet, il ne voulait pas se voir. C'est pourquoi il refusait d'ouvrir les yeux.