Chapitre I
Des candidats, une moisson, deux tributs
A mon réveil, tout ce que je trouve à ma droite est la toile épaisse du matelas. Ma sœur a dû se glisser dans le lit de ma mère, encore. C'est ce qu'elle fait tout le temps lorsqu'elle fait un mauvais rêve. Normal, c'est le jour de la moisson. Ce jour là, qui n'en ferait pas, de cauchemar ? Les riches du district bien sûr. Ces gens qui 'ont pas à subir la famine ou à vendre leur nom à la moisson ( et ont donc plus de chances d'être choisi) en échange de quelques vivres chaque mois. Sans oublier le poisson, tout a fait abondant ici au district Quatre.
Après, il y a toujours les gens qui arrivent à se le procurer sans se faire remarquer. Le vol. Un des crimes considérés comme « grave » ; autrement dit, la peine capitale.
Mais nous, nous ne sommespas riches et nous ne voulons rien savoir de cette ville que l'on appelle le Capitole. La capitale de Panem. Notre capitale. Celle qui nous oblige à nous entretuer, simplement pour distraire ses habitants. Le blé, lui, ne vient pas du capitole. C'est le district Neuf qui le produit. Le district des champs, d'après ce qu'on nous apprend à l'école. Mais à seize ans, j'ai quand même appris à me faire une idée de notre patrie, je ne gobe pas tout ce qu'ils disent là-bas.
Pour subvenir à nos besoins, je m'échappe du district. Je chasse. Je pêche. C'est interdit mais comment faire autrement ? Notre mère ne vend plus rien depuis que nous sommes devenues les médecins attitrées des pauvres. Ses médicaments, ses breuvages pharmaceutiques ne lui rapportent plus rien. C'est compréhensible puisque tout ce que les pauvres ont à offrir est leur gratitude. Et comme si ce n'était pas assez, notre père, victime d'un accident marin, est invalide et ne peut rien pour aider la famille à subsister. Il est cloué au lit, et ne dit pratiquement plus rien. Je suis si désolée d'avoir vu mon père, l'être que j'ai tant aimé et qui m'a tant appris, se transformer en quelqu'un d'autre.
Je me lève du lit et j'enfile mes bottes en cuir usé. Je ne sais combien de fois elles ont déjà pris l'eau mais elles sont toujours en vie, c'est le principal. Je me prépare à sortir, sans oublier de laisser un mot à ma mère et à ma soeur Prim. Cette petite Prim. Elle n'a que douze ans mais elle ressemble déjà tellement à ma mère. Les mêmes cheveux blonds, les mêmes yeux bleus. Tout ce qui les différencie, ce sont le nombre de rides qui sillonnent le long du front de notre mère. Elles m'ont d'ailleurs laissé un joli petit fromage de chèvre sur la table. Hmmm, ça fera un bon petit déjeuner pour ce beau jour de printemps.
Le temps que je descende la falaise, le soleil point à l'horizon. Plus que quelque pas et je serai en face de ce grillage que tout le monde redoute. Pour le passer, il me suffit de me faufiler par le trou que j'ai repéré il y a bien longtemps. Le chemin habituel quoi. Une fois dans le bois, la jungle comme l'appelle Finnick, je récupère mon arc et je cours jusqu'à notre point de rendez-vous. Et comme prévu, mon ami m'y attend déjà. Bien que déjà à l'œuvre, il ne paraît pas bien fatigué. En réalité, pêcher est comme un jeu pour Finnick. Quand on le voit agiter son trident avec son petit sourire narquois sur son beau visage bronzé, on pourrait presque le confondre avec un enfant qui sort son premier pain du four.
Oui parce qu'ici, c'est une tradition. A l'âge de douze ans, les enfants des quartiers riches pétrissent leur premier pain de sel avec leur père pour affirmer leurs capacités.
C'est à ce moment là que les jeunes montrent enfin à leurs parents de quoi ils sont capables. Fiers comme des paons de leur premier pain, plutôt médiocre, les enfants finissent souvent par pleurer sous la colère déchaînée de leur maître, pour lequel un pain médiocre n'est pas suffisant. Une tradition tout à fait méprisable mais assez drôle quand on voit tous ces petits visages désolés. Ils n'ont vraiment rien d'autre à faire ces gens.
« Hey, Finnick, je lui lance, on ferait mieux de partir chasser le dîner de ce soir. J'ai pas envie de me ramener avec la récolte habituelle de poisson fade.
-Bien, mais laisse moi le temps de ranger mon trident. Et puis, je ne vois vraiment pas ce qui te dérange chez ces poissons. Je te rappelle que ça va faire quatre ans qu'ils te nourrissent. Un peu de reconnaissance.
-Oui, oui, c'est ça. Allez vas chercher ton arc.
L'arme de prédilection de Finnick est le trident, bien sûr, mais je lui ai appris à se servir d'un arc dès notre rencontre. C'était un jour d'hiver, il me semble. Ici toutes les saisons se ressemblent tellement : l'humidité et la chaleur sont partout, qu'on soit en été ou en hiver. Je venais de subir la mort de mon père : c'est lui qui m'a beaucoup appris de la chasse. Mais là, c'était la première fois que j'osais m'introduire dans ce fameux trou du grillage pour partir vers l'inconnu, désespérément seule et affamée. Je me suis avancée jusqu'à la plage, la petite baie que je connaissais si bien. Il était là. Il nettoyait ses proies. La première chose qu'il m'ait dite c'est : « Alors, on a faim ? ». Pas besoin d'être très observateur pour voir que je n'avais pas vu de viande dans mon assiette depuis longtemps. Puis on partagé son repas tout en faisant connaissance. J'ai vite appris que lui aussi -en quelque sorte avait en perdu son père dans la terrible tempête qui a frappé notre district et a fait échouer le bateau de pêche dans lequel nos pères avaient embarqué. Ils étaient marins et pêcheurs. Tous les deux. D'ordinaire, ici, les hommes vont travailler au port, porter la marchandise dans les navires et tout le reste. Mais pas nos pères. Je me suis toujours posé la question : pourquoi ? Pourquoi eux ? Mais jamais je n'ai obtenu de réponse. Peut-être ne seraient-ils pas, l'un blessé, l'autre mort aujourd'hui s'ils avaient fait comme tout le monde. La pêche c'est pour les commerçants ou les professionnels, ceux qui sont engagés pour faire parvenir la marchandise fraîchement pêchée au train, en route vers le Capitole.
Depuis notre rencontre, Finnick et moi chassions ensemble, tout le temps. On s'est vite aperçus que nous étions deux personnes très complémentaires, malgré nos tensions. Au début, on se disputait souvent le butin de notre chasse jusqu'à ce que ça s'arrête, tout naturellement. Je ne me souviens même plus comment ça a pris fin. Et depuis, nous n'avons fait que peaufiner notre technique de chasse.
Les pièges sont une très bonne arme mais je prends un malin plaisir à tirer le gibier pile au milieu de l'œil avec mes flèches. Alors nous partons. Et le résultat n'est pas mauvais. On a empoché trois gros lapins, un dindon sauvage, et les quelques poissons de Finnick. Sans oublier toutes les plantes médicinales qu'on a trouvées pour ma mère. On est même allés chercher des grenades pour le dessert de ce soir. Je compte d'ailleurs me surpasser pour cette occasion très spéciale. Ne pas être tiré au sort est un cadeau qui doit être marqué, donc toutes les familles essayent d'en faire une soirée sympa à l'exception de celles des deux tributs. Eux, ferment leurs volets et on ne les revoit que le lendemain, en route pour le travail. J'espère que ça ne sera pas le cas pour nos deux familles à nous.
On se dépêche de rentrer, on fait un tour à la plaque pour vendre notre butin -du moins ce dont on peut se passer- et nous regagnons notre quartier de banlieue. Je rentre dans notre taudis et laisse tomber ma besace par terre.
« Te voilà, me dit ma mère. Je t'ai fait chauffer de l'eau pour ton bain. »
Un froid s'est installé entre nous depuis son attitude après la mort de mon père, mais j'ai appris à ne pas toujours rejeter son aide. Alors j'obéis.
Une fois propre, ma mère me désigne sa robe bleue du temps de la pharmacie.
« Tu n'as qu'à mettre celle-là.
-Tu es sûre ?
-Oui, pas de problème. »
Ses réponses sont aussi brèves que dénuées d'émotion. Mais j'accepte.
« Oh, tu es trop belle, Katniss, me dit ma sœur en poussant un soupir d'émerveillement. J'aimerais tellement te ressembler.
-Tu sais que tu es la plus gentille des petites sœurs du monde, toi ?
-Hi hi, et toi la plus belle. »
Je l'aime. Ce ne sont pas ses compliments qui me touchent tant. Eux sont ponctuels. C'est plutôt son intégrité, sa tendresse. Prim est tellement…Prim. Soudain, je ressens un immense soulagement à l'idée que son nom ne puisse pas être tiré pendant la cérémonie qui approche. La chance n'est pas inexistante mais incroyablement mince, vu qu'il n'est inscrit qu'une seule fois.
-Allez Katniss, il faut y aller, me dit doucement ma soeur.
Je me lève, et suis Prim dans la pièce d'à côté afin de dire au revoir (du moins, un au revoir, je l'espère) à mon père qui ne peut nous accompagner sur la place. Ses yeux presque éteints reprennent de l'éclat à mesure que nous avançons dans la chambre. Il comprend pourquoi nous sommes là toutes les deux, j'en suis sûre. Nous allons le voir ainsi vêtues une fois par an seulement après tout. Or cette fois, ses lèvres se mettent à remuer et je l'entends murmurer :
-Soyez fortes toutes les deux. Vous savez que je vous aime n'est ce pas ?
A ces mots, Prim me jette un regard empli de joie mêlé d'espoir.
Soudain, il nous tend les bras, et ma sœur et moi n'hésitons pas à nous y lover, l'instant d'une minute, une minute de pur bonheur. C'était avoir l'impression qu'il soit vraiment revenu parmi nous, prêt à assurer sa place de père... Ce qui n'est qu'illusion, mais m'emplit d'un courage nouveau.
Il nous chuchote tendrement à l'oreille : "On se reverra bientôt".
La porte claque. Toutes les trois, ma sœur ma mère et moi, nous rendons ensemble sur la Grand Place, le cœur rempli de douceur et d'un certaine sérénité suite à cet épisode bouleversant. L'endroit est noir de monde à l'évidence. Une estrade a été érigée devant l'hôtel de de ville et les drapeaux du Capitole sont accrochés sur les murs des bâtiments. Il y en a partout. Primerose enlace notre mère avant de venir se ranger dans la queue, en attendant de se faire enregistrer. En l'observant, je me dis que je la trouve extrêmement courageuse pour sa première moisson. Je remarque néanmoins la panique sur son visage donc je la prends dans mes bras et nous restons ainsi pendant quelques minutes sans rien dire avant d'être bousculées par la foule de jeunes qui commence à se caler entre les cordons. J'entends le micro bourdonner mais je ne vois plus ma sœur. Elle a dû se laisser emporter par le flux de personnes. La cérémonie va commencer. Le maire se lève et fait un bref signe de la main à la foule avant d'entamer son discours habituel. Puis c'est au tour de Lemy, l'hôtesse du Quatre, de se présenter avant de lancer d'une voie joviale :
« Je vous souhaite de joyeux Hunger Games, et que le sort puisse vous être favorable. »
Son accent du Capitole rend cette phrase encore plus drôle. Mais pour qui ces Jeux vont être agréables ? Personne ici ne passe de « joyeux Hunger Games ». Ce sont les gens du Capitole que ça amuse de jeter vingt-quatre tributs dans une arène afin qu'ils s'entre-tuent jusqu'à ce qu'il n'en reste plus qu'un.
Mes idées se précipitent et avant que je n'aie le temps de prier pour…
-Primerose Everdeen !
