Disclaimer : à William Joyce et DreamWorks Animation pour Rise of the Guardians (Les cinq légendes) / à Cressida Cowell et DreamWorks Animation pour How to train your Dragon (Dragons).

Note : UA, romance d'été (même si elle se déroule sur un an) entre Jack Frost et Hiccup Horrendous Haddock III, soit les deux protagonistes principaux des deux fandoms nommés en disclaimer, avec juste une pointe de angst et j'espère assez d'humour pour faire passer le tout, écrite pour my sweet pea parce que je l'aime d'amour. Slash forcément mais rating assez sage, avec tout plein de personnages secondaires casés à la va-comme-je-te-pousse pour qu'ils se trouvent une place dans l'histoire. Mise à jour régulière (si tout va bien), pour que la fic se termine en même temps que l'été...


Jack est en plein vol.

Il hait ça avec force, de ne pas toucher le sol, il déteste tout autant les voyages en car, en train ou à l'arrière du pick-up de Patti, son assistante sociale, ce n'est donc pas tant l'altitude qui l'angoisse que la notion de déplacement, encore et encore, parce que c'est ce qu'il fait depuis qu'il a cinq ans, se déplacer. Cette fois-ci est la plus longue, il quitte carrément le pays, change même de continent, traverse un océan, tout ça certainement pour que les Etats-Unis d'Amérique cesse de se soucier du cas Jack Frost pendant une durée non négociable d'un an.

Un an dans un nouveau pays, un an dans une autre famille... une longue, très longue année pendant laquelle il n'aura pas d'autre choix que de se faire accepter.

Patti lui a recommandé de se distraire l'esprit pendant les quelques huit ou neuf heures d'avion, d'éviter de penser trop comme il en a l'habitude, de ne pas réévaluer sa vie au travers du fait qu'il change encore de foyer. Il essaie de son mieux de suivre son conseil, feuillette des magazines, prétend s'intéresser à la conversation de sa voisine, une anglaise dont la peur transpire jusqu'à se perdre dans ses sourcils dessinés trop fin et qui lui écrase les phalanges au moment du décollage.

Il essaie de se convaincre que, cette fois, c'est différent, que les adultes qui vont l'héberger ne prétendront pas qu'il est reçu chez eux comme s'il faisait partie de la famille. Il a entendu ce laïus tant de fois qu'il peut encore répéter certaines phrases de bienvenue comme s'il venait de les écouter, la pire phrase restant sans aucune concurrence celle prononcée par Josh, qui prétendait faire de lui "une pièce de plus au grand puzzle de la vie" évoquant sans doute plutôt ainsi qu'il trouverait sans doute sa place dans le trou à rats où il avait l'intention de le faire vivre. Josh était certainement un des pires parents d'accueil chez qui il avait eu le déplaisir de résider, mélange épouvantable de stupidité et d'inconscience qui l'invitait, à douze ans, à fumer des joints avec lui sous le prétexte que c'était tout ce que les pères cools auraient dû faire avec leurs mômes, histoire de rapprocher les générations... il n'avait eu aucun mal à le moucharder auprès de Patti, celui-là.

Cette fois-ci, oui, c'est différent... il ne sera pas l'orphelin dont on assure qu'il est attendu, voire espéré, qu'il sera traité avec soin, qu'il sera même éventuellement aimé, accepté (c'est le terme qu'ils semblent tous tenir comme leur préféré), si, évidemment, il se comporte bien, s'il respecte les règles. Par malchance, Jack avait résolu depuis l'âge de onze ans qu'il n'aurait pour règles que celles qu'il se fabriquait lui-même (ne te confie pas à eux, ne pleure pas, n'attend rien)... de toute façon, à chaque nouvelle famille d'accueil un nouveau règlement, certains en parfaite opposition avec les précédents. A quoi bon apprendre ce qu'il faudra désapprendre lorsque la maison d'apparence chaleureuse dans laquelle on lui avait fait emménager tout son bardas décidait que, finalement, c'était bien trop difficile de s'occuper d'un garçon adolescent, que s'il vous plaît, ils seraient plus à l'aise avec un plus jeune, ou une fille, une petite fille gentille qui aurait sans doute bien plus besoin d'eux...

Plus besoin d'eux que lui.

C'est de sa faute, ça, sans doute, d'avoir donné à trop de gens l'impression qu'il savait se débrouiller seul, même si certains avaient même révélé un vrai fond d'empathie quand Patti, sa dévouée-pendant-les-heures-de-boulot Patti, leur avait expliqué le début de son histoire, ils étaient vite effrayés par la tâche et se montraient immanquablement soulagés dès qu'ils se convainquaient que le petit Jack Frost s'en tirait certainement aussi bien sans eux. La plupart du temps, il ne leur reprochait même pas : comment vouliez-vous que les pauvres gens ne se trouvent pas submergés par la responsabilité d'être la possible dernière chance d'un garçon forcément malheureux.

Malheureux, parce que c'était obligé lorsqu'on avait vécu ce qu'il avait vécu, n'est-ce pas ?

Bizarrement, son histoire, à force de la lire dans les rapports des conventions d'accueil, de la deviner sur les lèvres de Patti quand on le faisait attendre dans la pièce vitrée attenant à son bureau - exposé aux regards comme un étrange modèle de musée - ne lui semblait plus lui appartenir, c'était celle de quelqu'un d'autre, un autre Jack qui avait perdu ses parents et sa soeur dans un accident, un Jack qui en souffrirait encore aujourd'hui, parce que c'est ce qu'on fait quand on est un bon fils, un bon frère.

C'est ce qu'il ferait certainement s'il avait le moindre souvenir d'eux, souffrir...

A quinze ans, quand il s'était fait tatouer la toute première fois, il avait hésité un instant au moment de choisir ce qu'il voulait voir inscrit sur sa peau, avait tourné et retourné dans sa tête les trois prénoms (William, Sophia et Joyce) jusqu'à décider qu'ils ne signifiaient rien pour lui et avait opté pour des paroles d'une chanson qu'il écoutait beaucoup à ce moment-là. Au moins, ces mots-là avaient un sens qu'il n'aurait aucun mal à retenir.

Franchement, il n'en souffrait pas, de l'absence.

Par contre, il avait plus de mal avec les conséquences directes que l'accident de voiture avait eu sur lui : une canitie subite qu'on appelait ça. En clair, ça voulait simplement dire qu'il avait dû avoir si peur au moment de l'impact que ses cheveux avaient blanchi sur le choc. C'était une rareté physique, ce truc, une reine de France avait eu la même chose que lui, sauf qu'elle était bien plus âgée quand elle était devenue toute blanche avant de se faire décapiter... il ne connaissait quant à lui personne d'autre qui ait eu une gueule de vieillard à cinq ans.

Ses cheveux le distinguaient partout avant qu'il ne fasse connaissance avec qui que ce soit, il était le gamin (puis le mec, le type, le n'importe quoi) aux cheveux blancs où qu'il aille, dans toutes les écoles par lesquelles il était passé.

Il supposait que c'était préférable à être l'orphelin un peu dingue, même si ça ne s'inscrivait pas immédiatement sur son visage.

Petit, entre sept et huit ans, il avait été dans une famille où la mère se décolorait en blonde platine avec une insistance maladive au point de ne jamais laisser la moindre chance à ses racines de dévoiler sa couleur initiale et Jack avait eu beaucoup de mal à comprendre qu'on veuille sciemment afficher une telle pâleur dans sa chevelure. Il avait rêvé alors d'adopter la démarche inverse et de se teindre les cheveux de la couleur la plus foncée qui existe en magasin, un noir de noir, comme on appelait certains chocolats très amers.

Il va sans dire qu'il n'avait jamais pu réaliser son rêve à cet âge-là, aucun parent, même complètement débile comme Josh, n'ayant accepté qu'un gosse se passe la tignasse dans une solution ammoniaquée pouvant potentiellement lui cramer le cuir chevelu.

Plus tard, vers treize-quatorze ans, il avait commencé à découvrir les bienfaits de n'être pas tout à fait identique aux autres. Les gars le traitaient de sale connard albinos, les filles le trouvaient sacrément mystérieux et unique, l'antinomie à la chevelure lunaire du sombre inconnu dont elles rêvassaient toutes en cachette. Ça avait eu le mérite de lui faire passer le temps entre deux nouveaux rendez-vous bilan-déménagement avec Patti, l'intérêt des filles... Pas assez pour que ça signifie quoi que ce soit mais suffisamment pour que les gars développent des milliers d'autres raisons de le haïr.

A présent, à dix-huit ans, il assumait presque son apparence extérieure sans trop sourciller quand on s'attardait sur lui : il y avait maintenant tellement plus que la simple couleur de cheveux qui retenait l'attention.

Les tatouages étaient arrivés les premiers, sur les avant-bras et la clavicule, puis sur la cheville et le haut du dos, entre les omoplates, chacun pouvant être aisément caché s'il le désirait, ou dévoilé aux regards de tous s'il se sentait d'humeur à s'afficher. Il se sentait souvent d'humeur depuis quelques années.

Ensuite, il y avait eu les premiers piercings, plus tardifs justement à cause du fait que, ceux-là, il pouvait plus difficilement les dissimuler, que ce soit aux oreilles (trois de chaque côté) ou à l'arcade sourcilière, puis un plus discret à la langue qui lui avait fait un mal de chien mais que personne ne pouvait deviner tant qu'il s'obstinait à garder la bouche fermée.

Les anneaux qu'il portait lui avaient valu des discussions sans fin avec pratiquement toutes ses familles d'accueil, pas tant parce qu'il était mineur quand il s'était laissé percer par des types dont ce n'était pas forcément l'activité principale (raison pour laquelle personne ne s'était jamais retourné sur son âge dès le moment où il avait décidé de faire absolument ce qu'il voulait de sa peau, pas même les artistes tatoueurs sensés regarder à deux fois avant de marquer un gamin de manière indélébile...), mais plutôt pour ce que ça donnait comme image de lui-même et, par extension, de la famille qui recueillait cette mauvaise pousse aux cheveux bizarres et aux idées noires.

Au final, l'image comptait certainement plus que le gamin derrière et Patti avait dû se résoudre à accepter le fait que plus aucune famille ne voudrait de lui dans ses murs, qu'il était à présent bel et bien majeur et majoritairement ingérable.

Il avait cru l'espace d'un week-end que la grande Amérique laisserait enfin filer un de ses enfants, que Patti viendrait lui annoncer avec l'air ennuyé qu'elle affichait toujours quand elle consacrait trop de temps à son seul dossier ("J'ai d'autres cas dont je m'occupe, tu sais, je ne peux pas être là uniquement pour toi...") que c'était terminé, qu'il bénéficierait de sa pension d'orphelin pendant quelques années encore et puis que l'Etat lui recommanderait gentiment de prendre sa vie en mains, de trouver un job et surtout, surtout, de ne pas espérer entamer des études supérieures quand il était évident qu'il lui serait impossible de rembourser son prêt étudiant.

Et puis, le lundi matin, Patti était venue le chercher au foyer où il zonait entre deux familles et lui avait déclaré qu'elle avait trouvé la solution idéale à son problème : programme d'échange universitaire à long terme, que ça s'appelle...

Autant dire que Jack ignore en premier lieu de quoi il peut bien s'agir, l'échanger ? Avec qui, contre quoi ? Et universitaire ? Il vient à peine de terminer son douzième cycle, avec peine, certes, mais sans jamais redoubler une seule année, fierté unique qu'il n'attribue qu'à lui seul - il veut bien être l'étudiant orphelin et bizarre mais se refuse catégoriquement à ajouter médiocre aux adjectifs précédents - qui le laisse à présent face aux portes fermées des différentes facultés où il n'a pas eu l'inconscience de se présenter... encore une fois, comment payer ?

Et là, Patti lui annonce qu'il peut se permettre de rêver un peu à une année de plus, un cycle supplémentaire dans une Université européenne de son choix - pour autant que son choix soit validé par le comité scolaire du Comté et que l'Université en question ait un programme d'échange répondant aux conditions d'attribution de sa bourse - il en oublie pour instant qu'il n'offre plus que du cynisme aux différentes propositions de Patti : paraître blasé plutôt que d'être meurtri encore une fois.

"Jack, ce serait l'idéal, tu aurais un an pour réfléchir à ce que tu veux faire ensuite..." sous-entendant un an à ne plus être dans mes pattes mais Jack entend autre chose... Jack entend un nouvel horizon, sans famille à ne pas décevoir, sans valise ouverte et refermée ailleurs, sans apitoiement pour le pauvre orphelin aux cheveux étranges, un an à ne se soucier que d'éventuelles études et à découvrir ailleurs, le plus loin possible, ce que c'est d'être quelqu'un là où il n'est rien pour personne.

Il accepte.

"Tu n'as pas à me dire dans l'heure où tu voudrais étudier mais ce serait bien que tu te décides assez vite, afin que je puisse proposer ta candidature pour la rentrée de septembre prochain..."

On est fin juin, il aimerait déjà être parti.

Finalement, ça ne lui prendra qu'une semaine avant d'arrêter son choix sur un seul établissement : l'université de Bergen, en Norvège.

Quand il spécifie à Patti qu'il n'envisage pas un second choix que celui-là, qu'elle ne lui fait pas remarquer la coïncidence avec le fait qu'il est né et a grandi jusqu'à ses cinq ans à Hackensack, dans le Comté de Bergen dans le New-Jersey, il lui en est secrètement reconnaissant : il serait bien incapable lui-même d'expliquer les raisons réelles de sa décision.

Fin juillet, Patti vient le revoir au foyer avec un sourire qui en dit assez long pour qu'il détermine le soir même que ça mérite bien un dernier tatouage sur le sol américain : ce sera une boussole, pour qu'il ne perde jamais le nord, encrée dans le creux de son abdomen, juste à l'endroit où la ceinture de son jeans vient frotter inlassablement, afin qu'il n'oublie jamais la piqûre de ses derniers jours.

Il est inscrit à la faculté de biologie de Bergen, spécialisée en biologie marine, ses connaissances en la matière sont proches du zéro absolu mais ça ne l'inquiète presque pas, il veut de l'inconnu, autant que ce soit dans tous les domaines...

Fin août, il connaît le nom de la famille qui lui louera une chambre pendant la durée de son séjour et qui l'aidera à effectuer les démarches administratives sur place dans la langue du pays (le nynorsk ? le bokmål ? qu'est-ce que ces gens parlent réellement ?), il a du mal à croire que Stoïksen soit un nom véritable mais se promet de se retenir du moindre commentaire s'il a affaire à une espèce d'armoire à glace nordique descendant des anciens vikings qui pourrait tout aussi bien mal prendre son incrédulité face à son patronyme...

Début septembre, il a son billet d'avion (un aller simple avec escale à Londres depuis Boston, départ le 13 septembre au matin) et passe ses derniers jours à éliminer de sa malle ce dont il n'a plus rien à faire, en grande partie, des vêtements devenus trop petits récoltés au gré de ses différentes familles d'accueil. Il remplit un sac de tout ce qu'il n'emporte pas avec lui et va le déposer dans un container de l'armée du salut. Il est prêt.

13 septembre 2010 au petit matin, il s'est offert le luxe de tirer la langue au contrôleur de la douane qui voulait absolument qu'il enlève tous ses ornements métalliques, celui-là ne s'enlève pas, il n'avait qu'à le croire sur parole.

Le même jour, deux heures plus tard, Jack est en plein vol.