En ouvrant les yeux, son regard se porta sur l'écran du réveil, qui affichait 3h34. Après avoir vérifié que Tali dormait profondément dans son lit parapluie, il se leva et sortit à pas de loup de la chambre pour gagner le salon. Il s'arrêta devant une fenêtre pour observer la rue. C'était un rituel nocturne qui rythmait ses nuits d'insomniaque depuis son arrivée dans la capitale française. Quelque soit l'heure, il y avait toujours de l'animation dans son quartier. Il vit d'abord une bande de jeunes puis un jeune couple sortir d'un bar et cheminer vers la station de métro la plus proche. Paris était une fête à laquelle il aimerait participé mais la légèreté et l'insouciance l'avaient quitté depuis longtemps.

Etre père et qui plus est père célibataire était une responsabilité écrasante. Il se posait quotidiennement des milliers de questions sur l'éducation de sa fille. Il cherchait des réponses dans des livres ou en consultant des forums mais il n'avait pas trouvé toutes les réponses. Il y en avait une qui revenait continuellement et qui était une véritable énigme à ses yeux : qu'aurait souhaité Ziva?

Elle était un fantôme qui hantait ses jours mais surtout ses nuits.

ll s'assit à la table du salon et ouvrit son ordinateur portable. Il consulta un site d'informations puis ouvrit sa messagerie. En plus du message hebdomadaire d'Abby le tenant informé des derniers news du NCIS, il y avait un courriel de la tante de Ziva. Il avait pris attache, il y a un mois, avec la sœur d'Eli pour obtenir le maximum d'informations sur la famille David. Il lui paraissait important de connaître toute l'histoire familiale pour pouvoir un jour expliquer ses origines à Tali. Les conversations avec Nettie avaient été chaleureuses et parler de Ziva avec elle, lui avait fait du bien.

En ouvrant le message, il découvrit un lien vers un cloud. Il hésita à cliquer. Il y avait deux semaines de cela, McGee avait réussi à pirater la messagerie de Ziva et extrait de nombreuses photos inédites de sa coéquipière et de leur fille. Cela avait été un grand choc de les découvrir, et notamment une sur laquelle elle tenait leur fille dans ses bras le jour de sa naissance. Il ne l'avait jamais connu aussi rayonnante, épanouie et fière. Paradoxalement, cela l'avait rendu triste, il ne comprenait pas pourquoi Ziva l'avait tenu à l'écart de ce moment précieux.

Il cliqua sur le lien qui renvoyait, comme il le pressentait, à des fichiers images et vidéos. Il laissa de côté les photos pour se concentrer sur les films. Il lança une vidéo dans laquelle sa fille fêtait ses un an en tentant de souffler ses bougies et en déchirant avec passion les emballages de ses cadeaux. La dernière scène était la plus amusante : elle avait enfilé des chaussures à talon, mis un chapeau sur sa tête et des lunettes géantes sur ses yeux et elle s'agitait dans tous les sens pour faire rire son auditoire. Il entendit, non sans ressentir un pincement au cœur, la voix de Ziva prononcer des paroles en hébreu. Sa connaissance de cette langue restait modeste, heureusement internet proposait des traductions rapides. Elle disait: "c'est un vrai clown, comme son père."

Il sourit car c'était une confirmation de plus que Ziva ne l'avait jamais écarté de la vie de leur fille. Il était certain qu'en regardant Tali, elle l'avait vu en elle, tout comme sa fille lui rappelait tous les jours sa mère. Tali était vraiment un petit clown plein de vie qui parlait un langage unique composé d'hebreu, d'anglais et de français. En ce moment, elle le faisait hurler de rire en reproduisant une scène qu'elle avait vu dans un café. Une serveuse avait fait tombé un plateau et s'était exclamé merde dans la langue de Molière. Depuis, elle faisait de même en jouant à la dînette et en faisant semblant de renverser le contenu d'une théière. Elle l'avait encore fait hier devant son grand-père, qui passait l'effet de surprise, avait beaucoup ri.

Il se regarda une nouvelle fois la vidéo quand la porte de la chambre d'amis s'ouvrit. Sénior s'approcha de lui, posa la main sur son épaule et lui dit :

" Va dormir, fiston."

Il resta silencieux tandis que son père se servait un verre d'eau. Puis, il ferma son ordinateur et se leva tandis que son père rejoignit sa chambre.

Il n'était pas certain de retrouver tout de suite le sommeil, alors il se posta une nouvelle fois devant la fenêtre.

La rue était presque déserte, il aperçut uniquement une silhouette féminine, postée sur le trottoir en face de son immeuble. Il l'observa intrigué, en général les noctambules évoluaient en groupe et étaient rarement statiques. Il l'aperçut lever le regard dans sa direction puis le baisser rapidement et s'en aller d'un pas décidé.

Ziva, l'idée le foudroya instantanément. Il existait un infime espoir et c'était une possibilité. Cette femme avait la même corpulence et ses cheveux étaient sombres, cela lui suffit pour se décider à enfiler un manteau sur son pyjama, à chausser des baskets, à prendre ses clefs et son portable, et à dévaler à toute vitesse les escaliers de son immeuble.

Une fois dans la rue, il courut dans la direction que l'inconnue avait prise et il aperçut une personne à une centaine de mètres qui pouvait lui correspondre. Il accéléra le rythme et déboucha sur une place en forme d'étoiles. Il ne savait pas quelle rue choisir et il se décida pour la deuxième à gauche. Malheureusement, au bout d'une dizaine de mètres, il constata qu'elle était déserte.

Il revint sur ses pas et prit la rue suivante, sans plus de succès. Il arriva sur une petite place et après avoir jeté un rapide coup d'œil aux alentours stoppa sa course désespérée.

Il était fatigué et s'affala sur un banc. Combien de temps allait-il encore chasser un fantôme? se demanda-t-il en se prenant la tête entre les mains. Même si cette pensée lui faisait horreur, il aurait préféré la voir une dernière fois sur une table d'autopsie que de n'avoir aucune certitude. L'affreuse vérité l'aurait ravagée mais n'aurait laissé place à aucune contestation. Là, sans corps, il subsistait un doute et son esprit se raccrochait à cet infime espoir.

Le chagrin était tellement ancré en lui, qu'il n'avait pas pleuré depuis des semaines mais ce nouvel espoir déçu lui fit ressentir de violents sanglots.

Une main se posa alors sur son épaule dans un geste de réconfort.

Sénior? un inconnu charitable? la police?

Il sécha ses larmes avant de jeter un coup d'œil derrière lui afin de rassurer la personne inquiète de son état.

Le choc fut grand en découvrant Ziva. Elle semblait aussi bouleversée que lui.

Il resta interdit, son esprit se demandant si la fatigue ne lui jouait pas des tours et qu'il s'agissait en fait d'une hallucination.

Sauf qu'elle parla en lui touchant le bras :

"Tony, je suis..."

Il ne la laissa pas terminer sa phrase et la prit dans ses bras, trop heureux de constater qu'elle était bien réelle.

Il avait pensé plusieurs fois à tout ce qu'il lui dirait s'il la revoyait, des questions et des reproches essentiellement. Mais, là tout cela n'avait plus de sens, ni d'intérêt.

Elle était là, contre lui et bientôt il serait pour la première fois tous les trois ensemble : une famille, enfin.

The End