Ce fut la douleur qui la ramena à elle. Comme un coup de poing fulgurant dans l'estomac si violent qu'il lui en coupa la respiration. Elle s'assit instantanément, secouée par des hoquets incontrôlables. Il lui sembla qu'il se passait un temps fou avant qu'elle ne retrouve un souffle normal mais, enfin, elle pouvait inspirer et expirer à un rythme plus humain. Son cœur, en revanche, battait une chamade furieuse entre ses côtes, ne semblant pas vouloir se calmer. Fébrilement elle passa une main dans ses cheveux puis laissa ses doigts parcourir son visage. Elle tremblait de tous ses membres, sa lèvre inférieure tremblant de concert avec sa mâchoire.

Je suis... en vie ?

Vu la douleur qu'elle ressentait dans chacun de ses membres il n'y avait aucuns doutes possibles... elle était bel et bien en vie.

C'est alors qu'elle eut l'ide de regarder tout autour d'elle. Des arbres, de la brume... Naturellement elle se trouvait dans la forêt. Naturellement ? Évitant de se demander pourquoi elle était aussi décontractée par rapport au fait de se trouver dans la forêt et visiblement en pleine nuit elle entreprit de se mettre debout. Ce fut une véritable épreuve, ses articulations craquants et crissant de ce fait, elle se demanda furtivement combien de temps il avait pu s'écouler depuis son « réveil ». Il faisait nuit noire et la forêt n'était pas des plus engageantes, pourtant elle n'avait pas peur. Son cœur qui battait la chamade n'était pas un baromètre de sa peur non, elle comprenait la raison de ce chambardement intérieur, comme un enfant comprend qu'il est réveillé après un long cauchemar : elle, elle venait de revenir à la vie. Son corps se remettait en marche, lentement mais sûrement.

Ce qui dominait son esprit était l'incompréhension. Elle se rappelait parfaitement de sa mort, Kali la jetant sur le sol froid de la voûte, son cœur ralentissant de plus en plus, son souffle se raréfiant... Oui elle se souvenait de chaque secondes de sa mort. Ce qui était d'ailleurs fort désagréable... cette souffrance et ce sentiment d'impuissance. Alors comment pouvait-elle se trouver là? Le cœur battant, humant l'air humide de la forêt ?

Refoulant un sanglot elle repassa ses doigts dans ses cheveux, c'était incroyablement perturbant et en même temps parfaitement grisant de se trouver là. D'être à nouveau. D'être.

Au bout d'un long moment à rester là, debout au beau milieu de la forêt, elle commença à sentir la morsure du froid lui saisir sa peau nue.

Elle était vêtue d'une robe blanche sans forme et qui paraissait tout bonnement sans âges. Pieds nus et bras nus. Il lui suffirait de peu de temps avant de mourir de nouveau, frigorifiée. Elle décida de se mettre à marcher, choisissant une direction au hasard. Elle comprit qu'elle n'avait plus aucunes capacités, plus de super odorat ni d'incroyable sens de l'orientation... elle n'était plus qu'une humaine, tout juste revenue d'entre les morts. L'idée de ne plus être une louve l'effraya autant qu'elle la soulagea. Plus besoin d'avoir peur de blesser qui que ce soit, mais cette faiblesse... elle ne savait pas combien de temps elle pourrait supporter d'être faible à nouveau. Elle évoluait donc au petit bonheur la chance entre les ronces et les orties, priant pour tomber sur de gentils campeurs ou mieux... sur des siens. Enfin... de son ancienne meute.

Au bout d'un long moment son cœur reprit une cadence normale mais elle n'était pas plus avancée, et il fallait qu'elle admette qu'elle était totalement perdue.

« -Juste... parfait. » ronchonna-t-elle en regardant tout autour d'elle.

Non, décidément rien ne lui était familier. Et si elle continuait d'avancer sans savoir où aller elle allait finir par...

Un grand craquement la fit sursauter, on aurait dit le bruit que faisait une branche en s'écrasant au sol. Comme si elle avait ployée sous le poids de quelque chose... Cette fois ci son cœur se remit à battre avec force, quelque chose se trouvait peut-être dans les arbres à l'épier... à l'attendre. Elle tentait de se concentrer sur les hauteurs des arbres, d'apercevoir le moindre mouvement, mais rien, elle ne voyait rien. Il faisait beaucoup trop sombre. Aucuns bruits ne revint percer le silence dans les minutes qui suivirent et elle ne remarqua aucun mouvements suspects non plus. Elle prit alors une profonde inspiration pour se redonner une contenance.

Tu perds les pédales... décidément ça ne te réussi pas de revenir d'entre les morts...

Elle commença à reprendre sa marche quand un autre bruit, tout aussi reconnaissable la figea sur place. On respirait bruyamment derrière elle, d'une respiration qui n'avait vraiment rien... d'humain. Il se passa de longues secondes avant qu'elle ne décide de se retourner pour faire face à ce qui, sans aucuns doutes possibles à présent, la suivait. Ce qu'elle vit la tétanisa. Il ne s'agissait pas d'un humain en effet, mais il ne s'agissait pas d'un loup non plus. A dire vrai elle n'aurait pas su dire ce dont il s'agissait. Une forme humaine mais rien ne ressemblait vraiment à un humain à part ça. Un visage flou, comme un reflet dans un miroir recouvert de buée, de très longs bras, si long que ses mains touchaient presque le sol alors qu'elle se tenait droite. Elle ne parvenait pas à discerner s'il s'agissait d'un homme ou d'une femme.

La respiration de la chose devint sifflante, ressemblant à une plainte et elle tendit un de ses très longs bras vers la jeune fille tétanisée par la peur. Elle n'avait jamais rien affronter de pareil, même au plus fort de la transformation. Elle ne savait pas quoi faire... et sentait des gouttes de sueurs dégoulinants le long de son dos. Le bras de la chose l'atteindrai bientôt, elle ferma les yeux tout en reculant de quelques pas, instinctivement. Mais un autre grognement inhumain lui parvint dans son dos... quelles que soient ces choses, elles était plusieurs.

Merde... merde merde merde.

Rouvrant les yeux elle étouffa un cri de stupeur et de terreur mêlée. Il y en avait au moins une dizaine qui l'encerclaient... elles n'avaient aucunes chances de s'en sortir !

« -Je ne veux pas mourir de nouveau... » gémit-elle des sanglots plein la voix.

Toutes les créatures levèrent leurs bras pour les tendre vers elle.

« -Non ! » hurla-t-elle complètement affolée.

Alors il se produisit quelque chose d'étonnant. Tandis que les doigts menaçants ne cessaient de s'approcher d'elle il lui sembla que son cri agit comme une bourrasque de vent qui les propulsa plusieurs mètres au loin. Comme si son hurlement avait eu la faculté de repousser ses ennemis. Cela eut l'effet d'une gifle sur elle et la sorti de son état de catatonie. Elle s'élança en dehors du cercle que formaient les créatures pour le moment désorientées et se mit à courir à toute jambes dans une direction totalement hasardeuse.

Son esprit était agité d'un grand nombre de question et son cœur s'était remis à battre follement entre ses côtes. Quelles pouvaient bien être ces créatures ? Que lui voulaient-elles ? Pourquoi était-elle revenue ?

Les questions qu'elle se posaient occupaient tant son esprit qu'elle ne vit pas la racine qui dépassait du sol. Son pieds s'y glissa subrepticement, la faisant s'écrouler face contre terre. Elle roula sur quelque mètres, à cause de l'élan, puis s'immobilisa, dos au sol, les bras et les jambes en croix. Elle avait le souffle court et se sentait à deux doigts de fondre en larmes. Pourtant elle ne pleurait pas, trop secouée pour en éprouver un réel besoin. Au bout d'un moment qui lui sembla duré l'éternité, mais qui n'avait dû durer que quelques secondes en réalité, elle se redressa à la force de ses bras, se sentant lourde de fatigue. Elle était gelée et encore plus désorientée. Elle avait sommeil et un milliard de question se bousculaient sous son crâne. Il fallait qu'elle quitte cette maudite forêt, oui, il le fallait. Ne voulant pas céder à l'envie de se remettre à courir sans savoir dans quelle direction -de toute évidence elle avait réussi à semer les créatures- elle inspira profondément, une seule fois, et se leva pour réfléchir un peu.

C'est alors qu'un bruit reconnaissable entre tous se fit entendre au loin. Le bruit d'un moteur en marche. Un voiture ! Elle était tombée près d'une route !

Toujours à moitié assommée par la chute et groggy de fatigue elle s'élança à toutes jambes vers le bruit de moteur. La route ne devait se trouver qu'à une centaine de mètres de là... si seulement elle parvenait à l'atteindre avant que la voiture ne...

Cette chute là fut tout aussi inattendue que la première. Elle n'avait pas remarquer qu'elle s'était élancée tout droite vers une pente raide, à cause de l'obscurité ambiante. Elle dégringola et roula comme une poupée désarticulée sur plus de cinquante mètre. Elle prenait de la vitesse en roulant, entraînant avec elle un bon paquet de branches et de feuilles mortes. A peine quelque secondes plus tard son corps inerte débarqua sur le bitume glacé de la route et roula encore un peu jusqu'à s'échouer, joue contre le tarmac. Elle était encore consciente mais n'était plus que douleur. Sa tête lui tournait violemment et la lançait plus que tout autre chose. Son estomac se contracta brutalement et elle vomit une bile extrêmement âcre. Elle n'avait pas la force de se redresser, elle n'entendait plus rien d'autre qu'un fort vrombissement et son cœur qui ralentissait... ralentissait...

Revenir pour finir comme ça. Bravo ma vieille...

Si seulement elle avait pu se redresser elle aurait pu constater qu'il ne s'agissait pas d'une voiture mais d'une motocross, qui ne l'avait éviter que de justesse alors qu'elle apparaissait au milieu de la route par surprise. Mais sa vision s'obscurcissait de plus en plus et alors qu'elle sombrait lentement dans l'inconscient le conducteur de la moto se précipitait vers elle.

Il s'agenouillait près du corps inerte, dont une des deux jambes formait un angle tout simplement inhumain, et en reconnaissant le profil de l'adolescente son sang se figea.

Erica. Erica Ryes gisait là, étendue au milieu de la route, salement amochée mais si il se concentrait un peu il pouvait percevoir les battements faibles mais régulier de son cœur.

Erica était en vie.