Ce que le Centre a fait de nous

« Bonsoir mon ange. Je suis désolé de t'avoir réveillée si tard mais il y a urgence.

- Que se passe-t-il papa?

- Le caméléon s'est échappé du Centre il y a une heure, nous pensons qu'il est toujours dans le Delaware et comme tu es un de nos meilleurs éléments-

- Vous avez pensé que me réveiller à trois heures du matin pour courir après un caméléon humain était la solution...

- Exactement. Mais ne prends pas cette mission pour une corvée mon ange, si tu captures le caméléon, tu seras hautement récompensée...

- OK, je veux savoir par où il s'est échappé et dans quelle direction il est allé. »

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Ce soir là elle s'était conduite comme une enfant gâtée, n'agissant que dans le but d'obtenir une « récompense ». Sa première erreur fut de croire que dans la liste de ce qu'elle pourrait exiger la liberté figurait en première ligne. Sa seconde erreur fut de croire qu'elle se montrerait au Centre le lendemain matin avec le caméléon menotté et qu'elle pourrait enfin rentrer pour prendre un bon bain et finir sa nuit.

Et d'erreurs en erreurs elle ce retrouvait là, huit ans après, jour pour jour. Avec le temps elle avait cessé de croire, préférant se rappeler ; elle avait cessé d'exiger, préférant se contenter ; et elle n'agissait plus comme une enfant gâtée puisque personne n'était plus là pour satisfaire ses exigences.

Huit ans c'est très long. En huit ans on a le temps de fumer des millions de cigarettes, de mettre des semaines à arrêter, de développer un ulcère, de l'entretenir régulièrement, de bousiller un grand nombre de bottes hors de prix en pourchassant un ami d'enfance, et enfin de ruiner une amitié parce qu'on l'a transformé en relation amoureuse.

En se réveillant, quand elle vit la date sur le calendrier, elle tenta en vain de ne pas penser aux années qui étaient derrière elle, sans parler de celles qui étaient à venir… Elle tira l'épaisse couette sur elle et enfouit sa tête sous un oreiller, comme pour se cacher, comme pour empêcher ces pensées sordides de l'assaillir. En vain bien sur. Le calendrier l'appelait. Et elle détesta Jarod un instant parce qu'il avait accroché un calendrier dans la chambre et qu'il arrachait la page de la veille au saut du lit ; cette manie l'horripilait, comme la plupart des manies de Jarod d'ailleurs. Mais elle avait appris à vivre avec.

Elle avait appris à vivre avec beaucoup de choses en huit ans : la culpabilité, la tristesse, la solitude, la colère et les secrets. Son plus gros secret était celui-ci : sa présence dans cet appartement, dans ce lit, dans leur lit. Depuis plus d'un an, le chat et la souris cachaient au monde entier leur relation, leur appartement et leurs rendez-vous. Au début c'était très facile, l'amour les avait aveuglé, ils avaient foncé tête baissée dans cette aventure ; mais avec le temps, ils s'en étaient lassés. Se retrouver devenait de plus en plus difficile et de moins en moins excitant. Puis la routine s'était installée et elle les rongeait un peu plus chaque jour.

Comme tous les jours, Jarod était déjà levé, comme tous les jours il sortait de la salle de bains en jean et venait récupérer sa chemise au pied du lit et comme tous les jours, il allait préparer le café dans la cuisine. Et comme tous les matins, elle restait au lit le plus longtemps possible parce qu'elle n'avait pas assez dormi et elle s'enterrait sous la couette pour profiter de ses dernières minutes de sommeil. Puis Jarod, après avoir bu son café, revenait chercher ses chaussures. Quand il était de bonne humeur il l'embrassait, sinon il partait sans un mot.

Mais ce matin, ça faisait huit ans, huit ans qu'il était libre, huit ans qu'il échappait au Centre. Et ce dernier avait fait d'eux des êtres différents.

« Parker, debout. Tu vas être en retard.

- La ferme Jarod… »

XxX The End ... XxX

Voilà, maintenant vous pouvez me tuer... ou simplement me dire ce que vous en pensez…