Bonjour, encore.
Ceci est un Road/Lenalee, et un écrit qui va changer mes habitudes. Pas un OS, pas un UA, pas une suite possible éclose dans ma tête suite à mes excavations dans ma propre cervelle... Ce sera un triptyque, ou quadratique, sans chapitre de plus ou de moins. Conçu à la base pour être un OS. Découpé finalement parce que ça faisait trop long à mon goût et que le découpage était plus agréable pour mon sens esthétique.
Je sais que celles qui suivent un peu ce que j'écris vont s'insurger devant la nouvelle œuvre que je vous présente, parce que j'ai déjà du retard, parfois phénoménal (hum!naufrageabsurdehum!), dans des textes qui sont encore en cours et attendent désespérément une suite. Elle arrivera en temps et en heure, ne vous en faîtes pas, j'y travaille. Simplement, c'est moi derrière le clavier, et je m'accorde encore d'écrire pour le plaisir et non par obligation. Ainsi donc, j'écris ce qui me fait envie.
Cette pseudo-nouvelle a été écrite avec une visée dans mon esprit, une cible toute rouge : écrire un Road/Lenalee crédible, quelque chose qui soit inclut dans la temporalité du manga, sans dénaturer l'intrigue ou les personnages. J'espère que vous trouverez que ceci y correspond.
Si me faut dédicacer ça, je parlerais de Ruize-chan pour l'amour du Road/Lenalee qu'elle m'a donné avec Supernova, une œuvre extraordinaire que je recommande à tous, et à Lyanna St-Ange, comme souvent, parce que c'est grâce à elle que je garde mes headcanons sous contrôle, qu'ils ne partent pas dans tous les sens, et donc grâce à elle que ma vision de Road et Lenalee me paraît sonner si juste. Merci à toutes les deux.
En vous souhaitant une excellente lecture.
UN PAS EN ARRIÈRE
(Sans pas en avant, qu'est-ce que tu croyais ?)
« Oh, tu as froid ? Je sais comment te réchauffer, et très bien. »
« Je t'ai apporté une ou deux sucreries. La dernière est dans ma bouche, si tu veux la récupérer. »
« Ça ira... Ça ira mieux, ça va s'arranger, baby doll. »
« Je veux dévorer ta figure jusqu'à oublier comment je suis venue ici. »
Tout commence bien avant. Il y a des chuchotis tus à la lueur de la lune, des sourires volés, des baisers papillon arrachés à la volée. Des pleurs étouffés dans une épaule ennemie. Des morsures là où l'on n'en attend pas. C'est furtif, éphémère, une passion de l'instant qui se consomme sur place et sans attendre, de craindre que le temps ne vole le plaisir à s'offrir. On effleure, aspire la vie hors de l'autre, sans aller jamais jusqu'à franchir toutes les barrières de crainte d'une trahison – on a assez soupé de ce refrain-là.
Cela, et tant d'autres choses, change une douce matinée de février. Ça commence discrètement, mais très vite les règles du jeu sont modifiées, et par ta faute.
Pas très réveillée ce matin, l'Exorciste se rend simplement au réfectoire pour déjeuner, et s'assied à une table vide lorsqu'un lourd silence pèse soudain sur l'assemblée derrière elle. Tu le sais, parce que tu l'observes précautionneusement : tu ne manquerais pour rien au monde son expression et la réaction des siens. Laquelle se fait brusque, une explosion sonore à laquelle elle ne s'attendait visiblement pas, et elle doit hocher la tête, être surprise, paraître effrayée, ôter sa veste sur la demande des autres, admirer les lettres de sang qui tracent sur son dos : "Propriété de : Road Kamelot".
Tu souris, cachée là-haut, en contemplant ce spectacle. Si ta muse te voyait, elle te dirait que tu souris tout le temps, puis t'embrasserait rudement en grondant qu'elle aime ça.
(Quoique, elle doit se douter que t'es là, tu l'as juste bien élevée pour ce qui est de la dissimulation.)
Elle ne montre rien, réagit exactement comme on s'attend qu'elle ne le fasse. Elle supporte la journée entière à s'expliquer devant les autres, à se donner un air terrifié par l'acte, à manifester son incompréhension à Leverrier, à rester figée, en "état de choc", à avoir de petits frissons "terrorisés" par l'acte incisif. Tu vois bien qu'elle en est reconnaissante à Klaud lorsque la Maréchale lui donne une excellente excuse en émettant l'idée que ''la Noah'' l'ayant décrétée sa poupée personnelle, ce devait être logique pour elle de marquer ce qu'elle considérait comme sien.
Lenalee hoche la tête, prend un air faible et innocent, décline gentiment l'offre de Kanda lorsqu'il se propose de veiller sur son sommeil la nuit même, rentre dans sa chambre le soir, verrouille la porte, s'allonge sur le lit et attend jusqu'à ce que le sceau apparaisse sans bruit. Alors elle plonge dedans, sans une hésitation, et se retrouve presque instantanément plaquée contre le mur. Face à elle, la benjamine Noah – c'est-à-dire toi, qui ironiquement te trouves également en être l'aînée – sourit aussi large qu'elle le peut. Lenalee fixe la pupille noire dans les yeux sans crainte aucune.
« J'ai attendu ce moment toute la journée. » grogne-t-elle lourdement.
Ton sourire s'élargit encore, si c'est seulement possible.
« Oh, tu as aimé ?
– C'était stupide et ridicule. » reproche encore l'Exorciste.
Tu hoches légèrement la tête, très fière de toi.
« Tu as aimé ? » répètes-tu.
– J'ai adoré. » répond Lenalee en forçant pour t'embrasser.
On dirait qu'elle cherche à te voler toute sa salive, et elle finit par te relâcher en mordant ta lèvre inférieure. Tes mains se posent automatiquement sur ses hanches. Par réflexe, les doigts légers soulèvent le tissu du haut, sachant instinctivement où se placer, où tu aimes les positionner, où elle aime que tu ne la touches. Vous avez fait vécu ça des milliers de fois, et la mémoire de vos étreintes passées ajoutent du piquant à la chose. Tes doigts courent, ses hanches s'arquent, tu souris contre ses lèvres agressives. Tu ne romps pas le baiser, au contraire, tu tentes de lui arracher sa langue, tu t'étouffes à moitié, elle rit, tu lui mordilles le nez en représailles.
Vous êtes toujours sauvages, l'une envers l'autre, c'est étrange parce que les gens penseraient que vous cherchez à vous détruire alors que pas du tout, vous profitez simplement de l'autre au-delà même de ce qu'elle est capable de vous procurer.
(Mais peut-être est-ce la même chose.)
Soudain, elle te pousse en arrière. Tu tombes en arrière, elle te chevauchant avec un sourire narquois. Tu attrapes ses fesses juste au moment où elle développe :
« J'ai adoré cette petite marque de possession. Je suis à toi, déclare-t-elle avec férocité, tant que tu es mienne.
– Et je suis tienne, baby doll. » tu dis en écho.
Le pire étant peut-être un moment que tu le penses réellement. C'est quand tu t'en rends compte que tu te figes, foudroyée par cette évidence. Même la belle brune sur toi, très occupée précédemment dans ses caresses, s'immobilise en constatant que tu t'es raidie. Elle te demande si ça va, tu ne réponds rien parce que bon sang, non ça ne va pas, même cette question est une putain de question rhétorique, tu es censée dire oui, sourire et l'embrasser.
Tu balbuties une dénégation, Lenalee te prend dans ses bras, et c'est alors seulement que tu réalises que tu trembles, et même peut-être que tu fais une crise d'angoisse. En même temps, c'est un peu compréhensible : tu viens juste de comprendre que tu as fait L'erreur. Celle qui ne te sera pas fatale, tiens, qu'est-ce qui te l'est ? Simplement, celle qui va t'arracher le cœur à nouveau comme elle l'a déjà fait il y a si peu de temps et déjà tant d'années et les Campbell t'ont déjà tant meurtrie, n'en as-tu jamais assez que tu recommences encore, toujours les mêmes conneries ?
« Road. Road, Road, Roadie, ma Road. Road, répète sans cesse l'exorciste dans les bras de laquelle tu es nichée (comme une litanie, comme une berceuse entièrement composée de ton nom). Road, qu'est-ce qui ne va pas ? »
Il te faut encore quelques larmes, un ou deux Campbell, trois ou quatre bon sang, cinq ou six non, avant de parvenir à sortir quelque chose de cohérent. Lenalee te contemple, interdite, ses yeux fixés dans les tiens, et un moment tu te dis putain ça fait tellement mal. Après te vient l'idée qu'il te faut la tuer. Tout de suite, sans attendre, ou tu n'en auras plus le courage.
Tu vois dans un flash de Rêve sa frimousse éclaboussée par son propre sang, ses tripes entre tes doigts, tu la vois écorchée par tes soins, tu la vois éclatée avec son cœur déchiré par tes dents avides, tu la vois juste étendue froide sur le sol, et c'est ta faute, c'est toi, c'est toi, t'es responsable de tout, de tout, tout tout tout.
Tu la repousses vivement, t'enfuis dans une porte ouverte au hasard, pleures tout ton soûl, t'imagines un moment que tu vas vomir mais rien ne ressort de ta trachée, malgré toute ta bonne volonté. Il y a des gens que la mort magnifie, qui ne sont jamais plus beau qu'en tant que macchabée. Il y en a tellement, tellement, ce sont ceux que tu transformes en œuvre d'art, pour l'unique plaisir de tes yeux.
Ce n'est pas le cas de la belle chinoise. Lenalee doit mourir vieille, porter cinq ou sept gosses, les élever dans sa Chine natale, loin des combats, trouver quelque chose qui la rendre heureuse, mourir en arrière-grand-mère entourée de ses mioches montés en graine. Lenalee doit accueillir la mort en soufflant doucement, en la laissant l'aspirer. Lenalee n'est pas faite pour que sa vie lui explose à la figure, tu l'as compris dès la première fois que tu l'as rencontrée.
Et puis il y a le fait que la simple idée de poser la main sur elle pour la tuer te dégoûte. Tu voudrais dire qu'on assassine pas les amis, sauf que Lenalee est bien davantage, et que tu l'as déjà fait, que tu as fait bien pire, tellement pire oh!, tu as assassiné Neah. Comme les autres, comme Adam, tu n'as pas hésité avant de l'achever. Tu ne l'as pas touché, certes, mais ta culpabilité n'en est pas moins en doute, qu'est-ce que tu croyais ? C'était ce que tu devais faire. Et maintenant, tu te dois de tuer Lenalee.
(Tu détestes le Devoir, tu le hais tellement fort.)
Tu ne veux pas la tuer, certainement pas, jamais, jamais, jamais. Est-ce que tu as le choix pour autant ? Si elle vit, elle finira par te briser le cœur, ne serait-ce qu'en mourant, et tu sais parfaitement que tu ne sais pas résister aux appels de ton cœur. Tu seras folle, encore, de douleur et de regrets. Tu l'as déjà fait une fois et c'était tellement dramatique, ne vaut-il pas mieux faucher Lenalee avant que tu n'aies pu t'accrocher vraiment à elle ?
(Sauf que c'est déjà trop tard, tu as franchi la ligne avec trop d'enthousiasme, même si tu ignorais ce que c'était.)
Un moment, tu te mets à haïr Dieu plus fort encore que ce à quoi tu parvenais auparavant. Pourquoi la faire Exorciste, pourquoi elle ? Pourquoi la seule personne à te convenir devait-elle une ennemie que toi ou ta famille tueriez avant sa majorité ? Tu te calmes soudain. Ta fureur n'a pas lieu d'être, elle en est presque ridicule. Vraiment, elle aurait été une simple humaine, le problème aurait été le même.
Bien sûr, un peu moins rapide, et sans la dimension du secret, mais ta belle finirait quand même par décéder, te laissant plus seule que tu ne l'as jamais été. C'est ta malédiction, la part de l'humanité à laquelle tu as renoncée en te damnant pour une vie éternelle, des réincarnations infinies. L'amour familial, oui çà tu n'en manqueras jamais, mais aimer un humain signera ta perte. Ou quoi que ce soit, par ailleurs. Vu que ce n'est pas l'un de tes frères qui t'apportera l'extase éternelle. Ça non, vous ne vous y risquez plus depuis que vous avez pu contempler ce que vos enfants communs étaient devenus.
Mais tu ne fais pas les choses à moitié, toi. Oh non. Un humain d'abord, une humaine ensuite. Le premier t'avait déjà prouvée que tu pouvais dire ce que tu voulais, tu n'en étais pas moins damnée la deuxième... N'a encore rien fait. C'est ce qu'elle pourrait faire qui t'effraie. En l'aimant, tu remets énormément de pouvoir sur toi entre ses mains, un pouvoir dont elle n'usera pas forcément correctement. Dont tu crains fortement qu'elle ne l'utilise pas comme il devrait l'être.
(Tu es tellement idiote, ma pauvre. Tu n'apprends jamais de tes erreurs.)
Tu ne veux pas la tuer, peu importe les circonstances, vos camps respectifs et ses actes, fussent-ils une trahison abjecte. Jamais jamais. Plutôt lui donner de ton sang, afin de rallonger sa durée de vie pour la coller à la tienne – quitte à la voir petit à petit changer, devenir une espèce d'hybride sans réel pouvoir – qu'avoir à la tuer, que de la voir se faire tuer. Ou mourir tout simplement. L'image de ta vision, peau pâle sans la moindre couleur, immobile, une pointe de vermeille au coin des lèvres même le souvenir de cette image t'es insupportable.
D'un coup te parvient la pensée que tu ne peux pas la tuer. Ton être entier s'y refuse, se contracte et se rebelle à cette idée. Plutôt la contaminer de ton sang maudit. Plutôt la condamner à devenir une aberration. Plutôt l'imposer à tes frères que de la perdre. Ils t'en voudront, mais tu tiendras, tu leur prouveras que sur ce point, tu fais très exactement ce que tu veux parce que. Eh, c'est la nana que tu aimes.
Puis, tu réalises. Tu clignes des yeux frénétiquement, comprends enfin. Tu n'avais jamais cherché à voir les choses de son point de vue à lui, mais les choses te deviennent juste évidentes. C'est ce qu'à fait ton aîné. À son grand tort, bien sûr. Comment as-tu pu ne pas t'en rendre compte avant ? Encore une preuve de ta sottise absolue, c'était tellement... Clair, lumineux. Écrit en grandes lettres majuscules juste devant ton nez.
Tellement grandes, en fait, que c'est peut-être ça qui t'as stoppé. Trop près de tes yeux, pas assez de recul, volonté de ne pas croire ce que tu n'avais pas envie de savoir.
Il a donné son sang à Neah. Encore, toujours plus. C'est pour ça que la transformation de ce dernier s'est si mal passée, qu'il est passé à un cheveu d'y rester. Tu t'étais demandée ce qui clochait – enfin, en dehors de son numéro irréaliste – quand il était devenu comme vous. Il devait avoir un fort potentiel. Un futur hôte, prévu dès la naissance pour accueillir l'un des leurs. Adam a dû réveiller cette capacité volontairement, en lui offrant son sang. Un peu, d'abord. Beaucoup, ensuite.
Tu ne sais pas quoi en penser. La colère : le salaud, faire ça dans votre dos ! Le dégoût : dépendre du sang de l'un des vôtres, s'en nourrir afin de vous ressembler, c'est tellement glauque... L'envie, aussi : et si c'était vraiment possible, si Lenalee devenait des vôtres, tout serait tellement plus simple...
(Mais si l'expérience ne t'empêche pas de récidiver, tu apprends à défaut des erreurs des autres.)
Tu as besoin de quelque chose pour te calmer, pour te détendre, te faire oublier, et te permettre ensuite de réfléchir au calme. Tu, donc, repasses dans l'Arche à toute vitesse, te rue dans une porte ouverte à l'instinct et te vautre dans les bras de ton oncle. De surprise – pas que tu ne l'étreignes brutalement, mais que tu sortes de n'importe où, littéralement – celui-ci lâche son livre, et par réflexe, referme ses doigts autour tes cuisses pour que tu ne tombes pas de ses genoux.
Tu attrapes l'une de ses mèches, joue avec, te tortille sur lui avant de lâcher presque langoureusement :
« Baise-moi, Joyd. »
Tyki hausse un sourcil devant la demande, tire sur sa clope une à deux fois, puis te répond très naturellement :
« OK, si tu veux. »
Soudain, le grand silence dans la pièce de derrière devient boucan, un bruit de verre brisé, une série de jurons monstrueux, des hurlements horrifiés, et Sheryl jaillit littéralement de la porte ouverte. Tu te dis vaguement que peut-être, peut-être, il aurait été avisé de vérifier d'abord que vous étiez seuls. Que le dragon qui te sert de père adoptif auto-proclamé n'était pas présent. Si ça n'était que Desires, il n'aurait sûrement pas été choqué, mais son humain est d'une autre trempe, et Neah les a si bien abîmés, ses frères, que le Quatrième ne parvient pas à prendre le dessus et à écraser l'humain.
(Tu le sais, y prends ta part. Tu en profites largement : Après tout, pourquoi pas ?)
Pendant ce temps, Sheryl te fonce dessus, t'attrape par le bras jusqu'à t'extirper des genoux de son frère, te gifle lourdement – ce qui te laisse longtemps hébétée, surprise par la violence du geste, alors qu'il crie de plus belle après toi, t'entraîne finalement au-dehors, s'écriant : « Tu n'as pas fini d'en entendre parler, jeune fille ! » . Tu dois dire que tu es hautement étonnée par l'opprobre qu'il rejette entièrement sur toi, alors qu'il a quand même dû entendre son frangin accéder à ta demande.
(L'idée, l'espoir t'envahit que tout ceci ne soit qu'un tourbillon illusoire, un rêve parmi d'autres, un avertissement certain mais aucun cas la réalité.)
(Faîtes que non. Je ne veux pas.)
Tu t'en sors finalement avec un joli mensonge bien tourné, un sourire charmant et un câlin de petite fille à son papa.
Tu ne sais plus vers qui te tourner, en fait.
Vers qui tu pourrais, hein ?
Tyki n'est pas plus un Noah complet que Sheryl, Adam fait un confident déplorable depuis les trente-cinq dernières années, Wisely connaît déjà la plupart du problème et désapprouve fortement ton comportement, et le reste de tes frères, bien qu'un peu moins endommagé, reste incapable de t'aider à résoudre tes soucis émotionnels. C'est triste à dire, mais sur tes douze frères (plus ta sœur), aucun ne peut être là pour toi comme tu le voudrais.
Il y en a un quatorzième, bien sûr. Un instant, la tentation d'aller te réfugier dans ses bras te travaille sec. Il est gentil, Allen. Il sécherait tes larmes, te demanderait ce qui ne va pas, sans se préoccuper que tu soit censée être une « ennemie », te réconforterait comme l'a fait Neah en son temps. Deux choses te retiennent toutefois : le souvenir de Neah, et le fait qu'Allen soit trop innocent pour que tu te serves de lui. Allen est une chose délicate et candide, que dévoyer par tes problèmes serait un crime – de plus, la surveillance à laquelle il est soumis risque de lui causer des ennuis si on te voit à ses côtés.
(Et tu ne veux pas lui causer des ennuis. Il en a déjà bien assez comme ça, le pauvre.)
Tu te souviens aisément de ce que Lenalee dit à son sujet. Un cœur d'or. Un faux sourire constamment plaqué sur le visage, plus faux encore que celui du Bookman roux, un sourire non pas d'amitié hypocrite, mais d'assurance menteuse que tout va bien. Un ensemble culpabilité-remise en question de soi à cause de Mana et de sa relation avec certains des vôtres. Tu ne peux pas blesser, entacher quelqu'un d'aussi pur. Si Allen a déjà tant perdu, vécu et fait face à tant d'horreur, ça ne l'empêche pas, à défaut d'avoir conservé son innocence intacte, de rester ingénu, crédule et confiant envers les autres. Ce serait trop, bien trop cruel de toucher à ça.
Or, tu n'es pas cruelle. Pas tout le temps tout du moins. Tu es... Sur le bord. Perdue entre les deux côtés, sans trop savoir si tu devrais t'abandonner complètement à une folie meurtrière. Non, sachant que tu ne le peux pas, que Lena t'en voudrait bien trop, mais incapable d'y renoncer tout à fait. Mais Allen, tu ne l'abîmeras pas. D'autant plus qu'il est le nouvel hôte de Neah et Noah sait que tu es totalement incapable de faire du mal à celui-là, de souhaiter qu'il lui arrive quoi que ce soit. Tu l'as assez bien prouvé il y a trente-cinq ans. Alors, si tu ne chercheras guère de réconfort chez lui, tu te gardes également d'approcher le mignon Exorciste.
Lenalee est presque condescendante – non, pas presque, il y a bel et bien une pointe de ton suffisant dans sa voix lorsqu'elle décrit les états d'âme conflictuels (notamment à propos de ton oncle) de l'albinos à propos des Noah, des hésitations et des peines que lui fait subir son cœur incertain. Lenalee est faite d'un autre bois que lui. Lenalee est forte, dure, forgée dans le fer et le feu par les événements qui lui sont arrivés, sans pour autant perdre sa capacité d'empathie. Lenalee est emplie de certitudes, là où Allen n'a que doutes. Elle a su te trouver aussitôt, et sa liaison avec toi ne lui cause pas tant de tortures mentales que celles qu'Allen se cause pour un rien – aux dernières nouvelles, Lenalee peut se targuer d'avoir été bien plus en contact avec un Noah que lui ne l'a jamais été.
Ta Lenalee est bien mieux que belle, elle est aussi forte. Elle seconde les Maréchaux aussi efficacement que cet épéiste et sans son côté mélodramatique. Elle est l'une des Exorcistes les plus puissantes. Elle a subi tout ce que l'existence pouvait lui déjeter à la figure sans broncher, serrant les dents et les poings. Elle conserve un cœur même après tout ce qui lui est arrivé, sans pour autant verser dans un sentimentalisme débordant. Ta Lenalee est de glace et de bois, un cœur rouge poisseux planté dans sa poitrine impassible.
(Ce cœur est à toi et pour rien au monde tu ne le céderais. C'est que tu te dis instinctivement. Ce n'est pas vrai : pour te préserver, tu la laisserais partir. Neah t'a traumatisée, et maintenant tu as peur, voilà, de ce qui pourrait advenir.)
Tu penses à elle toute la nuit.
Sûrement, il te faut veiller sur la source de ton bonheur ? Sûrement, personne ne t'en voudrait de faire preuve d'égoïsme en prenant soin de celle qui allume la lumière dans tes yeux ? Sûrement, si tu doses bien les choses, la tragédie passée peut être évitée, pour cette fois ? Sûrement. Peut-être.
L'incertitude te tue. Tu n'es plus sûre de rien, tu te demandes seulement si tu n'as jamais eu aucune certitude à ce propos. Tes connaissances sont limitées à vos déductions des événements vécus. Aucune preuve n'est jamais venue étayer vos idées, puisque aucun des vôtres n'aurait osé composer une expérience sur l'un des siens. Tu ne sais plus rien. Tu espères seulement.
Sûrement, probablement, peut-être. Peut-être bien, oui, sauf que : peut-être, mais qu'est-ce qui se passe si tu te trompes ? Lena devient un membre tronqué des vôtres ? Elle finit mal, t'entraînant vers le même genre de catatonie folle qui possède Adam ? Tu as peur, ça y est, tellement peur de ceux qui peut arriver si tu te trompes. Pile : tout se passe bien, tu es heureuse. Face : Noah seul devine ce qui va arriver, ce peut être n'importe quoi, mais quoi que ce soit ce sera mauvais. Pas de lancé : tu vas finir en miettes, encore. T'es tordue, déchirée.
Tu es dans une impasse. Une joliment belle, ouais, dilemme atroce, putain d'impasse.
Tu ne passes pas une très bonne nuit.
