Accompagnement

Les seuls moments où Gabriel n'avait pas peur de Michel, c'était lorsque le Prince des Archanges faisait de la musique.

Que l'Aîné des Anges joue d'un instrument, ce n'était pas si étonnant que cela, les trois autres membres du chœur partageaient le passe-temps : Lucifer pratiquait l'orgue avec enthousiasme, Raphaël préférait la guitare, et Gabriel hésitait entre l'accordéon et la trompette.

Michel préférait le piano.

Il ne jouait jamais quand on pouvait l'entendre. Il utilisait le piano de la salle de musique du lycée uniquement après la fin des cours, une fois le concierge passé. Comme ça, il était tranquille.

Il jouait n'importe quoi : des airs classiques, du jazz, du rock, de temps en temps de la pop. Ça dépendait de son humeur, de la vitesse du vent, et de la présence ou de l'absence de biscottes à la confiture au petit-déjeuner. Le plus souvent, il jouait une musique tonitruante, presque aussi terrifiante que celle que Lucifer faisait sortir de son orgue.

Seulement presque.

Gabriel n'avait jamais peur de Michel quand celui-ci était au piano, alors que Lucifer le réduisait en larmes de frayeur dès qu'il jouait un morceau. Drôle d'inversion.

Du coup, le dernier des Archanges s'arrangeait toujours pour être dans l'école quand Michel allait pratiquer. Il était pratiquement le seul auditeur de son frère.

Pour être franc, ce n'était pas pour la musique qu'il venait. C'était pour l'expression sur le visage de l'Archange blond – concentré, absorbé par le positionnement de ses doigts sur le clavier et l'ordre dans lequel il devait appuyer sur les touches. Il n'avait juste pas l'air du Général de la Milice Céleste. Il avait juste l'air… l'air d'être Michel.

L'air d'être le grand frère de Gabriel.

Il ne disait jamais rien lorsqu'il entendait la porte s'ouvrir et se refermer pour laisser entrer le Messager. Il laissait Gabriel se hisser d'un bond souple sur la caisse du piano, semblable à un chat qui se perche sur un muret.

Quand Michel était d'humeur farceuse, il invitait son cadet à venir jouer avec lui.

Ce n'était pas vraiment jouer : Gabriel se contentait de s'asseoir sur les genoux de son aîné et de poser ses petites mains sur les grandes paluches de Michel. L'Archange blond faisait toujours tout le travail.

C'était ça que préférait le dernier des Archanges : pouvoir sentir les mains de son grand frère sous les siennes, toutes tendues par l'effort de faire de la musique, pas l'effort de la bataille.

Parce que ça voulait dire que son grand frère pouvait aussi être quelqu'un de gentil. Pas juste quelqu'un d'effrayant.