TUE-LOUP

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Pré-au-Lard, 19 février 2007

Il neigeait. Mais quand je dis qu'il neigeait, je ne parle pas de ces petits flocons que l'on confondrait aisément avec de la pluie s'ils n'étaient pas blancs ; je parle de gros, d'énormes flocons qui vous transforment en bonhomme de neige dès le moment où vous posez un pied dehors. Et c'est ce dont j'avais l'air en ce moment, même si deux jours auparavant, il aurait été plus exact d'affirmer que je ressemblais à un bon loup-garou de neige.

Je revenais de chez Honeydukes et, avant de pénétrer à l'intérieur de ma chaleureuse maison, je m'ébrouai consciencieusement sur le pas de la porte. Aussitôt à l'intérieur, je fus assailli par deux petits loupiots qui se blottirent contre mes jambes en s'exclamant "Papa ! Papa !" pour l'un et "Papapapapapa !" pour l'autre. Avec un grand sourire, j'accrochai ma cape, mon cartable et mon sac rempli de victuailles au porte-manteaux et hissai chacun de mes adorables bambins dans chacun de mes bras.

Je les contemplai alors qu'ils me réchauffaient en enfouissant leur tête au creux de mon cou. Et remarquai que, comme tous les soirs quand je rentrais à la maison, ils arboraient tous deux des cheveux châtains striés de mèches grises et blanches. Une imitation parfaite de mes propres cheveux. Je ne pus m'empêcher de sourire, comme toujours, mais il fallait quand même que j'essaye de leur faire comprendre une fois pour toutes que ce n'était pas la couleur qui leur allait le mieux.

- J'aime beaucoup quand vous changez vos cheveux, les enfants, leur dis-je sur un ton affectueux, mais vous êtes beaucoup trop jeunes pour avoir des cheveux gris et blancs.

- Pourquoi toi tu as le droit d'en avoir alors ? me demanda Dianne, ma fille de quatre ans et demi, qui avait l'air de ne vraiment pas comprendre.

- Parce que je suis vieux, du moins bien plus que vous, et que c'est à mon âge qu'on a le droit d'avoir des cheveux comme les miens. Et puis, ce n'est pas un choix. Je ne peux pas changer de couleur de cheveux comme de robe, moi.

- Pourquoi ?

- Je te l'ai déjà dit, Dianne, je ne suis pas comme vous et maman, je ne peux pas changer, c'est tout.

- Maman cassé, déclara soudain Eliott qui semblait vouloir participer à la conversation.

- Cassé ? répétai-je d'un ton inquiet. Maman s'est fait mal ?

- Non, me rassura Dianne, maman a fait tomber la lampe, mais elle est réparée !

- Aaah, j'ai eu peur, dis-je en ressentant un soulagement immense. Les enfants, je commence à avoir mal au dos, je vais vous reposer, d'accord ? Il y a du chocolat pour le goûter dans le sac, tenez.

Dès que je les eus reposés, ils reprirent leurs couleurs de cheveux favorites : rose pour Dianne et écarlate pour Eliott. Je leur tendis le sac et ils se précipitèrent dans le salon, où je devinais que ma femme devait se trouver. J'avais hâte de la retrouver et de la tenir contre moi. Quand j'entrai à mon tour dans le salon, je les vis tous les trois rassemblés auprès de la cheminée où un magnifique feu brûlait. Les enfants étaient occupés à défaire les paquets de Chocogrenouilles et Dora les regardait avec des yeux brillants. Elle m'aperçut, me sourit et essaya de se lever, mais son geste lui arracha une grimace et la força à se rasseoir dans le confortable fauteuil.

- Tu vas bien ? demandai-je, inquiet, en approchant mon visage du sien.

Je déposai un baiser sur ses lèvres et m'assis dans le fauteuil à côté du sien.

- Très bien, ne t'inquiète pas, me dit-elle d'une voix douce. Et toi ?

- Merveilleusement bien, comme à chaque fois que je rentre chez moi. Et comment va notre petit hibernant ? demandai-je en caressant tendrement son ventre bien rebondi.

Elle rit et cela acheva de me réchauffer ; son rire était cristallin et révélait qu'elle était heureuse, tout comme ses cheveux d'un rose éclatant. Et la savoir heureuse me rendait infiniment heureux, comme de savoir que mes enfants l'étaient tout autant.

- Il me semble qu'il se porte bien. Il m'a donné des coups de pieds presque toute la journée pour ne pas que je l'oublie. Mais j'en serais bien incapable...

- Ça n'a pas été trop douloureux ?

- Non, tu sais que j'adore ça, sentir la vie en moi.

Je déposai de nouveau un baiser sur ses lèvres, un peu plus long cette fois, les enfants étant occupés à comparer leurs cartes de sorciers et sorcières célèbres.

- J'ai Harry Potter ! s'écria Dianne en brandissant dans notre direction une carte illustrée avec le portrait d'un jeune homme aux cheveux noirs, aux yeux verts et dont la cicatrice en forme d'éclair qui ornait son front faisait de lui le plus célèbre des sorciers.

- Teur ! Teur ! s'exclama à son tour notre fils en agitant sa carte au-dessus de sa tête.

- Mais non, Eliott, dit Dianne en examinant la carte, c'est Neville Londubat.

- Uba ! Uba !

Dianne, Dora et moi éclatâmes de rire. Eliott nous observa d'un air curieux, sans parvenir à savoir ce qui nous arrivait, avant de se mettre à rire à son tour.

- Il faut qu'on les invite, d'ailleurs, me rappela Dora en essuyant des larmes de joie aux coins de ses yeux.

Elle faisait référence à Harry et sa femme Ginny, à Neville et à tous les membres de la famille Weasley, sans oublier tous les enfants.

- Oui, mais pas avant un bout de temps. Nous allons bientôt avoir un hôte de marque et il va certainement nous occuper un bon moment. Et tu as besoin de te reposer.

- Je suis tellement heureuse, Remus.

- Moi aussi, Dora. Moi aussi.

Dianne monta sur mes genoux pour déguster son Chocogrenouille, et Eliott investit ceux de sa maman, bien qu'il n'y eût pas beaucoup de place à cause de son gros ventre.

- Comment s'est passée ta journée ? me demanda Dora en essuyant un peu de chocolat au coin des lèvres d'Eliott.

- Oh, très ordinaire. Très agréable. C'est toujours un plaisir de travailler à Poudlard. Et toi ? Il paraît que tu as encore cassé une lampe ?

Elle rougit aussitôt et je la trouvai encore plus séduisante.

- Ce sont les enfants qui t'ont dit ça ?

- Oui, répondis-je d'un ton amusé. Quelle lampe, au fait ?

- Celle d'Eliott.

- Tiens, celle-là c'est la première fois. Tu as glissé sur un jouet ?

- Non, j'ai eu...

- Oui ?

- Rien de bien méchant, juste un coup de pied un peu douloureux. Quelle heure est-il ?

- Hmmm..., dix-sept heures vingt, dis-je avant de ranger ma montre dans la poche de mon gilet. Teddy devrait déjà être rentré, non ?

- Il reste jouer un peu chez Colm.

- Callaghan ?

- Oui.

- Je suis content qu'il se soit fait des amis, dis-je en souriant aux flammes qui dansaient dans la cheminée.

Dianne et Eliott partirent chercher des jouets dans leurs chambres et je les regardai sortir du salon. Je ne pus m'empêcher de sourire à la vue de mon fils courant en se dandinant derrière sa sœur.

- Tu vois, tout le monde sait que son père est un loup-garou et personne ne l'a rejeté pour autant. Comme personne ne te rejette plus.

- Tu crois qu'il n'a pas trop honte de moi ?

Les yeux de Dora s'écarquillèrent puis elle fronça les sourcils.

- Comment peux-tu demander une chose pareille ? Tu es son père, Remus, il t'aime et il est fier d'être ton fils.

- Fier, tu crois vraiment ?

- Oui, fier. Il me l'a dit après votre première dispute, il y a un mois. Il m'a dit qu'il était désolé de t'avoir dit ça et qu'il était fier de toi. Évidemment, il ne te l'a pas dit à toi parce qu'il n'ose pas, mais il le pense, tu peux en être sûr. Seulement, il voudrait que tu arrêtes de te déprécier et de prétendre que tu lui fais honte, parce que ce n'est pas vrai.

- Il est très mature pour son âge. Il sait que je l'aime, n'est-ce pas ? ajoutai-je, soudain inquiet.

- Oui, il le sait, il s'en rend bien compte. Mais ce qu'il aimerait, c'est que tu t'aimes un peu plus. Et il n'est pas le seul. Mmmh...

- Dora ?

Elle avait fermé les yeux et se mordait la lèvre. Je me levai et l'entoura de mes bras, l'incitant à me parler, mais elle se tordait de douleur et je ne pouvais que la regarder, impuissant.

- Par Merlin, Dora ! C'est le bébé ?

Soudain, son corps se relâcha et elle expira longuement. Elle ouvrit des yeux rouges et humides et me sourit, et je sus qu'elle voulait me rassurer.

- Dora, c'était le bébé ?

- Ce n'est rien, Remus, c'est normal.

- Tu es sûre ? Tu ne crois pas qu'il...

- L'accouchement est prévu pour mi-avril.

Les enfants arrivèrent avec leurs jouets et me demandèrent de les aider à construire un château. Je savais qu'en fin de compte, je bâtirais le château moi-même mais cela me faisait plaisir. Après un dernier coup d'oeil un peu sceptique à Dora, qui avait attrapé le dernier numéro de Sorcière Hebdo, je m'installai sur le tapis du salon et commençai à empiler des cubes sous le regard fasciné de mes deux petits sorciers.

Le château fut terminé à six heures et demie, et j'allai chercher dans ma chambre le livre sur les Vampires et autres suceurs de sang que j'avais commencé la veille. Quand je revins dans le salon, le château était détruit et je me sentis tout d'un coup plus désespéré que jamais. Dora, elle, riait aux éclats, Eliott avait un air coupable et Dianne se précipita vers moi pour étouffer ses pleurs dans mon pantalon.

- Que s'est-il passé ? demandai-je tout en le devinant parfaitement.

- Ce n'est pas moi ! s'exclama Dora en riant.

- C'est Eliott ! dit Dianne entre deux sanglots. Il est trop maladroit, il n'arrive même pas à se tenir debout !

Je ris malgré moi, et ma fille me lança un regard noir avant de partir dans sa chambre. Eliott se mit à rire aussi et je le hissai dans mes bras.

- En tout cas, nous n'avons pas besoin de nous demander de qui tu as hérité ta maladresse, bonhomme !

Dora ne me contredit pas. Au lieu de ça, elle se tordit à nouveau de douleur et, reposant aussitôt Eliott, je me précipitai vers elle.

- Dora, j'appelle Molly, lui dis-je alors qu'elle reprenait son souffle.

- Non, pas maintenant. Je t'assure que ça va aller.

- Tu souffres, ne le nie pas. Et ces contractions à répétition ne peuvent signifier qu'une chose : le bébé arrive.

- Il est beaucoup trop tôt !

- Mais ce n'est pas normal, tu le sais bien !

- Ne t'inquiète pas, vraiment. Va plutôt consoler Di, elle est partie bouder dans sa chambre.

- Appelle-moi si quelque chose ne va pas.

- Promis.

Je trouvais ma fille étendue sur son lit, la tête dans son oreiller. ses cheveux étaient longs et noirs et je l'entendais sangloter. Je m'assis auprès d'elle et caressai ses cheveux. Comme je m'y attendais, elle m'ignora, et je glissai ma main à l'intérieur de son col pour la chatouiller.

- Arrête papa ! dit-elle au bout de quelques instants, ne pouvant plus se retenir de rire.

- Tu es fâchée ? lui demandai-je en essuyant de mon pouce les vestiges de ses larmes sur son petit visage rose.

- Elie casse toujours tout ! J'en ai marre !

- C'est vrai qu'il est un peu maladroit, mais ce n'est pas bien grave. Tu sais, votre château, je peux le reconstituer d'un coup de baguette.

- C'est pas pareil.

Je caressai tendrement ses cheveux et souris quand ils reprirent leur belle couleur rose, la couleur favorite de Dora. Dianne se blottit contre moi et me demanda :

- Papa, tu me fais un câlin-garou ?

- Tu es sûre que tu le veux ?

Elle hocha la tête avec un sourire malicieux et je plongeai sur elle en faisant mine de la manger. En entendant nos rires, Eliott nous rejoint dans la chambre et demanda aussi un "cahin-arou". Après l'avoir mangé tout cru lui aussi, je pris mes deux enfants chéris dans mes bras et les serrai contre moi.

- Je vous aime, murmurai-je. Je vous aime tellement.

Quand nous fûmes revenus dans le salon, Dora me demanda si je pouvais aller chercher Teddy. Je n'étais pas très rassuré à l'idée de les laisser seuls tous les trois – ou tous les quatre – mais Dora m'assura que tout se passerait bien. J'enfilai ma cape, passai mon écharpe autour de mon cou – je l'avais oubliée en partant pour Poudlard et en avais fait les frais – et sortis dans le froid. Il ne neigeait plus.