Loups de cœur
-1-
Il devait être aux alentours de huit heures ce matin-là quand la sonnerie du téléphone retentit. Je laissai sortir une main de sous la couette, cherchant le combiné, faisant s'échouer sur le sol le verre qui était posé sur la table de nuit.
- Et flute… lançais-je.
La sonnerie s'arrêta et ma main retomba nonchalamment le long du lit, atterrissant sur le parquet. Une nouvelle sonnerie, plus courte celle-ci, raisonna, signe qu'il y avait un nouveau message sur le répondeur. Je sortais ma tête de sous la couette, les cheveux en bataille, et bientôt, mes deux pieds prirent place sur le sol. Je baillai tout ce que je pouvais et me grattai la tête. Attrapant mon téléphone portable, je composai le numéro pour joindre mon répondeur. Attendant que la charmante voix féminine m'annonce qu'elle avait un nouveau message pour moi, j'en profitai pour ramasser le verre que je venais de faire tomber, l'eau s'étant répandue sur le sol.
- Malin ça…
La voix enregistrée laissa bientôt la place à une voix plus familière, apparemment assez décontenancée.
« Bon c'est moi, rappelle-moi, j'ai un tas de trucs à te dire là ! »
Je coupai le téléphone et me renversai sur le lit, fermant les yeux à nouveau. Nouvelle sonnerie stridente.
- Mais tu vas me lâcher oui !
J'appuyai sur le bouton afin de pouvoir répondre et plaquai l'écouteur contre mon oreille.
- Allez vas-y dis-moi ce que tu as de si important à me dire pour me réveiller à cette heure un dimanche matin…
Mon correspondant eut un petit rire.
- Tu sais que j'adore te réveiller avec ma douce voix.
- Accouche Ethan…
- Tu me croiras si tu veux mais… j'ai retrouvé quelqu'un de notre famille…
- Ah oui et qui ça ? lui dis-je en bâillant.
J'attendis un petit moment avant qu'Ethan ne réponde.
- Notre père… répondit-il.
Je rouvrais les yeux et fit semblant de chercher une réponse dans le plafond.
- Tu peux répéter ?
- Tu as bien compris. Notre père, je l'ai retrouvé… et je suis chez lui actuellement.
- Qu'est-ce que tu me chantes encore. On n'a plus de père. Il est mort avant notre naissance.
Je me relevai dans le lit, parfaitement réveillée à présent.
- C'est ce que disait maman ça… mais j'ai eu raison de faire des recherches. Sur son passé par exemple…
- Tu as fouillé dans les affaires de maman ? Mais… ça t'as pris comme ça sans raison ? Un matin tu te lèves et hop, tiens si je fouillais les affaires de ma mère pour savoir si mon père est réellement mort ?
Un nouveau rire de l'autre côté du combiné.
- Non c'est par un pur hasard Lisa. Vraiment un pur hasard…
A nouveau le silence. Puis une voix qui murmurait légèrement derrière lui.
- Je dois te laisser, ils arrivent. Je te rappelle plus tard ! Ciao.
- Ethan ! Att…
Un signal répétitif me fit comprendre qu'il avait déjà raccroché.
- Qu'est-ce que c'est que cette histoire encore… marmonnais-je avant de me lever.
Je me dirigeai vers la salle de bain, baillant une nouvelle fois et allai me passer un peu d'eau sur le visage. Regardant mon reflet dans la glace, je soufflai de dépit.
- Ma vieille, va falloir se ressaisir… tu te laisses aller là.
Je me brossai rapidement les cheveux et les attachai en une queue de cheval simple avant d'enfiler ma tenue de footing. Maintenant que mon frère m'avait réveillée, autant aller profiter de la fraicheur matinale pour aller courir. Il faut dire qu'avec mon boulot d'infirmière urgentiste à l'hôpital, je n'avais pas énormément de temps pour prendre soin de moi, et je préférai aller courir quand j'en avais l'occasion. La conversation avec Ethan me revint en tête. Qu'est –ce que c'était encore que cette nouveauté qu'il avait été chercher ? Maman nous a toujours dit que papa était mort dans un accident de la route quelques temps avant qu'on ne naisse –ce qui explique pas mal qu'elle ait toujours été assez distante avec nous et avec un air triste en permanence sur le visage. Et encore, je me demande si ce n'est pas le côté « animal » d'Ethan qui la dérange… Ça, je crois qu'elle aura toujours du mal à s'y faire.
Je me dépêchai de prendre un café et un peu de céréales avant de me diriger dehors. Manque de chance, il pleut légèrement aujourd'hui. Bah, un peu de pluie ça fait pas de mal en même temps ! Je passai la capuche de mon sweat sur ma tête et commençait en petites foulées sur le trottoir pour aller rejoindre le parc situé juste à côté de chez moi.
« J'ai retrouvé notre père… »
Cette phrase n'arrêtait pas de revenir dans ma tête au fur et à mesure de ma progression dans le parc. Mais comment cela pouvait-il être possible ? en plus même en imaginant que ce soit vrai –je dis bien en imaginant- comment aurait-il pu retrouver sa trace ?
- Raaaa Ethan, toi et tes énigmes ! Au lieu de tout me dire d'un coup, je dois attendre, comme toujours !
Je m'arrêtai sur le côté, sentant une crise arriver. Je cherchai mon inhalateur dans la poche de mon sweat et le sortit pour prendre une rasade de produit qui m'aiderai à faire passer la crise d'asthme. Fichues crises… Il fallait le dire, Ethan avait de la chance d'être en pleine santé, pendant que moi je me récoltai toutes les maladies qu'on peut attraper… dont l'asthme qui me gâchait indéniablement la vie par moments, surtout lors de fortes crises. Je décidai de rentrer au bout d'un quart d'heure, l'humidité ambiante n'aidait pas à améliorer l'état de mes bronches. La course modérée, je pouvais tenir, mais avec la pluie, c'était évidemment moins facile. J'arrivai juste à temps pour entendre à nouveau le téléphone sonner. Je me dépêchai de décrocher, largement essoufflée et entendit la charmante voix d'Ethan.
- Tu as encore été courir !
- Elémentaire mon cher Watson… belle déduction
- Tu mériterais une paire de claques des fois…
- Oui papa. Bon alors, tu vas me dire ce qui se passe ?
- Pas au téléphone. En fait, il faudrait que tu viennes par ici.
- Tu es rentré ? Mais tu m'as dit que tu étais chez notre soi-disant « père ».
- C'est exact, je suis chez lui. Il faudrait que tu viennes dans les Tri-cities.
- Les quoi ? Où est-ce que c'est ça ?
- Plus au nord… dans l'état de Washington. Il faut que tu ailles à Pasco, on viendra te chercher là-bas.
- Tu as été aussi loin ? Mais… là je n'arrive pas à te suivre. La semaine dernière, tu me dis que tu vas te promener –et je te rappelle que c'est risqué, surtout en période de pleine lune qui approche- et là tu me dis que tu te trouves dans l'état de Washington.
- Oui il fallait que j'aille plus au nord, et… c'est maman qui m'a donné son nom.
Je crois rêver. Un dimanche matin, j'apprends que mon père vit et que mon frère est partit tout simplement le trouver, comme ça, grâce aux dires de notre mère. Merveilleux.
- Pourquoi as-tu besoin de moi ?
- Tu ne veux pas le rencontrer ?
- Qu'est-ce qui me prouve que c'est bien lui ?
- Tu le sauras, il a la même odeur…
- Je n'ai pas ton odorat mon cher…
- A bien réfléchir, si parfois…
Je soupirai.
- S'il te plaît, tu dois vraiment venir ici. Ils veulent en savoir plus sur nous.
- Ils ? Qui ça « ils » ?
- La meute du coin.
Là je dois rêver. Il vient de prononcer le mot « meute » ?
- Oui une meute, tu as bien entendu. Toi qui trouvais ces histoires de meutes de loup-garou à coucher dehors, tiens-toi bien parce que je suis avec l'une d'entre elle, et pas la moindre, celle de la Columbia…
Je marquai un temps d'arrêt devant tout ce qu'il venait de me dire. Cela me fit faire une nouvelle crise d'asthme en apprenant autant de nouveautés.
- Lisa ?
Je reprenais mon souffle lentement et finit par lui répondre avant qu'il ne se décide à appeler les pompiers.
- Ca va. Bon je vais voir pour trouver un vol et je te dis quand j'arrive, d'accord ?
Je pouvais sentir son soulagement dans le son de sa voix.
- D'accord.
Je raccrochai et regardai le téléphone un instant. Je n'y croyais pas. Je ne pouvais pas y croire. Mais il allait falloir aller voir ce qu'il fabriquait avec une meute de loup-garou aux Tri-cities en attendant… J'allai donc voir les vols en partance pour Pasco sur internet en priant pour que cette fois, l'ordinateur ne plante pas –vu que j'étais une spécialiste en la matière- et trouvai mon bonheur pour la semaine suivante. Autant profiter de mes quelques jours de repos, même si cela serait court, j'irai voir l'état de folie avancée de mon frère au moins trois jours… Parce qu'il ne pouvait s'agir que de folie à ce stade. Je ne voyais pas d'autre explication possible.
