Une vie d'enfer.

Prélude.

Elle se tenait devant le cercueil fermé qui contenait la personne à laquelle elle tenait le plus au monde, sa mère. Morte dans un accident de la circulation, renversée par un chauffard ivre en sortant du foyer où elle travaillait. Mana Sumire était assistante sociale de carrière, et l'une des rares personnes à accepter de travailler dans le quartier défavorisé de la ville. D'ailleurs, tous les « délinquants » étaient présents, en hommage à cette femme qui s'était battu pour eux.

Yuki, du haut de ses quinze ans, ne parvenait pas à intégrer que sa mère n'était plus, qu'elle ne la réveillerait plus le matin quand elle serait en retard, qu'elle ne râlerait plus pour que sa chambre soit rangée, qu'elle ne ferait plus rien, tout simplement. Les personnes qui la connaissaient se suivent les unes après les autres, anonymes, présentant des condoléances dont elle ne veut pas.

Elles endura le sermon du prêtre, hurlant intérieurement que sa mère ne croyait pas en dieu, mais sa grand mère paternel et son père étaient formels, l'enterrement religieux était ce qui se faisait. Elle devait se faire une raison pour ça aussi, désormais, elle était la fille de Kôsaka Misusu. Et de ce fait, elle devait être parfaite, à l'image du reste de la famille. En ce qui concernait sa grand mère... eh bien, elle était à peine plus chaleureuse que la banquise, et pourtant, c'était elle qui dirigeait tout ce petit monde d'une main de fer, d'où la joie forcée et l'admiration de ses oncles et tantes en pleine cérémonie, pour recevoir des points ou un peu d'attention de la part de ce monstre d'indifférence qui ne supportait rien de moins que la perfection.

Une fois les larmes de crocodiles séchée et l'affectation de deuil devenue inutile, son père et sa grand mère changèrent radicalement de comportement et la conduisirent chez elle, où ils lui dirent de prendre le strict minimum, ils lui rachèteraient le reste à la première occasion. Monstres. Yuki prit les photos, ses plus forts souvenirs et quelques vêtements de sa mère. Le reste allait être détruit. Elle repassa devant son géniteur et la mère de celui là sans leur accorder un regard et monta dans la voiture. Son comportement fit froncer les sourcils à la vieille femme mais elle ne fit aucun commentaire. Aucune parole ne fut échangée sur le trajet.

La maison de Kôsaka était à son image, quelconque, froide, impersonnelle. Elle aurait donné cher pour aller vivre avec son oncle Sô, le petit frère de Mana, qui vivait à quelques kilomètres dans la campagne. Yuki adorait son oncle et s'était toujours très bien entendu avec lui. Elle déplorait que l'autre partie de sa famille ait débouté la demande de garde du jeune homme. Il lui avait dit de ne pas abandonner tout espoir, et qu'il referait demande sur demande jusqu'à la tirer de là. L'espoir faisait vivre, comme on dit.

Nouvelle maison, nouvelle école, nouvelle vie, et pourtant, l'ancienne lui faisait défaut. Yuki était perdue dans cette avalanche de convention sociale et d'informations. La directrice l'avait prise à part pour lui dire que ses notes n'étaient pas suffisantes pour l'établissement et qu'elle devait suivre des cours de soutien pour se remettre à niveau. Elle pestait encore sur cette peau de vache sur le chemin du retour, et ne fit donc pas attention au type qui la suivait depuis la sortie de l'établissement scolaire. Pas plus qu'à la voiture qui roulait presque au pas à côté d'elle, ce que tout le monde semblait trouver normal, aucun coup de klaxon ne troublant le murmure de la circulation.

Lorsqu'une main s'abattit sur son épaule, elle se retourna sans paniquer, pensant avoir affaire à un élève de sa classe. Elle se figea devant le tas de muscles qui la tenait fermement et qui mesurait au moins deux tête de plus qu'elle.

Contrairement à ce qu'elle pensait, ce ne fut pas la panique qui afflua, mais une rage sourde. On la faisait ENCORE chier, après tout ce qu'elle avait vécu, fallait qu'ils en rajoute une couche. Elle fixa le type qui la tenait, laissant apparaître toutes ses émotions sur son visage, ce qui déstabilisa l'homme, elle en profita pour lui envoyer un bon coup dans les cojones et se libéra de sa poigne. Elle n'attendit pas d'invitation et se mit à courir droit devant, entendant vaguement la voiture qui la suivait également à travers le sang qui lui battait aux tempes. Elle s'engouffra dans un centre commercial, ou plutôt une galerie où se bousculaient diverses boutiques dans l'espoir de se perdre dans la foule. Malheureusement, cela ne sembla pas les inquiéter outre mesure, ils fendirent la foule comme si les gens s'écartaient d'eux même de leurs passage, ce qui, en y regardant de plus près, était le cas.

Ils la rattrapèrent en dix minutes, l'un d'entre eux lui injecta un liquide qui lui fit fermer les yeux de douleur, son corps s'engourdit dans la seconde, la faisant sombrer dans l'inconscience. Elle se rendit vaguement compte du fait qu'elle était fourrée dans un coffre, et après ça, le vide. Elle se réveilla dans ce qui semblait être un appartement du centre mais... pourquoi diable y avait il une membrane sur les murs, comme si l'habitation était vivante. Beurk. Elle pouvait voir pulser ce truc comme un cœur humain. Elle était attachée à une chaise, regardant la montagne, c'est ainsi qu'elle appelait la personne chargée de la surveiller, faire les cent pas comme un lion en cage. Elle n'appréciait pas plus que ça l'immobilité forcée, mais ce n'était pas comme si elle avait eu le choix. Enfin, il se passa quelque chose, un vieil homme, très vieux, entra dans la pièce et la jaugea de bas en haut, puis de haut en bas. Il renifla de dédain, puis s'adressa à la montagne dans un langage archaïque que Yuki ne connaissait pas, ou du moins, pas encore.

Il tendit la main vers Yuki, qui, malgré tous ses efforts ne put se soustraire au contact de cette main décharnée. Il la tâta, pinça, examina sous toutes les coutures, y compris les dents, malgré une jolie morsure. Puis il déclara qu'elle ferait l'affaire malgré sa constitution faible, et sortit une graine de sa poche. Il colla la pousse sur le mur, et dit qu'il n'y avait plus qu'à attendre. Yuki fut placée devant l'endroit où le vieillard avait placé le végétal, l'odeur était immonde, elle fit sombrer Yuki dans l'inconscience. Elle ne se réveilla que bien plus tard. De fin tentacules de soie partait de la paroi pour se coller à elle, presque comme un manteau. Elle ne s'en rendit pas compte tout de suite, la plupart des filaments se trouvant dans son dos, cependant, plus le temps passait, plus ils étaient nombreux. Au bout de quelques jours, elle était presque entièrement recouverte d'une coque dure qui faisait sûrement office de protection.

Le vieille homme l'examina à nouveau, et déclara qu'il n'y avait plus longtemps à attendre. Il parla d'une sorte de stase, un état de mutation que Yuki ne comprit pas. En tout cas, elle était dans une merde noire, ça, c'était clair comme de l'eau de roche. Et en effet, le rythme de production de la matière s'accéléra jusqu'à former un cocon autour d'elle. Des pointes entrèrent sous sa peau et lui injectèrent une substance qui lui brûla les veines. Quand elle voulu hurler, un voile de soie lui couvrit le visage, la condamnant à souffrir en silence. Elle s'endormit d'un sommeil sans rêves, et ne se réveilla pas dans son monde. Le ciel était rougeâtre avec des rayons violet, parcourus d'éclair. Elle avait déjà vu un tel ciel, une fois, il y a fort longtemps, dans son plus terrifiant cauchemar. Elle n'avait que 8 ans, même si elle était plus âgée dans le songe, mais ces souvenirs la terrifiait encore. Elle était de retour, là où elle aurait souhaité ne plus se rendre de sa vie. Les enfers, du moins était ce le nom que l'homme qui l'avait attrapé avait donné à ces lieux.