Jamais plus ou rêverie d'un Bélier au lendemain d'une nuit de passion
- Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?
La phrase avait sonné comme un couperet. A peine Mü avait-il gagné, nu, l'onde sereine du lac qu'une voix de stentor douchait déjà ses ardeurs. Apeuré tel l'agneau venant de naître, le Saint d'or répondit :
- Que votre majesté ne se mette pas en colère. Considérez plutôt que je me baigne plus de dix pas en dessous d'Elle. Par conséquent, je ne peux en aucune façon troubler votre boisson.
- Tu la troubles, reprit le cruel gardien. Et je sais que, de moi, tu médis l'an passé ! Il faut donc que je me venge !
Tel un loup affamé, le gardien retira ses vêtements et se jeta sur un Mü tout disposé à se faire croquer et, si besoin était, à mordre à pleine dent le fruit défendu.
Le lac fut, pendant des heures, le compagnon de leurs torrides ébats. Ce moment, il l'avait rêvé si fort, tous deux, que, plus d'une fois leurs draps s'en étaient souvenus.
Ce n'est qu'au petit jour, ou peut-être était-ce encore la nuit, que Mü s'endormit. Quand soudain, semblant crever le ciel, et venant de nulle part, surgit un oiseau noir.
Lentement, les ailes déployées, lentement, il le vit tournoyer. Près de son amant, comme tombé du ciel, l'oiseau vint se poser. De son bec, il a touché sa joue. Dans sa main, il a glissé son cou. C'est alors que le message est apparu. Surgissant du passé, le conflit était revenu.
- Mission urgente, résuma seulement son amant, sans vérifier que Mü dormait vraiment. Je dois me rendre au Japon.
Le Bélier acquiesça de la tête. La voix gorgée de larmes, il demanda :
- Reviendras-tu ?
- Jamais plus, annonça tristement le fier combattant, en s'équipant de son armure. Nous ne sommes désormais plus du même côté de la barrière. Adieu.
Dans un bruissement d'ailes, le jeune éphèbe prit son vol, pour regagner le ciel.
- Jamian, hurla Mü, à s'en déchirer les cordes vocales.
Mais il était trop tard. Jamian, ce faiseur de pluie et de merveilles, qui seul savait le ramener à ses rêves d'enfant, avait abandonné Mü à son chagrin.
