L'aventure de Boule de poils
Partie 1
Don s'éveilla vers les quatre heures du matin. Il se tourna pour enlacer son amoureux, mais l'espace près de lui se trouvant vide, son bras retomba sur le matelas. Don tendit l'oreille, un bruit furtif en provenance du salon attira son attention. À regret, il repoussa les couvertures et quitta la douce chaleur de son lit pour rejoindre son amant. Qu'est-ce qui pouvait bien le tenir éloigné du sommeil? Peut-être qu'une vilaine enquête, lourde de conséquences, venait de croiser sa route? Ou encore une divergence d'opinions avec Mac, ce qui généralement lui valait bien des nuits d'insomnies. Ou encore un appel de sa mère. Elle parvenait toujours à semer le doute en lui. Après chaque visite chez ses parents, il en revenait toujours tout chamboulé. Don aurait pu continuer encore longtemps sa liste de suppositions, puisque le caractère de Danny relevait du domaine de l'énigme et du mystérieux. Rien n'est jamais facile dans ses cas-là.
Seule la petite lampe de la table d'appoint éclairait faiblement la pièce. Don aperçut Danny tournant en rond dans le salon, comme un lion en cage. Il portait encore le jean et le t-shirt bleu qu'il l'avait vu enfiler plusieurs heures auparavant. Le policier de la scientifique s'arrêta, le temps de jeter un regard hostile au nouvel arrivant. La démarche de Danny, sa posture et ses gestes, tout son être semblait afficher ouvertement une rage à peine contenue.
— Tu ne dors pas? Questionna l'inspecteur.
— Observateur! Répliqua Danny, agressif.
— T'es réveillé depuis longtemps?
— 22 heures, répondit Danny après avoir consulté sa montre.
— Visiblement, t'as un problème. Tu veux qu'on en parle?
— Boule de poils n'est pas rentrée. Je m'inquiète pour elle. Elle a un comportement étrange depuis quelques temps. En fait, depuis que t'as emménagé.
— Encore ce foutu chat!
— Ferme-la. En plus, ça fait cent fois que je te répète que c'est une chatte.
— Elle va revenir. Comme toutes les groupies qui te courent après. De vrais pots de colle.
— Tu la détestes. C'est toi qui l'as fait disparaître! Accusa Danny en colère.
— Enfin, Dan, je ne l'aime pas, c'est vrai, mais je sais l'affection que tu lui portes. La condition était très claire lorsque j'ai accepté de m'installer ici. On garde ton chat jusqu'à sa mort, mais ensuite, il n'y en aura plus d'autres.
— Qui me dit que tu n'as pas précipité sa mort?
— C'est vraiment ce que tu penses de moi? Danny, je suis allergique aux chats. Je passe mon temps à éternuer et à me moucher. J'ai les yeux gonflés, mais quand est-ce que tu m'as entendu m'en plaindre? Je connaissais les conséquences et je les ai acceptées.
— Quand je suis parti travailler hier, je t'ai demandé de la faire rentrer avant de te coucher. À mon retour, oh, surprise, elle n'était pas là. T'as profité de mon absence pour la foutre à la porte. L'as-tu frappée?
— Je ne répondrai pas à ça. Elle n'est pas venue miauler sur le rebord de la fenêtre, comme elle le fait d'habitude. Tu voulais que je fasse quoi? Une ronde dans le quartier? Que je me promène sur la rue en criant «Boule de poils, viens voir papa!» C'est tellement mon genre!
— Sans cœur!
— À part ça, si tu tiens tant que ça à ton chat, t'as qu'à pas le laisser sortir. Je vois des cadavres de chats presque chaque jour. New York est une grande ville avec un nombre incalculable de voitures. Elle est probablement morte sur le coin d'une rue. Je vais ouvrir l'œil en allant au boulot. On ne sait jamais, je vais peut-être croiser ton sac à puces.
— T'es dégueulasse! Tu sais que je l'ai trouvée à moitié morte de froid l'hiver dernier, elle est habituée à aller dehors, je ne vais quand même pas l'empêcher de sortir.
— Tu l'encourages à aller voir ailleurs. Tu regrettes peut-être l'époque où tu faisais la même chose?
Le poing partit rapidement. Don, pourtant maintenant complètement réveillé, ne le vit même pas arriver. Sous l'impact, sa tête se retourna vers la fenêtre. Cette même fenêtre contre laquelle il aurait dû attendre patiemment le retour de Boule de poils. Comme un réflexe inné, son poing vola également à travers l'espace devant lui et s'abattit sur le visage de Danny, frappant à la fois le coin de sa bouche et son nez. Un filet de sang se mit aussitôt à couler, éclaboussant le tapis du salon.
— Danny, Danny, je suis désolé. Je ne voulais pas te frapper. Enfin si, j'voulais, mais pas si fort. Je suis désolé, répéta Don.
— Tu peux être désolé, je m'en fous! Sur ces mots rageurs, Danny quitta l'appartement, le visage ensanglanté, sans prendre le temps de mettre son manteau d'hiver ou d'emporter son cellulaire.
La porte claqua avec fracas derrière lui. Don le regarda partir. Il se sentait un peu coupable, même si son geste de violence venait seulement en réplique à celui de Danny. Il savait à quel point son amoureux tenait à sa petite boule de poils. Danny aimait lui raconter comment le destin ou l'instinct avait guidé ses pas vers la ruelle, alors qu'il n'empruntait jamais ce chemin. Comment il l'avait crue morte lorsqu'il l'avait aperçue, légèrement recouverte de neige dans la nuit glaciale. Les heures d'inquiétude passées à la veiller, la réchauffer, à tenter de lui faire boire un peu de lait chaud. Cette journée-là, il enquêtait sur une mort atroce. Il n'aurait pas supporté de la perdre, pas après avoir tenté durant des heures de lui sauver la vie. Pas à cette période sombre de sa vie. Il aurait considéré ça comme un échec de plus.
Pour certains, dont lui en particulier, elle ne représentait qu'un sac à puces. Une véritable boule de poils. Mais Don savait à quel point son amoureux l'aimait. Elle lui avait apporté un peu de réconfort à la mort de son frère, alors qu'il se sentait si seul. Elle était aussi devenue sa raison de se lever les jours suivants, alors qu'elle allait se frotter tout contre lui, réclamant de la nourriture. Danny avait commencé aussi à lui parler et elle fut la première à entendre sa confession sur son amour impossible envers son meilleur ami. Ce fut encore elle qui apprit la première l'évolution de leur relation, lorsque Don passa à l'attaque et qu'ils devinrent amants. Et elle fut également la première à apprendre qu'ils allaient partager l'appartement avec un nouvel occupant. Don avait aussi pu constater le côté protecteur de Boule de poils. Danny se remettait à peine d'une bronchite. Lorsqu'il quittait pour le travail, laissant son amoureux avachi sur le divan, elle grimpait sur lui et semblait vouloir le réchauffer, alors que la fièvre le faisait trembler.
Le cœur lourd, Don retourna lentement vers la chambre à coucher, sachant très bien que le sommeil le fuirait. Il se sentait un peu coupable, mais en même temps, il ne comprenait pas la réaction excessive de Danny. Comment en était-il arrivé là? Un chat se trouvait-il être la véritable cause de toute cette merde? Ou bien cette querelle cachait-elle en fait quelque chose de bien plus important? Don se mit à réfléchir aux conversations des derniers jours. Puis, l'expression blessée de Danny lui revint en mémoire. Sur le coup, il avait cru à une petite histoire sans conséquences mais hélas, il devait se rendre à l'évidence; leurs divergences de points de vue les éloignaient inexorablement.
À suivre
