- L'individu est de sexe masculin, de type caucasien, de grande taille et de corpulence plutôt mince. Les cheveux bruns, les yeux verts et portant la barbe, il possède un QI largement supérieur à la normale. Il répond aux noms de Peter King, Peter Knight ou encore Peter Castle. Mais son vrai nom est Peter Bishop. Il est accusé de…

C'est à ce moment qu'elle décrocha du discours de Broyles et plus aucun mot ne trouva le chemin de ses oreilles. Comme si la distance entre elle et son supérieur venait subitement de s'accroitre de façon exponentielle en un instant. Comme si une bulle imaginaire s'était formée autour d'elle, l'isolant du monde extérieur. L'isolant de Broyles qui poursuivait son descriptif à rallonges, de ses équipiers occasionnels qui buvaient les paroles de leur chef comme un nectar un jour de canicule, des passants qui allaient et venaient à l'entrée de la gare où ils étaient supposés interpeler et arrêter le suspect.

C'était inhabituel et inapproprié, si éloigné de son professionnalisme sans faille qui lui valait des éloges qu'elle se fichait d'entendre. Pourtant, c'était ainsi. Elle ne voyait plus rien, n'entendait plus rien, ne sentait plus rien. Comme soudain poussée hors du temps et de l'espace pour je-ne-sais quelle magie à laquelle elle ne croyait même pas. Mais son esprit refusait de se concentrer sur la mission. Une impulsion qu'elle ne comprenait pas qui la poussait à abandonner cette opération. Comme une intuition qui lui criait de laisser tomber. Elle fut à deux doigts d'interrompre le discours sans fin de Broyles. Mais Olivia Dunham n'était pas de ceux qui baissaient les bras. L'idée même lui donnait la nausée et le sentiment de faiblesse qu'elle sous-entendait suffit à lui redonner toute la hargne dans laquelle elle puisait d'habitude ses ressources pour avoir la force de continuer.

Elle se fit violence pour chasser de son esprit toute pensée parasite et se concentra de nouveau sur son objectif. La bulle éclata, la distance imaginaire se réduisit à peau de chagrin, et les paroles de Broyles retrouvèrent le chemin de ses oreilles.

- Messieurs, rappelez-vous que nous sommes dans un lieu public. L'individu peut être armé et dangereux. Je vous intime donc de mener cette opération avec la discrétion la plus totale pour ne pas effrayer les civils et risquer de provoquer une panique générale, pouvant provoquer des blessés ou pire. Cela va sans dire que l'usage de vos armes n'est pas recommandé. Suis-je assez clair ?

- Oui, Monsieur, répondirent en chœur ses équipiers masculins en bons élèves.

- Maintenant, dispersez-vous et fondez-vous parmi les civils.

- A vos ordres, répondit à nouveau le troupeau.

Et alors qu'ils se dispersaient tous dans la gare et qu'elle allait les suivre, Broyles l'interpela.

- Dunham.

Elle se tourna vers lui et réalisa qu'il posait sur elle un regard perçant. Plus perçant qu'un faucon repérant sa proie à plusieurs centaines de mètres avant de fondre sur elle.

- Un problème, Dunham ? demanda-t-il avec ce ton autoritaire qu'elle connaissait par cœur pour ne jamais avoir entendu d'autres nuances dans sa voix.

Elle se fit violence pour ne pas trahir le trouble qu'il l'ait si facilement percée à jour et secoua la tête avec autant de conviction qu'elle put.

- Non, aucun, Monsieur.

Il ne répondit pas mais la fixa avec insistance comme s'il essayait de lire dans ses pensées. Elle détourna le regard une demi-seconde. Une demi-seconde de trop, elle s'en rendait compte. Faisant appel à tout le self-control dont elle était capable, elle se reprit. Elle eut un imperceptible mouvement du menton vers le haut et afficha toute la détermination qu'on lui connaissait sur son visage. Il la jaugea un instant comme pour évaluer son état d'esprit mais sembla renoncer car il lui adressa un léger mouvement du menton pour l'inciter à entamer sa mission. Elle lui répondit par un petit hochement de tête et s'engagea avec un soulagement qu'elle préféra ignorer, dans la gare à la recherche de leur suspect.

Elle se mit à examiner consciencieusement les visages des passants, tâchant de repérer les hommes répondant à la description de Broyles. C'était son élément d'ordinaire, ce qui la rendait si efficace selon les appréciations de sa hiérarchie, ce pour quoi elle était faite. Pourtant le cœur n'y était pas. Elle devait faire des efforts de concentration pour tenter d'identifier le suspect, commettant des erreurs dignes d'un bleu comme fixer trop longtemps ou trop ostensiblement une personne ou même examiner plusieurs fois le même individu. Et non seulement, elle échouait lamentablement à cet exercice qu'elle pratiquait pourtant si ridiculement facilement d'habitude, mais elle piétinait toutes les mises en garde de discrétion de son supérieur avec une maladresse sans nom.

Passer inaperçue. Elle ferma les yeux. Passer inaperçue. Elle les rouvrit. Passer inaperçue. Elle prit une profonde inspiration. La seconde suivante, elle reprenait le contrôle. Elle repéra des sièges. Elle s'y rendit et s'assit sur l'un d'eux sur lequel trainait un magazine féminin abandonné là. Elle l'ouvrit et fit mine de feuilleter tandis qu'elle lançait fréquemment de petits regards aux alentours pour tenter d'apercevoir la cible. Et elle se mit à réfléchir. A sa vie. A son travail. A son passé. Ça ne lui ressemblait pourtant pas. Elle n'était pas du genre à larmoyer sur ce qu'elle avait vécu. Mais elle avait de grands rêves quand elle était entrée au FBI. Faire le bien, défendre les innocents, sauver ce qui en valait la peine. Pour autant elle ne s'attribuait aucun mérite de ce qu'elle accomplissait. Elle ne faisait que ce qu'elle estimait juste. Ce qu'elle aurait aimé qu'on fasse pour elle. Mais elle avait appris à ne compter que sur elle-même.

Alors que son regard se posait toujours sur les passants, elle se laissa distraire. Encore une chose inhabituelle pour elle. Peut-être un autre signe qu'elle ne devrait pas s'entêter dans cette mission. Elle l'ignora, cependant. Son regard s'attarda sur une mère et sa fillette qui couraient. La petite tomba et se mit à pleurer. Aussitôt, la mère releva son enfant et la réconforta, laissant temporairement de côté qu'elles risquaient de rater leur train qu'elles tentaient d'attraper en courant. Question de priorité. Puis, elle posa les yeux sur un groupe d'adolescentes qui parlaient et riaient avec insouciance. Elle pouvait presque les entendre parler du garçon le plus populaire du lycée et leurs pronostics sur qui inviterait qui au bal de la promo. Elle n'avait jamais connu ça. Son regard la porta ensuite vers un couple d'amoureux enlacés qui se retrouvaient après une séparation. Tellement cliché, tellement pas elle. Elle baissa les yeux vers le sol et la bulle isolante refit son apparition autour d'elle.

Que faisait-elle là un dimanche ? Au moins, ses équipiers du FBI pouvaient se vanter de retrouver leur famille une fois la mission achevée. Leur femme. Leurs enfants pour certains. Voire leurs parents pour d'autres. Mais elle ? Elle, elle n'avait que sa sœur. Et encore, Rachel avait Ella pour combler sa vie. Et quand elle s'immisçait dans la leur pour combler son sentiment de solitude, elle avait l'impression de les parasiter dans leur relation privilégiée. Que faisait-elle ici ? Que faisait-elle jour après jour, hormis combler le vide de son existence ?

Elle se sermonna en se rappelant le but de sa mission. Elle ne pouvait pas se permettre de se laisser distraire ainsi. Pas elle. Pas comme ça. Pas aujourd'hui. Alors quand ? Et pourquoi se sentait-elle différente ce jour précisément ? Ce n'était qu'une mission de routine. Une mission comme les autres. Une de plus dans la liste interminable qu'elle avait déjà accomplie. Juste une autre mission. Juste un autre jour. Un autre moment de solitude au goût de lassitude. Une envie d'autre chose. Mais quoi ?

Et alors qu'elle piquait du nez dans le magazine, une voix masculine l'interpela.

- Qu'est-ce qui vous amène ici ? dit-il.

Elle releva les yeux vers son importun propriétaire et s'apprêtait à le renvoyer dans ses buts d'une manière ou d'une autre, plus fâchée d'être importunée pendant une mission, certes incognito, que flattée de se faire draguer par un inconnu. Mais quelque chose la retint. Les yeux verts de l'inconnu la fixaient. La fixaient vraiment. Et pour une raison dont elle ignorait la cause, elle se sentit vulnérable sous son regard insistant. Comme s'il voyait à travers elle, devinait ses pensées, percevait ses émotions. En clair, comme s'il la mettait à nue. Pas au sens sexuel de l'image, mais au sens émotionnel. Ce qui était pour elle beaucoup plus troublant et dérangeant que n'importe quel homme ayant des pensées salaces à son égard. Il la voyait. Passer inaperçue ? Raté ! Décidément, cette journée ne lui valait rien et elle n'en était encore qu'au matin.

Il ignorait ce qui l'avait poussé à lui parler. Son objectif était pourtant de passer inaperçu. Il savait qu'il était recherché et il ignorait quel niveau d'information possédaient ses poursuivants. Ils pouvaient même bien être dans cette gare en train de le rechercher. Il devait plus que jamais faire preuve de prudence. Il ne devait même pas s'attarder ici. Pourtant, quand il l'avait vue, debout parmi la foule, son regard ne l'avait pas lâchée. Il n'avait pu dire si c'était son incontestable beauté, les signaux de détresse qu'elle envoyait à qui voulait bien entendre, ou simplement le fait qu'elle paraissait si peu à sa place dans cet endroit, mais il avait éprouvé de la fascination pour elle.

Et c'était nouveau pour lui, trop habitué à sa vie de solitaire reclus pour prendre le temps de s'intéresser à quiconque. C'est sans doute ce qui aurait dû lui donner le signal de départ. C'est ce qui, en temps normal, lui aurait donné le signal de départ. Mais pas elle. Elle, elle était différente des autres, évoluant dans ce monde comme en décalé. Il pouvait presque, avec un peu d'imagination, voir vibrer ses couleurs autour d'elle, allant à l'opposé des autres individus autour d'elle. Alors quand elle s'était approchée et s'était assise pile en face de lui, il avait vu un signe. Alors même qu'il ne croyait pas à ce genre de niaiseries pour enfant. Elle avait attrapé le magazine près d'elle sans enthousiasme, mais il n'était pas dupe. Elle ne lisait pas un mot de ce qu'elle avait sous les yeux. Elle était là pour une autre raison. Et il mourut d'envie de savoir quoi. Voilà pourquoi la question lui avait échappé.

Quand elle releva les yeux vers lui, il vit immédiatement à la petite mimique qu'elle fit avec ses lèvres, qu'elle était contrariée qu'on lui parle. Il s'attendit à ce qu'elle l'envoie au diable, mais à sa grande surprise, elle garda le silence et se contenta de l'observer. Il étudia chacun de ses mouvements, de ses gestes, le moindre petit indice qui trahissait ce qu'elle pouvait penser. Il était bon à cet exercice. Etudier le comportement de ses rivaux autour d'une table de poker était devenu son gagne-pain, en quelque sorte. Jusqu'à ce qu'il se plante lamentablement face à un bluffeur plus avisé. Il n'était pas tant en colère d'avoir perdu une belle somme d'argent. Non, ça, il le gérait sans difficulté. L'argent n'était rien qu'un outil dans sa façon de mener sa vie. Non, ce qui le mettait hors de lui était d'avoir trouvé un rival plus doué que lui. Son orgueil en avait pris un coup. Et comme c'était tout ce qui lui restait dans la vie, il avait du mal à le digérer. Voilà pourquoi il avait remis le couvert. Encore et encore, s'entêtant à vouloir déchiffrer le langage corporel de son rival qui le trahirait. Mais quand les zéros s'étaient multipliés et qu'il n'avait plus eu quoi que ce soit à parier, il avait bien dû mettre fin au carnage. Voilà ce que son orgueil, seul héritage familial avec son intellect affuté, lui avait coûté. Des dettes pardessus la tête, des créanciers agressifs lancés à sa poursuite, accompagnés de quelques accusations qu'on lui avait mis sur le dos pour coller le FBI à ses basques. Jackpot.

Alors quand il avait vu cette fille, si peu à sa place dans cet endroit, il s'était dit qu'il n'était peut-être pas le seul dans la galère. Et le sentiment de solitude qui d'ordinaire ne pesait pas plus lourd qu'une plume sur ses épaules s'était fané, lui faisant ressentir le besoin irrépressible d'en savoir plus sur cette inconnue, possible compagne de galère. Et alors qu'il observait l'irritation dessiner de petites rides sur son front, il accrocha son regard au sien. Et toute trace d'agacement s'y évapora soudain. Il y lut autre chose. De la détresse. Et sa réaction l'intrigua encore plus. Il devait savoir qui elle était. Coûte que coûte.

- Vous ne devriez pas être ici, insista-t-il.

Elle parla enfin.

- Pardon ? Je ne comprends pas, dit-elle.

Effectivement, elle avait un air indécis. Soulagé qu'elle ne l'envoie pas sur les roses, il poussa sa chance plus loin.

- Visiblement, vous n'aviez pas prévu de venir ici aujourd'hui, ajouta-t-il.

Il la vit froncer les sourcils et observa avec fascination ses lèvres s'étirer imperceptiblement. Un micro-sourire. C'était déjà mieux que rien.

- Et qu'est-ce qui vous fait dire ça ? demanda-t-elle presque involontairement.

Il la détailla un court instant qui lui suffit à accroitre son malaise même si le regard de l'inconnu n'avait rien d'offensant. Mais il avait quelque chose d'indéfinissable quand il posait les yeux sur elle.

- Vous êtes sortie à la hâte.

- Vraiment ? dit-elle, amusée et agacée qu'il devine ce détail. A quoi voyez-vous ça ?

Elle était curieuse à présent. Aussi anti-professionnel, aussi inimaginable, aussi improbable que cela puisse paraitre, cet inconnu était parvenu à la détourner de ses objectifs. Certes, elle n'était pas au top de sa concentration. Mais ça frôlait tout de même le prodige.

Il sourit, satisfait qu'elle entre dans son jeu. Et le jeu, ça le connaissait. Il s'avança sur son siège, réduisant légèrement la distance entre elle et lui.

- Vos cheveux sont à peine secs, vous n'avez pas pris cette peine que la plupart des femmes prennent pour assortir leurs vêtements, comme si vous vous étiez habillée à la hâte. J'en déduis que vous deviez faire du sport. Je parierais sur du jogging. Pas de bijoux, pas de maquillage, pas même un sac à main.

Il vit avec un plaisir croissant son sourire s'élargir, sans pour autant être franc. Elle devait être magnifique quand elle souriait, pensa-t-il alors qu'au même instant, il devinait que ça ne devait pas lui arriver souvent.

- Excellent, dit-elle. Je vous l'accorde, vous êtes observateur. Pour autant, pourquoi ne devrais-je pas être ici ? J'attends peut-être mon petit ami, dit-elle, joueuse.

La pensée qu'elle attende un homme le dérangea soudain. Pourtant, ça n'aurait pas été étonnant. Elle était très séduisante. Non, le plus étonnant aurait été qu'il n'y ait aucun homme dans sa vie. Pourtant, il l'espérait. Au-delà de toute logique et de toute prudence, il l'espérait. Mais elle ne semblait pas décider à le lui dire. Alors il fit ce pour quoi il était doué. Il bluffa.

- C'est possible, dit-il avec un sourire assuré. Mais je ne n'en crois rien.

Il l'observa pincer les lèvres et la petite contrariété qui rida son front pendant un court instant suffit à lui faire comprendre qu'il avait vu juste. Il cacha la joie de cette nouvelle, que de toute façon, il se savait ne pas devoir ressentir. Elle se renfonça dans son siège et croisa les bras sur sa poitrine. Il observa avec attention et frustration ce mouvement de défense qu'elle arbora pour se préserver de ce type d'intrusion dans sa vie privée. Il avait visé juste mais elle s'était fermée comme une huître. Il devait maintenant agir avec prudence pour ne pas voir l'oiseau s'envoler trop vite. Aussi imprudent qu'était cet échange, il devait admettre qu'il ne voulait pas le voir finir si tôt et qu'il y prenait beaucoup de plaisir.

- Vraiment ? Et pourquoi pas ? dit-elle avec une moue irritée et un mouvement d'épaules impatient.

Et puis quoi ? Etait-il en train d'insinuer qu'elle n'était pas assez bien pour un homme ? Elle n'était pas du genre à se jeter des fleurs, mais avec toute la modestie voulue, elle ne s'estimait pas repoussante. Le fait qu'elle soit célibataire aujourd'hui était plus un choix qu'une fatalité. N'est-ce pas ?

- Parce que même appelée en urgence par son petit ami, une femme normale aurait pris la peine de se préparer avec un peu plus de soin.

Une femme normale ? Elle ouvrit la bouche pour protester et pour envoyer au diable cet arrogant narcissique qui s'amusait à jouer les profilers à ses dépens. Mais il ne lui en laissa pas le temps.

- Et parce que si j'étais l'homme en question, je n'aurais pas été assez bête pour vous faire attendre, dit-il d'un ton suave pour faire passer la pilule sur sa précédente remarque.

Sa ruse fonctionna car elle lâcha un souffle amusé et surpris. Elle lui lança un regard incrédule qu'il soutint sans problème. C'est elle qui détourna la tête la première et le petit sourire résiduel se transforma en vrai sourire, voire en petit rire amusé.

Voilà qu'il la draguait à présent ! Elle ne savait pas si elle devait être flattée ou insultée. Il insufflait le chaud et le froid avec une habilité déconcertante. Et déconcertée, elle l'était, à son grand dam. Elle devait mettre fin à cet échange et reprendre sa mission. Elle n'avait déjà que trop tardé. Elle tourna de nouveau les yeux vers lui et dut se forcer pour accrocher son regard à celui, perçant de l'inconnu face à elle. Voulant cependant reprendre le contrôle de la situation qui lui échappait désagréablement, elle s'avança elle aussi dans son siège et ils ne furent plus qu'à quelques dizaines de centimètres l'un de l'autre.

- Soit, Monsieur-je sais-tout, je n'attends pas mon petit ami. Mais cela ne veut pas dire que je n'ai rien à faire ici.

- Cela va de soit. Alors pourquoi êtes-vous là ?

- Dites-le moi, dit-elle d'un ton joueur.

- Pas pour lire un magazine, c'est certain, dit-il en désignant la revue féminine qu'elle tenait toujours. Vous n'y avez même pas posé les yeux depuis que vous vous êtes assise. Et puis, je ne pense pas que ce soit votre genre de lecture préféré.

Elle suivit son regard des yeux et sourit. Elle tenait peut-être son avantage et une manière de couper son sifflet à cet homme en l'emportant au passage. Quitte à jouer, autant essayer de gagner. C'était plus fort qu'elle, elle aimait les victoires quand on la mettait au défi. Elle releva les yeux vers lui, soudain pleine de confiance en elle. Elle sourit.

- Et je suis au regret de vous annoncer que vous avez tort, dit-elle avec délectation.

Elle se leva et lui tendit le magazine.

- L'article parle de l'abus de confiance en soi. Surtout chez les hommes et leurs techniques de drague. Vous devriez le lire, c'était très instructif, dit-elle avec humour.

C'était à son tour, de lire la surprise dans les yeux de l'inconnu quand il baissa les siens vers la revue pour constater qu'elle n'avait rien inventé. Il le saisit et ouvrit la bouche de surprise. Elle savoura sa victoire avec un plaisir enfantin qu'elle n'aurait pas dû éprouver. C'était puéril et surtout, ce n'était pas le moment.

- Bonne journée, dit-elle en se détournant pour partir.

- Une mémoire photographique, dit-il soudain dans son dos. (Il siffla) Impressionnant, ajouta-t-il.

Quand il la vit se figer, il comprit qu'il avait vu juste. Encore du bluff, mais cette fois, il comptait bien emporter cette partie contre elle. Il se leva et posa le magazine sur le siège tandis qu'elle se retournait vers lui, l'air contrarié qu'il ait deviné cette particularité si peu répandue et bien souvent méconnue. Il s'approcha d'elle presque à la façon d'un prédateur approchant sa proie. Il s'arrêta à un pas d'elle tandis qu'elle le regardait faire, comme paralysée. Il se pencha vers elle d'une manière volontairement lente.

- Belle et intelligente. Et aucun pauvre bougre pour en profiter. Quel gâchis, lui murmura-t-il à l'oreille, avant de s'écarter et de partir dans la direction opposée, plus souple qu'un félin.

Elle ne bougea pas tandis qu'il s'éloignait. Sa seule réaction visible fut ses lèvres qu'elle entrouvrit de surprise pourtant contenue. Puis, elle sourit et baissa la tête, ressentant un mélange improbable d'amusement et d'agacement envers cet inconnu qui avait lu en elle comme un livre ouvert, elle qui se vantait d'être opaque à ses émotions. Et elle inclina la tête dans la direction qu'il avait prise, une petite moue amusée sur les lèvres, ne pouvant résister à la tentation tout en se sermonnant d'y céder. Elle l'observa disparaitre dans la foule avec soulagement et déception mêlés.

Mais elle avait une mission et elle n'était pas mécontente que ce petit échange ait pris fin. Et sa mission se rappela à son bon souvenir en la voix de Broyles dans son dispositif auriculaire.

- Dunham, au rapport.

- RAS, répondit-elle aussitôt, en jetant des regards à la ronde avec une pointe de culpabilité.

Quelques minutes plus tard, elle avait recouvré son attitude impeccable d'agent du FBI. Finie la pause. Ce genre de chose ne devait plus arriver. Elle se le jurait.

- Suspect repéré près de la sortie Est, dit la voix de Broyles. Equipe au rapport, avez-vous un visuel ?

Sortie Est ? Elle y était ! Son cœur manqua un battement, tandis qu'elle sentait déjà les effets bien connus de l'adrénaline se fondre dans ses veines. Elle s'apprêtait à répondre qu'elle était sur place, quand soudain, elle l'aperçut. L'inconnu aux yeux verts. Alors les pièces du puzzle se mirent en place dans sa tête. Grand, de type caucasien, élancé, les cheveux bruns, la barbe, les yeux verts et l'intelligence hors du commun. Le choc de cette révélation la paralysa un court instant. Comment n'avait-elle pas pu voir ? La réponse fusa, violente et douloureuse. Parce qu'elle n'avait pas voulu voir.

- Je m'approche de la sortie Est, dit la voix d'un de ses équipiers.

Elle tourna la tête et repéra l'agent qui s'approchait rapidement de la cible. Le mot la gêna, mais elle l'ignora. Il y avait plus important. Question de priorité. Dans une minute l'agent serait sur lui. Elle ne se posa même pas de question quand ses pieds se mirent soudain en mouvement. Ça ne pouvait pas être lui. Elle se fraya un chemin parmi la foule. Pas lui. Elle contourna les passants avec autant de délicatesse qu'elle put pour éviter de se faire repérer par son équipier. Le temps lui sembla infini. Enfin, elle arriva à sa hauteur.

- Venez, dit-elle d'un ton empressé.

Il se tourna vers elle et fronça les sourcils, sans comprendre. Elle tourna la tête et aperçut son équipier qui n'était plus qu'à une dizaine de mètres. Il suivit son regard et repéra l'agent. Quand elle releva les yeux vers lui et qu'il croisa les siens, elle y lut soudain de la colère. Il venait de comprendre et il la détestait maintenant. Mais ils n'avaient pas le temps pour ça. Déterminée, elle lui saisit la main et l'entraina vers une porte dérobée, réservée aux employés de la gare. Elle inséra le badge multi-passe qu'on lui avait fourni au début de la mission et le poussa dans l'antichambre avant de refermer derrière elle. Elle se tourna vers lui et s'appuya à la porte, prête à affronter son regard hostile qu'il ne manqua pas de lui adresser. Il eut ensuite un sourire mais force était de constater qu'il était amer et n'avait plus rien à voir avec ceux, doux, de l'inconnu quelques minutes plus tôt. Quand chacun ignorait encore l'identité de l'autre.

- CIA ? dit-il.

Elle se contenta de le fixer sans répondre, affrontant son regard accusateur avec plus de calme qu'elle n'en ressentait.

- FBI ? tenta-t-il.

Elle se trahit cette fois d'un petit mouvement du menton et elle sut qu'il avait compris au sourire amer qu'il lui adressa.

- J'aurais dû m'en douter. Trop belle pour être innocente, dit-il, amer.

Elle lâcha un rire ironique.

- Je crois que nous n'avons pas la même notion de l'innocence, répliqua-t-elle sur le même ton.

Il ne répondit pas, mais pinça les lèvres. L'envie le brûlait de lui expliquer qu'il n'était pas responsable de ce qu'on lui mettait sur le dos. Enfin, pas tout. Seulement les accusations les plus graves. Mais à quoi bon ? Elle n'était qu'un flic comme un autre. Pourtant, il avait cru qu'elle était différente. Il y avait vraiment cru.

- Et maintenant ? dit-il, toujours froidement.

- Ça dépend de vous.

Il lui lança un regard incrédule.

- De moi ? Vraiment ? Et qu'attendez-vous de moi ?

- De vous, rien. Votre salut ne dépend que de votre capacité à disparaitre.

Il fronça les sourcils, cette fois. La colère fut bannie de ses yeux et elle réalisa qu'elle en éprouvait du plaisir. Il n'était plus que confusion. Elle se montra plus explicite.

- La porte derrière vous mène vers une sortie non surveillée, dit-elle avec un mouvement du menton. De quoi quitter cet endroit en toute discrétion.

Il plissa les yeux. Il était méfiant à présent. Mais pouvait-elle le lui reprocher ?

- Et qui me dit que le reste de votre équipe ne m'y attend pas ? Ou que vous n'allez pas me tirer dans le dos ?

- Plusieurs choses, dit-elle avec assurance.

- Je suis toute ouïe, dit-il avec amusement mais méfiance.

- Premièrement, je ne mens jamais. Quand je dis les choses, je les pense.

Il la jaugea. Franche, oui, elle l'était sans aucun doute, pensa-t-il.

- Deuxièmement, je ne suis pas armée.

Elle prenait de gros risques, elle le savait. Un soupçon de doute quant à savoir si elle prenait la bonne décision, s'insinua dans son esprit. Pourquoi lui disait-elle tout ça ? Si elle ignorait la réponse, elle voulait cependant croire qu'elle ne se trompait pas en pensant qu'il ne représentait pas une menace pour elle.

Il la crut, même s'il ne comprenait pourquoi elle lui disait cela. Elle prenait de gros risques et pourquoi ? Pour lui ? Il avait du mal à le croire, aussi fort qu'il avait envie d'y croire.

- Troisièmement, il me semble que vous n'avez pas d'autres options que de me faire confiance.

- Vous faire confiance ? répéta-t-il amusé. Il y a bien longtemps que j'ai oublié comment on fait.

Elle l'ignora.

- Et dernièrement, même si j'avais mon arme, je ne tire jamais dans le dos. (Elle fit une pause et le regarda droit dans les yeux.) Je vise les jambes, ajouta-t-elle avec les prémices d'un sourire sur ses lèvres.

Elle tenta l'humour, discipline à laquelle elle ne s'adonnait que très rarement. Il aimait l'humour, il en usait et en abusait. Mais elle sentait qu'elle avait une chance de gagner sa confiance de cette façon. Car elle voulait qu'il ait confiance en elle, aussi improbable que cela pouvait paraître. Perdait-elle tout sens des réalités, aujourd'hui ? Elle n'avait jamais connu ça.

Il l'observa un instant. Faisait-elle de l'humour ? Elle n'en avait pas le genre pourtant. Mais il ne put résister à l'envie de faire une moue en secouant la tête, amusé. Et il prit plaisir à voir un sourire étirer ses lèvres à elle. Il avait deviné juste. Elle était encore plus belle quand elle souriait.

- Très bien, mon ange, mettons que je vous croie. Pourquoi faites-vous ça ?

Oui, pourquoi ? En dehors du fait inconcevable qu'elle enfreignait les règles, mettait en péril sa carrière et allait à l'encontre de ses principes pour un parfait inconnu, elle devait admettre qu'elle ne savait même pas pourquoi elle le faisait. Mais elle le devait.

- Je l'ignore. Vous avez l'air d'avoir des ennuis. Pourtant, je n'arrive pas à croire que vous avez fait ce qu'on m'a dit de vous, dit-elle avec une franchise qui les surprit tous deux.

- Vraiment ? Et vous pouvez dire ça de moi, alors que ne me connaissez que depuis quoi… dix minutes ? dit-il ironiquement.

- J'aime croire que je suis bon juge. Ça marche dans les deux sens, vous savez ? dit-elle avec humour.

Il sourit, réellement amusé.

- Je vous écoute, dit-il, joueur.

- Allons-y. Vous avez fait beaucoup d'erreurs, pris de mauvais chemins et de mauvaises décisions. Sans doute à cause d'un passé douloureux, une enfance difficile, sans doute. Vous ne faites confiance à personne. Vous êtes un solitaire mais ça ne vous gêne pas. Vous souffrez d'un abus de confiance en vous-même. L'argent ne vous intéresse pas, seuls les défis vous motivent. Mais dernièrement, vous vous êtes attiré des ennuis parce que vous avez voulu jouer au plus malin. Voilà pourquoi vous êtes condamné à fuir. Mais pour le reste, vous n'avez pas un profil à faire du mal gratuitement.

- Je suis impressionné, dit-il avec ironie. Vous savez lire un dossier, insinua-t-il, ne voulant pas croire qu'elle avait pu deviner tous ces éléments de lui en si peu de temps.

- Il n'y a aucun dossier.

- Vraiment ? Et je devrais croire que vous l'avez deviné toute seule ? dit-il, amusé.

- Oui. Je ne mens jamais, dit-elle simplement avec un haussement de sourcils.

Sous pouvoir résister, il eut un autre rire bref mais amusé.

- OK, mon ange, admettons. Et maintenant, je suis censé prendre cette porte et m'en aller ? dit-il toujours incrédule.

- Si vous tenez à la liberté, je vous le conseille. Et autre chose : appelez-moi « mon ange » encore une fois, et je reviendrai sur ma décision, dit-elle sur un ton sérieux.

Il balança entre la prendre au mot ou miser sur une autre plaisanterie subtile. Mais par prudence, il opta pour la première.

Elle lui offrait sa dernière chance de salut. S'il insistait, elle pourrait revenir à la raison et l'arrêter sur le champ. Ecouter cette petite voix qui lui disait de faire son devoir. Mais pour l'instant, celle qu'elle écoutait était la plus forte. Temporairement.

- OK, alors comment dois-je vous appeler ? demanda-t-il, soudain curieux de pouvoir mettre un prénom sur ce visage qu'il n'oublierait sans doute pas de si tôt.

Elle lui lança un regard incrédule. Il était à deux doigts de se faire prendre, et il continuait à vouloir la draguer ?

- Ne m'appelez pas, c'est tout. De plus, vous perdez un temps précieux, répondit-elle.

Non seulement il s'agissait de l'exacte vérité, mais elle sentait qu'elle recouvrait son sens du devoir à chaque minute. Le laisser partir n'était que pure folie, la raison lui revenait. Il jouait avec le feu, mais elle devina qu'il adorait ça. Mais pour une raison qu'elle ne comprenait pas, elle voulait éviter qu'il se brûle.

- D'accord. Je vous dirai seulement le mien, alors. Je m'appelle…

- Ils arrivent, le coupa-t-elle avec précipitation.

S'il lui disait son nom, elle devrait l'arrêter. Même s'il n'y avait qu'une chance sur un million que ce ne fût pas celui qu'elle recherchait, elle voulait s'y accrocher. S'il lui disait son nom, s'il confirmait ce qu'elle craignait, elle serait obligée de lui passer les menottes. L'ignorance était le dernier rempart qui lui restait. Il devait rester l'inconnu aux yeux verts.

Il la fixa une nouvelle fois avec ce regard perçant qui l'avait ébranlée la première fois. Il inclina légèrement la tête et tourna les talons. Il franchit la porte sans un regard en arrière. Elle le regarda disparaitre en souhaitant de toutes ses forces qu'elle ne vienne pas de commettre la plus grosse erreur de sa vie. Pourtant, elle ne le croyait pas.

Une minute plus tard, l'un de ses collègues entrait dans l'antichambre.

- Dunham ? dit-il, étonné. Qu'est-ce que tu fais là ?

Elle se tourna vers lui.

- J'avais cru le voir sortir par là. Mais je me suis trompée, dit-elle.

Son collègue fronça les sourcils et la jaugea.

- Est-ce que vous l'avez trouvé ? demanda-t-elle pour le distraire.

- Non, répondit-il. Il semble qu'il se soit envolé. Il n'a pas pu sortir par une sortie publique, nos équipes l'auraient intercepté. C'est pour ça que je vérifiais les issues sécurisées. Mais elles sont toutes fermées. Comme celle-ci, d'ailleurs. Il est impossible qu'il ait pu sortir par l'une d'entre elles. Tu es sûre que tu n'as rien vu ?

Elle entrouvrit la bouche mais aucun son n'en sortit. Elle jeta un rapide coup d'œil à la porte avant de se tourner vers son équipier, avec plus de détermination qu'elle n'en ressentait. Elle était bonne à ça.

- Sûre, dit-elle avec assurance.

- Liv, est-ce que ça va ? demanda-t-il, soudain inquiet.

- Je vais bien, Charlie. Je vais bien, dit-elle avec un sourire sincère qu'elle afficha sans forcer.

Elle avait fait ce qu'il fallait. Cette certitude l'envahit soudain. Elle avait fait ce qu'il fallait. Elle tâcha de s'en convaincre.

- OK, dit-il, acceptant sa réponse. Allez, viens, Broyles veut nous passer un savon, dit-il comme pour annoncer une sortie au parc d'attractions.

Elle sourit, amusée.

- Pour rien au monde, je ne manquerai ça, dit-elle avec ironie. J'arrive dans une minute, d'accord ?

Elle vit Charlie hésiter une seconde mais il céda sans demander son reste et elle lui en fut reconnaissante. Il hocha la tête et la laissa seule. Elle alla vers la porte et sortit. C'était idiot. Il devait être loin depuis longtemps maintenant. Mais elle avait agi sur une impulsion. Elle fit quelques pas dans la ruelle désertique et la porte claqua derrière elle. Sans trop y croire, elle inspecta les alentours. Personne. Bien sûr. A quoi s'attendait-elle ?

Et alors qu'elle allait se retourner pour rentrer, elle se figea net. Un frisson lui parcourut l'échine et elle sut qu'il était derrière elle, appuyé sur le mur, et que la porte avait caché le temps qu'elle reste ouverte. Elle ne bougea pas.

- Je vous croyais déjà à plusieurs kilomètres, dit-elle.

Elle devina son sourire s'afficher à l'idée qu'elle ait senti sa présence. Elle se retourna vers lui et le trouva nonchalamment appuyé contre le mur, les bras croisés sur sa poitrine, son regard perçant posé sur elle.

- Je m'apprêtais à le faire, dit-il simplement.

- Et ? demanda-t-elle, avec un soupçon d'impatience, contrariée d'avoir à le demander.

- Et j'ai fait demi-tour.

A nouveau, il ne précisa pas et son absence de justification l'agaça. Elle n'aimait pas ce petit jeu. Pourtant, elle ne résista pas à l'envie d'y jouer. Elle le maudit pour ça.

- Et pourquoi ? demanda-t-elle.

Il sourit, satisfait de l'intérêt qu'il suscitait chez elle. Il réalisait qu'il prenait plaisir à analyser ses réactions, à observer ses moindres mouvements. Car en dehors du fait qu'elle possédait une beauté incontestablement agréable à contempler dont elle ne semblait même pas être consciente, elle possédait une personnalité tout à fait digne d'intérêt quand on savait où regarder. Et sans vraiment pouvoir se l'expliquer, il savait.

- Par curiosité, répondit-il enfin.

Elle lui adressa un regard perplexe. Il s'expliqua.

- Je n'arrive toujours pas à comprendre ce qui a vous poussée à m'aider. J'avoue avoir été surpris quand j'ai ouvert la porte et n'ai vu personne.

Elle hocha la tête, une petite moue vexée sur les lèvres.

- C'est vrai, vous ne faites confiance à personne, dit-elle, contrariée qu'il ait pu douter d'elle.

- En effet, et ça m'a sauvé la vie bien souvent.

Il se tut et ils se jaugèrent.

- Vous auriez pu les lancer à ma poursuite.

Il appuya contre le mur pour se donner une impulsion et s'approcha d'elle.

- Pourquoi ne pas l'avoir fait ? insista-t-il.

- Je vous l'ai dit.

- Mais vous êtes flic. Et je devine que vous faites partie de ceux qui mettent un point d'honneur à arrêter les criminels. Je me trompe ?

Elle ne répondit pas tandis qu'il approchait toujours. Il s'arrêta à quelques pas d'elle.

- Qu'est-ce qui vous a poussé à choisir cette voie ? Laissez-moi deviner, dit-il en inclinant légèrement la tête sur le côté. Vous avez vécu une enfance malheureuse, votre père buvait et frappait votre mère ?

Elle pinça les lèvres.

- Non ? Un beau-père alors ? tenta-t-il.

Quand il la vit entrouvrir les lèvres, à la fois contrariée et surprise, il comprit qu'il avait vu juste.

- Comment savez-vous tout ça ? laissa-t-elle échapper.

- J'observe. Et puis je connais mes classiques. Une enfance malheureuse ne débouche que sur deux options : une carrière de flic, ou une carrière de criminel.

Aucun des deux ne releva l'ironie de la situation, mais ils en étaient la preuve vivante réunie.

- Au fond, nous ne sommes pas si différents vous et moi, ajouta-t-il.

- C'est faux, protesta-t-elle faiblement.

Un vécu similaire chargé de ses peines, mais des voies différentes. Des voies opposées.

- Alors pourquoi m'avoir permis de m'enfuir ?

Elle ne put le contredire. Ils s'observèrent encore un instant et Olivia flancha la première.

- Je devrais déjà avoir rejoint mon équipe, dit-elle pour changer de sujet. Et vous, être parti.

- C'est vrai.

Mais il ne bougea pas. Et elle fut soudain hypnotisée par son regard insistant. Et alors qu'il leva la main vers son visage, elle ne fit pas un geste pour l'empêcher de l'y poser.

- Je vous dois un merci, je suppose, dit-il d'un ton doux.

Et il se pencha lentement vers elle. Quand il l'embrassa, elle ferma les yeux. Et l'évidence la frappa de plein fouet. Elle lui faisait confiance. A cet inconnu qu'elle ne connaissait que depuis une demi-heure. Et voilà qu'elle le laissait l'embrasser. Tellement cliché, tellement pas elle. Leur baiser ne dura qu'une seconde, aussi léger qu'un courant d'air et aussi doux qu'une caresse.

- A bientôt, j'espère... mon ange, murmura-t-il à son oreille quand il s'écarta.

L'instant d'après, sa main quittait sa joue, mais ses yeux restaient clos. Il lui sembla qu'il se passa une heure avant qu'elle ne puisse les rouvrir. Et quand elle le fit enfin, il avait disparu. Elle inspecta les alentours, en vain. Envolé. Fin de l'histoire. Et c'était mieux ainsi. Non ?

Il continuerait à fuir et elle continuerait à traquer les criminels. Et peut-être, avec un peu de chance, leurs routes se croiseraient à nouveau. Elle sourit à cette pensée, alors qu'elle rejoignait Charlie pour subir les foudres de Broyles. Mais elle s'en fichait. Elle avait fait ce qu'il fallait. Elle le savait.


Pourrait éventuellement suivi d'autres chapitres, d'autres rencontres.