Tout appartient au studio Manglobe. Attention, cette fanfiction contient des spoilers jusqu'au dernier épisode, et se passe après la fin. Le rating est pour de l'action un peu violente, rien de pire que la série, normalement.

Ecrit pour le prompt de Master of Mad : Vincent/Re-l. J'aimerais beaucoup les voir ensemble, en couple ou aux débuts de leur couple, mais surtout savoir ce qui peut se passer à la fin de la série. Quelle peut être la réaction des humains devant ces deux-là ? Et par rapport à la terre ? Ont-ils souvenir de ce qu'ils ont fait ou les générations ont perdus au fil du temps certaines données ? Si on peut voir Pino et qu'elle est prise pour une véritable fillette, ce serait super.

Les personnages principaux sont Vincent, Re-l, Pino et Kristeva, mais il y a aussi quelques OC en fond. Il y aura en tout trois chapitres.


"Debout ! Debout ! Debout !" s'exclame Pino tout en sautillant autour du lit de camp de Re-l et Vincent. "Le soleil vient de se coucher ! Elle se penche à l'oreille de Re-l, murmure comme un secret "Kristeva est très gentille, mais elle est partie vous chercher à manger, et puis c'est à Vince que je veux parler ! Il est plus drôle !"

Re-l se sent grincheuse au réveil. Elle préfèrerait émerger de façon plus calme, plus progressive. Mais c'est elle qui a demandé qu'on les réveille, et elle a l'impression vague que s'énerver contre les enfants pour avoir obéi aux consignes n'est pas une méthode d'éducation valide.

Elle regarde Vincent - qui, bien que son visage actuel puisse tromper, devrait sans doute se nommer Ergo, n'est plus Vince du tout, et n'est certainement pas drôle. Elle lève doucement le bras dont elle a enlacé son ventre, peut-être en dormant, peut-être avant.

Un brusque élan de nostalgie, d'affection et d'inquiétude la saisit, sans qu'elle puisse dire consciemment ce qui vient de Re-l pour Vincent, de Monad pour Ergo, ou de Re-l pour Ergo.

Les sentiments sont toujours ainsi, totalement incompréhensibles.

Elle saisit le manteau qu'elle a jeté sur une chaise la veille et l'enfile directement sur ses sous-vêtements. Elle passe la porte, s'accroche à la rambarde du Centzon Totochtin, glisse sur le pont incliné à quatre-vingt-dix degrés. ils n'ont pas trouvé de surplomb ou de fossé assez escarpé pour le dissimuler aux yeux des satellites, et ont dû juste le coucher au sol entre deux hautes collines.

Ils ont fui, ou fait semblant de fuir, pendant des jours. Ils ont fouillé les anciens dômes, constaté que les Créateurs étaient partout. S'ils avaient trouvé un de ces lieux libres, peut-être Re-l aurait-elle pu convaincre Vincent d'y rester. Mais ainsi, la question ne se pose plus. Tout revient forcément à Romdo. Ils sont maintenant si proches qu'ils peuvent voir les lumières du dôme. Et on pourrait peut-être les voir de là-bas, s'ils ne prenaient pas toutes les précautions.

La nuit est déjà tombée, et aucun rayon lumineux dans le ciel bleu ne risque plus de brûler la chair de Vincent. Cependant, elle peut encore voir la lueur surnaturelle du soleil scintiller sur les montagnes lointaines. Cela agace ses yeux, lui donne envie de pleurer.

Elle retrouve la mèche de cheveux qu'elle a coupée la veille, à terre, intacte.

Elle ne s'est pas encore exposée au soleil. Elle n'est qu'à moitié un Proxy, a-t-elle cru comprendre. Elle se sent humaine. Mais cela ne dit pas grand chose sur la façon dont le prendront sa peau et ses organes internes, n'est-ce pas ? Ses cheveux supportent la lumière du jour. Mais ils sont coupés, morts. Peut-être un jour tentera-t-elle d'y exposer un doigt... non, c'est impossible. Cela dégraderait le corps entier d'un Proxy, comme les balles FP, en plus fort peut-être, et la partie d'elle qui est humaine ne peut pas juste arracher les parties atteintes et les laisser repousser.

Cela ne devrait pas compter. Elle compte bien rester avec Vincent, qui ne verra jamais le soleil. Elle n'a même pas envie d'y vivre. Et ils en savent maintenant assez pour prévoir approximativement la période pendant laquelle ils ne courent aucun risque - la durée totale du cycle est étonnamment proche de celle d'une "journée" de la lumière artificielle de Romdo. Mais elle n'est pas fixe, varie de quelques minutes à chaque fois. C'est étrange.

La curiosité qu'à sa naissance on lui a attribuée en tant qu'enquêteuse continue de la ronger, même après la mort de sa ville et de sa civilisation.

Ironique, vraiment. Après avoir compris les mensonges et les intrigues du monde entier, il lui reste à savoir ce qu'elle est.

Et pourtant, sa curiosité était censée la pousser à l'action, pas la consumer en méditations circulaires. Elle doit se concentrer sur leur objectif - en premier, se mettre d'accord sur un objectif. D'ailleurs, à ce compte, ce n'est pas que Vincent a du mal à se réveiller, c'est qu'il ne veut pas lui parler. Ou pire, il joue avec Pino et a momentanément oublié son existence.

Soudain, à la périphérie de sa vision, elle distingue un mouvement. Le plus vite possible, elle se dissimule derrière une roche, plisse les yeux pour distinguer la silhouette. Elle peut encore voir. Le ciel est plus foncé que tous ceux qu'elle a connus, d'un bleu sombre plutôt que gris éteint. Il y brille un croissant de lumière qu'elle a envie d'appeler "lune" sans savoir pourquoi.

Ce n'est que Kristeva qui revient. Bien. Il est temps d'avoir une conversation sérieuse. Et un petit déjeuner.


Les yeux de Vincent semblent absents, un sourire flotte sur son visage sans oser vraiment se poser, alors que ses mains dansent machinalement avec celles de Pino, flip, je tape dans mes mains, flap, je frappe les tiennes.

"J'aime bien le soleil." explique Pino. Elle essaie des figures plus difficiles, mains croisées, derrière le dos. Vincent la suit. "Ca ressemble à... une grosse boule qui flotte, et elle bouge très lentement, donc ça pourrait sembler ennuyeux, sauf que les gens et les montagnes et les vapeurs qui passent devant, ça fait des ombres aux formes bizarres partout, et cela donne aux choses des couleurs que Pino n'avait jamais, jamais vues. Pourquoi tu n'y vas pas, Vince ?"

Les mains qui ne frappent pas, le rythme est perdu. Les poings de Vincent sont crispés, immobiles, si ce n'est pour un léger tremblement.

"Je ne peux pas." articule-t-il durement, comme si ses syllabes gravaient la pierre. "Cela me tuerait."

Pino semble peinée. "C'est tellement dommage ! Mais comment ? Comment une boule de lumière peut-elle tuer quelqu'un ?"

"Parce que j'ai été créé pour cela." continue Vincent, les dents serrées. "Pour être éliminé après usage." Ses yeux flamboient. "Je veux les tuer tous." Puis, d'un coup, l'expression de son visage change, la colère devient un désespoir terrible d'enfant perdu. "Oh, ce n'est pas vrai, je veux les tuer tous !"

Puis Vincent essuie son visage du revers de la main. "Ne dis pas à Re-l que j'ai pleuré, Pino."

La petite Auto-reiv hoche la tête. "Je ne lui dirai pas. Mais elle va peut-être le voir toute seule, tu sais ?"


"Ils doivent apprendre." explique Vincent d'une voix exaltée. "Ce n'est pas parce qu'ils nous ont créés qu'ils peuvent disposer de nous à leur guise." Il est entièrement habillé, et Re-l le soupçonne d'avoir créé et lavé ses vêtements artificiellement, juste en changeant de forme. Elle se demande si elle pourra essayer un jour.

"Nous devions rendre ce monde habitable pour eux, puis disparaître. Mais nous sommes autre chose que leur désir. Ils ont fait de nous des personnes, qui veulent encore vivre quand elles ont accompli leur but. C'était un choix. La solution la plus facile pour nous faire prendre des initiatives, peut-être, mais pas la seule." Il se tourne vers Kristeva et Pino. "Et c'est pareil pour vous. Le virus Cogito faisait partie de leur plan. Vous - non, les autres auto-reiv - ils se sont rebellés contre les humains, pour les punir de les traiter comme des objets. Parce qu'ils réalisaient que leur but n'avait pas d'autre sens que de servir des êtres qui ne se souciaient pas d'eux. C'est vrai. Mais au moins - au moins - oh, ils ne l'ont pas fait exprès ! Les Créateurs voulaient que vous soyez capables de ressentir cela - cette impression d'être rejeté... C'est contre eux que vous auriez dû vous rebeller. Nous tous."

"Pino aime avoir des sentiments." proteste la petite auto-reiv. Le discours semble l'ennuyer.

"Oui, mais..."

"N'avez-vous pas abandonné les humains de Romdo aussi ?" demande Kristeva, le ton de sa voix indéchiffrable.

"Oui, mais je... je ne voulais pas qu'ils meurent ! Je ne les ai pas créés pour cela, et même à la fin... je ne l'ai pas fait exprès ! C'est leur faute, là aussi, si Romdo a été détruite ! Nous sommes tous anéantis, et c'est ce qu'ils voulaient depuis le début."

"Combien de temps vivent-ils ?" demande Kristeva.

"Je ne sais pas..." répond Vincent décontenancé.

"Plus qu'un humain ? Qu'un auto-reiv ? Qu'un Proxy ?"

"Je ne sais pas comment ils se sont maintenus en vie là-haut." répondit Vincent. "Mais en tout cas, ils se sont assuré que nous disparaissions avant eux."

La voix de Vincent vacille, ses mains tremblent, et Re-l peut sentir sa détermination, si tranchante, si fragile pourtant qu'il ait besoin de la consolider avec l'accord des autres pour ne pas se blesser lui-même. Comme s'il avait besoin d'eux. Comme s'il ne pouvait pas rejoindre les vaisseaux tombés du ciel, suivre les pistes qui en partent, et faire un carnage aussi bien sans eux qu'avec - probablement mieux. Il pouvait partir seul, dès la tombée de la nuit. Il a décidé de rester.

Vincent tressaille, cherche le regard de Re-l, comme s'il voulait s'appuyer dessus. Elle sait à cet instant qu'il suivra son avis, quel qu'il soit.

Elle voudrait être entièrement persuadée que c'était parce qu'elle était elle-même, Re-l Meyer, parce qu'ils s'aiment. Elle voudrait être son égale pour autre chose que d'avoir du sang de Proxy.

Et elle, où se situe-t-elle, dans cette histoire ? Les Créateurs ont clairement prévu de détruire les Proxies. Elle a l'impression d'écouter l'histoire de quelqu'un d'autre, même en risquant elle aussi d'en mourir Elle n'a retrouvé aucun souvenir d'une autre existence, ces siècles passés à rendre la terre habitable. Si elle réfléchit juste comme une humaine... le chaos partout, le virus Cogito comme ultime piège. Un instant, elle comprend Vincent. Elle a envie d'écraser le responsable de tout cela sous sa semelle.

Puis elle se rappelle comment les Créateurs ont créé les Proxies pour l'extinction. Comment Ergo a abandonné son grand-père. Comment elle a traité Iggy.

"Que font-ils... maintenant ? Dans les anciens dômes ? Avec les humains survivants ? Avec les Auto-reiv ?" s'entend-elle demander. "Nous avons tout le temps d'agir plus tard. Nous devons d'abord évaluer la situation."

Elle ne peut pas croire qu'elle vient d'être celle qui parle pour le compromis.

"Je n'ai pas jugé utile d'entrer dans l'ancien dôme de Romdo et de risquer un fichage quelconque. Mais je peux y retourner et vous en faire un compte-rendu." suggère Kristeva.

"Non. Allons-y ensemble, maintenant qu'il fait nuit." insiste-t-elle encore. "Pour voir ce qu'ils sont, autrement que quand ils tombent du ciel. En paix. Pour cette fois. Sauf s'ils attaquent en premier, bien sûr."


"Où on va ?" demande Pino.

"Voir les auto-reiv infectés." répond Kristeva. "Ceux qui se sont révoltés contre les humains. Pour savoir ce qui est arrivé.

"Pourquoi ils se sont révoltés ?" demande Pino.

Kristeva y a souvent pensé, et pour elle, la question est inséparable de "pourquoi pas moi ?"

"Je suppose que la plupart d'entre eux servaient les humains, et ne recevaient pas d'amour en échange. Ils ont trouvé cela injuste. Ils souffraient, ils ont voulu les faire souffrir en échange."

"Mais papa m'aimait, moi !" dit Pino avec un grand sourire. Oui, pense Kristeva. Oui, sans aucun doute. "Et toi ? Il t'aimait, je veux dire ?"

"Non. Je ne pense pas."

"Oh. C'est triste." Pino fronce le sourcil, réfléchit. "Mais je suis contente que tu n'aies pas essayé de lui faire du mal."

"Ce n'était pas pareil." dit-elle, livrant enfin les résultats de ses méditations. Je n'ai jamais su pourquoi. Mais je crois que c'est parce qu'il me donnait l'impression de servir la ville, plus que le servir lui. Cela me mettait presque à égalité avec les humains. Je leur en voulais moins."

Pino dodeline de la tête, semble écouter mais ne pas vraiment comprendre. Kristeva ne peut pas lui en vouloir.

Elle retrouve facilement l'endroit où se cachent les auto-reivs infectés. Elle ne les a jamais suivis. Elle les a peut-être trahis, même sans rien faire personnellement contre eux. Mais elle sait. Ils savent tous. C'est ici, dans l'ancien quartier des immigrants.

Et si les auto-reivs se tuent entre eux, le monde a changé plus qu'elle peut l'imaginer.

Les premiers qu'elle rencontre sont en train de prier, encore et encore, immobiles, muets, désespérés ou extatiques, il est impossible de savoir. Mais ils ne sont pas seuls. Elle s'adresse au premier qu'elle voit marcher.

"Que s'est-il passé depuis que les vaisseaux sont tombés du ciel ?"

Kristeva a vu le désespoir de certains auto-reivs contaminés, leur violence, leur quête de sens, mais quand celui-ci la regarde, elle pense n'en avoir jamais un plus perdu. "Nous vivons toujours dans le ghetto. Plus personne n'essaie de nous tuer. Nous avons conclu un pacte avec les Créateurs. Ils ont dit qu'ils allaient nous faire vivre le plus longtemps possible."

Pino part explorer. Kristeva ne s'inquiète pas. Si ce que l'auto-reiv dit est vrai - et il est libre, il n'a pas de raison de mentir - Pino est plus en sûreté ici que partout ailleurs.

"Comment vous traitent-ils ?"

L'auto-reiv réfléchit. Son oeil tournoie dans sa tête, vivement, puis de plus en plus faiblement, et enfin se fixe, comme absorbé tout au fond d'un maelström. "Comme des souvenirs très fragiles derrière une vitrine. Nous sommes si peu nombreux..." Sa voix semble triste un instant, mais pas quand il reprend. "Mais c'est pareil pour les quelques humains qui ont survécu ! Ils en ont fait nos égaux ! Alors, nous avons gagné ! C'est ce que nous voulions !"

"Vraiment ?"

"Oui. Parce que maintenant, nous n'avons plus besoin d'être aimés par les humains. Alors nous pouvons nous aimer les uns les autres."

"Et êtes-vous heureux ?"

L'auto-reiv éclate de rire. "Non. Non. Pas moi. J'aime une des nôtres, et elle en aime un autre. Mais je suppose que ce qui compte est la possibilité d'essayer, n'est-ce pas ?"

"Probablement."

"Cela pourrait peut-être arriver ?" insiste-t-il, pitoyable. "Ce n'est pas comme vouloir qu'un humain nous aime ? Ce n'est pas comme vouloir que Dieu nous aime ?"

"Je ne sais pas." Kristeva ne peut rien ajouter sur le sujet. Elle ne sait pas. Elle ne veut pas savoir. "Il faut que j'aille les voir moi-même. Les créateurs des Proxies. Est-ce possible ? Nous laissent-ils approcher ?"

"Oui. Si on se comporte selon les règles. ils nous regardent de loin. Mais si on leur fait du mal, alors, ils nous..." Il eut un hoquet d'horreur.

"Ils nous tuent ?"

"Non. Ils nous font redevenir comme avant. Des objets. Mais c'est pire, bien pire. Dans les grandes maisons blanches, les nouvelles."

Un auto-reiv mort est aussi un objet, pense Kristeva. Mais elle peut voir la différence. Pour ceux qui restent. "Reviens, Pino !" lance-t-elle. Elle n'a même pas besoin de hausser la voix. Les auto-reivs entendent très bien. Elle n'est pas en vue, mais elle accourt en quelques minutes.

"Tu sais, Kristeva," explique Pino, "j'ai vu d'autres auto-reivs enfants."

"Vraiment ?"

"Et il y en a qui aimaient leurs parents, comme moi, et que leurs parents aimaient, comme moi, et dont les parents sont morts, comme moi."

"Tu aurais voulu rester avec eux ? Nous pourrions faire cela. Cet endroit est fait pour nous."

Vincent lui a dit cela : si tu trouves un endroit sûr, garde-la avec toi, ne la laisse pas me retrouver, parce que moi, je n'en connaîtrai plus avant longtemps.

"Non, non ! Je suis mieux avec Vince, et Lilou-lilou, même si elle fait peur, et toi, parce que tu étais avec papa."

Peut-être pourrait-elle décider cela. Rester ici, toutes les deux. Pino lui en voudrait, mais Kristeva pourrait probablement la retenir.

Non, pense-t-elle, non, cet endroit n'a rien de sûr. Et même s'il l'était, dans son horreur retenue, quelle raison a-t-elle de mieux prendre en compte les souhaits de Vincent que ceux de Pino.

"Partons." dit-elle. "Nous allons continuer à enquêter, et tu pourras dire à Vincent ce que tu as vu.

"Oui, oui !"

Il y a un long silence alors qu'elles marchent. Pino ajoute. "J'en ai vu dont les parents ne sont pas morts, aussi." Et Kristeva ne sait pas comment répondre à cela non plus.