Sur une reprise de Daniela Andrade, veuillez laissez place à un petit nouveau . Ce sera certainement plus long que les autres fois et je tenterais d'être assez régulière dans ma publication.
Première partie : La Terre
Mon nom est Brienne de Torth. Pas commun comme patronyme n'est-ce pas ? Il a sa petite histoire, qui fait bien rire ceux qui nous rencontre. Mon père est issu de la vieille noblesse. Il paraît. C'est ce qu'il aime répéter aux gens qu'il rencontre. Tellement vieille la noblesse d'ailleurs qu'il ne lui en reste que le nom. Je suis mauvaise langue certainement puisqu'il lui reste aussi un vieil écusson rouillé qui trône dans un placard quelconque de notre petit appartement qui sent la clope, le détergent et le parfum de maman. Et il n'en sortira jamais. Notre blason va rester enterré dans son placard, avec la poussière de la gloire passée. Plutôt poétique mais relativement triste et porteur de toute l'apathie que seul ceux sans espoir d'améliorer leur lendemain connaissent. Vous savez, ce petit air désolé, les épaules un peu voutées, ce quotidien pas totalement misérable mais franchement pas reluisant et cette impression de vivre dans du rafistolé ? Ce goût d'abandon des choses ? Si j'ai l'air sombre je sais pourtant que j'ai raison, la vie dans les tours ça n'a jamais permis à personne de rendre sa vie meilleure ou de redorer un quelconque blason. Si tant est que blason il y ait eu un jour. Nous avons la chance au contraire de bien d'autre d'avoir une histoire, un passé, un semblant de généalogie, même dans l'optique où il ne s'agirait que du passé d'un nobliau désargenté, il nous reste quelque chose. Nous ne sommes pas expatriés ou déracinés. Pour moi un héritage généalogique est quelque chose d'important. Je pourrais l'expliquer en disant que c'est la seule chose qu'on ne peut jamais nous enlever, mais j'ai toujours eu cette fascination depuis toute petite pour les arbres généalogiques et l'histoire familiale. Ça me donne l'impression de posséder quelque chose et de savoir où je vais. Mais les tours ne permettent pas tellement ce genre de réflexion philosophique. Non. Les tours c'est gris, ça cache le ciel et ça isole mal les bruits, le désespoir des voisins coulent sur ceux du dessous. Ça te coupe dans tes élans lyriques ces trucs. Nous habitons au cinquième étage d'une tour de quinze étages donc on s'en prend une bonne couche sur le crâne. C'est plutôt hideux comme image, un genre de mélasse d'abandon. Sur fond de postes de radios et de télévisions qui crachotent. Mais si je continue sur les tours je ne vais jamais m'arrêter je crois. J'ai trop de choses à dire sur la symbolique des bâtiments. Trop de choses à dire sur leur tête de montagnes, un genre de grand obstacle au paysage et au panorama et ce n'est clairement pas le moment de se perdre dans les méandres narratives, je n'ai que peu de temps pour m'exprimer, peu de temps pour comprendre.
Pour me présenter totalement, il faudrait expliquer d'où viens mon prénom plutôt moche. Très simple, je le dois à ma tête carrément laide elle. Autant se débarrasser tout de suite de cette partie-là de l'affaire, je suis un laideron. Pas de fausse modestie là-dedans. La loterie génétique m'a salement arrangée, mes chromosomes se sont embrouillés les pinceaux ou les signaux électriques ou quelques choses comme ça. Je ne saurais pas vous dire. Ce qui est sûre, c'est que le résultat est… pour le moins… Disgracieux. Trop grand corps, muscles massifs, mâchoire allongée, grandes dents, yeux trop rapprochés, tout est de couleur boue chez moi. L'effort me rend suante, haletante. Ma démarche est balourde. Quand je suis quelque part, on me fixe. Longtemps. Le temps de savoir si je suis réellement une fille. Ma poitrine met fin aux doutes. Ma voix aussi. Je suis un genre de phénomène de foire. Un truc trop grand qui prend trop de place à vouloir se faire oublier. Les repas de familles à Noel me le rappel sans cesse. Une grande gigasse, pas arrangée, ridicule en robe et moche en pantalons. Et ne soupirez pas d'un air désolé, même ma mère est d'accord avec ça. Bon dans la foulée on peut admettre à sa décharge que dès qu'il s'agit de me rabaisser elle est présente quand je suis née, elle a directement adoptée le pli du « t'es déjà moche, compte pas sur moi pour te rendre la vie plus belle. » Et elle a commencé avec mon prénom. Sur un certain point, elle m'a rendu service, grâce à elle, j'ai appris à ne rien espérer de la vie, à ne pas croire au prince charmant, à ne pas être niaise ou pire, me bercer d'illusions et de rêves de romantisme !
Il n'empêche que quand je regarde ma mère, je ne comprends pas mon apparence, il en est de même pour elle. Malgré la cigarette et le temps qui l'agresse, ma mère a quelque chose de fascinant, comme un petit air altier, un regard assuré qui ne s'en laisse pas conter et de magnifiques cheveux. Quand j'étais petite, on a développé un genre de jeux. On se fixait pendant des heures, je la connais par cœur, elle ne me voyait pas vraiment. Elle regardait à travers moi ce qu'elle pourrait bien faire pour me transformer en quelque chose qui lui correspondent plus, qui lui plaise. Mais on est définitivement trop pauvres pour envisager une chirurgie et puis maman est respectueuse de mère nature, ce qu'elle fait doit être conservé. Un genre d'écologie physique. Ça m'a évitée les barrettes roses à paillettes, étant petite, et pour ça je lui en serais éternellement reconnaissante. Sa dureté m'a donc permis de m'en sortir dans la vie. C'est une bien drôle de mère que j'ai eu en vérité. Un amour pour le moins étrange nous lie. Assez indescriptible, d'un genre plutôt agressif de son côté, incisif. Mon ours de père lui n'a rien d'une gravure de mode mais il n'est pas à plaindre. Pas trop. Il est grand. Plutôt massif que ciselé. Un homme honnête, qui m'a toujours regardé d'un air fier ou inquiet. Il a eu un vrai souci de mon bien être. Je ne suis pas abandonnée. J'ai appris à rendre mes parents un tant soit peu fier de moi, autrement que par mes grâces. Je les ai apprivoisé on peut dire. De ma mère j'ai absorbé les conseils, de mon père j'ai reçu l'amour des combats. Il a pratiqué le Krav Maga pendant des années. J'ai préféré des arts moins violents, mais il n'a jamais raté aucune de mes démonstrations.
Ah oui, le combat. La meilleure partie de ma vie. Là où j'excelle, ma malédiction personnelle aussi puisque cela me rend encore plus étrange aux yeux des autres garçons et filles que je rencontre au fil des saisons de combats. Brienne de Torth a commencé à faire de la boxe anglaise en club, puis elle a découvert la boxe française et enfin la boxe thaïlandaise. Tout cela nous mène à mon précaire équilibre de vie. A dix-huit ans, j'avais développé une excellente connaissance des arts martiaux de différents types, en gardant une prédilection particulière pour la boxe thaïlandaise. Je ne passais pas en compétitions puisque je ne remplissais que les critères de catch au niveau de la taille et du poids et que ça ne m'attirait pas plus que ça. De plus, les compétitions auraient attirées l'attention sur moi et je déteste ça. Brienne veux être une souris. Une grosse souris. Un genre de souris mutante mais une souris quand même. J'enseignais la boxe à des petits en échange de leçons gratuites avec le propriétaire du club pour me perfectionner. Cela m'a permis de rencontrer le Crew de Barathéon (aussi appelé les Arcs-en-Ciel), mené par le plus bel homme qu'il m'a été donné de rencontrer dans ma courte vie. Renly. Boucle brune, nez en trompette, yeux bleus, musculature impressionnante, charisme à faire trembler une nonne et une assurance à toute épreuve. Le seul homme qui ne m'ait pas regardé avec dégoût, qui a tenté de découvrir ce qui se cachait sous le monstre. Ouais c'est comme ça qu'on me voit. Une putain de monstre. La vie ne fait pas de cadeaux aux filles plus fortes que les hommes, égalité des sexes ou pas. Moche un jour, bizarre toujours. Les gens des petits quartiers n'aiment définitivement pas ce qui dépasse. Et je dépasse. Un mètre quatre-vingt. Forcément ça rentre pas dans les petites cases. Et Renly et son sourire.
La seule personne qui me traite comme une vraie fille et qui m'accorde des combats. Je découvre un peu le monde dans un sourire. J'ai le cœur qui bat à mille à l'heure en permanence avec lui. Ses amis se moquent. Parfois méchamment. Mais Renly m'initie. Je découvre des réveils à l'aube, des exercices de souplesses plus poussés, les heures de musculation. Les combats continuent mais je découvre pendant deux ans les arcanes d'un sport beaucoup plus complexe et prenant. Le combat n'y a pas sa place en tant que tel mais peut se révéler plus qu'utile dans certaines situations pour le moins… compliquées.
Je romps mes attaches sans faille avec la légalité et ma petite vie lisse prend un tournant décisif. J'entre dans leur crew. La petite troupe de Renly fait du parkour la nuit et les jours fériés.
Et comme ça, de salto en salto, ma carcasse apprend. Douloureusement. Ma taille, ma carrure de boxeuse, mes muscles, tout devient un atout. On grimpe. Partout. La vie est belle, les immeubles sont hauts. Le soleil aussi. Ça cogne dur sur nos cranes quand on escalade les façades, quand on court pour échapper aux condés, quand on essaie de ne pas s'éclater en morceau sur le bitume fumant en courant sur des corniches infestées de pigeons et glissantes comme des toboggans pour enfants. A la différence pourtant, qu'il n'y aura pas maman pour me tenir la main pendant la chute et s'assurer que j'arrive entière en bas. Mais le risque est trop beau. Les combats débarquent pour maintenir la forme physique et se défendre quand on entre sur un territoire où nous n'avons pas le droit de mettre les pieds ou quand un flicaillon nous attrape au collet.
Je « me fais » ma première façade complète pendant le mois d'août. J'arrive essoufflée, épuisée, tremblante au sommet de l'immeuble et je découvre mon premier toit. L'adrénaline me brouille la vision, j'ai le cœur qui veut exploser. Il explose d'ailleurs. Moi avec. Je me décompose en un gargantuesque éclat de rire, sous l'œil dubitatif de mes compagnons de fortune. Mes nouveaux frères comme je le pense alors. Les murs s'enchaînent, j'apprends, je fuis mes parents. J'ai besoin de mouvements, d'espoir, de dépasser le marasme. Je change de vision du monde. Les tours deviennent un terrain de jeux. Plus elles sont hautes, plus on peut voir loin et apercevoir le soleil et le paysage en contrebas. Plus elles sont collées, plus on peut se promener de toits en toits. En un an j'apprends les ficelles, les arcanes et les coups de blues des semaines où je ne saute pas d'obstacles.
« - Tu vois Brienne le parkour envisage le monde comme un immense terrain de jeux, il n'y a pas d'obstacles, il n'y a que des manières de s'amuser en plus
On est bloqué quand même des fois…
Non, jamais. Pas quand tu es maître de cet art. Pour le moment tu apprends c'est normal.
On finit d'apprendre un jour tu crois monsieur le petit lord ?
Non damoiselle, on apprend toujours. Bouge tes fesses de gonzesse jusqu'à la corniche là-bas, je veux voir comment tu t'en sors avec les surfaces planes. »
Je ne parle qu'avec Renly, le reste du groupe ne m'accepte pas encore vraiment. On se côtoie, on s'entraide, on se chambre. Mais le soir, je rentre seule et je ne contacte personne en dehors des entraînements. Je découvre le plaisir de transmettre mon savoir. Mes petits apprentis de la boxe thaïe me regarde avec respect et admiration. J'apprécie avec eux la position unisexe et confortable du Professeur. Je n'ai pas à être quoi que ce soit d'autres que celui qui apprend avec eux. C'est comme avec les toits. Qui tu es n'a aucune importance, tu dois juste savoir calculer tes sauts. Ma mère me pense lesbienne. Elle tente d'avoir avec moi de grande discussion pour me forcer à sortir de mon placard, ce qui me libèrerait selon elle. C'est vrai qu'avec mon physique et ma vie plutôt hors des plates-bandes conventionnelles je n'ai pas vraiment la possibilité de nouer des relations amoureuses. Mais maman ne comprend pas que c'est grâce à elle que je n'espère pas. Elle m'a bien éduquée. Je ne peux rien attendre de personne. Pour attirer il faut être attirant et je ne le suis pas. Les filles ne m'intéressent pas plus que ça. Elles m'effraient avec leurs grandes mains, et ce qu'elles cachent entre leurs cils maquillés. Je n'ai pas d'amie. Je n'ai pas vraiment d'amis non plus. Les garçons ne font que me chercher des noises plus ou moins conséquentes. Je n'ai que Renly. Et ses mots. Et son regard. Et sa présence. Et son charisme. Et la chaleur de son corps quand on escalade des façades. Les garçons se tiennent à distance respectueuses de mes battoirs et les filles ne me regardent qu'avec pitié ou dégoût. Je tente de me joindre aux marches de fierté mais c'est peine perdue. Je ne suis la bienvenue nulle part. Même Renly à mieux à faire que de passer tout son temps avec moi. Mais les quelques moments qui me sont accordés, que ce soit seule avec lui ou accompagné du reste du crew sont mes bouteilles d'oxygènes dans l'appartement encrassé de fumée et de vapeur.
L'atmosphère de laisser-aller qui encrasse mes parents me touche moins fort qu'avant. Je ramène un peu d'argent, en vivant sous leur toit je peux me permettre de faire des économies. Je rêve de m'offrir une moto. Je serais un chevalier citadin sur son noir destrier de fer. Les rêves sont faits pour mieux dormir, pas pour rester réveillé mais le mien s'accroche à mes cheveux pendant la journée et refuse de rejoindre le royaume de l'inconscient. Je fais taire mes démons et mon amour sans retour pour le Lord comme on l'appelle pour se moquer et aussi par respect pour tout ce qu'il nous a appris en levant le son de ma musique toujours plus fort. Je parfais mon équilibre. J'apprends à éviter les condés, les problèmes et je me tente à marcher sur des fils. Le parkour m'ouvre des horizons, je m'améliore à force d'entraînement et j'améliore ma pratique des arts de combats en donnant mes cours.
Papa travaille, maman erre dans l'appartement. Normal, banal, habituel. Appartement enfumé, télé assourdit par le silence. Je ne suis plus là, portes qui claquent, questions sans réponses et on mange accroupit sur des poutrelles de chantiers des sandwichs en cartons au goût passé et écrasé dans les sacs mais qui ont une saveur de vide qui me les rend délicieux. Frissons.
Je ne vais plus au lycée, je travaille. Je n'ai pas le bac, c'est suicidaire dans notre société actuelle il paraît mais l'atmosphère du lycée m'a trop fait de mal. Si je sais me débrouiller dans le monde, le microcosme lycéen a été par trop agressif et violent à mon égard et je refuse de retourner là-bas et d'y être forcé à plier l'échine devant des gens moins fort que moi. Je sais que mon esprit va en pâtir mais je n'ai jamais eu pour objectif de devenir un grand sage ou une philosophe de renom. En plus d'être moche je ne brille pas par mon intelligence je le crains. Par ma lucidité certainement mais ça s'arrête là. Elle me rend pourtant service ma Dame lucidité, elle m'évite des combines louches et me permettent de trouver du travail. Et surtout, elle m'empêche d'espérer Renly. Et ça, si ça ne me sauve pas de l'amour que je ressens, ça me sauve de l'espoir qui est franchement pire que l'amour. Beaucoup plus insidieux. Traître et doucereux. Je sais qu'il sait. Que le crew sait. Mais cela me permet de me dépasser alors je profite de ce sentiment pour m'améliorer, pas pour lui plaire car je sais que c'est sans espoir. Pour me plaire. Pour pouvoir me regarder dans une glace avec amour et fierté. Et je dois dire que même si je suis encore loin de ce résultat, le temps où je fuyais mon reflet dans la glace est révolu.
Si je ne me souris pas encore beaucoup, j'ai appris à être fière de chacun des muscles que j'ai développé car ils me permettent de réaliser des choses dont je suis fière. Prendre des muscles me permet de satisfaire un peu plus mes envies de look androgyne. J'entretiens le doute. Pas que j'adore avoir l'air d'un homme mais au moins personne ne m'embête. Je n'ai pas vraiment un air aimable. Et les sweats larges n'arrangent rien. Et c'est ma foi tant mieux. Brienne est en sécurité à l'intérieur d'elle-même. Chaque minuscule progrès que je fais, chaque murs que j'escalade, chaque seconde de vitesse que je gagne, ma vision de moi-même s'améliore. Les cheveux de Renly poussent. Mes parents sont intrigués par cette nouvelle bande qui m'entoure à présent. Maman est fière que je me sois liée avec des gens autres que moi-même. Papa est content de mes progrès sociaux et en combat.
L'été débarque et nous trouve fin prêt à tenter tout ce qu'on pourra imaginer d'un peu stupide, de carrément dangereux et de totalement illégal. On se défonce à l'adrénaline. On est accroc. L'appel du vide est irrésistible, implacable. On se met tous d'accord pour se consacrer presque uniquement à l'escalade de façade. On est tous dans la révolte contre les tours on les déteste. Va savoir pourquoi, un genre de volonté e s'en sortir et de déclarer un coupable. Elles nous emprisonnent, on les méprise. Et accessoirement on prend conscience qu'il y a un au-delà. Le monde est vaste. La ville est belle. Fatalement on y trouvera notre place un jour ou l'autre non ?
On cherche du travail, je dégote un entretien dans une agence de sécurité. On y passe tous. En quelques semaines on a remplacé toute l'équipe. Le crew est consciencieux. Rien ne sort ou ne rentre dans l'entreprise sans notre visa. On fait relativement peur je crois. Mais du coup on est apprécié du boss. Tous les sept. Renly, Loras son meilleur ami (un genre de gravure de mode avec des fringues impressionnantes la plupart du temps), moi, Mathis Rowan une brute épaisse mais qui peut avoir l'air de voler tellement il est rapide quand il grimpe ,Bryce Caron blond cheveux, blonde barbe, noirs yeux, noir humour, points solides , Eldon Estremont, tatouage de tortue sur l'épaule droite, Robart le silencieux, la fouine, l'œil de lynx, exquis en société, sauvage sur un tatamis, notre guetteur émérite .
L'été donc, mais on doit encore aller travailler. On monte des projets d'une plus grande envergure, surtout un en fait, pour la fin de notre contrat. Ce projet est en fait une réponse à un défis stupide lancé par un autre groupe. Ne pas y répondre nous décrédibiliserait et nous ferait perdre notre réputation. Mais ce projet nous emballe, il nous possède au-delà du défis. On le règle au millimètre. Je vais chaque jour aux réunions dans le salon de Renly le cœur battant. J'ai un rôle. Un grand rôle même. Je vais être dans les premières lignes, je vais faire partie de la « garde » de Renly, je serai une des responsable de sa sécurité une fois qu'il sera dans les airs. Mathis sera au centre, derrière nous, Bryce partira sur la façade ouest, Eldon sera le dernier à partir et aura notre caméra sur la tête. Robart, lui, ne montera pas .J'ai tellement hâte. C'est la consécration. Je pleure d'émotion en apprenant la nouvelle. Je me sens reconnue à ma juste valeur. Je ne serais pas la seule à être chargée de cette partie du travail mais qu'il m'accorde ce privilège montre la confiance qu'il a en moi. J'en ai le cœur qui dégringole dans les talons et l'occiput en bazar dès que j'y pense. Je sais qu'il faut que je me fasse à l'idée mais quand même, ça me fais quelque chose.
Je souris, je suis euphorique et je commence à vouloir mon indépendance. Mon travail me permettrait de payer un loyer… Je voudrais quitter l'appartement de mes parents. Je vais sur mes dix-neuf ans, j'ai l'impression que le monde est à moi. Je suis encore très naïve bien que je pense le contraire… Maman est de toute façon opposée à cette idée. Sous sa froideur, elle n'est pas sûre de vouloir me voir quitter le nid. Je cherche un compromis. Mon chevalier-Lord-amour-de-ma-vie trouve (comme toujours) une solution géniale. Il me propose de rejoindre la colocation qu'il occupe avec le reste du crew dans un pavillon de banlieue. Je saute à pied joint sur l'occasion, maman tire la tronche, papa n'est pas enchanté mais je crois que je m'en fous. On aura droit à un chômage à la fin du contrat, je suis à peu près tranquille pour plusieurs mois. Surtout que vivant chez mes parents j'ai quelques économies qui me seront bien utiles. L'acclimatation n'est pas super simple, je me prends des vannes assez acides et des coups bas assez douloureux (j'avoue je pleure souvent). Mais la vie est belle je vis sous le toit de Renly, je le vois chaque jours, je parle avec lui des fois quand il n'est pas occupé à courir partout, je l'entends rire avec Loras, je l'entends marcher. Je profite de chaque seconde comme si je les volais. On est dans l'attente, la préparation, l'expectative, on a tous l'impression de voler ces moments. Je le sais. Je le sens. On sait qu'à un moment il faudra redescendre sur terre et que ce sera dur. Vraiment dur. Très dur. On sait qu'on va s'aplatir au sol et souffrir comme peu en auront l'occasion. Du moins je le sens. Et je crois que Loras aussi. Renly fanfaronne. Il ne semble jamais se soucier de rien. Il n'est pas inconscient, il est confiant. Ce qui est peut-être encore pire. Non ?
Les scènes de la vie quotidienne sont souvent à se tordre de rire maintenant que j'y pense. La tête de Mathis devant la machine à laver à avoir l'air de demander à quelle sauce il allait être mangé par cet étrange monstre de « lavage à sec ». Je ne parle même pas du sacro-saint « lavage à froid » qui les laisse tous très perplexe. Je rigole. Je me moque. Copieusement. Ma position de fille enfin utile et dominante. Ils me respectent un peu de maîtriser plus qu'eux des choses essentielles et qu'ils doivent me demander de leur expliquer. Si j'étais une vraie garce je vous dirais le fond exact de ma pensée tout de suite qui est qu'ils se trouvent obligés de s'abaisser à me demander des choses mais je suis une sainte-nitouche. Je refuse vertement de le faire à leur place comme pour les corvées crades de ménages pour lesquels on instaure un tour que je fais respecter au mépris de toutes menaces pesant sur mon humble tête. Je crois que je prends de l'assurance à ce moment-là. Je ne m'écrase plus. Je rends coups pour coups. Je me sens puissante. Je me rends compte que je peux faire peur. Je prends conscience que mon calme et ma froideur peuvent effrayer et empêcher la violence d'éclater. Je marche le buste plus droit. Je suis toujours aussi laide mais je ne cherche plus à disparaître dans les murs, je m'exprime un peu et surtout j'arrête de me reprocher ma sale gueule. Etre moche d'accord. M'en estimer responsable non. Mes parents ne le sont pas non plus. Personne ne l'est, la loterie génétique porte ce nom pour une raison évidente : il y a des gagnants et des perdants. Je suis une perdante sous bien des aspects. On ne va pas en parler cent ans non plus quoi. Si ? Visiblement pour certains si mais pour moi ce n'est plus d'actualité. Et ma foi, je réussie relativement bien à imposer mon point de vue sur ce sujet, qui commence tout de même à dater un peu il faut bien l'avouer. Il faut croire qu'on s'habitue à ma tronche.
L'appartement stagne donc dans un genre de flot hors du temps, une petite routine qui fais du bien et qui endort la méfiance du lendemain. On bosse à l'élargissement de notre zone d'action, on fait des repérages, on prend des photos, les équipes étant constitués on réfléchit à un plan d'arrivé et de sortie correct. Et surtout, un itinéraire. On se dispute beaucoup sur la stratégie à adopter. Que ce soit sur l'horaire ou notre trajectoire sur la façade, sur nos figures, sur notre timing … On tente de ne rien laisser au hasard et ça donne énormément de travail, de litre de café et d'insultes. Le contrat prend fin, on fixe une date. Une heure. On vérifie la météo, les habitants du lieu. On a décidé de s'attaquer à une zone habitée. Un gros morceau. Un morceau dangereux. Qui marquerait une vraie progression de notre crew dans le milieu, on aurait alors un territoire bien à nous. Cet immeuble ferait partie de notre panel. On sait que c'est une prise de risque énorme mais on fait une confiance aveugle à Renly qui nous appelle l'arc-en-ciel. Quand on lui demande pourquoi, il rigole et nous répond que c'est parce qu'il n'a jamais vu une équipe de branquignoles comme la nôtre et aussi mal assortie. Il répond ça avec un sourire tellement étrange que je ne peux pas m'empêcher de me demander si ça n'a pas un rapport avec un autre arc-en-ciel, celui-là bien différent mais qui rappelle aussi à des valeurs de partage et d'acceptation de l'autre. Un arc-en-ciel sur un drapeau. Ce serait une blague d'assez mauvais goût pour mes camarades qui ne se doutent de rien et qui ne se caractérisent pas trop par leur ouverture d'esprit. Je n'ose poursuivre ce raisonnement en l'appliquant au lien plus que fort qui lie mon chef et son meilleur ami. Loras et son amour des fleurs. Je crois que je fais un déni, je crois que Renly comprends ce qui se passe sous mon crâne. Il me sourit de plus en plus. Je l'aime de plus en plus. La veille du grand jour, je passe voir mes parents, je mange avec eux, je leur donne des nouvelles de la troupe et je dors mal. On a prévu de partir à l'aube, soit vers 4heures du matin en horaire estivale.
J'ai l'impression que j'ai déjà monté ce truc en rêve plus d'un milliers de fois. On est tous plus qu'impatients. La vie nous ouvre les bras et on se jette dedans en courant. Nos réveils sonnent. Un peu zombies, très excités, on se prépare. Talc, craie, bandes, fringues. Echauffements.
La ville nous appartient.
Première partie finie ! A bientôt pour de nouvelles aventures !
