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Les vagues échouèrent paresseusement sur la coque du bateau. La couleur carmine du soleil leur donnait un aspect de morbide. Cela me fit sourire. Oh, j'ai le droit après tout d'avoir mes moments de déprime. Même si je suis une personne qui tire la tronche assez souvent. C'est pas parce que je vais mal, non. C'est juste que je ne trouve aucun intérêt à toujours sourire. Je trouve que ça fait l'air idiot. Encore plus maintenant.
J'étouffai un bâillement. Je dors mal sur les bateaux. Ça se voit à mes cernes bleuâtres sous mes joues. Et j'emmerde celui qui me dit que je ne suis ici que depuis aujourd'hui. En faite je ne dors pas bien tout cour. Voilà, content ? Comme si je m'en souciais…
Une brise vint agiter ma mèche dorée devant mes yeux. Je posai ma tête sur ma main pour la soutenir. Je n'aime pas trop m'ennuyer et sur les bateaux n'y a pas grand-chose à faire. Sauf pour les commères : y en a déjà une qui est venue tout à l'heure pour savoir si je me droguais. Je l'ai envoyé balader, et tant pis si je passe pour un asocial. Ce que je suis de toutes manières.
D'ailleurs l'une d'elles commence a rappliqué. Vite une idée…hum… Je peux quand même pas partir en courant. Mais si je regarde ma montre l'air de rien et faire mine de partir manger…
Je commençai donc à faire un pas vers l'avant du rafiot en jetant un coup d'œil à ma montre. C'est là que je remarque que j'en ais pas. Zut. Pas grave, la vieille semble déçue et repart. Je retient mon rictus victorieux à grande peine et me déplace pour ne pas me faire repérer pour enfin me reposer. Ce qui faut pas faire pour être tranquille…
Je me pose donc sur la rambarde quelques mètres plus loin et j'attend que le temps passe. Avec en prime un beau coucher de soleil. En plus la première étoile vient d'apparaître. Dans dix minutes se sera le tour de la deuxième.
Soudain je sens quelque s'agripper à mon bras. Je me retournai vivement en lâchant la bordure pour jeter un regard noir à l'imbécile. Le truc qui n'était pas prévus, c'est quand faites le type s'était raccroché à moi pour ne pas tomber. Et du coup on se retrouve par terre tout les deux.
Fait chier, j'ai loupé l'apparition de la deuxième étoile.
Je me releva cependant en me massant le crâne et jeta un vague regard au pauvre type étalé par terre. Je compris le pourquoi de sa chute en voyant son teint vert. Ça détonait avec ses cheveux rouges.
Je pris pitié et lui tendit une main. C'est ma minute de sociabilité, j'espère qu'il ne va pas me vomir dessus. Il fixa d'ailleurs un moment ma main l'air ahuri – il s'apprêtait plutôt à se faire engueuler – avant de me sourire et de saisir ma main.
« Essaye juste de pas me vomir dessus. »
Mon ton neutre le surprit. Il se laissa néanmoins hisser et je lui fais prendre appuis sur la rambarde.
« Merci, » me fit-il entre deux hoquets, il n'avait pas trop supporter le voyage debout-par-terre-debout.
J'haussa des épaules et me retourna vers le ciel. Le soleil était maintenant presque couché.
« T'as pas l'air bavard, » constata t-il.
Visiblement son mal de mer allait mieux.
« Ma minute de sociabilité journalière est terminée. »
Le rouquin écarquilla des yeux avant de partir dans un grand rire. « Celle là, on me l'avait encore jamais faites, » réussi t-il à dire entre deux pouffements. « Et pourtant je connais pas mal de cas sociaux, moi compris ! »
Je lui lançai un regard blasé – et irrité, ne pourrais-je jamais être tranquille ? – et me remit à la contemplation des étoiles. C'était beau. J'ai toujours aimé le ciel. Surtout la nuit. Malheureusement, j'étais pas assez couvert ce soir, du coup à la moindre brise je frissonnais. C'est ma faute aussi : j'étais en débardeur.
Mon voisin fini par s'en rendre compte, et je me suis aussi rendu compte qu'il était resté. Il m'adressa un coup d'œil amusé et me prit par l'épaule. Sait-il que j'aime pas les contacts humains ?
« Allé, viens, » rigola t-il. « Tu vas par rester à te les cailler dehors ? »
Il me traîna vers l'avant du bateau toujours en rigolant. J'ai dit plutôt que je n'aimais pas sourire. Ni les gens qui le faisaient. Néanmoins je ne pouvais pas imaginer ce type avec un air triste sur le visage. Ça doit être des caractéristiques propres aux personnes comme lui…et Zack.
RHAA… ça y est. Je pense à lui. Et dire que j'avais réussi à ne pas y penser pendant toute une journée !
Je rendis alors compte que l'on n'avançait plus. D'ailleurs le rouquin me fixait d'un air anxieux.
« Ça va aller ? » me demanda t-il doucement.
J'haussa encore des épaules et détourna mon regard de celui persan du rouquin. Bien sur que ça va. J'ai toujours été bien. J'allais tout de même pas me confier à un inconnu total !
Il émit un ricanement. « Ouais, c'est ça. Enfin bon. » Sur ceux, il me retira vers l'endroit où il voulait m'emmener, comme si rien ne c'était passé.
Je me fis la réflexion que c'était pas très prudent de me laisser faire et qu'il pouvait ne pas me vouloir du bien. Après tout quelle importance. J'étais vide à l'intérieur. Ça serait la fin du monde, je ne le remarquerais même pas.
J'émergeai quand il posa devant moi un verre remplit d'un liquide multicolore. Je lui jetai un coup d'œil intrigué. Il en avait un aussi et était en train de le boire joyeusement. J'enviais un peu sa bonne humeur. Il intercepta mon regard et me répondis par un grand sourire. « Pas du poison, juré ! »
Il devait avoir l'habitude des cas qui ne parlais pas me rendis-je compte ensuite. Ce type arrivait très bien à interpréter mes réactions, ou non réactions.
Aussi je me surpris à apprécier la substance et lui en recommanda plusieurs, alors que je n'avais même pas but quelques gorgées.
« Pour te remercier de ta précieuse minute de sociabilité journalière, » ricana t-il après ma deuxième question visuelle. « Et pis se soûler tout seul n'est pas très marrant. »
Le truc était donc de l'alcool. Je lui jetai un coup d'œil mécontent qui eut le mérite de lui faire relever la tête du décolleté d'une serveuse.
« J'ai quinze ans et demi. »
En gros, je n'avais même pas le droit de venir ici.
« Et moi dix-neuf, » répliqua t-il. « Enfin, presque. »
Oh, génial. On avait pas le droit d'être là tout les deux : la limite d'âge des bars étaient fixées à vingt ans. Et si lui pouvait les faire, moi j'avais vraiment l'air d'un gringalet de quatorze ans à tout casser.
« Te fais pas de bile ! » Je me tourna vers lui et remarqua qu'il avait déjà englouti deux autres verres. « Ils ne nous vireront pas. » Il rajouta devant mon air septique. « Privilège d'être un turk : tu peux te soûler n'importe où, les gens auront trop peur de nous virer. »
Un turk ?
« Je croyais que les turks étaient une élite et qu'ils devaient toujours être impeccables. »
Il me jeta un coup d'œil et pouffa. « Exacte. Mais moi je suis spécial. » Il fit un vague geste aux vêtements qu'il portait. J'avais pas remarqué, mais ils étaient assez…négligé.
« Du moment que mon boulot est nickel, j'ai aucun problème. »
Je sais pas si c'était très rassurant mais cela me convainquit de boire autant de verre que lui. C'est pas tous les jours qu'on peut se bourrer la gueule autant que l'on veut avec un tueur en face de soi. Un tueur assez sympa en plus. Attention, ne vous trompez pas : je suis et resterais un asocial de première classe. C'est juste qu'avec … quelques grammes d'alcool dans le sang, c'est un peu plus difficile de ne pas paraître idiot.
La suite devient assez floue. On avait enchaîné les verres, puis les bouteilles, on se marrant pas mal. J'avais jamais autant ri. C'était la faute à l'alcool, bien sur. D'autres jeunes ont finis par nous rejoindre et la soirée a fini en jeux assez…entreprenants. Du jamais vu pour moi. Non seulement il y avait pas mal de monde, mais en plus tout le monde jouait ensemble, moi compris.
Avec qui j'ai dansé sur la table ou d'autres conneries dans le genre déjà ? … hum…
Mais toutes les bonnes choses ont une fin. A trois heures du matin il a fallu rentrer et Reno, son nom apparemment, m'arracha à mon verre… bouteille… errrr… enfin bref... je sais que j'avais rien dans les mains quand il m'a traîné plus ou moins vers ma cabine – c'était la plus proche – en chantant des chansons à tu tête. Il m'avait dis que je lui cassais les oreilles. Alors je crois que j'ai ricané, ou gloussé. Sais plus. En tout cas il était pas content et avait boudé.
Puis il a souri et s'est retourné vers moi avec un sourire diabolique.
Et après trou noir.
