Chapitre 1
Une jeune femme sublime aux cheveux châtain et à l'aura plus que magnétique portant un cartable à la main, remontait lentement une allée bordée de cerisier en fleur, la brise faisant virevolter et tourbillonner des centaines de petits pétales de couleur rose. Cette femme à l'aube de commencer sa vie d'adulte en avait déjà les formes et l'allure, elle avait un regard carmin d'une grande rareté et le style vestimentaire d'une femme fraîche et indépendante, et l'aplomb d'une femme d'expérience.
C'était le milieu de l'après-midi et elle venait de terminer ses cours à la fac de droit et prenait le chemin du retour vers chez elle, seule sans que quelques admirateurs de sa personne lui collent aux basques. Elle avait également réussi par je ne sais quel stratagème à se débarrasser de Reito Kanzaki, le fils d'une famille nouvellement richissime, qui avait tendance à vouloir un peu trop la courtiser et la faire sienne à son goût. Elle le trouvait simplement charmant, intéressant et gentil mais cela n'était pas assez pour qu'elle accepte de sortir avec lui, même si ses grands-parents du côté paternel la tannaient pour qu'elle cède aux avances de ce soit disant « gentleman ». La raison était que la famille Viola aurait eu besoin de redorer son blason et de reprendre de la grandeur et de l'influence dans cette ville qui devenait doucement mais sûrement la propriété d'une seule et même famille qui ne faisait pas toujours l'unanimité sur la droiture et l'honnêteté de son business… Et pour reprendre de l'importance dans cette ville quoi de mieux que de mixer deux fortunes pour n'en faire qu'une seule beaucoup plus considérable. Mais Shizuru n'en avait que faire, on ne la soumettrait jamais à faire quelque chose d'aussi détestable et vénal, elle avait des valeurs et elle tenait ça de sa défunte mère. La superficialité et la fierté de ce monde à part la révulsait au plus au point et encore plus depuis la débandade de sa famille.
Elle était perdue dans ses propres pensées, complètement enveloppées par sa réflexion. Puis, elle arriva près d'un carrefour, alors qu'elle allait tourner à droite, elle décida sur un coup de tête, ou bien tout simplement par nostalgie, de changer de direction et de passer par le quartier fortuné, celui où des dizaines de maisons, de villas, de manoirs plus imposants et luxueux les uns que les autres se côtoyaient et vivaient dans l'opulence. C'était un quartier qu'elle connaissait bien, elle aussi y demeurait il y a de ça quelques années. Mais la famille Viola ne faisait désormais plus partie de ces grosses fortunes qui contrôlent les affaires et commerces, ou bien même la politique de la grande ville bien connue de Fuuka. Les choses changent tellement quand on fait partie du gratin, quand on sait tirer les bonnes ficelles dans ce petit monde fermé et protégé, et surtout quand on est capable de tout, même d'écraser les autres en utilisant les moyens les plus viles.
Elle s'arrêta devant une grande villa, comportant plus d'une vingtaine de pièces, qui avait apparemment totalement changé d'apparence, le jardin, les allées, les peintures, les agencements mais aussi le nom apposé sur l'interphone vidéo dernier cri : Famille Hitaki, grand entrepreneur mondial dans l'audiovisuel. Elle se rapprocha du portail en fer forgé qu'elle connaissait si bien et posa ses mains sur les barreaux pour voir un peu plus de cette somptueuse demeure où elle avait eu l'immense chance de grandir. Elle avait de la peine dans le regard en usant de sa mémoire, elle se souvenait d'avoir couru dans ce si beau jardin alors que sa mère, le sourire jusqu'aux oreilles, assise sur une chaise longue la surveillait une tasse de thé fumante à la main. En y repensant un sourire sincère apparut sur son joli visage et s'estompa rapidement lorsqu'elle aperçut un homme en costume et lunettes noirs parler dans son oreillette tout en se dirigeant suspicieusement vers l'énorme portail. Elle décida de s'éloigner de la villa à contrecœur et de continuer son chemin. Mais elle le savait, elle serait encore attirée par cette demeure anciennement familiale et reviendra sûrement encore contrarier le garde du corps.
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Après quelques minutes de marche, Shizuru arriva devant chez elle enfin, là où elle vivait avec son père. Elle poussa le petit portail en bois d'une petite maison bien entretenue et accueillante, puis suivit une petite allée pavée, il y avait également un petit jardin où on pouvait y apercevoir de jeunes pousses de différents thés, des dizaines de plants d'aromates et des fleurs très rares.
« Shizuru. C'est toi ? Je suis dans le salon. »
« Père, qu'est-ce que vous faites là si tôt ? Vous ne deviez pas terminer votre travail vers 20h00 aujourd'hui ? »
« Et bien, si mais Kioshi Kruger m'a laissé partir plus tôt. »
« Ah oui, c'est un homme tellement bon… » Répondit-elle ironiquement tout en se dirigeant vers le réfrigérateur pour y prendre une bouteille d'eau fraîche et revenir dans le salon.
« Shizuru… Grâce à lui je peux ramener de l'argent, payer les différentes dettes que nous lui devons et continuer de travailler dans un domaine qui me tient très à cœur. »
« Mais attendez, qu'est-ce que vous racontez c'est à cause de lui que nous avons perdu notre villa familiale, les entreprises d'exportation de thé et la renommée de notre famille par la même occasion ? Mais c'est surtout à cause de lui que nous avons autant de dettes envers lui et beaucoup d'autres. » Elle commençait à perdre son sang froid, même si elle put aisément se contrôler.
« Mais ça nous ne le savons pas, et tu sais très bien que même si c'était le cas nous n'avons jamais eu de preuves formelles et puis, que ferions-nous du haut de notre nouveau statut social ? Ce que je sais, c'est que notre famille a maintenant des dettes énormes notamment envers cette famille Kruger et nous leur devons d'une certaine manière allégeance, c'est comme ça que les choses fonctionnent dans notre monde fermé et singulier. Les Viola sont et resteront toujours loyaux peut importe les obstacles. »
« Et bien, j'en suis pratiquement sûre et je découvrirai un moyen de trouver des preuves pour qu'enfin vous ouvriez les yeux. Si personne ne fait rien, il continuera à détruire tout sur son passage et de soumettre toute personne à son autorité mal placé. Et puis, je me souviens de ce que maman vous a dit… »
« Ce n'est pas à toi de faire justice, Shizuru. Et de quoi parles-tu ? Qu'as-tu entendu ? » Demanda-t-il nerveux.
« Je sais que ce fameux Kruger était amoureux de maman mais qu'elle vous a choisi et non lui. Elle a dit qu'elle avait des doutes sur ses actions, qu'il serait capable de vengeance et de bien pire. Elle le savait assoiffé de puissance et qu'il était du genre à aller jusqu'au bout de ses envies. C'est cette phrase que j'ai entendue par mégarde et que je n'ai pas oublié. »
« Tu n'aurais pas dû l'entendre. Ecoute Shizuru, je sais déjà tout ça mais ce ne sont pas tes affaires, ne te préoccupe pas de ça. Et puis, je connais ce Kruger depuis bien des années et plus que tu ne le crois. Tout vient à point à qui sait attendre. »
« Mais si nous attendons trop, que ce passera-t-il ? Que deviendra Fuuka ? Il rachète tout et même les petits commerces artisanaux… »
« Nous ne pouvons pas faire grand-chose de toute manière, pas de notre position. Concentre-toi plutôt sur tes études et tes envies, comme ta passion pour les livres ou le maniement du Naginata. Notre nom n'est plus celui qu'il était, c'est vrai et ta mère n'étant plus là, ce qui m'importe le plus aujourd'hui c'est ton bien et ton avenir ma fille. »
« Je sais, père et je vous en suis reconnaissante. Mais, sachez que si c'est bien lui qui est à l'origine de notre situation actuelle, il doit bien se moquer et rire aux éclats dans son manoir d'empereur en sachant qu'il a réussi à faire du mal à la personne ayant eu l'amour de maman et surtout soumettre cette même personne à sa supériorité arrogante sans fin. »
« Shizuru, je ne suis pas né de la dernière pluie et je ne te dis pas que c'est l'homme le plus honnête et encore moins un bon samaritain, tout n'est pas clair chez lui surtout depuis qu'il est de retour à Fuuka, il a ses torts… mais j'ai aussi les miens ... » Il s'arrêta dans sa phrase, ne voulant pas aller plus loin.
Ces quelques derniers mots furent prononcés à voix basse dans un bref murmure. Au fond, il était éreinté par les événements, il ne voulait plus reparler de tout ça et heureusement pour lui, Shizuru était tellement prise dans la conversation et enflammée qu'elle ne nota pas ces derniers mots tellement lourds de sens.
« Oui, on ne peut pas faire autrement en ce moment, je le sais. Mais c'est lui qui commande pratiquement toute la ville. On le voit tout le temps à la télé, ces temps-ci. Il prend de plus en plus d'ampleur médiatique. Maman avait l'air à travers ses mots de ne pas l'aimer et vous, vous acceptez de travailler pour lui… Je trouve ça juste troublant… »
« Ce qui m'aide aussi à avancer et tenir, c'est que je le vois pratiquement jamais à mon travail. Je ne suis qu'un simple employé parmi tant d'autres. Mais tu sais, oublie... Ce sont mes tracas et non les tiens, arrête donc de prendre tout ça trop à cœur. Tu sais que je n'ai pas le choix, je ne veux pas que notre nom disparaisse des affaires de Fuuka et quoi de mieux que de rester près de la personne en tête des hautes sphères dans notre petite ville. Je comprends ton trouble, mais les Viola ont la force de tout endurer pour arriver à leurs fins même les plus infimes. Tu sais, ta mère serait fière de toi, tu es très intelligente, intègre et d'une honnêteté digne de notre famille, sans oublier que tu es devenue tout aussi belle qu'elle a son âge. »
« Je sais, excusez-moi. Mais avec tous les changements que nous avons vécus, et l'absence de mère… Je perds pieds… et… »
L'homme aux cheveux châtain comprenant la tournure de la scène repoussa doucement sa chaise et se leva pour rejoindre sa fille bouleversée qui, les larmes aux yeux, enfouit son visage dans le cou de son père protecteur. Celui-ci resserra ses bras autour de sa fille unique et tant aimée. Il la teint de cette manière pendant quelques minutes, le temps qu'elle se calme et il lui demanda soucieux.
« Dis-moi, est-ce que des personnes t'importunent à la faculté, par exemple ? »
« Non, on ne peut pas vraiment considérer qu'ils m'importunent, mais il est vrai que des personnes sont passées de la vénération et l'admiration, à l'indifférence ou même la haine. Ne vous inquiétez pas, je suis forte et je sais très bien me défendre au sens propre comme au figuré. Je n'ai que faire de ce qu'ils pensent et je ne leur ferai aucun cadeau s'ils s'approchent trop de moi dans un but méprisable ou autre. »
« Je sais que tu es forte, Shizuru. Mais nous avons tous nos moments de vulnérabilité, et tes amis les plus proches, Reito, Takeda, Haruka et Yukino comment agissent-ils ? »
« Ils n'ont pas changé, ils m'apprécient pour qui je suis vraiment et non pour un statut. »
« Tu as bien de la chance d'avoir de si bons et sincères amis. Fais en sorte qu'ils restent près de toi toujours alors. »
Il lui sourit et l'embrassa sur le haut de la tête avant de se diriger vers la cuisine pour y faire le repas. Elle lui rendit le sourire, elle l'aimait profondément n'importe qui pourrait le voir sans aucun effort et ce lien avait été renforcé par la mort de Chinatsu Viola.
« Laissez, je vais cuisiner ce soir. Vous pouvez aller prendre un bain relaxant si vous voulez. »
« Tu es sure ? Mais tu n'as pas de devoirs ce soir ? »
« Je m'étais avancée donc ne vous inquiétez pas pour ça. »
« Je ne sais pas de qui tu tiens ta rigueur en ce qui concerne les devoirs… »
« De mère, apparemment. »
« C'est vrai que ta mère était l'élève modèle. » Il lui fit un clin d'œil avant de se diriger vers la salle de bain.
« Prenez votre temps, tout sera près d'ici une trentaine de minutes. »
« Très bien, chef Shizuru. »
« Père… » Dit-elle d'un ton las et bas.
« C'est bon, j'arrête. Moi aussi je t'aime ma fille. Allez, j'y vais. »
Sotaro Viola disparut vers le couloir étroit menant jusqu'à la salle de bain, il avait grand besoin de se détendre. La conversation avait été éprouvante, il comprenait les questionnements de sa fille mais elle ne savait pas tout de l'histoire liant les trois familles Fujino, Viola et Kruger. Mais le passé était remonté à la surface justement à cause du retour de l'héritier Kruger à Fuuka après plus de 25 ans passés en Europe et juste quelques mois avant la mort de la mère de Shizuru. Toutefois, il sait qu'il devra bientôt lui raconter mais reparler de Chinatsu depuis sa mort, il y a deux ans, était pénible.
Shizuru, quant à elle, retourna son attention sur le repas qu'elle allait préparer, cela lui changerait les idées. Elle ne savait que faire. Finalement, elle décida de préparer une grande salade d'été rafraîchissante et légère, pour cela elle aurait besoin d'aromates. Elle sortit de la maison pour aller voir ce qu'elle pourrait trouver de bon dans son jardin. Alors qu'elle allait se baisser pour se servir, elle entendit un bruit. Elle leva la tête, le ciel était devenu soudainement bien gris et menaçant. Il semblerait que l'air trop lourd et étouffant d'aujourd'hui allait donner naissance à un bel orage qui ne tarderait pas à éclater. Le ciel commençait doucement à se zébrer de grands éclairs lumineux. Elle rejoignit vite l'intérieur du logis devenu celui des Viola avec quelques feuilles de Shiso et basilic alors que déjà quelques gouttes commençaient à tomber et marquer le sol.
