Os écrit pour la nuit du fof sur le thème "passant".

J'ai eu une inspiration soudaine pour celui là, et y a une suite qui va sortir dans pas longtemps, promis. Faut juste patienter.

Bonne lecture !


Au tournant

Il y a les gens qui passent et qui repassent. Qui font des aller-retours à cause d'un oubli ou des aléas des besoins. Il y a ceux qui tracent, sans regarder autour d'eux, d'un pas rapide et déterminé. Il y a ceux qui vagabondent, lèvent les yeux sur les hauteurs et ne marchent pas très droit. Il y la foule qui se mouve dans tous les sens et dans toutes les directions.

Et il y a moi qui attend.

Le cul par terre, mon bol devant moi et la pancarte qui demande gentiment un peu d'argent qu'on ne me donne pas. J'attends. Que le jour passe, que le soleil parcoure le ciel, que la police arrive et me vire à coups de pied au cul, que le froid ou la chaleur me force à battre en retraite, que la foule de passants désenfle signifiant la fin de ma quête pour aujourd'hui.

Il y a les mecs en costard, accroché à leur cartable sûrement rempli de document. Les nanas en tailleurs ou en pantalon droit, le foulard autour du coup et la dégaine cinglante. Les gens qui vont au boulot, habitués, fatigués, lassés. Qui travaillent et essaient de se convaincre qu'ils aiment ce qu'ils font. Qui sont pressés d'arriver, pressés de partir, pressés d'être en vacances, ou pressés d'arriver à la fin de leur vie. Ils n'ont pas le temps de parler, de souffler, de me regarder, ça leur coûte trop cher.

Moi je sais que le temps ne vaut rien si ce n'est une petite aide à ne pas perdre la tête. Rien ne se sert de courir, le lapin n'a pas gagné la course et personne n'en a retenu la leçon. Ils ne savent pas qu'en filant, ils manquent tout ce qui est important.

Il y a les étudiants, en tee-shirt légers car ne craignant pas le froid, en sweat de toutes les couleurs soit du gris au vert en passant par l'orange. Ceux qui filent parce qu'ils sont en retard, ceux qui sont en groupe à parler des cours et à comparer les profs, Ceux qui ont un gobelet rempli de café, les paupières encore collés par le sommeil et l'envie de retourner ce coucher. Tous ceux qui ont envie d'apprendre, de vivre, qui croient encore à la vie devant eux et au métier qui les rendra heureux. Et tous ceux qui trainent les pieds, indécis, en se mordant la lèvre avec la tête pleine de doutes concernant l'avenir.

Moi je sais qu'on leur a menti, que le futur qu'on leur a vendu n'existe pas et n'est pas beau. Ils finiront comme ces personnes essoufflées qui vont toujours d'un point A à un point B sans se demander s'il n'y a pas une autre manière de vivre. De futurs robots bien programmés à rentrer dans le moule.

Il y a ceux qui sont perdus, les touristes d'un jour ou d'une semaine. Les lycéennes souvent bien habillées qui grognent en parlant du bac. Les mecs en jogging, en skate, en trottinette, à vélo, en scooter. Les punks à chiens avec ou sans leur meuf et leur clique. Les groupes qui attendent leurs amis en trainant par-ci par-là. Les parents avec leurs enfants et leur poussette. Les amoureux qui se donnent rendez-vous et se retrouvent d'un baiser.

Il y a le monde dans la rue, sous mes yeux.

Et il y a le gamin de 16h30. Qui passe sans voir personne, le nez dans un bouquin chaque jour différent. Une mèche grise lui cache un œil et la moitié de sa vision périphérique. Marchant d'un pas lent sans regarder autour de lui et pourtant, il ne se cogne contre personne.

Le passant de fin d'aprem, le gamin ou l'étudiant modèle, le point de repère du clochard que je suis. Le seul qui me regarde vraiment.

Au fil de la journée, certains s'arrêtent pour me donner un petit quelque chose. On me tape même la discute parfois. Mais la plupart du temps, on se contente de m'ignorer. Je fais pitié, je fais honte, je suis un décor beaucoup trop répandu pour qu'on l'on y fasse attention. Je suis comparable à la pisse d'un chien sur le mur.

Les gens passent, filent, tracent, foncent, se promènent, gambadent, courent, vivent.

Mais à 16h30, tous les jours, le gamin passe et me remarque. Il me dit bonjour, sans s'arrêter, de son pas nonchalant et de sa voix trainante. Il a toujours son livre à la main, son cartable sur l'épaule et une housse à instrument dans le dos.

Les passants passent sans penser à moi. Mais pas lui.

Après son passage, je récolte mon pécule avant de remballer mon carton et de me mêler à la foule. J'ai une crête blonde et sale, des yeux vert d'eau et un manteau noir qui a vu des jours meilleurs. Je suis un être vivant, souvent immobile, qui regarde la vie de chacun défilé sous ses yeux. Je suis un bout de trottoir, un déchet de la société diraient certains, un sage pour d'autres.

Mais après 16h30, lorsque je me mêle à la foule, je suis un passant comme tous les autres.