Disclaimer : pas à moi !
Caméléon
Ingrid et Dagur voyagèrent à dos de dragons pendant toute la journée. Ils s'arrêtèrent sur une île pour acheter de quoi se ravitailler et reprirent leur chemin. Pendant le trajet, Dagur essaya de montrer à sa sœur les méthodes de dressage qu'il avait expérimentées sur Ombre tueur. Ingrid répondit à peine. Son petit ami lui manquait déjà et même si elle ne regrettait pas sa décision de quitter la Rive, elle se sentait un peu nostalgique.
Ils s'arrêtèrent sur une île et décidèrent de dresser un campement pour la nuit. Sonovent repartit au-dessus de l'océan, à la recherche de limaces de mer, et Ombre Tueur s'écarta pour trouver des rochers bien appétissants. Dagur improvisa une tente et Ingrid prépara des côtelettes de yak avec les moyens du bord. Ils s'assirent peu après pour dîner.
- J'arrive pas à croire qu'on forme enfin une famille ! s'écria Dagur avec son enthousiasme habituel.
- Oui, murmura Ingrid, nettement plus calme.
- On dîne enfin ensemble, comme une vraie fratrie ! Et c'est bon ! Qui t'a appris à cuisiner comme ça ?
- Mon père.
- Non, ça je m'en souviendrais !
- Mon père adoptif.
C'était un sujet sensible. D'habitude, Ingrid ne parlait jamais de sa famille d'adoption mais ce jour-là, les circonstances étaient spéciales.
- Mes parents tenaient une petite auberge, expliqua-t-elle. J'adorais aider en cuisine. Je me disais qu'un jour, je reprendrais l'auberge et je mènerais une vie simple et tranquille.
- Et te voilà maintenant ! s'écria-t-il en rongeant l'os. Sauvage, audacieuse, une vraie Parenvrille !
- Oui. Grâce aux Parenvrille qui les ont tués.
Dagur resta muet. Il n'avait pas pensé à cette partie de l'histoire depuis longtemps. Gêné, il regarda sa côtelette de yak rongée jusqu'à l'os.
- Tu veux prendre la dernière ? suggéra sa sœur. Mon papa serait fier de moi. Il adorait qu'on lui fasse des compliments sur sa cuisine.
- Ingrid, je…
- Et ma maman adorait chanter. C'est comme ça qu'ils se sont rencontrés. Il avait organisé une soirée musique et danse dans son auberge et quand il l'a entendue chanter, il a eu le coup de foudre. Ils se sont mariés et ils ont essayé d'avoir des enfants, ils n'ont pas réussi. Alors ils m'ont adoptée.
Dagur mordit dans la dernière côtelette et trouva qu'elle avait un goût amer.
- Je suis désolé, murmura-t-il.
- Est-ce qu'ils avaient cherché ça ? insista-t-elle. Mes parents adoptifs étaient des gens bien. Ils étaient gentils, honnêtes, le cœur sur la main. Je pense à eux à chaque fois que je cuisine ou que je chante, à ma mère qui épluchait des carottes en chantant des berceuses, à mon père qui m'expliquait comment on prépare les ragoûts. Ils ne méritaient pas que leur village soit dévasté par toi et ta bande.
- Ingrid… balbutia Dagur.
- Regarde-moi dans les yeux et dis-moi comment ça s'est passé ! Est-ce que tu les as tués toi-même ou est-ce que tu as envoyé un de tes hommes de main le faire ?
- Je… j'étais pas là.
Dagur porta la main à son ventre. Il avait l'impression que ses intestins faisaient des nœuds. La culpabilité peut être très douloureuse.
- Tu veux me faire croire que t'étais pas là ?
- T'es ma petite sœur et j'ai tout fait pour te retrouver, pour qu'on puisse être une famille ! cria-t-il. La famille, c'est important !
- Si c'est si important que ça, pourquoi tu leur as fait ça ?
- C'était pas ce que j'avais prévu !
- T'avais pas prévu de dévaster mon village ? rugit-elle.
- Si, mais j'avais pas prévu de tous les tuer !
Soudain, Dagur se plia en deux. Son ventre lui faisait de plus en plus mal. Il vomit par terre, releva la tête et vit qu'Ingrid le regardait avec un sourire narquois. Soudain, il comprit.
- Y'avait quoi, dans les côtelettes ? haleta-t-il.
- T'as pas besoin de le savoir. Maintenant, dis-moi ce qui s'est réellement passé ce jour-là.
- T'es ma sœur, comment tu peux m'empoisonner ?
- Tu veux l'antidote, oui ou non ?
Elle le menaçait avec sa hache. Dagur hocha la tête, puis désigna le buisson le plus proche de la tête. Ses intestins étaient sur le point de tout lâcher.
- Regarde pas, s'il te plait ! supplia-t-il.
- Rassure-toi. Je n'ai pas envie de regarder. Je veux juste savoir précisément ce qui s'est passé.
Elle lui tourna le dos et il se précipita. Il y eut un bruit de pantalon baissé. Quelques secondes plus tard, une odeur nauséabonde leur donna envie de se boucher le nez à tous les deux.
- Un de mes hommes a trouvé drôle de balancer une bombe dans une des maisons, bafouilla-t-il. Avant que j'ai eu le temps de dire quoi que ce soit, y'avait des explosions partout.
- Et t'as pas pensé à leur dire d'arrêter?!
- Ils m'auraient jamais respecté en tant que chef si j'avais fait ça.
Ingrid dût se retenir de le frapper avec sa hache. Elle se souvenait de cette journée comme si c'était la veille. Ses parents l'avaient envoyée dans la forêt pour cueillir des myrtilles et elle était restée longtemps à musarder et à écouter les oiseaux, heureuse. Quand elle était rentrée, le village était méconnaissable : les survivants hurlaient, toutes les fenêtres étaient brisées et d'énormes fumées noires s'élevaient un peu partout. Un voisin l'avait empoignée et emmenée en lui disant qu'il était trop tard pour ses parents, qu'il fallait qu'elle fuie et se cache. Elle en faisait encore des cauchemars la nuit.
- Et t'as laissé faire ça ?! hurla-t-elle. Tu les as laissés se faire tuer !
- J'étais une vraie tête de mouton, à l'époque ! L'antidote, s'il te plait.
- Où est ce Parenvrille, maintenant ?! rugit-elle. Où est le pourri qui a lancé la première bombe ?!
- Mort. Il s'est pris un coup de hache.
- T'en es vraiment sûr ?!
- Sûr ! Sœurette, passe-moi l'antidote, je t'en supplie !
- NON !
Un grognement avertit Ingrid qu'ils n'étaient plus seuls. Ombre tueur se tenait près d'elle, les crocs découverts, prêt à attaquer. A sa grande surprise, Dagur, qui s'était rhabillé à la hâte, s'interposa :
- Non, ne l'attaque pas ! Ingrid, je t'en prie, donne-moi l'antidote ! Je sais que j'ai été un frère plus que nul mais je veux que ça s'arrête !
Ingrid essuya une larme. Mille émotions se mélangeaient en elle. Pour finir, elle avoua :
- Il n'y en a pas.
- Quoi ? Mais comment…
- Ce que j'ai mis sur tes côtelettes, c'est une plante qui s'appelle les larmes de la nuit. Ça ne va pas te tuer, juste te rendre malade pendant une nuit.
- Quoi ?!
- Mes parents sont morts. Ta punition, c'est une gastro. Tu ne penses pas que j'aurais pu faire pire, comme vengeance ?
Dagur resta bouche bée.
- Ah non ! cria-t-il. Ça, c'est nul ! Une vraie vengeance, ça se fait dans le sang, à coups de hache, de massue ou d'épée ! Faire ça avec une gastro, c'est nul ! Franchement, tu me déçois et…
Il s'interrompit et se précipita pour aller vomir. Ombre tueur, qui n'aimait pas ça du tout, se tourna vers Ingrid et fit mine de la menacer. Elle soupira. Elle ne savait pas exactement ce qu'elle avait craint ou espéré. Maintenant, elle se sentait vide.
Sonovent s'approchait d'elle. Elle la flatta de la main, puis rassembla ses affaires. Son frère, qui avait fini de vomir, la regarda curieusement.
- Tu pars ? demanda-t-il.
- Oui, et je te déconseille de me suivre. Il va te falloir une nuit pour évacuer le poison.
- Mais comment on va faire pour chercher notre cher papa ensemble, si tu t'en vas ?
- Tu sais quoi ? Ça m'est complètement égal !
Sur ce, Ingrid chargea son sac de voyage sur le dos de Sonovent, l'enfourcha et s'envola avec elle. Elle eut tout juste le temps d'entendre son frère qui criait :
- Tu me déçois ! Une vraie Parenvrille n'aurait jamais fait ça !
A suivre…
