Me revoilà avec une nouvelle histoire. Je ne dirai pas grand chose, à part que j'espère vraiment que vous aimerez ce texte.
Bonne lecture à tous, n'hésitez pas à commenter, comme d'hab. (:


TOY

Le soleil perçait à travers les vitraux, projetant sur l'immense pièce aux voûtes hautes une lumière feutrée. Il avait voulu se marier à l'église. Quelle drôle d'idée. Il n'était même pas catholique. C'était peut-être elle qui avait insisté, et il avait cédé, qui sait ? Après tout, il avait tellement changé depuis qu'il l'avait rencontrée. Il avait raccourci ses cheveux et il ne se maquillait plus. Il portait des vêtements colorés : pas plus tard que la semaine précédente, il l'avait croisé, un tee-shirt orange sur le dos et des baskets vertes aux pieds - ce qui l'avait plutôt amusé, d'ailleurs. Non, depuis qu'il connaissait cette fille son jumeau n'était plus le même. Il ne le reconnaissait pas, dans son costume noir, un faux col parfaitement blanc enserrant son cou, les mains jointes sagement posées devant lui. Il ne reconnaissait pas ce garçon, cet homme qui démarrait une nouvelle vie, qui souriait au prêtre qui leur faisait face, qui répétait d'une voix douce et mesurée des promesses qu'il pensait pouvoir tenir. D'après Tom, tout s'était fait trop vite. Ça faisait à peine trois ans qu'ils se fréquentaient. C'était un peu tôt pour le mariage, non ?

*

- Vous ne mangez pas ça ?

Il tourna les yeux vers son voisin de table - un homme gras et mal rasé qui sentait la transpiration à deux mètres à la ronde - et secoua la tête sans répondre. L'homme s'empara aussitôt de son assiette. Il n'avait presque pas touché au repas. Après la cérémonie, les invités s'étaient rendus dans un des restaurants les plus chers de la ville. Quelques journalistes arpentaient la salle, harcelant la famille de la mariée de questions et de photos, pendant que les jeunes époux, que l'alcool avait considérablement désinhibé, dansaient lascivement, collés l'un à l'autre. Tom avait le regard perdu dans le vide, et cherchait désespérément une bonne excuse pour s'éclipser.

Bien sûr que non, ce n'était pas trop tôt. Pour Tom, entretenir une relation pendant trois longues années était à peu près aussi réalisable que marcher sur Mars. Aux yeux des gens, il paraissait exigent. C'était toujours lui qui se lassait, pour une raison ou pour une autre. Soit il poussait l'autre à s'en aller, soit c'est lui qui partait. À vrai dire, sa seule exigence était une relation courte et sans engagement. Lorsqu'il avait dix huit ans, on ne lui en demandait pas plus. La célébrité et la jeunesse lui pardonnaient bien des choses. Il se fichait d'être maladroit ou franchement indécent, ce qui comptait c'était son petit monde, sa liberté et sa guitare. Mais les années étaient passées et on ne fermait plus les yeux sur son attitude. Personne ne lui demandait de s'engager ; on attendait juste de lui qu'il grandisse. Et à vingt quatre ans, Tom n'avait pas encore tout à fait compris le sens de ce mot.

- Tom, viens danser !

Son frère n'était vraiment pas fait pour boire. Il devenait vite bruyant. Depuis l'autre bout de la salle, il faisait de grands gestes, l'invitant à les rejoindre, et c'est son sourire un peu absent qui le persuada. À contre cœur, il quitta sa place et s'avança sur la piste de danse. Émilie lui fit un sourire - le plus doux, celui qu'il détestait le plus - et tendit une main vers lui.

- Ton frère commence à perdre le contrôle, déclara-t-elle. Je préfère danser avec toi, tu as l'air plus sobre.

Tom haussa les épaules et fit la grimace. Si on ne tenait pas compte des cinq verres de champagne qu'il venait d'ingurgiter, alors oui, il était à peu près sobre. Mais il devait reconnaître que Bill, quant à lui, tenait difficilement debout, et que sa femme le portait plus qu'autre chose.

- Je peux t'emprunter ta tendre épouse ?
- Je t'en prie… De toute façon elle est mariée maintenant, tu ne t'aviserais pas de coucher avec une femme mariée, pas vrai ?

Émilie éclata de rire. Tom, lui, ne fut pas du tout amusé par la remarque. Il pensa tourner les talons sur le champ, mais ayant conscience de l'absurdité de ce geste il tenta de se contrôler, et saisit la taille de celle qui, à présent, répondrait au nom de belle-sœur.

- Tu devrais couper tes dreads, maintenant, Tom…

Ils faisaient des tours au milieu de couples enlacés, sans savoir s'ils dansaient réellement. Émilie fermait les yeux et s'accordait des sourires à l'aveuglette, que Tom saisissait au vol et tentait de capturer entre ses lèvres, histoire de savoir ce que ressentait son frère, en l'embrassant. Il fronça les sourcils et se redressa d'un air indigné.

- Pour quoi faire ?
- Je sais pas… Pour avoir l'air plus vieux, par exemple.
- Je fais pas mon âge ?

Mais il savait que cette question était idiote, pour la simple et bonne raison qu'il entretenait cette apparence de gosse volontairement, parce que ça lui rappelait une époque révolue et qu'il aurait voulu ne jamais voir disparaître. Émilie aussi avait connu cette époque avec eux. Elle avait partagé leur vie, leur TourBus, leurs concerts, leur alcool, leur espace, leurs céréales, leurs fous rires, et puis bientôt le lit de Bill, comme ça, naturellement, pour ne jamais le quitter. Elle connaissait le groupe depuis quatre ans - déjà quatre ans, parfois ça lui paraissait surnaturel - et elle n'avait jamais été quelqu'un de gênant. Du haut de son mètre soixante, elle s'était fait une place dans leur cœur à tous les quatre, sans jamais rien briser, sans jamais blesser personne. C'était une petite brune au sourire éblouissant, avec de grands yeux verts et plein de bagues aux doigts. Tom évitait souvent de la regarder, parce que tout chez elle lui hurlait que c'était mieux ainsi. Il aurait pu en crever, s'il ne s'était pas efforcé chaque fois de penser à autre chose. C'était certainement mieux ainsi, oui.

- Tom, tu m'écoutes ?
- Oui, Milie. Pardon.
- Tu vas le faire, alors ?
- Quoi ?
- Tom…

Cette fille était probablement la meilleure chose qui soit arrivée à Bill. À dix-neuf ans, la vie de Bill était un tel désordre qu'on commençait à se demander ce qu'il allait devenir, et qui payerait les pots cassés. Même si tout le monde connaissait la réponse à la dernière question : David, évidemment. C'était le manager, mais aussi le producteur de Tokio Hotel - leur groupe, et son travail était aussi d'étouffer tous les débordements des membres. David était leur ami, et jusqu'alors il n'avait jamais rechigné à faire taire certain on-dit à propos de Georg, Gustav, ou des jumeaux. Ce n'étaient parfois que des bêtises, qui allaient de tapages nocturnes dans des hôtels à des ivresses excessives. Des célébrités pouvaient se permettre ces choses là, ce n'étaient que des adolescents, et c'est pourquoi David fermait les yeux sur ce genre d'évènements. Mais lorsque la rumeur de violences impliquant Bill et Tom arriva aux oreilles du manager, les choses devinrent plus délicates ; et le facteur drogue les rendit définitivement compliquées. Tom se souvenait très bien de cette bagarre - car ce n'était rien d'autre qu'une bagarre ridicule, un accrochage sans conséquence - et il se la remémorait comme le départ des déraisonnements de Bill. Ils devaient avoir dix-sept ans. Ç'avait été une soirée comme les d'autres, une soirée où ils avaient bu considérablement, pour ne pas dire exagérément. Bill s'était rendu aux toilettes, prétendant une nausée passagère. Tom avait attendu son retour pendant une bonne demi-heure, avant de s'inquiéter et de décider d'aller voir si tout allait bien. Mais lorsqu'il avait poussé la porte, il avait constaté que non, tout n'allait pas bien. Il avait trouvé Bill penché au dessus de la cuvette des toilettes, gémissant, vomissant tripes et boyaux. Ça l'avait d'abord amusé : son frère ne savait pas s'arrêter à temps en ce qui concernait l'alcool. Mais il avait vite déchanté, reconnaissant sur le jean de Bill et sur le sol des restes d'une poudre blanche dont il connaissait pertinemment la nature. Il s'était accroupi aux côtés de son jumeau, l'aidant à relever la tête, essuyant sa bouche d'un revers de sa manche sans même éprouver de dégoût, et avait planté ses yeux dans les siens. « Qui t'en as donné ? » avait-il demandé. Il ne voulait pas le bousculer, ni lui faire de reproche. Il voulait juste savoir qui lui avait donné de cette merde. « Qui ? » Bill avait lâché un nom, entre deux spasmes, un nom qu'il connaissait aussi très bien. Après avoir tiré la chasse d'eau et épongé calmement le front de son frère, il l'avait entraîné à sa suite, prenant le chemin de la sortie. Sa voiture les attendait dehors, cernée de gardes du corps, et il leur avait fait signe de rester où ils étaient. Il savait que dans ses veines devait couler plus d'alcool que de sang, mais il s'en fichait pas mal. Il voulait retrouver ces fumiers, leur donner une leçon pour avoir tenté de pourrir son frère, puis repartir tranquillement à l'hôtel où il coucherait Bill avant de le veiller toute la nuit. C'était aussi simple que ça. Et c'est ce qu'il avait fait. Peut-être pas exactement comme il l'avait espéré, mais grossièrement, c'est ce qu'il avait fait. Il en était ressorti la lèvre inférieure ensanglantée et l'arcade ouverte, et c'est finalement Bill qui avait prit soin de lui, mais enfin, c'était du pareil au même. Au moins, ça l'avait défoulé. À partir de ce jour là, Bill perdit le contrôle. Tom lutta longtemps pour ne pas le laisser sombrer, mais c'était trop dur. Il ne fut bientôt plus capable de tout porter sur ses épaules. Il n'arrivait plus à le comprendre. Parfois Bill disparaissait, il s'évanouissait dans la nature et ne revenait que plusieurs jours plus tard, quelques cernes en plus et un paquet de rêves en moins. Il couchait avec des filles qu'il ne rappelait jamais et s'enfermait dans un mutisme de plus en plus infranchissable, et si parfois il se permettait quelques mots, c'était pour les cracher avec violence. Leurs rôles étaient échangés : Bill ne se souciait plus de rien, pas même de son frère. Tom, lui, n'avait plus la tête à s'amuser, et c'est lui qui lui reprochait ses aventures trop fréquentes. Mais il n'y pouvait rien. Il ne pouvait qu'attendre son retour. Il s'en remettait totalement à lui.

- Bon Dieu Tom, t'es passé où ?

- Tom !
- Bill ?

Son frère le regardait, les poings posés sur les hanches, un petit sourire au coin des lèvres. Émilie tenait son bras et dévisageait le blond, elle aussi. Elle pouffa de rire.

- T'es toujours dans la lune, toi…
- Je réfléchissais.
- À quoi ? l'interrogea Bill.
- Si tu savais, frérot.

Le jeune homme savait que son frère ne supportait pas lorsqu'il faisait ça. Il avait une curiosité telle qu'il pouvait se torturer l'esprit des heures afin de deviner ce à quoi Tom pouvait bien pensé pour avoir l'air si absent. Il fit un clin d'œil à Émilie et se dirigea vers sa table. Il constata que le gros homme, qu'il avait laissé quelques minutes plus tôt avec son plat s'appliquait à présent à nettoyer consciencieusement son assiette de son doigt potelé. Il fronça les sourcils et renonça au dernier moment à retourner s'asseoir à côté de lui. Il commençait à étouffer. Il devait partir. C'était urgent.

- Tom, à quoi tu pensais ?

Malgré le malaise qui l'envahissait, il ne put retenir un éclat de rire à la question de Bill. Il le prit par l'épaule et l'entraîna à sa suite, saisissant au passage une - énième - coupe de champagne.

- Tu m'emmènes où ?
- J'ai besoin de prendre l'air.
- Mais Milie…
- C'est pas parce que vous êtes mariés que vous ne pouvez soudain plus vous éloigner l'un de l'autre, s'exaspéra Tom. Allez, viens, si t'es sage t'auras le droit de fumer.

Il lança un regard malicieux à Bill, qui lui répondit par une sourire approbateur. Ça faisait longtemps qu'ils n'avaient pas partagé ce genre de moment, tous les deux.

- Alors, pressé d'en être à la nuit de noce ?
- T'es con, Tom. C'est pas comme si on n'avait pas déjà…
- C'est bon, ça va, je suis au courant. Figure-toi que j'ai vécu dans une couchette contiguë à la vôtre pendant les premiers mois de votre relation.
- Alors t'as rien entendu, dit-il sur un ton mystérieux.
- Bill, épargne-moi les détails tu veux ?
- C'est bon, je plaisante, s'excusa Bill. Qu'est ce que t'as, t'as pas l'air dans ton assiette. T'as l'alcool mauvais ? Je te rappelle que c'est mon mariage, et que t'es la première personne que je veux voir sourire aujourd'hui.
- …

Cette phrase sembla à Tom assez paradoxale. Il se retint cependant de faire la moindre remarque. Bill se pencha alors vers lui, collant son front à sa mâchoire. Il faisait froid, et ce contact les réchauffa tous les deux. Tom inclina doucement la tête. Il réalisa qu'ils ne s'étaient pas accordé ce genre de proximité depuis une éternité.

- Cette fille est précieuse, Tom. Soit je l'épousais, soit je lui disais adieu pour toujours.
- Tu n'as pas peur que ce soit précipité ?
- Non. C'était la meilleure façon de lui prouver à quel point je l'aime.
- Je sais. C'est vrai.

Et il avait eu raison de prendre cette décision. Il avait eu raison de demander la main de cette fille dont tout le monde était un peu amoureux, parce qu'il la méritait, et que c'est elle qui l'avait sauver. Il savait tout ça. Alors, pourquoi se sentait-il aussi mal ?

- Qu'est ce que tu deviens, Tom ?

Le jeune blond se tourna vers son frère. C'était peut-être ce genre de questions qui le rendait si mal, après tout. Oui, c'était certainement la réalité qui se dessinait à travers ces mots insignifiants et amicaux qui l'écœurait tant. C'était probablement l'évidence que rien n'était plus comme avant, qu'il regardait son frère jumeau - sa moitié, sa propre chaire - disparaître et se dissiper au loin sans qu'il ne puisse rien faire, qui détruisait tout au fond de lui. C'était peut-être ça, oui, qui lui donnait envie de gerber.

- Je vais rentrer.
- Et ce joint ?
- Une autre fois.

- …T'as qu'à passer chez moi. Je crois que t'es jamais venu.
- On part en lune de miel dans une semaine.
- Ça te laisse une semaine pour venir me voir. Après vous aurez tout le temps pour baiser comme des bêtes.
- T'es un rustre, Tom.
- Je sais, c'est ma principale qualité, s'esclaffa le guitariste.

Sur ces mots, il embrassa la tempe de Bill - le frisson qui le parcourut à cet instant manqua de le faire sursauter - et il s'éloigna en traînant des pieds. Il ne savait pas s'il viendrait. À bien y réfléchir, il n'était pas sûr de vouloir le voir débarquer chez lui, dans cet endroit où il avait rêvé de lui trop de fois. Il était persuadé que tous ses désirs inavoués y saturaient l'air et qu'ils sauteraient au visage de Bill dès qu'il passerait la porte. Il passa à côté de sa voiture et, estimant imprudent de prendre la route dans l'état dans lequel il se trouvait, il décida de rentrer à pied.

Il avait besoin de marcher. Son appartement n'était pas très loin du restaurant, il fut chez lui en une heure à peine. Il pénétra dans le salon, jeta ses clés sur le canapé et s'étendit dans un soupir.

- Qu'est ce qui cloche chez toi, Tom ?

C'est vrai, ça, qu'est ce qui clochait chez lui, pour qu'il se sente aussi morose le jour du mariage de son propre frère ? Qu'avait-il dans la tête, bon sang, pourquoi fallait-il qu'il réfléchisse toujours trop ? Il n'était pas comme ça, avant. À cette époque c'était également un problème : il ne réfléchissait pas assez. Ça le rendait immature et insouciant. Adolescent, c'est ce qui le poussait à collectionner les conquêtes et à les délaisser sans ménagement. À présent, rien n'avait vraiment changé, hormis la raison pour laquelle il ne gardait jamais de fille dans sa vie très longtemps : il ne pouvait pas s'empêcher de les comparer à Bill. C'était idiot, il le savait. Pourtant c'était plus fort que lui. Et chaque fois c'était la même chose. Ça ne manquait jamais. Ces filles n'étaient rien comparées à son jumeau. Rien.

- Arrête maintenant. Ça sert à rien d'y repenser.

Il était affligé. Non seulement il ne pouvait s'enlever Bill de l'esprit, mais en plus il commençait à parler tout seul. Il roula sur le côté et s'écroula sur le sol dans un bruit sourd. Il ne s'était jamais habitué à ce canapé trop étroit. Il tenta de se relever, mais ses membres ne répondaient plus aux ordres que son cerveau leur envoyait, et il dû ramper jusqu'à sa chambre pour s'allonger sur son matelas, subtilement posé à même le sol. Il dénoua la cravate qui lui enserrait le cou, et défit quelques boutons de sa chemise immaculée. Puis il mis ses bras en croix et fixa le plafond. Au bout de quelques minutes à rester ainsi, immobile, il se surprit à penser que la vie était quelque chose de foutrement triste. À commencer par ce plafond bleu ciel, bosselé par endroits, qui lui rappelait vaguement un ciel lointain qu'il avait sûrement déjà connu, mais trop vite oublié. La vie était foutrement triste, voilà, il suffisait de regarder de quelle façon elle se terminait pour comprendre que depuis le début quelqu'un avait décidé de se foutre de notre gueule, et qu'on continuait à nous prendre pour des cons en nous assurant qu'il fallait profiter pleinement des jours qu'on nous offrait. La vie était foutrement triste, parce qu'elle ne nous accordait qu'un aperçu de l'immensité de choses à voir, à faire, à connaître, à aimer, à détester, elle ne nous donnait qu'un tout petit aperçu de cette chose qui tournait trop vite et qu'on appelait le monde. La vie était foutrement triste, et Tom n'était pas l'exception qui confirmait la règle : il était comme tout le monde, il pleurait en écoutant les informations le matin et il s'apitoyait parce que oui, sa vie aussi était triste, parce que c'était une vie sans Bill à ses côtés à chacun de ses réveils.

Il saisit un oreiller et le plaqua contre son visage, pensant que peut-être, s'il ne parvenait plus à respirer, il ne pourrait pas non plus réfléchir. Le tissu avait une odeur de tabac froid qui l'écœura. Il relâcha la pression avant d'étouffer et de laisser la nausée s'installer totalement. Sa main s'égara sur la télécommande qui traînait sur le lit, et il appuya sur le bouton veille, presque mécaniquement. L'écran plat qui lui faisait face s'alluma et projeta sur son visage une lueur pâle et maladive. Pour Tom, la télévision était quelque chose de malade. Ces scènes qui se succédaient trop vite sur une surface sans relief, ces bruits trop forts, trop réels, ces flashs incessants, toute cette folie lui avait toujours fait un peu peur. La télévision était une chose mourante, ou du moins une maladie, un virus qui finirait par tout détruire. Tom était quelqu'un de tourmenté.

Il laissa les images agresser son cerveau jusqu'à le rendre tout à fait indifférent, et sans même prêter attention à ce qu'il regardait, il finit par s'endormir, le son lointain de fusillades comme unique berceuse.