Eat me
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Disclaimer: Shaman King et ses personnages appartiennent à Hiroyuki Takei. Je lui emprunte outrageusement son univers par pur fanatisme mais je ne ferai jamais de sous sur son dos.
Attention : Si vous ne supportez pas les maladies, les histoires de troubles alimentaires ou la violence auto-infligée, si vous détestez Horo Horo, l'angst désespéré, les histoires d'amour entre messieurs, les UA et le punk-métal-grunge-rock scarifié... il est encore temps de vous enfuir en courant.
Avant-propos
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J'ai énormément hésité à publier ce texte. Je me suis pas mal demandé si elle en valait la peine. Et puis, je me suis décidée. Merci à Corporal Queen de m'avoir encouragée à le faire ! J'espère que j'ai eu raison.
Si ça se trouve, cette histoire ne vous fera ni chaud ni froid. Moi je la trouve glaçante. J'y ai mis des choses qui me touchent, voilà pourquoi j'ai hésité à la poster. Je vous préviens, c'est assez sombre. Quant au rating, si vous vous demandez pourquoi, il est justifié par la fin.
Le thème de ce récit, c'est l'anorexie. Et ça pose un problème de réalisme : cette maladie est difficile à cerner et bon nombres d'idées reçues circulent dessus. Etant pas mal documentée sur ce sujet, je pense savoir de quoi je parle, mais je réclame tout de même votre indulgence, dans le cas où, lecteurs plus avisés, certains détails vous paraîtraient inappropriés, peu logiques ou clichés.
Tout se passe au Japon et j'ai essayé de coller au calendrier universitaire japonais, du mieux que je peux. J'ai essayé de ne pas trop occidentaliser les choses mais parfois, ça peut sembler limite. Si c'est le cas, je m'en excuse.
Notez également que cette histoire est un journal intime : le style en est donc particulier, parfois oral, parfois embrouillé. J'ai essayé de garder le texte le plus spontané possible, comme devraient l'être de tels écrits, sans basculer dans l'incorrection. Je vous ai mis aussi les musiques avec lesquelles j'ai écrit/retravaillé.
En ce qui concerne le personnage, j'espère qu'il ne vous paraîtra pas complètement OOC. J'ai choisi Horo Horo parce qu'il est double, parce qu'il porte un masque et qu'il est l'un des personnages les plus secrets du manga. Il donne le change en s'exitant tout le temps, mais au fond, il cache de lourdes casseroles. Rassurez-vous, c'est toujours un gros boulet, ça, ça n'a pas changé!
Enfin, *smile* rassurez-vous: cette histoire n'est pas non plus qu'un vaste torchon de désespoir humide de larmes. Il y a de la tendresse fraternelle, du dévouement, de l'amitié. Et puis, au bout du compte, ça reste quand même une histoire d'amour.
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oOo
I.
Home - Three days grace
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[10/02]
La vue du riz blanc dans l'assiette me donne la gerbe rien que de le voir.
Franchement, ils se moquent de qui ? Je ne peux pas manger ça. C'est sale, gluant, froid, pâteux, visqueux, ça ressemble à des vers, j'ai presque l'impression de les voir bouger.
Si j'avale cette bouillie, vont-ils ramper dans mon estomac ? Faire des trous dans mon intestin ? Remonter le long de mon œsophage et venir grignoter ma gorge ou encore se balader dans tout mon corps jusqu'à ressortir par mes oreilles ?
Je ne veux pas que ce truc entre dans ma bouche.
Je ne veux pas que ce truc entre dans mon ventre.
Fuck.
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[11/02]
Je quitte bientôt l'hôpital. J'ai droit à cinquante mille recommandations depuis trois jours, et ça radote, et ça radote, mais rien ne peut m'énerver, aujourd'hui ! Demain, je rentre à la maison !
Je vais pouvoir reprendre les cours et refaire du sport. Je crois que c'est le sport qui m'a le plus manqué.
J'ai mangé une pomme ce matin mais le riz d'hier, je l'ai balancé par la fenêtre. Faut pas déconner non plus. J'espère que je l'ai lancé assez loin et qu'ils s'en apercevront pas, sinon, ils ne me laisseront plus manger seul.
Ah zut, je devrais pas écrire des trucs pareils. Je ne sais pas si le docteur Matsui ne lit pas mon journal dans mon dos. Ce satané journal.
Bon, d'accord, au début, c'était barbant. J'ai tiré une sale tête quand Pirika me l'a conseillé. Mais j'ai fini par m'y faire et en fait, c'était pas faux : écrire, ça soulage.
J'en arrache régulièrement les pages. J'ai peur que le doc' ne le lise. Ou Pirika. Elle est gentille, mais elle prétend tout savoir sur ce qui est bon pour moi, et elle a des moyens redoutables pour parvenir à ses fins. Chantage, menaces, violence, tout y passe. Je suis un frère maltraité. Et en plus, elle est persuasive. Parfois elle arrive à me faire finir mon assiette.
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[12/02]
Aujourd'hui, j'ai mangé des nouilles. Ça ne me faisait pas envie du tout. Les nouilles, c'est long, c'est gluant, ça sent fort à cause de la sauce aux oignons. Je me suis penché dessus et je voyais scintiller les minuscules gouttelettes de gras qui y étaient accrochées... j'ai vraiment cru les voir bouger. Oui bouger, comme une masse grouillante de vers de terre étalée dans le bol.
Pirika a dû voir que ça allait pas. Elle m'a regardé regarder mon bol, puis elle l'a pris et elle a découpé les nouilles et les a mélangées à la soupe. Comme c'était liquide, et que c'était Pirika, j'ai réussi à manger, enfin, à boire. J'ai laissé les boulettes de viande, parce que la viande, c'est plein de gras. En plus, c'est sale. Il y a du sang, des os. Des bouts de cartilage qui me répugnent à un point qu'on peut pas imaginer. Ça me ferait vomir, j'en suis sûr. Mais les légumes et des bouts de pâtes sont passés. J'ai même pas eu mal au ventre.
C'est là que je me suis énervé, tu sais (je parle à un cahier. Ça craint.), parce qu'ensuite, j'ai voulu aller me peser. Et la balance n'était plus dans la salle de bain. Je me suis dit, crétin, tu l'as mise dans ta chambre, tu ne te souviens pas ? Mais elle n'y était plus.
Cette garce de Pirika a fouillé dans ma chambre. Elle a farfouillé dans mes affaires et elle a sûrement tout mis en désordre ! Je ne supporte pas qu'elle fasse ça. Elle devrait savoir que je DETESTE qu'elle dérange mes affaires. Elle est pas fichue de savoir où vont les choses de toute façon. J'étais peut-être bordélique avant, mais j'ai toujours été un petit joueur à côté d'elle. Et je SAIS qu'elle s'est liguée avec le doc contre moi. C'est lui qui a dû lui donner cette idée tordue !
Je crois que ça va me rendre dingue. Je sens les nouilles ramper dans mon estomac ! J'ai l'impression d'être gonflé à bloc et que je vais dégobiller sur mon bureau à tout instant. Je commence à avoir une boule dans la gorge. Et la respiration qui débloque, le cœur qui s'emballe... Ce truc bizarre m'arrive tout le temps. La plupart du temps quand j'ai mangé. Si elle me comprenait vraiment, elle saurait qu'il faut pas me faire ça ! J'ai besoin de savoir ! Est-ce qu'elle se rend compte de ce qu'elle avait mis dans sa putain de soupe ?
Maintenant que j'y pense, je ne sais pas. Je n'en ai pas la moindre idée, je ne sais vraiment pas. Peut-être du jus de viande, de la graisse, des extraits, des produits chimiques, des trucs donnés par le docteur Matsui !
Je ne comprends pas. Qu'est-ce que ça peut leur faire que j'aille me peser.
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[13/02]
Je me suis senti mal toute la journée hier. La boule dans la gorge, ça s'est pas arrangé. J'ai arrêté d'écrire parce que mes mains tremblaient.
Finalement, j'ai fait des exercices pour me calmer. Des abdos. Comme ça, même si je ne pouvais pas vérifier, j'aurais éliminé un peu. Le sport a tendance à m'alléger. Il m'apaise.
Pirika est venue juste un peu après. J'étais calmé, sinon je lui aurais pourri la tronche, pour le coup qu'elle m'avait fait. Elle s'est inquiétée, mais j'ai réussi à la rassurer. Elle m'aurait renvoyé direct à la clinique, je le voyais venir d'ici.
Elle m'a fait suer toute la soirée pour que je vienne dîner, mais je préférais rester dans ma chambre.
J'ai vraiment du mal à rester avec elle, en ce moment. Cette fausse bonne humeur perpétuelle qu'elle affecte m'insupporte. C'est horrible, ça me rappelle les infirmières. Elles parlent toutes avec ces sourires niais et cette voix haut perchée qui donne envie de leur en coller une parce que, bon sang, je suis peut-être malade, mais pas débile ! J'appelle ça le sourire-maison-de-retraite. Et Pirika, à force de traîner dans les couloirs, sans doute, a été contaminée.
Je n'avais pas envie de discuter et elle, elle parle tout le temps. Je sais que ce n'est pas gentil, je sais que c'est sa manière d'évacuer le stress, mais j'ai tellement besoin de calme, en ce moment ! En plus, je n'ai rien à lui dire ! Je ne vois pas ce que je pourrais lui raconter, à part... l'hôpital. « Tiens, comme c'est drôle, la dernière fois que j'ai mangé ce plat, c'était par intraveineuse ! » Super, l'ambiance.
Et puis franchement, à quoi ça sert de se mettre à table, face à face, comme un vieux couple, juste pour bouffer ? A rien. Strictement rien.
Manger, on en a peut-être besoin pour vivre, mais ce truc qu'on appelle « repas », ça sert à quoi ? On perd son temps, voilà tout. J'ai pas besoin de m'asseoir pour manger. Trois trucs pris dans le frigo et hop, c'est bon. Sans compter que je suis vraiment fatigué de ses sous-entendus, de ses inquiétudes et des phrases toutes faites qu'elle sort tout droit des livres de ce médecin charlatan sur les « TCA » et du bon docteur Matsui. Si elle croit que je ne la vois pas venir...
C'est drôle, hein ? On dirait qu'ils ne sont pas fichus de comprendre ça : je n'ai pas faim. Pas. Faim. Je ne me sens pas bien, je ne mange pas. C'est tout. Quel intérêt, si c'est pour être malade après ? Si c'est pour tout vomir derrière ? Ça gâche la nourriture ! Ha ! Vous y pensiez pas, à ça, hein ?
Ils disent que je suis malade. Ils ont peut-être raison. Mais je ne le suis pas comme ils le pensent. J'ai juste un estomac bizarre, qui digère pas comme tout le monde. Et qui accumule tout un peu partout, sur mon ventre en particulier. Je dois faire des efforts pour que ce gras se sublime en muscles. Et je préfère garder la faim en moi. J'aime le sentir vide. Ce creux, c'est le signe que je vais bien. Je me sens léger. Mais ça, ils ne peuvent pas le comprendre.
Ils se rendent pas compte à quel point je grossis vite. J'ai pris l'habitude de faire attention pour ça : c'est ma manière de fonctionner, j'y peux rien si ce n'est pas la manière de tout le monde. A dix-neuf ans, je sais quand même comment fonctionne mon corps, merci. Je sais m'occuper de moi. Et c'est pas le cas de tout le monde, parce que Pirika, ça a beau être ma sœurette chérie, bonjour les cuisses qu'elle se paie. Et son ventre, le cauchemar.
Mais moi, j'ai décidé de me prendre en main. Et maintenant que je commence enfin à atteindre mes objectifs, que je sens que ma vie est bien calée, tout ce joli petit monde prétend venir me donner des leçons sur la façon dont je dois me gérer ? Est-ce qu'ils croient vraiment que j'accepterais de redevenir comme j'étais avant ? Personne ne sait ce qui est bon pour moi, excepté moi.
Sérieusement, putain, qui sont-ils pour oser me dire ce que je dois faire de mon corps ?
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[16/02]
Bonne nouvelle : hier, j'ai pris du sucre. Alors Pirika m'a laissé me peser.
Passons sur sa tendance à se prendre pour maman, d'un pénible exécrable. Je suis content. L'autre bonne nouvelle, c'est que j'ai pas repris. Pour fêter ça, j'ai mangé un bout de son gâteau de riz. Mais alors, qu'est-ce que c'est lourd, ces machins ! Rien qu'avec une lichette, j'avais l'impression d'avoir avalé une brique !
Ah et puis, la surprise du jour, enfin du matin, c'est que Ren est venu nous voir. Ça faisait des mois que je l'avais pas vu. Il n'a pas changé d'un poil et il est toujours aussi mince. Je sais pas comment il fait avec tout ce qu'il bouffe comme cochonneries. Enfin, y en a qui ont de la chance.
C'est drôle. Près d'un an qu'on ne s'est pas vus, mais c'est quand même avec lui que je me sens le mieux. Il n'a fait aucune réflexion sur ma soi-disant maigreur, comme Pirika m'en sort par dizaines tous les jours. Je lui ai un peu parlé de la façon dont elle magouille dans mon dos et il s'est contenté d'écouter, sans me faire de remarques. Je n'ose en parler qu'à lui : la dernière fois que j'ai raconté ça à quelqu'un, c'était à Manta. Tout ça pour m'entendre dire que j'exagérais sûrement. Haha.
Auprès de Ren, je me sens pris au sérieux. C'était tellement agréable d'être traité normalement, pour une fois. Parce que j'ai l'impression que le reste du monde me regarde comme une bête de foire depuis quasiment deux ans. Je me demande bien ce que je leur ai fait, hein...
On a pas mal discuté. Je crois que ça s'arrange avec son père, il a dit : « maintenant on arrive à rester dans la même pièce sans trop se gueuler dessus ». Si c'est vrai, y a pas à dire, c'est du progrès. Parce que la dernière fois que je suis allé chez eux, c'était folklorique.
C'est le genre d'histoire qui me fait prendre mon parti quant à ma famille à moi.
Ren m'a dit aussi qu'il avait été admis dans une formation. Le truc décidé d'avance par ses parents. Un master d'éco-gestion-droit-je-sais-pas-quoi, mais qui sera pratique pour le jour où il devra prendre en main l'entreprise familiale. Ça a l'air de le gonfler, je te dis pas. Ensuite je lui ai dit que j'avais arrêté ma licence d'anglais, que je m'étais réorienté en sciences de l'environnement et que j'avais pas de petite amie. C'est à peu près tout ce qu'i raconter sur moi en ce moment.
En suite, il a commencé à me parler de ses cours et ça m'a fait regretter qu'on ne soit plus dans la même promo. On s'ennuyait jamais, même pendant le cours de Crochu.
On a reparlé de ce vieux con, justement. Apparemment, il a gardé tous les dessins que j'avais faits, oui, parce que quand on s'enquiquinait en cours, on faisait des caricatures de profs. C'était puéril, mais marrant. Bref, Crochu, on l'appelait comme ça à cause de son nez, je l'avais dessiné dans un album (Les Trente-six vues du Mont Crochu!) et j'ai dû le lui laisser, parce que c'est lui qui les a. Je me souviens que l'avais dessiné sur une branche, comme un pivert, en train de taper contre le tronc avec son nez. Qu'est-ce qu'on était cons, franchement !
Ensuite il est parti. Ça m'a fait du bien de le revoir. C'est la première personne avec qui j'ai envie de passer du temps depuis... un sacré bout de temps !
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[18/02]
Cette fois, Pirika n'a pas pu m'en empêcher, je suis retourné en cours. Ô joie ! Ça fait du bien de sortir un peu, bon sang ! Même s'il fait un froid polaire dehors (étonnant, d'ailleurs. Je suis pourtant habitué à des températures plus froides). Et puis, quelle liberté ! Pirika est adorable, elle est toute ma vie, mon soutien, ma béquille, la joie dans mon âme, la vie dans mon éternel hiver, et je sais pas ce que je ferais sans elle, mais qu'est-ce qu'elle m'étouffe !
J'ai eu mes notes de partiels du coup. Quelle chance j'ai eu de tomber malade juste après les épreuves ! C'est pas mal, mais je ne suis pas encore satisfait. J'aurais pu avoir de meilleurs résultats.
Sinon, sur cette journée, rien à dire, à part que j'ai savouré ma liberté, même si les cours n'étaient pas passionnants.
Il faut quand même que je m'accroche, je veux réussir. J'ai passé pas mal d'années à glander. Maintenant je veux la première place.
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[19/02]
Le doc m'ennuie, et je trouve qu'il a de plus en plus une sale influence sur ma sœur. A part ça, RAS.
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[22/02]
Début de la semaine : après tout ce temps passé à l'hôpital, ça me faisait bizarre de recommencer à me lever, à aller travailler. J'ai fait pas mal d'abdos, je suis fier de moi.
J'ai beaucoup travaillé, je pense être prêt pour le prochain cours. Bon sang ce que c'est agréable de sentir qu'on a fini ce qu'on avait à faire et qu'on a rempli ses objectifs ! J'ai l'impression d'avoir été productif, aujourd'hui, ça fait du bien.
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Encore moi.
(Qui écrirait ici, si ce n'est moi ? Je suis débile, sérieux)
Pirika m'a demandé de l'aider pour un boulot à rendre pour son cours de littérature anglaise. Enfin, à rendre, c'est un texte qu'elle doit traduire et expliquer en exposé. J'ai corrigé ses fautes mais ensuite, elle voulait mon avis sur son commentaire. Moi, ce que j'en sais, hein... La littérature, c'est son domaine à elle. M'enfin en bon grand frère j'ai écouté jusqu'au bout.
C'était un extrait d'Alice au Pays des Merveilles, de Lewis Carroll. Je me souvenais vaguement de l'histoire, peut-être à cause du film de Walt Disney. Si je te raconte ça, c'est parce qu'Alice se trouve en face de deux objets : une bouteille sur laquelle il y a écrit « bois-moi » et un gâteau sur lequel il y a écrit « mange-moi ». C'est idiot mais ce texte m'a fait froid dans le dos. Tu te rends compte, si même la bouffe s'y met, elle aussi ! A midi, quand j'ai mangé avec elle, j'avais l'impression de voir partout des « Mangez-moi, mangez-moi, mangez-moi ! »...
Ouais, exactement, comme dans la chanson avec les champi.
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[25/02]
J'ai revu Ren, aujourd'hui. On a pris un café ensemble, à la fac. C'était sympa. Les gens de ma promo m'ennuient un peu, en fait. On ne se parle pas. En général je m'assois au premier rang, je prends mon cours et je me barre dès la fin. Je n'ai encore trouvé personne avec qui j'aurais envie de discuter. Je ne me sens pas particulièrement asocial, c'est juste que ces gens ne m'intéressent pas. En amitié, je suis devenu sélectif avec le temps. Et les vieux amis que j'ai me suffisent, même si ça fait une éternité que j'ai pas reparlé à Yoh, Ryû et Tam. Je croise Manta de temps à autres, mais il est toujours occupé. Enfin, Ren, c'est pas pareil. C'est mon meilleur ami.
Il m'a avoué qu'il avait une petite amie, et qu'elle venait le rejoindre dans une heure, à peu près. J'étais content pour lui et assez impatient de voir à quoi elle ressemblait. C'est vrai quoi, la copine de Ren... je me disais que ça devait être une sacré fille pour qu'il condescende à sortir avec elle, lui qui trouvait toujours à redire à mes copines et aux filles que je lui présentais.
Et donc elle est arrivée. Et j'ai été un peu déçu, je dois dire, parce que ben... elle n'est pas extraordinaire, sur le moment, je l'ai trouvé un peu fadasse... C'est pas vrai, j'exagère, mais ce n'est vraiment pas mon type. Et puis, elle contraste vachement avec lui, c'est pas du tout le genre de fille que j'aurais imaginé au bras de Ren. (Ceci dit, je ne connais pas ses goûts : il ne parle jamais de filles) Elle est américaine mais sa famille s'est en partie expatriée au Japon. Elle parle parfaitement notre langue, limite mieux que Ren. Elle a des cheveux roux et des taches de rousseur. Mathilda. Ou Mach, comme tout le monde l'appelle (du diable si je sais pourquoi !). Elle est mignonne... dans le genre goth. Des têtes de mort partout, des pins Jack O'Lantern, un sac Tim Burton, des pentacles et du khôl.
Bon sang, plus j'écris ça, plus je me demande ce qu'elle et Ren foutent ensemble. Quel contraste ! Je ne sais pas si ça va durer...
Je me demande s'il l'a présentée à sa famille. J'imagine la scène ! Mort de rire ! Quoique, elle détonnerait pas trop dans sa maison, maintenant que j'y pense. J'y suis allé qu'une seule fois, en Chine, je veux dire, mais je me souviens que ça faisait vraiment manoir hanté, sa baraque.
Cette Mathilda, elle est dans ma promo. Je l'avais déjà vue, en compagnie de deux autres filles.
C'est drôle, mais à choisir, j'aurais plutôt vu Ren avec sa copine toute blonde qui parle jamais. Marion, je crois. Bon, ceci dit, vu qu'elle est à peu près aussi causante que lui, ça ferait un drôle de ménage... Et puis je suis méchant, parce qu'elle avait l'air très sympa, ouverte, rieuse, naturelle. Et si ça pouvait décoincer Ren, ce serait pas plus mal. On se comprend.
Mais voilà ce qui m'a vraiment choqué, passée cette première impression : j'étais en train de me demander comment j'allais faire pour me débarrasser sans être impoli de la glace que Ren m'avait offerte, quand elle nous a proposé un fast-food, parce qu'elle avait faim.
Ren a accepté et elle avait l'air toute contente de pouvoir aller s'empiffrer jusqu'à la glotte de pain graisseux, de frites molles et de viandes vérolées. Comment on peut avoir envie de ça, putain ? Et surtout, je l'ai pas dit, hein, je suis pas un gros con, mais comment elle peut ne serait-ce que penser à un hamburger McDo ? Je les ai regardés tous les deux et je ne comprenais pas. Je veux pas faire mon salaud, mais merde, elle peut pas se le permettre ! Comment Ren peut tolérer ça de la part de sa petite amie ? Il aimerait sortir avec un gros boudin, ou quoi ? Ça me dégoûte rien que d'y penser. Le pire c'est qu'il avait l'air de vouloir y aller lui aussi ! C'est ce qui m'a le plus déçu, aujourd'hui. Cette lueur de gourmandise dans ses yeux.
Je crois que si Ren commençait à déconner comme moi quand j'étais jeune et à grossir en bouffant des hamburgers, je ne pourrais plus être son meilleur ami.
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