Les pieds de l'enfant foulaient la neige à un rythme lent et régulier. Ses doigts bleutés par le froid ne ressentaient plus rien, ses boucles volaient en arrière tandis que le vent froid fouettait son visage pâle. Il était jeune, petit, ce n'était qu'un enfant, un simple enfant qui n'avait rien demandé, alors pourquoi avait-il dû voir toute cette horreur, comment se l'expliquer? Il n'avait pas voulu tout cela, jamais il n'aurait été capable de l'imaginer une seule seconde, alors, pourquoi était-ce arrivé? Pourquoi avaient-ils mérités cela? Qu'avaient-ils faits de mal? Rien.
Tout était arrivé si vite, les yeux bleutés de l'enfant n'avaient eu le temps d'entrevoir que des bribes de la scène horrible qui était en train de se produire. Il était trop jeune et beau pour voir tout ça. Il était trop jeune et innocent pour entendre tout cela. Il était simplement trop jeune pour mériter tout cela.
Leur père avait pourtant tout prévu, il avait prévu à ce que Radagast vienne chercher l'enfant s'il lui arrivait malheur. Il avait construit une bâtisse, éloignée qui aurait dû les protéger. La forêt s'étendait à perte de vue, elle aurait dû les dissimuler. Beorn était un ours géant, immense et puissant, il aurait dû pouvoir les protéger. Grim était petit, rapide, il aurait dû pouvoir s'enfuir, se cacher, se faufiler dans les moindres recoins. Les poneys parcouraient le Val, ils étaient là pour les prévenir en cas de danger, ils auraient dû accourir. Radagast était un puissant magicien et omniscient, il aurait dû sentir cela.
Rien de tout cela n'aurait dû se produire. Grimbeorn aurait dû prendre son goûter, il aurait dû embêter son père, il aurait dû rire. Beorn aurait dû essayer de le chatouiller, il aurait dû lui conter des histoires. Pourquoi n'avait-il pas eu droit à ça?
Pourquoi l'ourson avait dû le voir tomber? Lui qui était si grand, fort, lui qui le protégeait de tout même dans ses rêves, lui qui le faisait rire, lui qu'il admirait plus que tout. Pourquoi avait-il dû le voir faiblir? Pourquoi avait-il dû entendre son dernier souffle s'échapper de ses lèvres rosées, perdant peu à peu de leur couleur? Pourquoi avait-il dû lui sourire au moment où la vie quittait progressivement ses pupilles glacées et emplies de larmes? Pourquoi l'avait-il regardé tandis que ses pensées étaient toutes tournées vers lui? Pourquoi avait-il dû lui demander pardon pendant que son corps s'écrasait contre le sol? Pourquoi Grimbeorn avait dû voir sa gorge s'ouvrir en un sourire ensanglanté et béant? Pourquoi son père n'avait-il pas été assez fort pour tout cela? Pourquoi y avait-il cet immense trou dans le torse de l'homme qui le cajolait, qui l'aimait plus que tout au monde, qui le chérissait, qui le faisait rire? Pourquoi avait*il dû voir cela? Pourquoi cet Orc avait dû s'approcher?

Les jambes tremblantes, Grimbeorn avançait dans la neige glacée, ses larmes roulant sur ses joues rosées par le froid, ses mains frigorifiées. Il arriva sur le bord de la falaise et tomba à genoux sur le manteau glacé qui recouvrait la plaine. C'était la dernière fois qu'il la voyait. C'était la toute dernière fois qu'il verrait son père, qu'il sentait l'air s'engouffrer dans ses narines, dans ses poumons, c'était la dernière fois qu'il sentait le vent caresser ses boucles. C'était la dernière fois que son père le prendrait dans ses bras. C'était la dernière fois qu'il vivrait.
L'Orc attrapa ses boucles, les serrant entre ses doigts marqués par le fer. Il tira dessus, faisant tendre le cou à l'enfant. La lame glacée glissa sur sa peau pâle et l'enfant s'effondra sur la neige, un sourire béant, la blancheur de la glace rougissant progressivement.

Il était jeune, et il avait tout perdu.