La douleur dans sa tête était fulgurante. Il dut essayer plusieurs fois d'ouvrir ses yeux pour y arriver sans rendre le contenu de son estomac. Il avait chaud, trop chaud.

Il essaya d'observer les alentours mais ses mains glissèrent sur une paroi râpeuse et dure, il ne voyait rien, il lui faudrait quelques instants pour que ses yeux s'habituent à l'obscurité. Il ne savait pas où il était, ce qui l'avait amené là. Et pour l'aider un peu plus, son esprit était brumeux, chaque pensée qu'il tentait d'avoir se perdaient ou lui infligeait un plus gros mal de tête. Bon sang, que s'était-il passé ?

La mince lumière de la lune, qui s'insinuait par une fenêtre voilée commençait à lui faire percevoir la salle dans laquelle il se trouvait. Elle était rudimentaire, il était à moitié étendu sur un tapis, les murs étaient en pierre, et seule une cruche siégeait dans un coin. Ses yeux se firent pus grand en voyant l'objet : soif, il avait soif, cette sensation explosa en lui. Il faisait chaud, son corps était moite, collé à ses vêtements, incroyablement sales. Il y avait du sang sur sa chemise des éclaboussures et de plus grandes marques sur son pantalon. Qu'avait-il fait ?

Il se décida à aller boire mais en essayant de se lever, de faire un quelconque mouvement, une douleur encore plus importante implosa au niveau de son genou. Il retint un gémissement qui voulut sortir de sa bouche et ferma les yeux. Sa respiration s'emballa et il ne bougea plus essayant de récupérer. Seulement, une image apparut dans son esprit, des cris, des personnes en colère, des regards, et il vit Joanna Teague, hurlant des mots qu'il ne comprenait pas, happée par une foule furieuse. Un militaire la traînait, d'autres les couvraient, il y avait des coups de feu.

Il ouvrit les yeux brusquement, il ne s'était pas rendu compte à quel point il avait été aspiré par cette pensée et dans les tréfonds que la douleur appelait. Sa respiration était toujours laborieuse et les cris dans sa tête ne s'arrêtèrent pas tout de suite. Il soupira, son genou était en vrac, il s'en rendit compte immédiatement. Sa jambe ne suivait pas sa courbe naturelle, il serait incapable de courir, ou même de marcher correctement. De toute façon, il faudrait d'abord qu'il se souvienne des événements de cette dernière semaine.

Il soupira et grimaça, la douleur était maintenant persistante, sa gorge était sèche, il fallait boire. La chaleur était lourde et il ne savait pas depuis combien de temps il était là. Il décida de se traîner, de s'allonger sur le sol pour ramper avec sa jambe valide. Il crut défaillir juste en changeant de position et dut faire une pause. Il soupira en reposant quelques instants sa tête sur le sol un peu plus froid. Il fallait réagir, peu importe si son esprit lui jouait des tours, sa situation avait clairement l'air hostile. Il reprit son périple, rampa les quelques mètres qui le séparaient de la cruche et se redressa. Il crut hurler, devenir fou tellement il avait cru pouvoir se soulager de la douleur dans sa gorge. La cruche était ironiquement vide. Elle lui avait rappelé la soif et se jouait de lui. Il donna un coup avec sa main et elle vola contre un mur. Il s'assit à nouveau et posa sa tête contre le mur froid, ferma les yeux en espérant que les vertiges qui l'avaient pris cessent.

Des images troubles s'animèrent à nouveau derrière ses paupières. Les cris, les yeux terribles qui s'approchaient de lui, des femmes voilées, des hommes aux sourcils froncés, les poings levés. Il y avait cet adolescent, celui qu'il avait croisé à la fac, avec Bishop. Alors il revit Bishop, au bureau, elle parlait mais il ne comprenait pas. Cette image, ce garçon, lui était familière mais il ne pouvait la lier avec quoi que ce soit.

La porte s'ouvrit dans un fracas, à coté de lui. La douleur dans la tête s'intensifia et la crainte lui tordit le ventre. Pas un bruit ne se fit entendre l'espace de quelques secondes, puis une tête se tourna vers lui. Une jeune fille, avec de la soie sur les cheveux. Elle regarda vers la porte encore ouverte, observant une personne qu'il ne pouvait pas voir. Elle lui parla, dans sa langue, il ne comprenait pas, ne cherchait pas à le faire à cet instant. La fille entra et s'approcha de lui.

« Ne fais pas de bruit. »

Elle avait un accent étrange mais ça il le comprit. Il ne broncha pas, et se contenta de l'observer, en essayant de rester concentré, mais cela devenait difficile.

« Il va falloir que tu marches. » Il grimaça, il n'en était pas capable. Il vit alors le paquet qu'elle portait.

Elle commença à s'approcher de sa jambe et il se recula par réflexe. Elle le regarda brusquement un regard sombre et soupira. Sa main attrapa alors rapidement et trop violemment sa jambe pour la mettre à plat sur le sol. Il dut retenir un cri, et serra les dents. Une sueur froide coula dans sa nuque, ça n'augurait rien de bon.

« Idiot »

Il grogna, sans le vouloir. Elle sourit, doucement. Ses mains se firent plus douces elles aussi et il la vit sortir des objets qui se trouvèrent être une attelle. L'opération fut une torture pour lui, mais il ne dit rien, essaya. Elle avait ce sourire étrange qui n'augurait rien de bon.

« Voilà, il faut attendre maintenant. »

Son accent, il se souvint de l'Irak, ce petit garçon... Luke, ils le cherchaient.

« Attendre quoi ? »

Il la vit soupirer. « Je t'ai dit de ne pas faire de bruit. »

Et là elle sortit, sans un mot. Il resta de marbre, ne s'en soucia pas réellement. Des pensées commençaient à naître, incertaines, incompréhensibles. Il ferma les yeux, alors que chaque image piquait un peu plus son crâne. Il porta ses mains sur ses yeux, essayant d'atténuer la pression. Son pouce effleura alors quelque chose de granuleux, de chaud sur son visage. Il remonta plus haut et une brûlure se fit sentir. Il était blessé, et cette chose était du sang séché, il n'avait pas besoin de vérifier.

Le sang, il observa à nouveau sa chemise, le regard du garçon lui revint à l'esprit, et celui de l'université, ils avaient la même étincelle. Il soupira et la porte s'ouvrit à nouveau.

Il tressaillit alors qu'un visage connu apparut. Celui de l'adolescent, celui de la faculté, il était là à nouveau, un sourire narquois collé à son visage.

« Agent Dinozzo ? »

Son sourire disparut et l'étincelle dans ses yeux se fit plus brillante. Lui ne dit rien, il ne savait pas ce qui se passait, ce qu'il aurait pu dire. Il savait aussi que bientôt il comprendrait et son instinct lui hurlait que ce n'était pas une bonne chose.

« Ils vous cherchent vous savez ? »

Qui ? Il ne posa pas la question, et se contenta d'observer le jeune homme. Son visage, ça lui écrasait le ventre, il ne savait pas, il y avait quelque chose, seulement, il ne s'en souvenait pas, c'était certainement terrible.

« Je ferais en sorte qu'il ne vous trouve pas. »

Il fronça les sourcils. « Pourquoi ? » La question était sortie sans qu'il ne le veuille, son estomac se tordit. Sa voix était rugueuse, sèche, il se rappela de la soif qui l'avait traîné dans le coin de la pièce.

Le visage se l'homme se tordit dans un rictus, et sa voix se fit plus forte. « Un tueur d'enfants ne doit pas être libre ! »

Tony tressaillit, quelque chose tenta de s'insinuer dans son esprit mais il lutta. Il revit Gibbs, à genoux, avec ce regard terrible sur le visage. Ses mains se mirent à trembler.

« Il faut partir. » L'homme tenta de le lever, mais il résistât. Il vit la fureur dans les yeux de l'enfant. Le mépris dans ses yeux le stoppa dans tout mouvement, le jeune homme lui asséna un coup de pied dans son genou. Il crut défaillir, l'espace d'un instant sa vision était devenue floue, il crut s'évanouir. Mais malheureusement ce sont ces images qui revinrent dans sa vision, le découpant d'une réalité qu'il n'arrivait plus un maintenir. Il vit Gibbs à genoux, du sang déjà sur le sol, une seconde balle le toucha à la poitrine, trop prêt de cœur. Il tressaillit et un bruit étrange sortit de sa gorge.

Il leva les yeux vers le garçon et revit celui plus jeune qui visait son patron. Il était là debout, il ne tremblait pas, son arme pointée sur le front de Gibbs. Il revit le regard presque vide de l'homme à terre, la panique l'avait amené là, en quelques secondes, un peu plus Joanna hurlait des choses qu'il ne pouvait comprendre, les militaires étaient en train de l'entraîner plus loin. Les gens criaient, et quelques soldats s'approchaient déjà de lui.

Le jeune homme l'attrapa sous l'épaule et le força. Il se leva sans broncher, la douleur était trop importante et les choses étaient trop embrouillées, trop violentes dans sa tête.

On le tira dehors, la jeune fille l'aidait, ils étaient seuls tous les trois. Il avait ses chances et pourtant, il ne broncha pas, le regard perdu, quelque part, dans cette ville.

Tout s'était déroulé en quelques secondes, son instinct, celui de protéger les gens qu'il aimait, avait pris le dessus. Il avait levé son arme, et hésité quelques secondes, plus loin le grand frère l'observait avec un regard indéchiffrable. Et il avait tiré, à l'instant où le garçon l'avait regardé, de ce regard froid, terrible, convaincu. Il avait tiré, sur un enfant, sur ce petit, sans réfléchir. A partir de ce moment, il n'avait plus bougé, l'information montait doucement. Il n'avait plus rien écouté. Il s'était seulement retourné vers Gibbs, cherchant de l'aide, mais torse ne bougeait que trop légèrement.

L'adolescent appuya une arme sur sa hanche, et le força à avancer. Ce fut laborieux, mais on ne lui laissa pas le choix.

« Ils vont arriver. » La voix de la fille, moins froide, alarmée. De qui parlait-elle, des secours ?

Ils traversèrent un couloir et se retrouvèrent dehors. Il y avait un petit vent frais qui le soulagea quelques instants. La chaleur était toujours présente. Autour de lui il ne voyait que le sable, les roches et une voiture, surement leur destination.

« Voici votre carrosse agent Dinozzo. » Il observa l'enfant, son apparence était toujours aussi terrible à ses yeux, les souvenirs enflaient en lui, l'envahissaient.

On le jeta dans le véhicule, à l'avant, la jeune fille s'installa derrière lui, l'arme pointée sur sa nuque alors que l'autre prenait le volant. Il ferma les yeux, se laissant prendre par le flot de pensées.

Le silence avait envahi son esprit et il perçut autour de lui, dans le marché, aux regards, aux visages, que la foule était en colère. Enragée. Il vit les militaires submergés. Il avait tué un enfant.

Un homme le frappa au genou avec un objet trop lourd, trop dur. Il s'était effondré à terre dans un cri et n'avait pas eu l'idée de chercher à se défendre.

Sur le sol sableux, il le vit alors, à quelques mètres, le petit garçon, le regard vide, une fine traînée de sang sur ses lèvres. Il ne pensa plus à la douleur terrible, aux cris, il ne voyait que le garçon, derrière quelques jambes de plus en plus nombreuses. Il ne voyait plus que le regard, trop vide de l'enfant, trop froid, et la peau pâle. Il ne voyait plus que la fine ligne de sang qui glissait jusqu'à lui, le sang de Gibbs, le sang de tout ce qui avait pris fin ici…

Dans la voiture ils avaient commencé à rouler, trop vite, ils avaient peur. Et lui, il avait tué un enfant, Gibbs était mort à côté, Gibbs qui avait tant voulu protéger ce gamin, même au prix de sa propre vie. L'espace d'un instant il crut manquer d'air, non rien de tout ça ne pouvait être réel. Il ferma les yeux et posa sa tête sur le siège, sentant rapidement le canon d'une arme s'éloigner. Il ferma les yeux, il se fichait de ses charmants hôtes, des choses glissaient dans son esprit, laissant des brûlures qui ne s'effaceraient pas. L'image du gamin semblait s'inscrire à l'encre indélébile dans son esprit. Il le revit en vie dans le hangar quelques jours plus tôt, perdu comme une bête prise dans des phares, et serra encore plus fort ses paupières.

Quand il les ouvrit, il vit le sable, le vide et un désespoir incroyable l'envahi. Il sentit qu'il n'avait plus rien à perdre, perdu dans ce désert, il ne voulait pas être captif. Il sentit ce poids incroyable en lui, et abandonna, pour la première fois de sa vie, il abandonna.

La fillette était ailleurs, elle le pensait surement endormi, il l'observa dans le rétroviseur. L'autre était concentré sur la route qui défilait trop rapidement. L'idée de mourir ne l'effleura que quelques secondes, il avait à cet instant l'impression de mériter toutes les peines du monde, la mort, peu importe, ça n'avait plus d'importance. Son esprit nageait entre Luke, le brouillard toujours présent et le désespoir qui grandissait en lui.

Ça ne dura que quelques secondes, quelques secondes affreuses où il perçut le visage de la fille se fracasser contre la vitre et le regard terrifié du garçon, quelques secondes. Il avait attrapé le volant, et sans attendre les avait envoyés valdingué sur la pente de la colline sur laquelle il se trouvait. Les roches avaient été trop coupantes, la pente trop abrupte, mais ça ne l'avait pas intéressé, il s'était laissé tomber, s'était laissé sombrer dans une noirceur qui avait déjà envahi son esprit. Le silence revint, à part quelques craquements, et dans un dernier soupir, il ferma les yeux, abandonnant tout espoir…