- Jjjchuis vraiment fier de toi. T'as pas bu un verre alors qu'on était dans un bar…
- J'te l'ai dit. T'as plus de raison de t'en faire pour moi.
Le visage de Connor, à quelques centimètres du sien. Une furieuse envie de l'embrasser, soudain.
- Non ! Pas de ça, ivrogne !
- Non, attends ! Depuis longtemps, je… J'veux qu'on se remette ensemble. J'veux que t'enlèves tout ça. Allez, viens… Montre-moi ton p'tit cul brûlant…
- Hey. Hey ! Arrête, arrête, arrête ! Moi aussi j'ai envie. J'ai envie de toi. Vraiment. Mais pas quand t'as bu.
Le BEEP-BEEP-BEEP strident du réveil tira Oliver du sommeil de manière brutale, le faisant sursauter et s'asseoir dans son lit, avant qu'une douleur intense ne lui vrille le crâne et ne le fasse grogner de douleur. Oh, bon sang… Qu'est-ce qui lui avait pris de boire autant un soir de semaine ?!
D'un geste rageur, il fit taire son réveil et se massa les tempes. Il avait la migraine, et se sentait vaseux. Super. Cela faisait combien d'années qu'il n'avait pas eu de gueule de bois pareille ? Et tout ça, c'était la faute de Connor, bien sûr. Où était-il, d'ailleurs, celui-là ?
- Connor ?
N'obtenant aucune réponse, Oliver se leva et fit quelques pas titubants vers le salon. Une couverture pliée sur un des accoudoirs était le seul indice que l'avocat en herbe avait passé la nuit sur le canapé, mais de Connor il n'y avait aucune trace. Oliver tenta d'ignorer sa déception, et se dirigea vers le comptoir de la cuisine, un peu incommodé par sa bouche sèche et pâteuse. A sa grande surprise, un verre d'eau l'attendait déjà sur le plan de travail, à côté de deux aspirines qu'il avala avec une pensée reconnaissante pour Connor. Décidément, il faisait vraiment des efforts pour se rattraper…
Après une bonne douche, Oliver avait les idées un peu plus claires, et des souvenirs de la veille commençaient à lui revenir. Il grogna autour de sa brosse à dents, mortifié par son attitude. « Ton petit cul brûlant » ? Sérieusement ? Il n'aurait rien pu dire de plus ridicule ? Et puis… Oh. OH. Il avait dit à Connor qu'il l'aimait, pas vrai ? Juste avant de sombrer. Qu'est-ce qui lui avait pris ?!
Il savait bien que l'étudiant en droit était terrifié à l'idée de s'engager, que le concept de monogamie était tout nouveau pour lui. Depuis qu'il lui avait donné une deuxième chance, leur relation évoluait pas à pas, des petits pas, certes, mais c'était mieux que rien. Oliver voulait y aller doucement, de toute façon : il avait besoin de temps avant de lui refaire confiance. Et Connor… Il le revoyait, complètement paniqué, le matin où il avait frappé à sa porte à une heure indue. Cela faisait à peine un mois que Connor était clean, et même s'il avait promis à Oliver encore et encore qu'il ne toucherait plus à la drogue, il n'était pas encore à l'abri d'une rechute.
Mais il faisait des efforts. Et beaucoup. Est-ce que le Connor d'avant la rupture l'aurait repoussé malgré son état d'ébriété ? Sans doute pas. Le Connor d'avant n'aurait jamais dit non à une partie de jambes en l'air. Ce Connor-là était égocentrique, et destructeur. Le nouveau Connor, d'un autre côté, essayait vraiment de se racheter, et de devenir quelqu'un de bien. Et Oliver se sentait tomber de plus en plus amoureux de lui. L'étudiant en droit ne se cachait plus derrière sa façade d'arrogance, et il osait se montrer vulnérable et sensible, de temps en temps. Il se mettait à nu pour Olivier, et pour lui uniquement. La façon dont il tirait sur ses manches lorsqu'il était nerveux, la manière adorable dont il détournait le regard en rougissant lorsqu'Oliver évoquait son passé peu glorieux, tout cela était autant de nouvelles facettes de Connor que l'informaticien découvrait jour après jour et qui le séduisaient d'autant plus.
Il l'aimait, c'était évident. Mais de là à lui dire ? Quel imbécile ! Alors qu'ils faisaient tellement de progrès ! Qu'allait-il faire, si maintenant Connor prenait peur et décidait de tout arrêter ? L'avocat en herbe avait tenté de lui expliquer pourquoi il avait aussi peur de s'engager. Le divorce de ses parents, et la dépression de sa mère. Les nombreux beaux-pères qui s'étaient succédés, présences éphémères qui n'avaient jamais comblé le vide laissé. Et pourtant, le jeune garçon avait essayé de les retenir, au début, de les persuader de rester pour prendre soin de sa maman. En vain. Ils avaient tous pris la fuite, effrayés par ses démonstrations d'affection exubérantes et prématurées. Alors, Connor était devenu un adolescent amer et sarcastique, préférant la compagnie des livres à celle de ses semblables. Ensuite était venue la décision de l'envoyer en internat, que Connor avait ressenti comme une volonté de se débarrasser de lui. Son premier amour, Aiden, l'avait repoussé dès qu'il s'était déclaré, disant qu'il n'était pas gay et que ce qu'ils avaient fait ensemble n'était qu'une gigantesque erreur. Connor s'était blindé peu à peu, persuadé que tous ceux qu'il aimait finiraient tôt ou tard par l'abandonner. Autant ne pas s'attacher. Autant fuir la possibilité d'être à nouveau blessé. Oliver comprenait, et il était d'autant plus touché par le fait que Connor était prêt à réessayer pour lui.
Ce fut finalement au bureau, en profitant d'une pause-café, qu'Oliver décida d'arrêter de se torturer pour rien, et que le meilleur moyen d'être fixé était de demander à Connor directement. Sortant son téléphone portable, il rédigea rapidement un message.
De : Oliver
Merci pour hier soir, et pour l'aspirine ce matin. J'en avais bien besoin !
De : Connor
Ah, je m'inquiétais de ne pas avoir de tes nouvelles ! Ça a été pour te lever, alors ? Pas trop mal aux cheveux ?
Oliver sourit en voyant avec quelle vitesse Connor lui avait répondu. Il avait dû vraiment être inquiet.
De : Oliver
C'est gérable. Je suis au boulot, là. Tu veux passer ce soir ?
Cette fois-ci, Connor mit beaucoup plus de temps à répondre, et Oliver dut attendre la pause-midi pour pouvoir lire son message.
De : Connor
Hey, si tu t'inquiètes pour ce qui s'est passé hier soir, c'est pas la peine. Je me rends bien compte que tu étais soûl et que tu ne pensais pas ce que tu as dit. Tout va bien entre nous, ok ?
Oliver fronça les sourcils, perplexe. Connor croyait qu'il ne pensait pas ce qu'il avait dit ? Quelle idée absurde ! Mais d'un autre côté, le laisser croire cela était l'occasion parfaite d'oublier ce qui s'était dit et de faire comme si de rien n'était. Continuer là où ils en étaient restés. C'était peut-être la meilleure chose à faire. Oliver mordit dans son sandwich et se mit à mâchouiller d'un air absent, le regard fixé sur son téléphone (et il devait avoir l'air suffisamment concentré pour qu'aucun de ses collègues n'ose l'approcher, ce qui, en rétrospective, fut sans doute une bonne chose). Finalement, Oliver secoua la tête et se décida à être honnête. Il ne pouvait pas laisser Connor penser qu'il n'était, une fois de plus, pas assez bien pour être aimé. Il était sûr de ses sentiments, et l'alcool n'avait rien à voir là-dedans. Et si ça devait foutre sa relation naissante en l'air, eh bien… il prendrait le risque.
De : Oliver
Je suis content de l'entendre. Mais j'aimerais quand même que tu passes ce soir. Sauf si tu n'as pas le temps ?
De : Connor
Serai là vers 19h. Passerai chercher du chinois. A ce soir.
Oliver déglutit en lisant sa réponse. Et voilà. Ce soir, ils seraient bons pour de longues explications…
