Écrit pour la 59ème nuit du FoF sur le thème Dinosaure.

Disclaimer : Harry Potter, son univers et ses personnages appartiennent à quelqu'un de beaucoup plus riche que je ne le serai jamais.

Normalement, j'essaie de faire les OS de la nuit du FoF en une heure mais celui-ci a subi une assez longue manipulation après coup.


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Et vient le premier froid (fou qui ne s'en aperçoit)

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« Tu as l'air triste, mon petit. »

Minerva tourne immédiatement la tête en direction du portrait et son regard croise les yeux bleus d'Albus.

« Je ne suis pas triste, je suis vieille.

─ Cela fait longtemps que vous êtes vieille. »

Severus n'est pas plus aimable en peinture qu'en vie. (Elle en est profondément heureuse d'ailleurs. Ils ont passé beaucoup d'années à construire une relation basée sur la confiance, l'hostilité et le sarcasme, et franchement, elle n'a pas envie que ça change. De toute son âme, quand elle ne sera elle aussi plus qu'un portrait sur un mur, elle espère continuer à échanger des piques avec son ancien élève.)

« Il s'est passé quelque chose ? » demande Albus, concerné, et curieux, comme toujours.

Minerva secoue la tête. Demain, elle aura un an de plus. Ça ne change rien, vraiment, on ne vieillit pas d'un an en un jour (même si parfois, on peut vieillir de dix ans en une minute) et pourtant, depuis quelques années son anniversaire est devenu une date pénible.

Sans doute parce que tant de gens qu'elle aimait sont partis et qu'en dehors des discussions qu'exigent la direction d'une école comme Poudlard, ses interlocuteurs les plus habituels sont deux portraits. C'est difficile de vieillir seule.

« Je vais me coucher, bonne nuit, mesdames, messieurs. »

La plupart des directeurs, et les trois directrices, ronflent tranquillement dans leur cadre doré, et seuls Albus et Severus lui répondent, le premier pour lui souhaiter une excellente nuit et le second pour lui dire de ne pas mourir pendant son sommeil.

(Et c'est tellement Severus que c'est mignon.)

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Minerva n'a jamais voulu occupé les appartements du Directeur. Si elle se sent parfois étrangère dans le bureau directorial, tant et si bien qu'il lui arrive encore d'avoir l'impulsion de s'asseoir, non pas dans le fauteuil derrière le bureau mais sur une des chaises réservées aux visiteurs, il est juste hors de question d'habiter les appartements d'Albus. Elle ne peut pas diriger Poudlard depuis son ancien bureau, il y a un protocole à respecter mais sa vie privée ne concerne qu'elle. Elle a choisi de garder ses appartements, près de la Salle Commune des Gryffondor. (Elle est Directrice, et elle se doit d'être impartiale, et elle l'est, mais elle aimera toujours plus Gryffondor que les autres maisons. Du moins en dehors de ses horaires de travail. Et quand il s'agit de Quidditch.)

Ce sont trois pièces, un grand salon lumineux qui donne sur les serres, la Forêt Interdite découpant au loin son contour sombre, devenu familier et presque rassurant au fil des ans, une chambre à coucher où un lit occupe quasiment tout l'espace et une salle de bain pourvu d'une verrière. Elle a mis des mois à s'habituer à se laver ainsi, à ciel ouvert, sans rougir, mais à présent, elle ne pourrait sûrement pas prendre son bain sans la voûte céleste au-dessus d'elle. De l'extérieur, heureusement, ce n'est qu'un simple toit de tuiles. Les élèves s'aventurent rarement en balai au-dessus du château, mais cela arrive et ce serait horriblement gênant.

Au mur, sur le rebord de la cheminée, sur les meubles, des photos de toute sa vie.

Des photos qui résument toute une vie.

Les visages familiers lui sourient et pas pour la première fois, elle regrette l'immobilité des clichés moldus. Sa petite sœur, Ariadne, avait dix ans lorsqu'elle s'est noyée et pourtant, le cœur de Minerva se serre toujours quand elle voit la petite fille si vivante et si gaie dans les branches les plus basses du prunier du jardin.

(Quand ses parents sont morts, elle a fait abattre l'arbre. Elle ne supportait pas de continuer à y chercher une silhouette familière.)

Des amis, des anciens élèves et surtout des morts. Tellement de morts. Des morts qui saluent, qui rient, qui sourient. Des morts qui ont l'air vivants.

Elle regarde les visages, se rappellent des noms, et des larmes lui viennent aux yeux.

Elle n'est qu'une maudite vieille femme trop émotive.

Une des photographies est retournée. Elle ne peut pas la regarder. Elle ne peut pas la jeter non plus.

Si elle la regardait, elle y verrait une jeune fille et quatre garçons. Cinq amis, beaux parce qu'ils étaient jeunes, heureux et parce que l'avenir leur souriait.

Moins de deux ans plus tard, deux seraient morts, un autre en prison, un autre encore reclus et stupide d'une douleur qui durerait des années et le dernier en fuite.

Aujourd'hui, la mort les a réunis et elle essaie de pardonner à Peter de n'avoir pas été digne de ses amis, de n'avoir pas été digne d'être un Gryffondor.

Elle a gardé la photo pourtant.

Même quand elle croyait Sirius Black coupable de trahison, coupable de la mort de Lily, James et Peter, elle n'a pas été capable de s'en débarrasser. Et maintenant qu'elle sait que Peter était le coupable, elle ne peut pas non plus.

Même s'ils étaient insupportables, même si elle en est venue à pleurer de soulagement lorsqu'ils quittaient le château pour les vacances, même s'ils lui ont occasionné plus de cheveux blancs que tous ses autres élèves réunis (à l'exception peut-être d'Harry, Ron et Hermione), Minerva a aimé les Maraudeurs.

Et même s'il était inconscient, immature et superficiel, elle a aimé Sirius plus que les autres. Sirius était charmant et s'il s'en donnait la peine, il lui suffisait d'un sourire pour mettre tout le monde dans sa poche.

Et tout à coup, elle n'est plus dans ses appartements, ce n'est plus un jour d'octobre froid et humide, tout à coup, elle est dans la Tour d'Astronomie et l'été prend lentement le pas sur le printemps. Le vent chaud de la nuit charrie une odeur douce de fleurs et pas un nuage ne dissimule le magnifique ciel étoilé.

Tout à coup Sirius Black est devant elle, dans toute la beauté insolente de ses dix-huit ans.

« Minnie, c'est le dernier jour de classe, vous devriez laisser la Tour d'Astronomie aux amoureux…

─ Monsieur Black, je ne vous permets certainement pas de m'appeler Minnie ! Je suis votre professeur, tout de même.

Sirius sourit et dit : « Il est minuit passé. Je ne suis plus votre élève. »

Et techniquement, c'est vrai.

« Je peux encore enlever des points à Gryffondor ! »

Mais c'est une menace vide, parce que cela faisait bien deux ans que les Maraudeurs ont cessé d'accorder la moindre importance aux points.

« Vraiment, vous êtes insupportable.

─ Je suis un peu ivre. »

Elle soupire. Elle ne peut rien faire et d'ailleurs elle n'en a pas vraiment le courage.

Il s'approche d'elle et il l'enlace. Il est plus grand et plus fort qu'elle, alors elle ne peut pas se dérober si facilement, et à la vérité elle n'en a pas envie. Bien malgré elle, elle a toujours eu une faiblesse pour Sirius qui en a d'ailleurs scandaleusement profité.

« Vous allez me manquer Minnie. Poudlard, tout ça, ça me manquera, mais c'est sûrement vous qui allez le plus me manquer.

─ Allons, monsieur Black, je crois décidément que vous êtes tout à fait ivre. »

Il rit et la serre un peu plus fort et il sent effectivement l'alcool. Il sent aussi la sueur, la fumée et le parfum et c'est une odeur masculine, une odeur d'homme et elle sent les battements de son cœur s'accélérer.

Allons bon, elle a effectivement partagé avec les autres enseignants un verre de whisky Pur-Feu mais elle ne peut pas être ivre elle aussi pour si peu. Elle est Écossaise, tout de même !

« Vous savez, j'étais un peu amoureux en vous en cinquième année, » il chuchote dans son cou et elle se met à rire, parce que c'est tellement ridicule et qu'elle sent une peur inexplicable lui nouer les entrailles.

« Voyons, voyons, » dit-elle en se dégageant et en prenant la tête du garçon (et pendant un instant, dans son regard elle croit discerner quelque chose, une étincelle, un espoir et c'est presque exaltant), c'est sur son front qu'elle dépose un baiser doux et maternel. « Vous devriez vraiment aller vous coucher, monsieur Black, même si je crains que vous ne vous réveilliez tout de même demain avec une gueule de bois. »

Elle revient au présent. Sirius et elle n'ont jamais reparlé de cette scène et elle n'est même pas sûre qu'il s'en soit souvenu le lendemain matin.

De toutes manières, elle s'en souvient pour deux, avec une nostalgie triste et peut-être un peu de regret. Bien sûr, elle a fait le bon choix, parce qu'il n'y en avait simplement pas d'autre. Il aurait été ridicule et inapproprié d'embrasser un élève quarante ans plus jeune alors qu'il était clairement ivre.

Et pourtant, un frisson l'avait parcourue et c'était dans la douceur de cette nuit de juin qu'elle avait compris pour la première fois qu'elle était vieille.

Elle avait revu Sirius quelques mois plus tard, quand il était devenu membre de l'Ordre du Phénix et il l'avait joyeusement embrassée sur les joues en l'appelant Minerva avant de se plaindre de sa formation d'Auror, scandaleusement difficile et vraiment Maugrey était un vieux chieur !

L'horloge du salon se met à sonner, douze coups d'une voix aigrelette qui brisent le silence. On est demain. Plutôt, on est aujourd'hui.

« Joyeux Anniversaire Minnie, » dit-elle, et ses doigts effleurent le cadre retourné.

Et au lieu d'aller se coucher, ce qui est la chose parfaitement raisonnable à faire, elle sort de ses appartements et de couloir en couloir, d'escalier en escalier, arrive en haut de la tour d'Astronomie.

Il fait froid et pourtant elle discerne deux silhouettes beaucoup trop occupées à se dévorer de baisers pour se soucier du climat ou pour la remarquer.

En l'honneur d'un beau jeune homme, à qui la prison a volé sa jeunesse et qui est mort beaucoup trop vite et parce qu'aujourd'hui c'est son anniversaire, Minerva tourne les talons sans rien dire et part effectivement se coucher.

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Le titre vient de deux proverbes du 4 octobre, à savoir « À la Saint-François, de la patte d'une oie, le jour décroit (ou pour les Rois, fou qui ne s'en aperçoit). » et « À la Saint-François, vient le premier froid. » Le 4 octobre étant bien sûr l'anniversaire de Minerva !