Ceci est un recueil de douze OS écrits pour les 24 heures du FoF, célébrant le cinquième anniversaire de ce forum. Ils n'ont aucun lien entre eux. Chacun est inspiré par la citation en début de texte, qui était le thème imposé. Le mot souligné était le thème alternatif mais j'ai toujours essayé de mêler les deux, y ajoutant un troisième éléments, les douze mois de l'année. La qualité n'est pas toujours égale, prenez en compte que même si j'ai corrigé et rajouté des choses, surtout sur les derniers, le scénario et le principal de la rédaction a été faite en 24h. Si vous souhaitez plus d'informations, voyez mon profil ou envoyez moi un PM.

Disclaimer : SnK, son univers et ses personnages appartiennent à Hajime Isayama.


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Contes d'un Jour

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Janvier

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« Impossible de vous dire mon âge, il change tout le temps. » Alphonse Allais

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Il neige sur Utopia.

La ville est enfouie dans un manteau silencieux et blanc qui étouffe jusqu'aux ombres et aux bruits. Même la rivière semble participer de cette conspiration du silence et son clapotis habituel se réduit à un murmure assourdi qu'il ne reconnaît pas et qu'il déteste, comme il hait d'ailleurs tout de cette ville et de sa vie.

Dans le creux de son lit, obstinément vide, Jean Kirschtein est un petit garçon qui refuse de se lever. Il souhaiterait rabattre sur lui les couvertures afin de ne plus voir le monde, ce monde blanc et ennuyeux, ce monde immobile et d'autant plus dangereux qu'il pourrait presque paraître paisible dans cette immobilité. Pourtant, Jean le sait bien : l'immobilité, ce n'est pas la paix. C'est la mort.

Se cacher sous les couvertures, cela marchait, il y a des années. Rien ne pouvait l'y atteindre, sauf sa mère qui était bien un monstre terrifiant mais un monstre très familier, qui n'avait rien à voir avec les horreurs inconnues qui hantaient ses cauchemars.

Aujourd'hui, Jean n'a plus de mère, la phtisie comme disent les gens du commun, la tuberculose comme lui a dit le médecin Strauss, en secouant la tête et en lui recommandant de ne la voir qu'avec un masque et des gants ; quant aux monstres de ses cauchemars, ils pâlissent face au monstres de ses veilles.

Pendant presque dix minutes, Jean s'autorise à être enfant, à être malheureux du silence de cette ville, de la mort de sa mère et du vide de son lit.

Puis une cloche lointaine sonne, le quart déjà, et il se lève, et le voilà adulte.

Son ordonnance, car à présent Jean est un homme important qui a un serviteur militaire attaché à sa personne, lui apporte de l'eau chaude pour son bain et pour se raser, et il choisit de ne pas penser aux gens qui sont peut-être morts de froid cette nuit, à ce gaspillage de charbon et de bois qui lui permet d'avoir l'air impeccable comme il sied à un gouverneur militaire. L'homme qui le regarde dans le miroir, l'air fatigué après une nuit longue qui n'a pas été reposante pour autant, a une trentaine fatiguée, et il compte mentalement, s'étonnant en lui-même.

Trente ans seulement ? Trente-deux en fait. C'est impossible. Il est presque tenté de faire le calcul par écrit, parce qu'il ne peut pas y croire tout à fait. Il se sent tellement vieux parfois. Les titans, les morts, la politique cela doit compter quelque part, non ? Ses années, elles ont été trop longues pour qu'il ait seulement trente-deux ans.

L'uniforme galonné de broderies d'or est riche, lourd et raide. Un jour, Jean a été un adolescent qui ne rêvait que d'une vie confortable et opulente. Un jour, Jean a rêvé de porter ce genre d'uniforme. A présent, il se demande avec angoisse comment il utilisera efficacement la manœuvre tridimensionnelle avec un tissu si peu souple et il s'agace de ces galons inutiles qui conviendraient mieux à une robe. À présent, Jean ne pense plus à vivre mais à survivre, parce qu'il sait ce qu'il y au-delà des Murs et il sait aussi ce qu'il y a en dedans.

À Sina, Historia règne et dans les villes appâts, des gouverneurs de confiance sont chargés d'organiser la résistance. On attend une vague monstrueuse de titans, conduits par des titans plus intelligents, des titans shifters. Des humains, en fait mais qui sont dans un autre camp. Dans le camp des monstres.

(Jean essaie de ne pas penser aux Brigades Spéciales, à tout ce qu'il a vu, entendu, fait. Il essaie de ne pas penser que ce sont peut-être eux les monstres.)

(Il essaie de ne pas penser à Reiner, qu'il admirait un peu malgré lui pour ses qualités de leader, à Berthold qui était toujours si patient même avec ce débile de Jäger.)

(Ne pas penser, ça ne marche pas plus que les couvertures.)

Utopia est au nord, et normalement les titans viennent du sud. Ce qui fait qu'Utopia sera probablement ou la première cible, un effet de surprise, ou bien la dernière, lorsque tout le reste sera tombé.

Jean espère que ce sera le premier cas de figure. Il a l'égoïsme des vieux qui ont vu trop de gens mourir et même s'il crève de peur, à mourir pour mourir, il préfère le faire avant d'apprendre que les rares amis qui lui restent, merde, ça fait mal de compter Eren Jäger comme un ami, sont morts pour la cause d'une Humanité qu'il n'est pas sûr de vouloir défendre mais qu'il défend tout de même parce qu'il ne lui reste rien d'autre.

La journée, comme la veille, comme l'avant-veille, est lente et monotone. La tâche de gouverneur militaire lorsque la ville, ou plutôt lorsque le pays, est placée sous loi martiale inclut aussi une fonction administrative même s'il a l'aide du prévôt des marchands et de l'ancien maire, qui officiellement a démissionné mais dans les faits a été déposé. L'homme est petit et sec, toujours vêtu de noir, avec un air de corbeau qui n'aurait jamais mangé à sa fin alors qu'il est un des citoyens les plus riches de la très riche Utopia. Il déteste et méprise Jean mais il aime sa ville plus qu'il ne hait l'armée et les Bataillons, alors il serre les dents et il collabore. Quelque part, ça fait sans doute de lui un homme de bien.

C'est lui qui tranche la plupart des affaires, bien plus au fait que le brun de l'administration en général et du fonctionnement d'Utopia en particulier. Jean lui s'occupe du rationnement, des réserves, des plans d'évacuation si Rose tombe.

(Quand Rose tombera.)

(Reiner qui aidait toujours ses compagnons à se relever lorsqu'ils tombaient, prenant sur lui la part de travail des autres avec un sourire et un mot d'encouragement.)

(Reiner qui pendant cette première et terrible expédition a révélé à Annie la position d'Eren en sachant qu'il condamnait tous les soldats des Bataillons qui le protégeraient.)

Jean s'occupe d'essayer de limiter les dégâts de la catastrophe imminente quand les autres s'occupent de vivre au quotidien et il sent sur lui peser la haine des habitants qui ne comprennent rien. Qui n'ont jamais vu de titans. Qui connaissent bien trop les méthodes des Brigades et la réputation des Bataillons pour avoir confiance en un gouvernement de militaires.

Utopia gronde mais Utopia obéit parce que Jean tue des titans et si c'est nécessaire pour accomplir les ordres qu'il a reçus, Jean tue aussi des hommes.

En contemplant par la fenêtre la ville dans sa blancheur de neige aux ombres d'un gris de spectre, Jean se souvient qu'il a un jour voulu n'être qu'un membre de plus de cette administration. Il a finalement choisi un autre chemin, pavé d'ossements, cimenté de sang, lavé de larmes et le voilà pourtant à faire la sale besogne des Brigades.

Sa seule consolation c'est que s'il n'est pas devenu un idéaliste comme l'autre crétin suicidaire, au moins il ne s'est jamais rabaissé à se laisser corrompre.

L'atmosphère est chaude à l'hôtel de ville où il vit mais lorsqu'il frôle un des carreaux, il sent le froid. Pour lui, presque un enfant du sud, c'est une torture qu'il ne connaissait pas. Sous le tissu épais de l'uniforme, il frissonne mais il le dissimule. Il lui a fallu du temps pour apprendre la dignité. Ça ne sert pas à grand-chose d'ailleurs mais c'est le jeu auquel il joue. Auquel d'autres jouent pour lui plutôt car il n'est qu'un pion mais il accepte ce rôle sans amertume. Et puisqu'un gouverneur militaire doit être digne et maintenir l'ordre, il en sera ainsi.

Quand les titans arriveront, les titans intelligents, ceux qui les ont trahis et savent passer les Murs, que ce que cela pourra bien faire la dignité ? Est-ce qu'ils savent, le chambellan, le prévôt, l'ancien maire, son ordonnance, qui n'a jamais fait une seule expédition au-delà des Murs, qu'un homme se chie dessus lorsqu'il meurt ? Qu'il hurle, pleure et supplie et que ses os craquent tout de même dans la mastication lente et consciencieuse de ces larges monstres aux faces toujours souriantes ?

Il est midi passé de deux heures quand on lui annonce un messager spécial de la capitale et moins de trois minutes plus tard, suant malgré le froid et avec un uniforme dépenaillé qui rendrait certainement fou le capitaine Levi si le capitaine Levi était encore vivant pour le voir, le messager est là et le cœur de Jean bat comme s'il était adolescent même si ce n'est pas tout à fait cet émoi-là. C'est à la fois plus enfantin et plus adulte, ce qui le secoue à la vue de ces yeux bleu d'été, un bleu encore plus beau sous ce ciel trop blanc qui neige depuis trois jours, dans ces cheveux de soleil, sales et pourtant plus brillants que l'astre diurne.

« Gouverneur, » dit Armin en s'inclinant, et c'est drôle parce qu'Armin est cent fois plus intelligent que lui, et que tout le monde sait qu'il est le bras droit du commandant Smith mais techniquement, son grade est tout de même inférieur à celui de Jean.

C'est drôle, parce que dans la partie où Jean n'est qu'un pion, Armin est un des maîtres du jeu et c'est lui qui a ployé le genou.

Immédiatement, Jean l'entraîne dans son bureau, sans avoir à se soucier des civils car après tout Armin est un militaire comme lui. La seule parole qu'il a, c'est pour ordonner à un serviteur de préparer un bain et d'apporter de la nourriture.

Armin le suit en silence, d'un air parfaitement docile mais dès que la porte de bois massif du bureau, plus petit et confortable que la salle d'audience où il a été reçu, s'est refermée sans un craquement sur eux, il se laisse tomber sans cérémonie sur une chaise, avec un lourd soupir de satisfaction.

« Merci. Je peux te dire que le bain sera le bienvenu. Je sens le cheval que c'est une horreur. »

Un sourire entre eux deux, et avec un peu de malice, quelque chose comme un reste d'innocence et de jeunesse, l'écho fantomatique d'un temps plus heureux que Jean n'aurait jamais cru regretté, Armin ajoute : « Si Eren était là, il dirait qu'avec une tête comme la tienne, ça ne risque pas de te déranger… »

Il y a un silence, confortable. Le feu brûle avec le pétillement des bûches bien sèches. Le reste du monde est noyé dans le silence blanc. Armin semble presque somnoler, comme s'il allait glisser dans le sommeil d'un instant à l'autre. Jean hésite à parler, à troubler cette quiétude. Il sait bien que si c'était important, Armin ne serait pas si calme, mais malgré tout c'est Armin, si proche, qu'il n'aurait qu'à tendre la main pour le toucher.

Il ne peut pas, un serviteur va arriver dans quelques minutes pour apporter de quoi se restaurer.

Il ne peut pas le prendre dans ses bras, le couvrir de baisers, le caresser, lui dire qu'il lui a manqué même si c'est vrai et qu'il ne se souvient pas avoir jamais voulu quelque chose avec autant d'intensité.

Pourtant, il se contente de le regarder en silence, de détailler ce visage qu'il connaît parfaitement, dont il rêve si souvent et il essaie de ne pas se demander s'il l'aime.

Parce que s'il l'aimait, il voudrait savoir si Armin l'aime en retour et Jean a appris à choisir ses combats. Il sait que dans la vie du blond, il y a Eren et Mikasa et même s'il ne comprend pas pourquoi, il sait qu'il y a entre eux trois un lien qui dépasse les liens du sang, celui du sang partagé et du sang versé. Il sait que s'il essaie, il perdra cette bataille.

Dans son uniforme fatigué, avec son visage qui a perdu ses courbes de l'enfance, avec ces cernes qui sont le prix de beaucoup de nuits de veille, avec ses paupières closes aux cils clairs qui ne font presque pas d'ombre sur sa peau, Armin est beau.

Quelques instant plus tard, un serviteur entre avec un plateau et un solide repas, pas aussi raffiné que Jean l'aurait voulu, mais Armin qui est passé presque instantanément de cet état de presque sommeil à une attitude parfaitement alerte commence à manger son ragoût et à boire son thé brûlant avec une avidité qu'il pourrait trouver drôle parce que ça ressemble un peu Sacha si Jean pouvait encore sourire lorsqu'il pense à la jeune fille gloutonne qui venait de tuer à elle seule quatre titans et n'a pas vu le cinquième.

Armin parle enfin. Il est là pour une simple tournée d'inspection. Il vient prendre la température de la population, les esprits s'échauffent quand l'hiver est long et surtout que le rationnement à l'ordre du jour.

Certaines paroles ne sont pas dites, malgré l'intimité relative du bureau, qui sait qui pourrait écouter ?, mais il y a des regards, des gestes et Jean comprend que la situation est bien plus grave qu'il n'y paraît.

Que ce n'est pas pour rien que le blond vient en personne sur le terrain, qu'il court la campagne dans le froid et Jean se demande depuis quand Armin a dormi pour la dernière fois.

Il se demande aussi où est passé l'enfant pleurnicheur et faible physiquement dans ce colosse blond qui le dépasse de quelques centimètres, et brièvement il se sent perdu et triste, comme un vieillard, en ressassant un passé où pourtant, Armin l'insupportait.

« C'était délicieux, déclare Armin en repoussant le plateau. Et je te remercie pour le bain. Dès que j'aurai fini de me laver, je file me coucher. Tu as bien un lit à me donner ?

─ Ah, nous sommes un peu à court de lits. Je crois que je vais devoir te prêter le mien.

─ C'est une invitation ? demande Armin avec un sourire qui donne des frissons à Jean, des frissons froids et brûlants à la fois.

─ Absolument pas. C'est un ordre. C'est le rationnement après tout, ajoute-t-il d'un ton très vertueux, et ça économisera le chauffage d'une chambre supplémentaire. »

Et ils sont presque deux gamins complices, grandis trop vite, et alors Jean se dit qu'Armin le désire sans doute autant que lui-même le désire et que peut-être, il pourra se contenter de ça, de passer après Mikasa et Eren s'il est le seul avec qui Armin partage son lit.

Finalement, et le blond ne manque pas de demander si c'est aussi par souci d'économie, ils sont deux à prendre un bain, et le gouverneur militaire laisse les affaires de l'après-midi pour un autre jour.

Il est revenu au temps de sa jeunesse, où il était perpétuellement excité, et rien ne l'intéresse, rien ne compte, que le corps d'Armin, et ses baisers et ses caresses et sa chaleur qui dissipe le froid d'Utopia, et ses cheveux de soleil et ses yeux de ciel bleu qui lui font oublier tout ce qu'il hait de cette ville et de cette vie.

« L'utopie, » murmure plus tard Armin alors qu'ils sont côte à côte mais dans le lit cette fois, alanguis et fatigués, « c'est un lieu parfait qui n'existe pas. Je me demande pourquoi ils ont appelé cette ville comme ça. »

Tout bas, Jean pense que c'est parce que parfois, les déesses ont des accès de clémence, et qu'il existe des moments comme ça. Des moments où la peau d'Armin est si près de la sienne qu'il en sent la chaleur, où ses cheveux sont sur l'oreiller près de lui et où sa main repose nonchalamment sur sa hanche. Comme un enfant qui croit aux contes merveilleux, Jean se dit que finalement, les utopies existent quelque part. Et que si ce n'est pas quelque part, c'est que c'est quelqu'un.

« Quand est-ce que tu pars ? » demande-t-il avec angoisse, supposant d'avance la réponse.

─ Demain matin.

─ Mais tu n'auras pas vraiment eu le temps d'examiner la situation.

─ J'ai mes sources, » se contente de répondre Armin en se tournant vers lui avec un sourire et Jean comprend qu'il a des espions jusqu'à Utopia dont lui-même ne sait rien, et il ne s'en offense pas et il pose ses lèvres sur ce sourire pour en manger un petit peu et le garder lorsqu'Armin sera parti.

Parfois il est si petit face à l'intelligence d'Armin. Il le sait et il s'en accommode. C'est un peu de la sagesse qui lui est venu avec l'âge.

« Mais tu restes avec moi jusqu'au matin, n'est-ce pas ? »

Sagesse enfuie, le voilà de nouveau enfant, de nouveau espérant que s'il rabat sur eux les couvertures, ils pourront se couper du reste d'un monde trop blanc et trop froid où Armin risque de s'éteindre comme ce sont éteints tant de leurs compagnons.

« Jusqu'au matin, » murmure Armin contre sa bouche et ses doigts qui n'ont rien de doux tracent sur sa peau des caresses plus soyeuses qu'une brise d'été.

Lorsque Jean se réveille au matin, la place près de lui est encore chaude, mais le lit est désert et il lui semble entendre dans la cour le bruit des sabots d'un cheval qui s'éloigne au galop.

Jean est vieux du poids des morts et de la solitude.

Lorsque son ordonnance lui apporte son eau chaude, l'homme qui le regarde dans le miroir a l'air d'avoir une trentaine.

Une trentaine malheureuse et sans amour, lourde de morts et des deuils, lourde de l'absence.

Il voudrait bien retourner se cacher sous les draps mais il est trop vieux dans cette ville silencieuse et dans cette vie vide.

Les monstres viendront tout de même, titans mangeurs d'hommes ou homme blond mangeur de cœur.

Dehors, encore, toujours, il neige sur Utopia.

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