Le jour où elle est née, elle s'est d'abord éveillée au riche parfum d'un tapis de feuilles mortes recouvrant l'humus. Son oreille contre le sol, elle pouvait entendre clairement la minuscule vie végétale et animale qui grouillait, cachée dans les profondeurs.

C'était l'heure entre la nuit et le jour, là où les créatures nocturnes se terrent et se cachent pour laisser place aux cris des oiseaux du matin.

Elle ouvrit ses yeux, ses pupilles rouge sombres et lumineuses, pareilles à des mares de sang.

La terre, les feuilles brunes, là juste devant ses yeux, et plus loin, l'encerclant, des troncs sombres et larges entourés d'une brume grise fantomatique. Ses doigts pâles et terreux, aux ongles crassés, étaient furieusement enfoncés dans le sol.

Quand elle avait eu ce mouvement et pourquoi, elle l'ignorait.

Elle les décrispa.

Elle s'accroupit, et tourna son visage vers le haut, le cou allongé comme un enfant trop petit pour voir, et se rendit compte que les arbres montaient au ciel, leur cime infinie, alambiquée et belle comme le plafond d'une cathédrale.

Une cathédrale...Elle ne savait même pas ce que signifiait ce mot, mais il semblait apte à la description.

Un battement de paupière lui rendit le fin souvenir d'avoir été en souffrance pendant ce qui semblait avoir duré une éternité et une seconde. Mais cela comptait plus. A part une étrange âpreté au niveau de la gorge elle ne ressentait plus de douleur, au contraire, la vivacité qui habitait son esprit et son corps était grisante.

Son esprit était une toile vierge ne demandant qu'à absorber la richesse des couleurs du monde. La curiosité l'habitait, tout ses sens affutés comme une lame.

Elle s'éleva, sa robe blanche et couverte de cendre et sa peau pâle en fort contraste avec l'obscurité de la forêt.

Elle se mit à marcher pour la première fois, sans chanceler, ses pieds nus foulant la terre avec la légèreté d'un fantôme, sa silhouette s'éloignant du tapis de feuilles où elle était née, pour explorer la profondeur de ce nouveau monde.