Sur quel pied danser
« Encore à regarder les humains ? »
Gabriel leva les yeux vers le visage vaguement réprobateur de son frère – oh, ce n'était pas facile à discerner, mais le Messager le connaissait bien, son Raph. Sa bouche se pinçait de la manière exacte pour quand il voulait exprimer sa déception, le type je-croyais-que-tu-pouvais-mieux-faire ou il-y-a-tout-de-même-plus-constructif-pour-passer-le-temps.
Si Gabriel avait été occupé à se bourrer de gâteaux en douce ou à mijoter un énième tour pendable, à la rigueur, il aurait pu comprendre. Mais là, il ne faisait rien de mal.
« Pourquoi tu tires la binette ? Les humains, c'est pas méchant. »
Et, oh, le pli de la bouche venait de s'accentuer. Gabriel en éprouva une nette surprise.
« Raph, tu sais qu'ils sont pas méchants. La preuve, Papa nous a dit qu'il fallait les aimer. »
« Je me demande bien pourquoi » commenta le médecin céleste, employant un ton qui coupait l'interlocuteur comme un rasoir acéré enduit de jus de citron.
« Ils sont fragiles, tu sais. »
« Parce qu'ils se tuent les uns les autres. »
« Pas tout le temps. Et ils font des choses intéressantes. »
« Se barbouiller de caca, tu veux dire ? »
« Pas seulement. Ils peignent les murs, c'est magnifique. Tu les as vues, leurs fresques ? »
« Je veux pas en parler. »
« Mais c'est pas méchant, à la fin. »
« Mais je sais plus quoi penser ! »
Raphaël avait pratiquement crié cette dernière phrase, ses yeux lançant des éclairs – littéralement – et ses joues rougissant sous l'effet de la colère. Gabriel sentit ses plumes se hérisser malgré lui.
« C'est pourtant simple » répondit-il prudemment.
« Non, ce n'est pas simple du tout ! » s'énerva le guérisseur. « Tes humains chient dans tous les coins, ils violent leurs enfants ou leur cassent la cervelle, et ils dessinent à merveille et pleurent quand leurs frères et sœurs meurent, et je ne sais pas comment je dois me conduire ! »
« Sois gentil avec eux. C'est bien la consigne, non ? »
« Je peux pas ! Ils sont trop inconstants ! Je ne peux pas être gentil alors qu'ils risquent de jouer un tour de cochon la minute d'après ! »
Ah, c'était ça le problème, alors. Raphaël était maniaque au dernier degré, ce qui l'affligeait d'une tendance regrettable à vouloir contrôler autrui. Ou du moins, il attendait une certaine conduite de la part de son entourage. Dès que quelqu'un s'écartait du script, l'Archange brun sombrait dans l'attaque de panique.
Une race aussi imprévisible que les humains ne pouvait que le rendre dingue.
Gabriel sourit.
« Vois le bon côté des choses, avec eux, on ne s'ennuiera jamais ! »
« Dis plutôt toi. Bien sûr que tu les aimes, espèce de pile électrique alimenté au café ultra-noir ! »
L'insulte loufoque et le ton dégoûté du médecin firent éclater de rire le Messager.
