Apparences

Chapitre 1

Soir de première

_1.

La soirée s'annonçait pénible, longue et ennuyante. Ce genre de soirées où on risque de tomber sur plus de nuls que d'êtres moindrement intelligents. Et malheureusement pour Séto Kaiba, une soirée qu'on ne peut refuser quand on est le grand patron d'une multinationale aussi importante que la Kaiba Corp. Il faut savoir faire acte de présence.

D'abord, il avait assisté à une réunion entre dirigeants de compagnies dans une salle privée de ce grand hôtel 5 étoiles, à l'abri des regards curieux. Puis, comme s'ils avaient tous de nouveaux contrats à célébrer, les festivités s'étaient déployées dans l'immense salle de réception, chacun y levant un verre – plusieurs – et tentant de corrompre ou de courtiser les femmes et les services des autres.

Kaiba ne regretta pas d'être aussi avisé en matière de femmes et d'argent. De cette façon, il n'aurait pas à s'en inquiéter à tout moment. Et puis, s'il lui arrivait de désirer un peu de compagnie féminine, rarement cependant – et contrairement à la majorité du plus commun des hommes – il s'en gardait loin, croyant que ce n'était là qu'une perte de temps et un investissement purement et totalement inutile.

Il avait déjà tout ce dont il avait besoin : la gloire, la fortune, la célébrité, le charme et surtout son petit frère qu'il adorait tant. Petit frère qui devenait aussi grand que lui, à son grand regret.

Alors, qu'aurait-il donc pu désirer de plus ?

Kaiba était un jeune homme de 23 ans, entièrement satisfait.

Il s'y était donc rendu par pure obligation, détestant tout ce qui touchait de près ou de loin à ce qui ressemblait à une fête. Il s'était même promis d'en revenir le plus tôt possible.

Et puis tous ces faux-semblants lui faisaient horreur; chacun y allant de son baratin pour adoucir et endormir la confiance de l'autre alors que la seconde d'après, il brandissait un poignard bien au-dessous de sa gorge. De véritables serpents, continuellement entortillés autour de quelqu'un.

Kaiba savait qu'étant l'homme le plus riche et le plus puissant du Japon, il était celui qu'il fallait abattre. Aussi, il demeurait constamment sur ses gardes, ce qui lui évitait de très désagréables surprises.

Il y avait moins de 20 minutes qu'ils étaient dans la salle que déjà M. Kinomoto se traînait sous les tables – sous les robes plutôt – à moitié échaudé par les verres qu'il engloutissait à un rythme effarant.

« Quel minable… »

Bien qu'il était le plus grand distributeur de ses jeux virtuels, Kaiba n'aurait eu aucun remords à le sortir lui-même de la salle s'il n'avait pensé à l'odeur pestiférée que cet abruti devait dégager. Et puis, bien entendu, ce n'était pas à lui à y voir personnellement.

- « C'est un honneur et un plaisir de faire des affaires avec vous, M. Kaiba » dit Shikuru, l'un des présidents les plus influents dans le domaine des puces électroniques.

« C'est ça…un honneur et un plaisir… » pensa Kaiba , irrité par ces paroles dénuées de sincérité. « Le blabla habituel…pauvre nul. »

Kaiba en était encore à donner ses directives lorsqu'une voix, suave, très agréable, s'éleva dans la pièce. Bien qu'il ressentit une légère curiosité, bien naturelle, à essayer de percevoir d'où elle provenait, il s'en retint, ne désirant lui porter aucune véritable attention.

Il avait compris qu'un petit concert improvisé avait commencé pour distraire les invités.

D'abord, les voix dans la salle avaient baissé leur volume puis quelques murmures s'étaient égarés. Puis, plus rien, plus un bruit, comme si le temps s'était arrêté. Ils paraissaient tous accrochés aux lèvres de l'artiste qui chantait tranquillement, complètement hypnotisés.

Devant ce silence étonnant, dont Kaiba ne s'aperçut que quelques instants plus tard, il avait malgré lui laissé son regard glisser vers l'objet de leur fascination. Même Shikuru lui avait tourné le dos si vivement que Kaiba n'avait eu d'autres choix que de relever les yeux vers la scène, stupéfait de ce vif manque de respect à son endroit. Mais à la toute dernière seconde, et bien qu'il eut ouvert toute grande la bouche, il se retint de hurler son mécontentement.

Des fourmis. Des centaines de fourmis semblèrent lui parcourir le corps une fraction de seconde et l'obligèrent à s'inspecter d'un rapide coup d'œil discret. Il n'y avait rien. Son sens pratique le ramena bien vite à la raison; de la statique à l'intérieur de ses vêtements. Il ne s'en était tout simplement pas aperçu avant, trop affairé à surveiller ses arrières en cette soirée manifeste.

Ou encore, quelqu'un avait peut-être ouvert une porte, ou peut-être plusieurs s'il se fiait aux picotements étendus sur son épiderme. Cet autre coup d'œil aux alentours l'amena à se rendre compte de la présence d'une femme qui, tapie dans un coin d'ombre un peu plus loin, le guettait depuis un petit moment déjà.

Elle avait profité de son manque de vigilance pour se glisser non loin de sa personne.

Elle était grande, blonde, extrêmement coquette, vêtue d'une robe rouge vif qui laissait apercevoir le trois-quart de sa poitrine très galbée. Fausse certainement.

Et de tous les hommes de la soirée, Kaiba s'avéra être sans doute le plus intéressant d'entre tous, sinon le plus séduisant. Il se savait plaire à la gent féminine bien qu'il n'y voyait toujours aucun intérêt.

- Bonsoir, M. Kaiba…

Elle laissait traîner ses mots d'une manière langoureuse laissant présager la possibilité un moment intéressant.

Pris de dédain, il ne se donna même pas la peine de répondre mais ne manqua pas de poser un regard hautain sur sa plantureuse personne.

« La catin de Shikuru…»

Bien sûr, il le savait déjà ce qu'elle voulait. Il en était convaincu : cette femme devait avoir passé la moitié des hommes du Japon dans son lit. C'était un secret de polichinelle et voir son allure lui en confirma la rumeur.

- « La soirée est très réussie, vous ne trouvez pas ? » demanda-t-elle.

Kaiba l'ignora et s'intéressa plutôt à ce mystérieux silence qui régnait toujours dans la salle.

Curieux. Vraiment curieux.

Plus personne ne le regardait lui. Comme s'il n'existait plus. Comme s'il avait disparu.

Voilà bien longtemps qu'il n'avait pas ressenti une telle impression. L'étrange sensation de ne subir aucune contrainte de la part d'un public dévoué à ses moindres caprices, à ses moindres réactions. Pas qu'il eut envie de s'en plaindre. Au contraire. Mais cela sortait clairement de l'ordinaire.

Une fois de plus, son regard dévia vers la foule puis vers la scène.

« Qu'est-ce que… »

Mme Shikuru se froissa de cette attitude indifférente.

- Ah! cette…petite…pimbèche… siffla-t-elle entre les dents, assez bas pour ne pas se faire entendre de Kaiba.

L'artiste n'était pas d'une beauté esthétique conventionnelle; pas de maquillage prononcé – il aurait même juré qu'elle n'en portait pas tant il était léger. De jolis cheveux brun foncé retombaient sur ses épaules jusqu'à la moitié de son dos et un regard noir d'ébène surplombait l'assistance. Elle était vêtue d'une robe sombre très simple et légèrement moulante. Rien d'exagéré dans ce tableau. Ni rien de provocant. Mais tout dans sa personne, et Kaiba fut intimement persuadé que cela faisait partie de son charme, reflétait la simplicité et la beauté même.

Son visage et ses traits ne laissaient personne indifférent. Et malgré le commun de cet aimable visage, et bien qu'elle passerait totalement inaperçue dans une foule, tout le monde s'en souviendrait fidèlement dans dix ans, y compris lui-même.

Et puis cette voix… si douce…si sensuelle, qu'il aurait normalement détestée entendre sous prétexte qu'elle tombait trop dans le guimauve, fascinait son ouïe exercée aux pleurs, aux cris et aux longues litanies.

Il n'en fallut que de très peu pour que lui, le grand Séto Kaiba, ne sente fondre son cœur à son tour si son extraordinaire contrôle de lui-même et cette logique froide ne s'étaient pas dépêchés de le secourir au dernier instant pour le ramener sur la ligne droite.

Et puis, il y avait quelque chose dans cette créature qu'il n'avait jamais eu l'occasion de ressentir ailleurs, quelque chose d'assez spécial pour que le grand Séto Kaiba daigne bien lui accorder une seconde aussi longue.

Il avait, évidemment, clairement entendu le soupçon d'agression dans la voix de Mme Shikuru mais il l'ignora délibérément, bien qu'une part de lui se révoltait à l'entendre insulter cette jeune femme. Peut-être parce qu'elle n'était pas là pour se défendre? Il se montra donc clément et ferma les yeux sur cette vilenie gratuite.

Cependant, elle n'en resta pas là, déterminée à chasser l'image de cette misérable créature chantante dans le regard du beau Kaiba. Perspicace, elle voulut le décourager de poursuivre son enquête visuelle.

- …Il paraît… commença-t-elle sur un ton légèrement méprisant.

« Il paraît? » se moqua silencieusement Kaiba qui l'écouta poursuivre.

- Enfin… reprit-elle. On dit que c'est une … croqueuse d'hommes… !

Kaiba fut saisi d'un sursaut de colère mais qu'il dissimula adroitement.

C'était plus fort que lui; il devait et allait la remettre à sa place. Pas parce qu'elle avait eu l'audace de salir une femme si exquise qu'elle-même ne pourrait jamais rêver d'être en mille ans. Mais parce qu'elle osait dépeindre ses propres défauts sur les autres sans assumer les siens. Et cela irrita Kaiba au plus haut point. D'autant que cette traînée n'aurait jamais la classe de cette simple artiste, malgré les millions de son mari.

De toute sa grandeur, il plongea directement dans son regard, tranchant de dérision :

- Tiens donc!

Son sourcil gauche s'était relevé, dénotant ainsi l'agacement majeur dont il était la proie.

Visiblement, elle ne sembla pas saisir l'allusion. Du moins, n'y prêta-t-elle pas attention.

« Pfff! Complètement stupide… » pensa Kaiba.

Il y a vraiment trop de monde ici, dit-elle encore. On pourrait peut-être…

« Beurkkk »

Il fut saisi d'horreur. Ça en était trop.

Cette fois, il répugna à la seule pensée de se retrouver seul dans la même pièce qu'elle.

- Même pas la peine d'y penser! dit-il sèchement en tournant les talons, et en la laissant stupidement plantée au milieu de la salle pour aller s'asseoir un peu plus loin dans un coin retiré.

« Quelle garce! »

À nouveau, son regard dévia vers la scène.

« Mais elle…par contre… elle…»

Kaiba ne put empêcher un mince sourire de glisser sur ses lèvres, pris d'un désir soudain et très violent, bien que ce genre de désir ne s'emparait jamais de sa personne, la tête ayant toujours plein contrôle sur le reste du corps.

Bien sûr, il lui était déjà arrivé d'assouvir ses instincts primitifs. Il s'y était prêté à quelques reprises, de quoi tenter l'expérience et essayer de comprendre à quoi le plus commun des mortels pouvait bien y faire et y ressentir en plaisir superficiel. Mais jamais aucun intérêt n'avait su franchir la ligne du cœur.

L'amour n'était qu'un mot banni de son dictionnaire. Totalement inexistant dans ses plans de carrière. Un mot stupide. Et complètement absurde.

Il s'étonna lui-même, désemparé de ne pas garder le plein contrôle de ses émotions devant cette simple femme, aussi ravissante fut-elle. Mais son esprit se perdit d'abord dans la curiosité qu'entraînait cet écart de conduite dans son comportement fort inhabituel de sa part.

D'ailleurs, il ne saisissait pas très bien d'où provenait un tel engouement collectif pour sa personne.

Bien sûr, elle chantait sublimement.

Bien sûr, elle était magnifiquement belle; personne, pas même lui n'aurait pu le nier effrontément.

Pourtant, presque dédaigneux, il se força à balayer son souvenir.

Cela n'avait, après tout, absolument aucune raison d'être.

À nouveau, son attention fut retenue par M. Kinomoto, quelques instants plus tard.

Il poursuivait de ses avances cette même artiste qui venait tout juste de sortir de scène.

J'aimerais beaucoup vous connaître mieux ma chère…vous êtes si séduisante… lui disait-il sans retenue.

Elle ne rougit même pas de son commentaire, visiblement indifférente et tout occupée à essayer de se frayer un chemin vers la sortie. Mais elle garda une politesse courtoise malgré l'impatience qui paraissait vouloir gagner ses joues.

- M. Kinomoto, je vous remercie une fois de plus mais ma réponse est et sera toujours non, lui répondit-elle.

« Pour une croqueuse d'hommes… elle n'est pas très douée » pensa Kaiba, légèrement amusé de la scène. Oser repousser le deuxième homme le plus riche du Japon n'était pas une mince affaire. Et elle, elle se le permettait. Oubliait-elle tous les avantages qu'elle connaîtrait à le fréquenter ?

À nouveau, un étrange sentiment s'empara pourtant de Kaiba qui s'était levé de table machinalement, fixant toujours son beau regard bleu dans leur direction. Il avait beau s'en amuser au départ mais maintenant l'insistance de Kinomoto l'irritait.

Devenu presque frénétique, ce denier avait saisi le poignet de la chanteuse dont le visage demeurait inflexible. Seul Kaiba s'aperçut d'une nuance bien particulière sur le visage de la jeune femme. Une teinte d'un beau rouge sombre se pointait sur ses joues.

Et il aurait juré que ce n'était pas de la gêne mais plutôt de la colère retenue.

- M. Kinomoto. Je vous prie de me lâcher. C'est assez, l'avertit-elle.

Curieusement, Kaiba lutta pour ne pas intervenir, devenu presque furieux. Il ne comprenait pas très bien ce qui le poussait à désirer autant intervenir et la protéger. Peut-être comprenait-il qu'il serait probablement le seul être dans l'assistance à pouvoir se permettre de replacer cet homme trop fringant?

Non.

Une forme de jalousie? À la seule pensée qu'un type pareil pourrait poser ses mains sur cette silhouette plus qu'agréable…

Non.

Il demeurait figé sur place, ne comprenant toujours pas tout ce qui traversait exactement son esprit. Mais le geste de Kinomoto l'ennuyait au plus haut degré.

- Sinon quoi? se moqua Kinomoto qui la mettait au défi de se défaire de lui.

« Quoi? »

Autour d'elle s'était édifié un mur si imprenable que même Kaiba ressentit chez elle un étrange sentiment de force et de puissance.

- Sinon…je vais vous faire avaler votre verre… lui siffla-t-elle entre les dents dans un dernier avertissement, avec plus qu'un simple semblant de menace.

La foudre s'était retranchée derrière son magnifique regard noir et il promettait d'en sortir à tout moment.

Kinomoto sursauta vivement, lâchant son emprise bien incertain qu'elle plaisantait ou non.

Même un long frisson glacé traversa la colonne vertébrale de Kaiba.

« Des nerfs d'acier…intéressant. »

Plus que jamais, il se demanda s'il allait intervenir. Mais à nouveau, ses pas restèrent cloués au sol.

Enfin, un peu de paix revint le hanter lorsqu'il la vit quitter la salle, seule, laissant Kinomoto stupéfait derrière.

Un long moment s'écoula encore avant que Kaiba ne se décide à quitter à son tour.

- « Oui, monsieur? » demanda un homme qui s'était penché vers lui à son geste.

- « Faites venir la limousine…derrière »

_2.

Kaiba préférait, par là, éviter tout journaliste potentiel à la sortie de l'hôtel. Et il se laissa conduire là où le chauffeur lui ouvrit la portière.

Il allait monter dans la voiture lorsque six hommes, surgis de nulle part, se précipitèrent sur ses deux gardes du corps, sous ses propres yeux, et n'eurent pas le temps de se défendre tant l'assaut fut rapide.

L'un d'eux força Kaiba à s'immobiliser sous la menace d'un revolver pendant que les autres achevaient d'assommer ses gardes et le chauffeur, le laissant complètement isolé.

Un grognement de colère remonta jusqu'à ses lèvres.

_3.

Comme à chaque soir, elle emprunta la porte de derrière, celle qui débouchait directement sur la ruelle, mais arrêta ses pas devant une curieuse scène qui se déroulait sous ses yeux.

Un grand homme, vêtu d'un grand manteau bleu nuit, était encerclé par des agresseurs. Il semblait chercher une issue, mais prêt à livrer le combat. Malgré l'agitation visible de la part des assaillants qui se plaçaient autour de lui, il restait d'un calme absolu.

Lorsque la porte s'était ouverte sur elle, l'un d'entre eux s'était aperçu de sa présence sur les lieux.

- Hé! Ma jolie! Passe ton chemin! lui dit-il avec une certaine menace dans la voix.

Mais elle ne bougea pas tout de suite, regardant le spectacle.

Pris au piège, Kaiba sauta sur l'un d'eux, parvenant à l'affaisser d'un coup de poing, suivi d'un deuxième, qui se releva avec rage. Kaiba esquivait rapidement les coups bien qu'ils commençaient à affluer de toutes parts. Il se débrouillait fort bien, aussi agile qu'un chat.

- Hé! T'es sourde? cria un autre homme à l'adresse de la jeune femme. Je t'ai dit de t'en aller! Alors dégage!

Elle ne broncha toujours pas; pire, elle ne le regarda même pas comme s'il ne s'était jamais adressé à elle ou qu'elle n'avait rien entendu. Toute son attention semblait concentrée exclusivement sur le combat qui faisait rage. Ou plutôt sur le combattant du milieu.

Fascinée, elle paraissait attendre. Comme si elle désirait voir comment ça tournerait, persuadée qu'il s'en sortirait même sans aide. Il était si séduisant. Irrésistible en fait. Et bien que ce ne fût pas le moment d'y penser, elle ne put se défaire de cette aura presque surnaturelle. Il y avait quelque chose chez lui de fort et si puissant qu'elle n'en détachât le regard qu'avec beaucoup de peine.

« Cœur de Lion »

Un sourire charmé s'était glissé sur ses lèvres.

Attention les mecs! Il nous le faut vivant… mais ne vous gênez pas pour l'embellir un peu… dit encore un autre en riant comme un mufle.

La lutte faisait rage. Un autre agresseur arriva et se mêla de la partie devant Kaiba qui, bien qu'en désavantage apparent, menait la bataille. Aucun n'arrivait à l'étendre au sol.

« Grr… Qu'est-ce qu'elle attend pour aller chercher de l'aide? » se demandait-il en apercevant à peine du coin de l'œil l'ombre de la silhouette de la jeune femme qui n'avait toujours pas bougé.

Mais il continua à se débattre et en envoyer au tapis, même s'ils s'obstinaient à se relever presque aussitôt.

C'est alors que l'un des assaillants, fort ennuyé par la présence de cette indésirable, décida cette fois de délaisser Kaiba pour s'en prendre à elle.

Ce dernier pressentit le geste de la brute et sursauta légèrement à cette pensée, mais il n'était pas en posture de courir la défendre, se retrouvant lui-même déjà trop engagé dans sa propre survie.

D'un pas décidé, le truand se précipita, élevant le bras pour le porter sur elle.

- Je t'ai dit… hurla-t-il.

Mais sa voix s'était éteinte au moment même où son corps embrassait le sol.

Deux de ses coéquipiers, dérangés par cette chute, se retournèrent.

Elle donnait pourtant l'impression, très sage, de n'avoir pas levé le petit doigt, le regard toujours fixe sur le combat de Kaiba. Mais ils étaient convaincus qu'elle y était pour quelque chose. Et la fureur leur monta aux tempes, déjà frustrés d'avoir autant de mal à se saisir de Kaiba seul.

Seulement, cette fois, elle ne leur donna pas l'occasion de poser la question et s'engagea volontairement au-devant d'eux avec un calme déconcertant et la grâce d'une ballerine qui poserait chaque pas sur le sol comme si elle marchait parmi des fleurs dans un champ sans désirer en écraser une seule.

Kaiba ne comprit pas tout de suite ce qui se jouait dans son dos mais fut content d'être allégé de quelques adversaires.

- Ah! Tu veux jouer les durs ma beauté? Et bien, on va jouer….et s'il me reste du temps… je te ferai ta fête…

Kaiba entendit clairement l'allusion bien qu'elle fut loin de lui plaire.

« Quoi? Grrrr…Je n'ai pas le temps de m'occuper d'elle en plus… »

Ils étaient maintenant coincés tous les deux.

Pour éviter qu'elle ne soit blessée, il devait d'abord se défaire de ses propres adversaires, ce qui n'était pas la plus mince des tâches.

À tout moment, il s'attendait maintenant à entendre un cri d'effroi. Mais ce cri ne vint pas.

La jeune femme fixait le type du regard, totalement insensible à sa remarque, s'arrêtant tout près de Kaiba qui ne la voyait toujours pas, affairé à cogner ce qui se trouvait devant lui ou ce qui tentait de le toucher.

L'homme vint pour s'en emparer mais elle esquiva avec rapidité, se retournant vivement pour le frapper coup sur coup à l'estomac puis à la tempe. Il s'écroula par terre à son tour.

L'autre, rendu furieux par cet affront, se précipita.

Kaiba aperçut enfin, d'un rapide coup d'œil, la silhouette de l'intruse terminer de mettre le deuxième K. O.

Cela expliquait pourquoi aucun son n'avait franchi ses lèvres. Pourquoi aussi elle n'était pas allée chercher du secours comme il l'avait espéré au début. Et il en fut davantage soulagé qu'étonné.

L'ombre se déplaçait avec autant d'agilité que de rapidité, bloquant et rendant les coups avec une force qu'il n'aurait jamais soupçonnée dans un si petit corps. Et sa force n'avait d'égale que sa précision.

À son tour, il cogna durement son adversaire qui échoua aux pieds de la jeune femme dans une longue roulade; il s'en inquiéta d'ailleurs, une fraction de seconde. Mais se vit aussitôt rassuré lorsqu'il l'aperçut sauter dans les airs avec grâce, évitant l'impact de ses pieds contre ce corps et conserver ainsi son équilibre comme si elle venait d'éviter un trou dans une chaussée.

« Redoutable… »

Mais comme si elle avait su d'instinct qu'il allait essayer de lui saisir la cheville, elle pivota sur elle-même, lui claquant son autre pied brutalement au visage faisant cogner sa tête sur le sol.

Ne restaient plus maintenant que deux agresseurs affairés à tenter de s'emparer de Kaiba; deux adversaires qui ralentirent soudain leur élan, s'apercevant qu'ils étaient les derniers de la troupe à être encore actifs.

La jeune femme, toujours aussi paisible, les regardait maintenant avec amusement et curiosité.

Puis, encore, elle se décida à avancer tranquillement vers eux.

Seul le regard qu'elle leur adressa leur permit de comprendre qu'elle n'avait absolument rien d'inoffensif.

Dans une dernière tentative, l'un d'eux délaissa Kaiba pour la menacer de son poing qu'elle esquiva à plusieurs reprises, sans le moindre effort, épargnant son énergie à sans frapper à tort et à travers. Elle connaissait les points stratégiques du corps humain, l'efficacité qu'elle démontra en ne frappant qu'une seule fois le prouva une nouvelle fois.

Sitôt fait, elle se retourna pour partir sans prendre la peine de regarder derrière elle alors que Kaiba terminait de se défaire de son dernier agresseur.

Rapidement, il fit le tour de la scène du regard pour s'assurer qu'il ne restait plus personne lorsqu'il vit l'un des hommes se précipiter derrière elle.

Il s'inquiéta qu'elle n'avait aucune chance de le voir et ouvrit même la bouche pour l'en avertir.

« Derrière toi! »

Mais comme si elle avait su, ou qu'elle avait deviné, son bras s'éleva rapidement dans les airs cognant son coude dans le ventre de l'homme qui arrivait sur elle en trombe, puis son poing se heurta à son visage, à deux reprises.

Il ne se releva pas.

Toujours, comme si rien ne s'était passé, elle continuait de hâter son départ de la scène.

Le visage de Kaiba s'était crispé dans un sourire épaté et à la fois admiratif. Qu'il s'assura qu'elle ne verrait pas.

- Attendez! ordonna-t-il dans sa direction.

Elle sembla hésiter à se retourner mais elle s'était immédiatement immobilisée à sa demande.

Puis enfin, elle se retourna. Et ce fut le choc.

De jolies petites tresses lui coiffaient la tête. On aurait dit une petite poupée chinoise de porcelaine aussi jolie et d'apparence aussi fragile. Bien qu'il ne l'en sous-estimerait pas. Mais ce n'est pas ce qui fit sursauter vivement Kaiba ni ne le ravit le plus. Ni qu'elle lui adresse à peine un regard avant de le quitter définitivement. Ce qui l'étonna résidait dans la similitude des traits de ce visage jusqu'à tout récemment inconnu.

Il restait là, estomaqué, pendant qu'elle s'éloignait, incapable de dire un seul mot. Mais sur son visage s'était glissé une mince ligne, un sourire charmé.

« Hummm… très…intéressant »

_4.

« Étrange. J'ai l'impression de l'avoir déjà vu quelque part…Il était probablement à la soirée, bien sûr. Ça doit être ça. Vraiment très…séduisant. »

D'un claquement de doigt, elle projeta bien loin d'elle cette pensée qui l'avait fait rougir un court instant mais le sourire qui s'éternisa sur ses lèvres prit du temps à disparaître.

_5.

« Non… ça ne peut pas être…cette femme… »

La limousine de Kaiba roulait en direction du manoir.

Le trajet lui laissa le temps suffisant pour revoir toute la scène en mémoire.

Mais comment aurait-il pu oublier ce visage?

Un sourire rempli de malice traversa le sien, accompagné d'un regard rempli de défi.

D'un geste brusque, il saisit son cellulaire.

- Séto Kaiba !

- Oui monsieur. Que puis-je faire pour vous ? s'empressa d'offrir la voix d'un employé de l'hôtel qu'il venait de quitter.

- Dites-moi, reprit Kaiba. Ce soir, à la réception, il y avait une femme, une chanteuse pour distraire…

- Oh! Oui monsieur. J'ose espérer que vous avez apprécié….

Mais Kaiba n'était pas intéressé par les longs discours.

- Son nom ?

- Oh! s'écria l'employé ravi de son intérêt. Elle s'appelle Naomi, monsieur, c'est son nom d'artiste… Elle…

- Quand doit-elle travailler à nouveau ?

- Ah…demain soir, monsieur, à 21 heures. Nous sommes ravis…

- Très bien.

Il avait déjà raccroché sans que le pauvre homme n'ait eu le temps de terminer la moindre de ses phrases.

Il allait faire une petite entrave à sa vie privée. Un petit « détour » sur son horaire chargé.

- Naomi … souffla-t-il avec enchantement, comme s'il venait de faire sa connaissance.

« Vraiment...très…très intéressant »

_6.

Il n'avait pas perdu de temps, penché sur ses dossiers à apposer sa signature ici et là et donné quelques ordres au travers. Cette étrangère piquait sa curiosité au plus vif. Plus encore : il lui semblait, soudain, qu'il serait agréable de dompter pareille bête sauvage. Dominer cette furie insaisissable.

Un véritable défi pour un être aussi ambitieux que lui. Dans quel but exact, il n'aurait su le dire correctement. Mais il allait se mettre à collectionner les trophées de chasse s'il le fallait.

Et la chasse avait commencé.

Des coups contre la porte le tirèrent de ses songes.

- Entrez!

Un homme à cravate entra, un dossier à la main.

- Ce que vous avez demandé, monsieur.

D'un geste brusque, Kaiba ouvrit la chemise.

- Ce n'est pas complet, le réprimanda-t-il.

- Non. Je sais monsieur. Mais nous tentons d'établir la communication avec les autorités de son pays. Ça ne devrait pas tarder, monsieur.

Kaiba fit peser un regard très sombre sur lui, complètement insatisfait.

- Faites vite.

Mais que s'imaginait-il donc ?

Qu'il pouvait ouvrir un dossier et y retrouver l'entière vie privée des gens? Sans aucun respect pour leur intimité?

Il n'en était pas à sa première intrusion.

Et puis, n'était-il pas le grand Séto Kaiba? Celui-là même qui pouvait tout se permettre ?