Substitute for Love 1
Le soir venait tout juste de tomber, et la taverne, bruyante et animée, était remplie d'hommes, quelques-uns fumant leur pipe et emplissant la place de fumée. Aramis était attablée à l'auberge embrumée du Cochon Fumant, une bouteille et un seul verre placés devant elle…
A la demande du prince Philippe, les mousquetaires avaient été chargés d'escorter Son Altesse jusqu'à Noisy-le-Sec, afin qu'il puisse enfin rendre un dernier hommage à son précepteur et à sa nourrice. Aramis, effrayée que sa famille la reconnaisse malgré son travestissement, avait exposé ses craintes à son capitaine. Ce dernier, ne voulant pas inutilement risquer de mettre l'honneur de la compagnie en péril, avait accordé à Aramis de ne pas faire partie de ce petit voyage, allant même jusqu'à lui faire simuler une blessure incapacitante.
En effet, plus tôt dans l'avant-midi, sous le regard d'autres mousquetaires, il avait demandé à la jeune femme d'échanger quelques coups avec lui. Un peu surprise de cette étrange demande, elle avait obéit sans s'objecter…jusqu'à ce que le capitaine ne la touche intentionnellement au flan. Elle avait poussé un faible cri avant de réaliser que la blessure n'était que très superficielle.
« Vous êtes blessé, Monsieur Aramis? » s'était écrié Tréville en s'approchant.
« Euh, ce n'est r-… »
« Quel maladroit je fais! Vous saignez abondamment…j'appelle mon médecin sur le champ ! »
« Mais monsieur, je.. »
« N'insistez pas! Je suis complètement désolé…avec une blessure pareille, vous ne pourrez nous accompagner à Noisy… »
Voilà donc comment Tréville avait réussi à inventer un stratagème pour garder Aramis à Paris. Il irait lui-même à Noisy, avait-il dit tout haut. Puis, derrière les portes closes, avait avoué à la jeune femme que s'il arrivait quelques désagréments concernant sa véritable identité, il pourrait y remédier sur le champ.
Aramis se versa un verre et soupira. Athos et Porthos n'avaient pu se souscrire à cette escapade…qu'arriverait-il s'ils en venaient à découvrir son secret? Perdrait-elle leur amitié?...Elle aurait voulu plus de temps pour leur avouer elle-même la vérité. Mais chaque fois que l'occasion s'était présentée, elle n'avait pu trouver le courage de leur dire. Même si c'était pour une bonne cause, elle avait déjà, en acceptant le brevet de capitaine, trahi leur confiance….lui pardonneraient-ils une seconde offense?
C'est pour cette raison qu'Aramis, nerveuse et déprimée, s'était mise à boire le contenu rubis d'une bouteille. Porthos aurait qualifié le vin de piquette du plus mauvais goût, mais la jeune femme en faisait fi : la quantité de vin à être ingérée importait plus que sa qualité et son prix. En autant que, ce soir, elle puisse tout oublier, le reste n'avait que peu de valeur.
« Et bien, que voilà mon ami le mousquetaire! » Une voix rauque mais gaillarde, légèrement teintée de sarcasme, ayant traversé l'auberge, Aramis leva les yeux. Le teint toujours aussi pâle, surtout avec ses vêtements sombres qui contrastaient avec la carnation de sa peau, et ce bandeau qui cachait son œil invalide, le comte de Rochefort, capitaine des gardes du cardinal de Richelieu, s'avança vers elle, la main sur la hanche, avec un sourire entendu sur les lèvres. « Depuis que vous n'êtes plus capitaine des mousquetaires – à ces mots, Aramis le foudroya du regard, mais il l'ignora – vous vous faites plus discret que jamais! Dommage, nous aurions pu parler en égaux! »
Il ne l'entendit pas grogner, mais le regard de la jeune femme en disait long. Rochefort, visiblement de bonne humeur ce soir, éclata de rire. « Je plaisantais, voyons…que faites-vous seul ici? »
« Et vous-même? » demanda Aramis d'un visage plus radouci. « Rares sont les occasions où les gardes du roi et ceux du cardinal fréquentent le même endroit. »
Rochefort désigna sa propre cuisse, enserrée sous un bandage. « Son Éminence a décidé, ce matin, de joindre le cortège royal se rendant jusqu'à Noisy. Dans sa générosité, elle m'a donné congé pour me remettre de mes blessures. Qui plus est, vos soudards de confrères seront assez nombreux pour la protéger, si besoin est…Mais vous êtes aussi blessé, que vois-je! »
Aramis soupira et tourna la tête. « Oui, c'est pourquoi je reste ici, moi aussi….je remplace le capitaine pendant son absence… » Elle releva les yeux sur lui et ajouta, avec une pointe de sarcasme : « Nous pouvons donc parler d'égal à égal, monsieur! »
Rochefort rit de plus belle. « A la bonne heure! Garçon! Une autre bouteille! » Il tira une chaise et s'assit devant Aramis.
Les heures suivantes se passèrent dans la bonne humeur, alors que l'alcool faisait lentement son œuvre. Les deux soldats relataient leurs bons et moins bons souvenirs, du temps où ils étaient alliés comme du temps où ils étaient ennemis. Le vin coulait, les verres se vidaient les uns après les autres tandis que Rochefort et Aramis s'enivraient.
Aramis dut admettre que la compagnie de Rochefort n'était pas si désagréable. En fait, il lui rappelait Athos, par moments. – Elle rougit au souvenir de l'aîné de la compagnie - Il avait ces mêmes manières avenantes de gentilhomme, ce beau parler, cette constante mise élégante…tout pour plaire aux dames. Il avait de plus, avec son cache-œil, un charme sauvage qui était plutôt intrigant…
Rochefort, de son côté, n'aurait pu dire ce qu'il lui avait pris de s'asseoir avec Aramis. Malgré la relative bonne entente entre les deux corps de gardes depuis l'affaire du Masque de Fer, il lui semblait bien étrange de fraterniser avec un ennemi naturel. ..Était-ce la vue de ce trop beau mousquetaire, solitaire et la tête baissée, qui avait touché sa corde sensible? Combien de fois avait-il, lui aussi, bu seul et déprimé, espérant que quiconque, même son pire ennemi, vienne le tirer de sa mélancolie?
Le comte s'étonna de constater que le blond mousquetaire était fascinant à regarder. Il n'avait ni le physique ni la voix d'un homme, mais ni ceux d'une femme non plus. Aramis était entre deux mondes, comme les anges dont il avait entendu parler dans son enfance…
Si un peu de vin pouvait générer chez la jeune femme de la gaieté, trop de vin avait l'effet inverse. Bientôt, elle avait remis un masque morose alors qu'elle fixait de plus en plus souvent le fond de son verre d'un œil brillant. Rochefort, tenant mieux qu'elle l'alcool contenu dans les trois bouteilles étalées sur la table, s'en moqua :
« Ne me dites pas que ça vous afflige à ce point, de ne pas suivre vos amis! Vous ne pouvez rien faire, sans eux? »
Un petit gémissement plaintif, tel celui d'un chiot qui pleure, s'échappa de la gorge de la femme. Puis, beaucoup trop avinée, inconsciente de ses paroles et de ses gestes, elle vida son sac en reniflant. Par chance, la taverne était bruyante et personne ne faisait attention à eux.« Ils découvriront qui je suis vraiment et ils me rejetteront…je devrais partir, je ne sais pas ce qui me retient ici! »
L'homme fut surpris de cet étrange aveu. Il poussa sa chance d'en savoir plus alors qu'un petit éclair malicieux passa dans son œil brun. Après tout, un mousquetaire reste un mousquetaire : il sera toujours utile de posséder des informations compromettantes sur l'un deux… « Qu'est-ce qu'ils pourraient bien découvrir de si grave qu'ils ne vous pardonneraient pas? »
Aramis leva vers lui des yeux lourds de sommeil, de tristesse et d'ivresse. « Mais que je suis une fille, pardieu! C'est évident!» Elle soupira fortement en se massant les tempes avant de mollement coucher ses bras et sa tête sur la table.
Rochefort eu presque un mouvement de recul et fronça les sourcils. Le mousquetaire avait-il bien dit « je suis une fille »? Et si c'était le cas…pourquoi? Il aurait voulu le lui demander, mais il vit bien qu'Aramis ne dirait plus un seul mot de la soirée.
« Pfff, les mousquetaires ne savent pas boire… »
Sorti de nulle part, un ivrogne hilare vint s'écraser de tout son long sur leur table, renversant les restes de vin sur les deux soldats. Le cyclope l'aurait bien renvoyé de l'autre côté de la salle, son épée au travers du corps, mais une plantureuse servante, riant tout aussi fort, l'avait empoigné par le collet pour le tirer vers elle. Aramis, de son côté, n'avait pas bougé.
Rochefort jura en voyant ses vêtements tachés. S'il n'avait pas été un homme d'honneur, il aurait laissé Aramis là, endormi sur la table, avant d'engueuler l'aubergiste et de quitter la place. Mais en voyant la bande de vauriens qui avait commencé à remplir l'endroit, il ne doutait pas que le mousquetaire risquait de perdre plus que sa bourse… Il déposa quelques pièces sur la table et se leva. Chancelant, il parvint à maintenir un semblant d'équilibre, puis tira le bras d'Aramis par-dessus ses épaules, tandis que son bras à lui soutenait son dos. Il la mit debout, mais les jambes lui manquèrent aussitôt; elle s'écroula sur sa chaise.
« Allons, tenez-vous, ventrebleu! » grogna-t-il en la relevant.
Elle se tenait à peine debout, marmonnant, dans son engourdissement, des divagations incompréhensibles. Rochefort dut la trainer, plutôt que la guider, jusqu'à chez elle; Par chance, depuis l'affaire du duc de Buckingham, il savait où elle résidait.
Un bon coup de pied bien placé ouvrit la porte de la demeure d'Aramis. L'homme eu un petit rire en s'introduisant dans la sombre maison, fier de cette entrée éclatante, bien qu'il n'y eut personne pour le remarquer.
« Je vous laisse sur votre lit, et vous vous débrouillerez avec le reste, ainsi qu'avec le mal de tête que vous aurez demain matin! »ricana-t-il. Il l'entraîna à l'étage, devinant dans la semi pénombre où était placé le lit. Alors que Rochefort relâchait sa poigne, elle tomba sans cérémonie sur sa couche en grommelant. Enfin libre de ses mouvements, il décida d'allumer une bougie posée sur une table, peu enclin qu'il était à retrouver son chemin dans l'obscurité.
La pièce fut bientôt éclairée d'une faible lueur. L'homme, curieux, en profita pour inspecter la place : une petite chambre, très modestement meublée mais bien propre. Rien comparé au luxe de sa propre demeure… Un bruit de tissu froissé reporta son attention vers le lit : Aramis y dormait paisiblement.
Rochefort sourit. C'est vrai qu'il ressemble tellement à une…Il s'arrêta dans ses pensées, se souvenant de la déclaration qu'avait faite Aramis à la taverne : Paroles d'ivrogne…ou vérité avouée sous l'effet de l'alcool?
Il s'avança lentement vers le lit, le front plissé, comme s'il voulait scruter au plus profond de l'âme du mousquetaire. Il ôta un gant et pressa un doigt sur la joue d'Aramis, pour s'assurer qu'elle était bien réelle…et qu'elle était profondément endormie. La curiosité l'emporta : il devait en avoir le cœur net…
Deux mains incertaines s'affairaient à détacher doucement le col du pourpoint d'Aramis, sans toutefois la réveiller. Une, deux, puis trois agrafes sautèrent. La chemise fut délacée et…sous le fin linge blanc, un large bandage enserrait la poitrine. Rochefort remarqua bien quelques courbes non masculines, alors il retira vivement ses mains, en plaqua une sur sa bouche et tourna le dos, un peu paniqué.
« C'est impossible, » murmura-t-il pour lui-même. Il se retourna et revint vers le lit, écartant encore une fois la chemise de la jeune femme : il y avait assurément, caché là, une poitrine de femme…certes moins généreuse que celle qu'il avait pu apprécier chez Milady, mais une poitrine féminine quand même.
Un vertige le prit. Il avait, lui aussi, beaucoup bu, après tout. Il secoua la tête et frotta son unique œil. J'ai la berlue, sangdieu!
Mais plus il la regardait, moins il voyait en Aramis un homme : ces lèvres pulpeuses, ces doux cheveux blonds, ces paupières nacrées…Pourtant, un doute voulait persister dans son esprit, alors que lui voulait s'en défaire.
Il s'approcha d'elle une troisième fois…mais au lieu d'avancer la main sur sa poitrine, il la porta vers l'entrejambe de la jeune femme. Après avoir déboutonné son pantalon, il la glissa doucement à l'intérieur de celui-ci. Il déglutit. Non, assurément, ivre ou non, c'était bel et bien un sexe féminin qu'il avait sous les doigts! Surpris, il prit quelques secondes pour réaliser ce qui se passait : Aramis était vraiment, réellement, véritablement une femme! Une belle femme, de surcroît, malgré ses vêtements masculins…mais avec son pourpoint détaché et sa chemise entrouverte, cela lui donnait un air cavalier tellement sensuel…Mais que faisait une femme chez les soldats du roi?
Un roucoulement coquin le tira de ses pensées alors que, sous sa main, elle bougea légèrement, haussant ses épaules, se frottant les joues contre celles-ci alors qu'elle roulait la tête, tel un félin. Rochefort eut alors un rictus pervers : il poussa sa main encore un peu plus loin sous les vêtements et se mit à masser à pleine main le sexe d'Aramis. Dans son coma éthylique, la jeune femme sourit légèrement et émit un petit grondement satisfait, cambrant même un peu le dos, écartant ses jambes, donnant pleinement accès à son intimité…Ses soupirs s'accentuaient et se faisaient de plus en plus bruyants tandis qu'il la caressait. L'homme alla jusqu'à insérer un, puis deux doigts à l'intérieur d'elle, ce qui la fit gémir de plus belle.
Sous l'habile dextre du soldat, elle se mouvait sensuellement et n'avait cesse d'exprimer son plaisir de milles et une façon. L'ébriété ayant fait tomber toute sa pudeur, il ne restait plus que la femme qui, même à moitié inconsciente, manifestait son contentement à l'homme qui la faisait jouir aussi adroitement…
La main libre de Rochefort détacha son propre pantalon et se mit à caresser son membre durci. Pour un instant, il songea que sa conduite était très loin d'être digne du gentilhomme ou de l'officier haut gradé qu'il était… Mais cette drôle, ne méritait-elle pas ce traitement, pour s'être déguisée et avoir trompé les gens? D'ailleurs lui aussi, l'esprit embrouillé par le vin, avait bien de la difficulté à faire taire ses instincts primaires…
Une petite plainte délicieuse suivie d'une main agrippant son poignet droit – celui engouffré dans les vêtements de la blonde femme – le fit sursauter. Aramis arqua le dos, se soulevant même un peu alors que, les lèvres entrouvertes, elle retint presque sa respiration avant de pousser un gémissement de pur plaisir et de se laisser retomber sur les oreillers, le corps tremblant, le souffle haletant, l'expression du visage satisfaite. Rochefort, l'œil grand ouvert, n'avait jamais assisté à un spectacle aussi érotique : celui d'une femme qui, sans aucune retenue, avait atteint l'extase. Aussi ne réfléchit-il pas lorsqu'il retira sa main et, enfourchant le corps de la jeune femme, bien décidé à lui retirer tout son linge et à la faire sienne, même dans sa léthargie, il se pencha sur elle pour goûter ses lèvres. Il sentit deux bras lourds s'enrouler autour de son cou alors qu'elle le forçait à s'approcher d'elle.
« Athos… »chuchota-t-elle d'une voix chaude.
Ce nom eut l'effet d'une douche froide.
Rochefort, piqué à vif dans son orgueil, se distança rapidement du visage d'Aramis, écartant avec dédain les deux bras qui l'entouraient. Le visage endormi de la mousquetaire exprima sa contrariété alors que, péniblement, elle se mit à ouvrir les yeux lentement.
Aussi leste qu'un chat, il débarqua du lit et mouilla deux doigts avant de les écraser contre la mèche de la bougie; La chambre fut instantanément plongée dans l'obscurité. Sans bruit, il sortit de la pièce, dévala l'escalier et sortit de la maison en silence.
L'air frais de la nuit finit de le dégriser mais ajouta à sa frustration. N'était-il pas, quelques secondes plus tôt, sur le point de s'ébattre amoureusement avec une belle amazone? Pourquoi avait-il fallu qu'elle prononce le nom de ce mousquetaire bas-de-gamme, cet Athos qu'il n'avait jamais vraiment aimé, cet homme qui l'avait nargué en échappant à son piège mortel, quelques années plus tôt?
Rapidement, il avait regagné sa demeure, claquant la porte derrière lui avant de s'y appuyer le dos… Il baissa la tête et tenta de mettre de l'ordre de son esprit.
Sachant qu'Aramis était une femme, elle avait maintenant quelque chose d'extrêmement envoûtant : le charme tabou de son corps féminin caché sous des habits d'homme; Et cette emprise qu'il avait sur elle, l'avantage de connaître son secret, la rendait encore plus désirable, et donnait à cette étrange partie de chasse qui commençait une saveur encore plus enivrante. Il pouvait voir la ressemblance qu'elle avait avec Milady : une femme rebelle des lois des hommes, entêtée, habile guerrière… et qui pouvait se montrer terriblement érotique…
Rochefort eut un sourire canaille alors qu'il replongea sa main dans son pantalon et caressa son membre ravivé. Oh oui, la chasse serait très, très excitante…
A suivre!
