Assis à la table de la cuisine, Remus attendait. Les mains croisées, posées devant lui, le dos raide et les yeux rivés à l'horloge accrochée au mur en face de lui.
Les secondes s'égrenaient très lentement ce soir-là et Remus semblait figé dans son attente. Ses poings crispés et ses mâchoires serrées donnaient l'impression qu'il s'apprêtait à bondir sur l'horloge, peut-être pour la secouer, peut-être pour la forcer à faire passer plus vite le temps.

Mais il ne bougeait pas et aucun son ne provenait de la pièce. Pourtant, elle était loin d'être silencieuse car une tempête de neige faisait rage au dehors. La vieille maison grinçait et craquait de toutes ses planches et le vent gémissait à qui mieux mieux.

Alors que l'horloge sonnait 22h, un fracas se fit entendre au dehors, suivi de jurons. Plusieurs voix s'élevèrent, invoquant des sorts et des maléfices.

Remus se leva si vite que sa chaise se renversa et il se rua au dehors par la porte de la cuisine. Au moment où il sortait, il vit un éclair rouge jaillir de la baguette d'un sorcier aux longs cheveux noirs qui se tenait de dos et heurter de plein fouet une femme aux paupières lourdes et à la peau cireuse, qui du reste avait une chevelure très similaire.
Sous la force du coup, elle fit un pas en arrière et, voyant en jetant un œil autour d'elle qu'elle restait seule, elle transplana avec un grognement de mécontentement.

« Sirius ! »

Au moment où il avait crié, Remus se rendit compte que sa voix avait sonné bien plus paniquée qu'il ne l'aurait voulu.

Le sorcier brun vit volte-face brusquement.
Il avait le visage mince et les traits fins, des yeux noirs et profonds.
Ses longues boucles brunes tombaient en cascade sur ses épaules. Son long manteau noir laissait voir une chemise blanche savamment froissée et largement ouverte sur son torse effilé, recouvert de tatouages représentant divers runes et symboles alchimiques.
Il était incroyablement beau et Remus prenait cette réalité aussi violemment qu'un coup de poing à l'estomac à chaque fois qu'il le voyait.

Reconnaissant Remus, Sirius se détendit immédiatement et il lui adressa un léger sourire désinvolte.

« Eh bien n'ai pas l'air si affolé enfin, je ne suis pas en sucre tu sais !
- Ne plaisante pas il est minuit ça fait des heures que tu devais revenir ! J'ai cru qu'il t'était arrivé malheur bon sang ! Qu'est-ce qu'il s'est passé ? »

Remus était conscient d'avoir toujours le même ton paniqué et il se maudit de ne pas savoir mieux se contrôler mais il n'avait jamais été très bon pour dissimuler son angoisse, en particulier à Sirius.

Sirius se rapprocha en quelques pas de Remus. Il le dominait d'une bonne tête. Il posa une main sur son épaule et se pencha légèrement vers lui.

« Je suis là maintenant, tout va bien, dit-il doucement. »
Leurs visages n'étaient qu'à quelques centimètres. Remus sentait le souffle de son ami sur son visage. Son cœur battait à tout rompre et lui donna l'impression de sauter quelques battements.

Sirius se redressa et dit d'un ton plus clair :
« Maintenant que je te suis revenu en un seul morceau et que tu sais que je vais bien, si ça ne te dérange pas, je voudrais bien rentrer au chaud et me débarbouiller un peu avant de te raconter mes épopées.
- Je ne reste pas Sirius, je suis censé être à Poudlard depuis deux heures déjà.
- A Poudlard ? Pourquoi ?
- Dumbledore veut me confier une mission auprès des loups-garous. Il part lui-même dans quelques jours et je lui ai promis que je passerai le voir ce soir pour recevoir l'ordre de mission. Je lui ai seulement dit que j'attendrais que tu reviennes avant de le rejoindre.
- Remus. C'est Noël aujourd'hui. »

Remus baissa les yeux.
« - Je sais.
- Il te fait partir en mission le jour de Noël ? »

Remus avait les yeux rivés sur la neige.
« - Oui. »

Sirius était maintenant en colère.
« Non mais ça va il ne se dérange pas le vieux ! Tu sais quoi Remus je vais venir avec toi et lui en toucher deux mots.
- Ce n'est pas la peine Sirius ne t'inquiète pas.
- Remus tu es bien trop gentil avec lui ! Je vais lui dire ma manière de penser à Dumby, je commence à en avoir ras la casquette de sa tendance à croire qu'il peut donner des ordres à tout le monde et à se prendre pour le roi du monde, là.
- Sirius, ne fais pas ça je t'en prie, je… »
Il ne sembla pas trouver de fin à sa phrase et sa voix s'éteignit dans un grognement incompréhensible.

Sirius fronça les sourcils.

« Remus regarde-moi.
- Quoi ?
- Regarde-moi. »

Remus leva les yeux de mauvaise grâce.

« Est-ce que c'est toi qui a demandé à Dumbledore de partir en mission le jour de Noël ? »

Remus devait lutter pour continuer à regarder Sirius. Le regard de son ami était si profond qu'il donnait l'impression de happer tout entier quiconque s'y perdait, d'occuper tout l'espace. Il abattait toutes les défenses de Remus.
Il était déjà très difficile pour ce dernier de mentir, mais quand Sirius le fixait si intensément, ça devenait parfaitement impossible.

« Oui, c'est moi.
- Mais pourquoi ?
Tu ne trouves pas qu'on en bave assez avec cette putain de guerre ? Qu'on a le droit à quelques heures de répit ? Tu ne veux pas passer la soirée avec ceux que tu aimes ?
- C'est ça le problème Sirius…
Mes parents sont morts. Peter est dans sa famille moldue. James fête son premier Noël avec Lily. Et toi j'imagine que tu vas passer ce qui reste de la soirée avec ta dernière conquête en date. Qui est-ce déjà ? Marlene Mc Kinnon ? Terry Martin ? Je perds le fil.
En tous les cas, moi, il n'y a personne avec qui je puisse passer Noël. »

Le silence retomba. Sirius fixait toujours Remus, qui baissa à nouveau le regard. La neige tombait drue autour d'eux et une bourrasque glacée fit frissonner Remus.

« Pourquoi tu ne nous as rien dit ?
- Parce que j'en ai marre d'être le petit gamin chétif qui a peur de tout et qui se repose sur ses trois amis bien plus cools que lui pour tout.
- Remus…
- Non Sirius, j'en ai marre de venir pleurer entre vos bras à chaque fois que quelque chose me contrarie. J'en ai marre d'être un fardeau pour vous.
- Remus…
- NON ! Vous méritez de passer un Noël sans avoir à jouer les œuvres de charité pour moi. »

Sans s'en apercevoir, Remus s'était mis à crier. Des larmes commençaient à perler dans ses yeux à mesure qu'il s'échauffait.

« - Remus tu n'es pas…
- Et en réalité je préfère être seul. Si tu me proposais de passer la soirée avec toi je dirais oui parce que je ne sais rien te refuser, je ne sais pas te dire non, je ne sais jamais te dire non. »

Remus sentait qu'il allait trop loin, qu'il s'apprêtait à dire des choses qu'il allait regretter, mais il était lancé et c'était toute sa tristesse et toute sa frustration qui sortaient de lui à gros bouillons et il ne se sentait pas capable de les en empêcher.

« Et je me retrouverais coincé à côté de toi et d'une jolie blonde ou d'un beau brun que tu seras occupé à tripoter sous la table et je devrais faire semblant de m'amuser alors que tout ce que je serais capable de penser c'est que j'ai envie d'être à sa place, que j'ai envie que ce soit ma cuisse que tu caresses, que j'ai envie que ce soit moi que tu embrasses et je n'arriverai pas à me concentrer sur autre chose et je partirai probablement au bout d'une demi-heure, encore plus frustré, encore plus malheureux et encore plus seul. »

Sirius haussa les sourcils et ses yeux s'arrondirent.

« Ah oui parce que personne ne le sait mais oui mais je suis gay. Je suis gay et j'ai envie de toi depuis nos quinze ans. J'ai envie de toi et je ne te l'ai jamais dit parce que je n'ai jamais pensé un instant que tu puisses avoir le moindre intérêt pour moi. Voilà tu sais tout maintenant. Tu sais à quel point je suis pathétique. Je suis seul, et je suis une poule mouillée. Et tout ça en plus du fait que je sois un monstre. »

Remus se tut enfin. Il pleurait à chaudes larmes à présent.

« Mais Remus je… enfin je croyais que… Je ne savais pas que … »

A nouveau, Remus scrutait les brins d'herbe enneigés sous ses pieds. Sa vue était brouillée par les larmes. Il ne savait pas quoi dire ou faire. Il avait conscience d'en avoir trop dit, d'avoir franchi un point de non-retour. Après des années à tenir sa langue, il avait suffi qu'il craigne pendant quelques heures qu'il soit arrivé quelque chose à Sirius, puis que celui-ci le regarde un instant avec ses grands yeux de chien battu pour qu'il lui déballe tout.

Pourtant c'était son plus grand secret. Trois ans auparavant, le jour de ses quinze ans, il s'était levé tôt pour pouvoir descendre parmi les premiers dans la Grande Salle. Il avait d'habitude la fâcheuse tendance de se lever au dernier moment et de devoir sauter le petit-déjeuner mais en l'honneur de son anniversaire il avait décidé qu'un pain au chocolat tout fraichement sorti du four valait bien quelques minutes de sommeil en moins.

En entrant dans la salle de douche du dortoir qu'il partageait avec Peter, James et Sirius, il était alors tombé sur un spectacle qui avait bouleversé sa vie.
Lui tournant le dos, Sirius était là, au fond de la pièce, sous l'une des douches du mur qui faisait face à la porte d'entrée.
S'il n'était pas particulièrement pudique, Sirius se levait toujours le premier et rentrait souvent tard au dortoir, si bien que Remus ne l'avait plus vu ne serait-ce que torse nu depuis plusieurs mois.
Or, pendant l'été avant leur cinquième année, Sirius avait énormément changé. Ce que Remus savait déjà, c'est qu'il avait pris dix centimètres et dominait maintenant tous les élèves de son âge et que ses épaules s'étaient élargies. Son corps était toujours aussi mince, voire maigre qu'il l'avait été. Mais ce que Remus découvrait c'était que sous sa peau toujours pâle, ses muscles s'étaient définis. Son dos, ses bras, ses jambes, ses fesses, tout cela n'évoquait plus le corps d'un enfant mais celui d'un homme. Et au milieu du dos, Remus découvrait le premier témoignage de la passion naissante de Sirius pour les tatouages : une rune tracée à l'encre noire entre ses omoplates.

Remus était resté bouche bée. Et c'est là qu'il s'était aperçu que Sirius n'était pas seul. Sirius ne faisait en réalité pas face au mur, mais à une autre personne.
Remus avait alors reconnu Thomas Blake, un élève de septième année, capitaine de l'équipe de Quidditch de Gryffondor dans laquelle Sirius jouait. Il était agenouillé devant Sirius. Sirius avait les mains agrippées à ses cheveux et ses yeux étaient également fermés. Il gémissait. Ne sachant comment réagir, Remus était resté derrière la porte entrouverte à observer la scène. Au bout de plusieurs minutes, il avait entendu Sirius et Thomas échanger quelques mots. Ce dernier était parti quelques instants après, par la porte à l'opposé de celle derrière laquelle Remus se trouvait. Sirius avait continué à se doucher en sifflotant.

Depuis ce jour-là, Remus n'avait plus de doute sur sa sexualité. Il savait déjà qu'il n'était pas particulièrement intéressé par les filles, il avait ce jour-là découvert que c'était parce qu'il était très particulièrement intéressé par les garçons. Et particulièrement par Sirius.
Cependant, il était persuadé qu'il n'aurait jamais la moindre chance d'éveiller le plus petit intérêt chez Sirius. Ce dernier était brillant et finissait toujours dans les meilleurs élèves dans toutes les matières sans jamais travailler. Il était cultivé, riche, grand, et surtout il était incroyablement beau (Remus avait rapidement compris qu'il n'était pas le seul de l'école à avoir pris conscience du changement physique de son ami) et sa nonchalance le rendait irrésistible. Toutes les filles et beaucoup de garçons le voulaient, et il semblait qu'il les voulait tous lui aussi.
De son côté, Remus, passait son temps à la bibliothèque car il aimait mieux les livres que les gens. Il avait encore le corps petit et chétif de l'enfant qu'il avait été. En dehors des Maraudeurs, il n'avait pas vraiment d'ami. Il faisait de l'anxiété et avait des tendances dépressives. Ah et le fait qu'il se transformait en loup-garou une fois par mois n'aidait pas.

Certain que l'humiliation de se voir rejeté s'il lui avouait ses sentiments serait pire que la frustration s'il ne disait rien, il s'était juré à lui-même de taire son attirance.

Par la suite, il avait eu des expériences avec d'autres garçons (surtout des moldus, pour éviter que son secret ne s'ébruite) mais il n'avait plus trouvé quelqu'un pour qui il aurait pu ressentir quelque chose d'aussi fort. Sirius restait celui qu'il voulait, et pire, celui qu'il aimait.

Et voilà qu'il se retrouvait, près de dix ans plus tard, dans la nuit, frigorifié par la neige et le vent, à avoir tout déballé et à regarder le sol en attendant que Sirius veuille bien dire quelque chose.

D'abord, Sirius ne dit rien. Il se contenta de faire deux pas et de se planter à quelques centimètres de Remus. Il saisit son menton entre ses doigts et le leva doucement pour que leurs yeux se rencontrent.
Il avait cette expression si particulière (l'esquisse d'un sourire et le sourcil droit légèrement arqué) qui avait le don de désarmer Remus.
Alors seulement, il chuchota :
« Alors comme ça tu me veux hein ? »

Et il embrassa Remus.