Pouvoir dire adieu
"Le vrai tombeau des morts, c'est le cœur des vivants." Jean Cocteau
Un hurlement déchira le silence de la nuit et Harry Potter se réveilla en sursaut, se redressant brusquement en position assise dans son lit. Il mit quelques secondes avant de se rendre compte que le cri strident s'était échappé de ses propres lèvres et qu'une silhouette sombre s'était levée du lit voisin. La peur l'étreint alors que la haute ombre avançait dans sa direction et sa gorge émit un gémissement étranglé. Il tâtonna à ses côtés et trouva ses lunettes qu'il posa sur son nez avant d'allumer la lampe de chevet. La lumière crue l'éblouit et il reconnut les cheveux roux de son meilleur ami qui s'assit sur le matelas à ses côtés. Ronald Weasley eut un pauvre sourire et Harry baissa les yeux, fermant son esprit aux images terribles qui hantaient son esprit depuis des nuits.
Il ne dit pas un mot mais se leva, encore tremblant, pour se diriger vers la porte de la chambre. Ron le regarda passer, imaginant la douleur de son ami qui égalait au moins la sienne et, lorsque la porte se fut refermée dans un léger cliquetis, il regagna son lit sur lequel il s'étendit avant de fermer les yeux. Le visage de son frère s'imposa à son esprit et il expira lourdement en ouvrant à nouveau les paupières. Il ne trouverait probablement plus le sommeil maintenant.
Harry s'arrêta dans le couloir et sortit sa baguette magique de la poche du sweat qu'il portait pour dormir. Une faible lumière émana du bout sans qu'il ne prononce un mot et il éclaira la porte de l'autre côté du couloir. « Teddy » était inscrit en lettres d'or sur le battant qu'Harry avait lui-même repeint en marron. Il poussa le battant et entra dans la pièce où une veilleuse diffusait une douce lumière. La pièce était peinte en bleu et de nombreux jouets jonchaient le sol et les diverses étagères. Dans un coin, à côté de la grande fenêtre pour l'instant masquée d'un rideau, se trouvait une chaise à bascule couverte d'un coussin moelleux. Un grand berceau trônait au centre de la chambre.
Le brun s'avança pour se pencher au-dessus du lit dans lequel un bébé dormait à poings fermés et un sourire attendrit anima ses lèvres. Il saisit la couverture pour recouvrir le petit corps de Ted Lupin et passa d'un même mouvement son index le long de sa joue douce. L'enfant remua un peu et s'accrocha à la peluche en forme d'hippogriffe que son parrain lui avait offert quelques semaines plus tôt. Décidant qu'il ne désirait de toute façon pas retourner dormir, il tira le fauteuil auprès du berceau et s'y assit pour regarder cet enfant que la guerre avait fait orphelin dormir paisiblement.
Il ne sut combien de temps il resta assis là à observa son filleul mais il aurait pu passer encore des heures à son chevet si Molly Weasley n'était pas entrée dans la pièce, laissant passer les premières lueurs du soleil. Elle sourit à Harry et le brun se sentit comme chaque fois horriblement mal. Son visage était marqué par la fatigue et il devina qu'elle avait surement passé une nouvelle partie de la nuit à pleurer son fils. Le brun se leva et, d'un geste naturel à présent, la prit dans ses bras avec douceur.
— Oh Harry… Murmura-t-elle en reposant sa tête contre son épaule.
— Je sais, répondit-il simplement.
Oui il savait. Il savait qu'aujourd'hui serait plus dur à surmonter que tous les autres jours depuis la fin de cette guerre impitoyable. Elle se redressa brusquement et leva ses yeux brillants vers le jeune homme qui lui sourit tristement. Molly se rendit alors compte qu'il n'avait plus rien du petit garçon qu'elle avait recueilli et aimé comme son propre fils. Harry avait grandit, et ce fait la frappa lorsque le silence fut déchiré par un cri d'enfant. Il se précipita aussitôt vers le berceau, chuchotant des paroles réconfortantes au bébé qu'il prit dans ses bras avec une douceur sans pareille. L'émotion étreint le cœur de la mère de famille lorsqu'il se tourna vers elle, tenant Ted dans le creux de ses bras, le regardant avec cet air coupable qu'il arborait en regardant chaque personne ayant perdu un être cher pendant la guerre.
Harry Potter s'en voulait terriblement, ça tous le savait et ils ne parvenaient pas à effacer la culpabilité qui luisait au fond de ses yeux verts. Le sauveur du monde sorcier, pensa tristement Molly. Comme si, à bientôt dix-huit ans, le jeune homme avait besoin de plus de pression sur les épaules. Il releva son regard doux vers elle et elle se força à sourire, sourire qu'il lui rendit avec la même fausseté avant de passer à ses côtés pour descendre à la salle à manger.
L'ambiance autour de la grande table était inhabituellement calme. George Weasley regardait fixement le pichet de jus de citrouille face à lui et beurrait d'un air absent une biscotte qui s'émiettait dans sa main. Ron avait passé un bras autour des épaules d'Hermione Granger qui avait les yeux fermés et le front plissé en signe d'intense réflexion. Percy, Charlie et Bill Weasley présentaient un visage morne et Molly s'activait en cuisine avec Fleur Delacourt qui clignait frénétiquement des paupières. Teddy était lui aussi parfaitement calme comme s'il pressentait que ce jour était spécial. Il reposait toujours dans les bras d'Harry, installé aux côtés de Ginevra Weasley qui avait posé sa tête sur l'épaule du brun, le regard dans le vide.
Le claquement de la porte les fit tous sursauter et dix paires d'yeux se dirigèrent vers Arthur Weasley qui entrait en se débarrassant de sa cape. Il parut surpris de les voir tous debout et eut un sourire gêné avant d'aller embrasser sa femme.
— La cérémonie débutera à onze heures, annonça-t-il simplement.
Tous se tournèrent vers la vieille pendule qui annonçait huit heures et chacun se leva pour regagner les étages. Harry déposa Ted dans les bras de Molly qui était déjà prête puis s'empara de la main de Ginny pour la guider vers sa chambre. Leurs regards se croisèrent et elle pressa sa main avant de la lâcher. Ce simple échange lui donna le courage d'entrer dans la salle de bain où Ron se préparait déjà et d'affronter cette journée qui s'annonçait difficile.
Il était dix heures et demi lorsqu'ils se retrouvèrent à nouveau dans la salle à manger. Ils avaient tous revêtus une robe noire pour l'occasion et, sans dire un mot, ils se présentèrent un à un devant l'âtre de la cheminée. Les flammes virèrent au vert et Bill fut le premier à disparaître Suivirent Fleur, Percy et Charlie. Molly enveloppa le bébé dans les pans de sa robe ample et emprunta le même chemin, suivie par Arthur, George et Ginny. Le trio restant échangea un regard anxieux et Ron hocha la tête avant d'avancer à son tour. Hermione glissa sa petite main dans celle d'Harry alors que le roux disparaissait et il se tourna vers elle. La jeune femme souriait mais, comme depuis plusieurs mois, ce sourire ne parvenait pas à atteindre ses prunelles marrons qui demeuraient vides.
— On n'a pas eu le temps de beaucoup se voir ces derniers temps. Mais je suis là Harry, toujours, lui assura-t-elle en serrant sa main.
Il sourit à son tour et hocha la tête avant de l'attirer contre lui dans une étreinte qui leur donna à tous les deux du courage. Il enfouit son nez dans les boucles brunes et respira un instant son odeur rassurante avant de s'éloigner pour qu'elle s'avance à son tour dans l'âtre. Les flammes vertes léchèrent son corps, faisant étinceler ses yeux, et elle disparu rapidement. Harry approcha enfin et, prenant une grande inspiration, s'avança entre les flammes vertes.
— Pré au lard !
Et il disparu dans un tourbillon. Comme chaque fois, le brun sortit de la cheminée en vacillant et il fut reconnaissant du bras de Ron qui passa sous le sien pour le maintenir le temps que sa tête ne lui tourne plus. Les rues de Pré au lard qui avaient retrouvées toute leur vitalité d'antan étaient aujourd'hui vides. Les commerces étaient fermés pour cette journée spéciale et les quelques habitants encore là se dirigeaient vers le château de Poudlard. Le petit groupe qu'ils formaient les suivit en silence et ils arrivèrent bien vite dans le parc du château où une grande majorité de la communauté sorcière anglais était rassemblée.
Harry ressentit un poids alourdir son estomac lorsqu'il vit tous ses visages endeuillés et une petite main passa sous son bras. Il se tourna pour faire face au regard compatissant de la jolie rouquine et posa sa main sur la sienne en fermant les paupières un instant. Puis ils s'avancèrent vers la grande estrade sur laquelle Kingsley Shacklebot, le ministre de la magie à titre provisoire, se tenait aux côtés de Minerva MacGonagall, directrice de l'école de sorcellerie Poudlard. Onze heures sonna et le ministre se leva, faisant s'évanouir les quelques rumeurs de conversation.
— Nous sommes réunis aujourd'hui pour célébrer la fin de deux années de guerre, commença-t-il de sa voix profonde. Nous avons tous profondément perdu durant cette période, et j'aimerais que ce jour reste dans vos mémoires comme un hommage à toutes les personnes qui se sont sacrifiées pour que nous nous tenions ici aujourd'hui.
Il marqua une pause et son regard parcouru l'assistance un long moment, si bien qu'Harry eut la sensation qu'il essayait d'établir un contact visuel avec chaque personne présente. Le regard perçant de Kingsley s'arrêta enfin sur le brun et il reprit avec émotion.
— La perte de nos proches reste toujours très présente dans nos cœurs et c'est pour cela que nous sommes rassemblés dans ce parc, ce parc où la dernière bataille a eut lieu et où Harry Potter a vaincu à jamais les ténèbres. Je voudrais donc demander à Monsieur Potter de venir me rejoindre afin de prononcer quelques mots.
Un murmure d'approbation parcourut la foule et Harry rougit alors que le regard de Kingsley se faisait plus insistant. Le brun baissa les yeux et sentit la main d'Hermione presser son épaule, l'encourageant à s'avancer. Ce fut suffisant pour lui et ses jambes le portèrent jusqu'à l'estrade sur laquelle il grimpa, les jambes tremblantes. Il s'approcha du Ministre qui lui serra fermement la main puis se tourna pour faire face à la foule qui le regardait avec espoir.
Harry regarda alors autour de lui pour la première fois. Le parc était tel que tous l'avait toujours connu, il avait retrouvé son aspect originel et n'avait plus rien à voir avec le champ de ruines qu'il avait laissé quelques semaines auparavant. Cependant, on ne pouvait pas en dire autant du château qui était encore à moitié démoli derrière la foule de sorciers. Son regard émeraude se porta sur le premier rang, sur les visages encourageants de ses deux meilleurs amis et il sut alors exactement quoi dire.
— Je tenais tout d'abord à vous remercier d'être présents aujourd'hui, annonça-t-il d'une voix claire et qui, il fut ravi de le constater, ne tremblait pas. Je pense en effet qu'il est très important que nous reconstruisions le monde sorcier sur les bases du partage et de l'entraide et que nous nous soutenions en ces temps difficiles.
Luna Lovegood et Neville Londubat se tenait la main au cinquième rang, aux côtés de bon nombre de leurs camarades de Poudlard. Il fut surpris de reconnaître Drago Malefoy près d'un arbre bordant la forêt interdite. Son regard se reporta sur ceux des Weasley qui lui souriaient.
— Cependant je ne suis pas d'accord avec Monsieur le Ministre et je refuse que l'on m'accorde tout le crédit de cette victoire, trancha-t-il et il vit Ron lever les yeux au ciel, l'esquisse d'un sourire remuant ses lèvres. Chacun d'entre vous, chacun de ceux qui nous ont quittés, et dont nous commémorons la mémoire aujourd'hui, a participé à cette victoire contre les ténèbres. Je n'aurais jamais réussi à détruire Lord Voldemort sans l'aide précieuse que nombre de gens m'ont apporté en se dressant contre lui.
Il s'accorda une pause et lut avec plaisir l'approbation sur les visages qui lui faisaient face. Ils le soutenaient, ils l'aimaient, après toutes les pertes qu'ils avaient subies et qui étaient en grande partie sa faute.
— Je veux que vous sachiez que je compatis avec chacun d'entre vous, cette horrible guerre nous aura tous beaucoup coûtée mais nous en ressortons aujourd'hui forts et unis, munis d'une force à laquelle Lord Voldemort et ses fidèles n'auraient jamais pu prétendre. C'est cette force qui a garantit notre victoire et nous pouvons être fiers des nombreuses personnes qui sont tombées en la défendant. Il est maintenant de notre devoir d'honorer leur mémoire, de nous assurer que leur sacrifice ne soit pas vain en les gardant dans nos cœurs et en n'oubliant pas pourquoi ils nous ont quittés.
Sa voix mourut dans sa gorge et il s'aperçut alors qu'il pleurait. Des larmes silencieuses dévalaient ses joues et obstruaient sa vue tandis que sa voix s'éraillait. Il tenta de dire autre chose mais n'y parvint pas et un sourire étira ses lèvres lorsque Ron et Hermione se précipitèrent dans sa direction, les larmes ayant envahis leurs visages à eux aussi. Ils se placèrent autour de lui, Ron posant une main rassurante sur son épaule et Hermione entremêlant leurs doigts. La brune posa sa tête sur son épaule et Harry serra un peu plus sa main.
Kingsley n'eut pas le courage de reprendre la parole face à l'assistance profondément émue par la scène à laquelle elle venait d'assister et il entreprit simplement d'ériger une stèle de marbre blanc d'un coup de baguette magique. Les noms de chaque personne tombée pour la victoire du bien s'inscrivirent magiquement et le monument fut bientôt couvert d'une écriture fine. Harry s'approcha le premier, entraînant ses amis avec lui, et leva sa baguette de laquelle sortit une magnifique couronne de fleurs pareille à celle qu'Hermione avait déposée sur la tombe de ses parents à Godric's Hollow l'hiver précédent. Tous l'imitèrent et, bientôt, le pied de la stèle fut couvert de fleurs.
Le Ministre de la Magie reprit finalement la parole lorsque tous se furent réinstallés à leur place et Ginny se serra contre son petit ami qui avait regagné l'assemblée. Le brun passa une main rassurante dans son dos en la sentant sangloter dans son cou et son cœur se serra face à la peine de la rousse habituellement si forte et joyeuse.
— Bien que la plaie laissée par l'absence de ceux que nous aimons reste toujours vive, ce serait insulter leur mémoire que de s'accrocher au passé et à notre peine. Car aujourd'hui est avant tout un jour où l'espoir est à nouveau permis, l'espoir d'une paix nouvelle et d'une vie meilleure. C'est pourquoi je vous invite à fêter comme il se doit ce jour, car c'est ce qu'il aurait voulu nous voir faire. Et c'est ainsi que l'école de sorcellerie Poudlard ouvrira à nouveau ces portes dès le premier septembre, donnant l'occasion à ceux qui ne l'ont pas eue de finir leurs années d'apprentissage à l'école.
Cette annonce fut accompagnée d'un murmure surpris et, après quelques mots d'adieu de la part du Ministre, les conversations envahirent le parc en un brouhaha assourdissant. Nombre de personnes vinrent voir Harry pour le féliciter de son discours, pour l'embrasser ou simplement pour le remercier des mots touchants prononcés. Chacun voulait lui faire part de la façon dont il vivait depuis leurs pertes difficiles et Harry les écouta tous patiemment, ignorant son corps qui lui criait de partir et de s'effondrer sur le premier lit qu'il trouverait pour laisser place à la douleur qui l'étreignait.
James Potter, Lily Potter, Sirius Black, Albus Dumbledore, Dobby, Remus Lupin, Nymphadora Tonks, Fred Weasley… Autant de noms qui tourbillonnaient dans sa tête alors qu'il se forçait à sourire, à compatir. Lui aussi aurait besoin de faire le deuil de toutes ces personnes merveilleuses dont il pensait avoir causé la perte. Lui aussi, au moins autant que tous les autres aurait besoin de pouvoir dire adieu.
