C'est difficile d'être un paladin de la Lumière, de nos jours. Plus personne n'y croit. Remarque, les gens n'ont pas tort. Vu le nombre de ces guerriers soi-disant sacrés qui ont trahi la population. Que ce soit pour se remplir les poches, à la limite, les gens auraient pu comprendre, en ces temps incertains. Mais la plupart ont rallié un panache sombre et malfaisant. De gré ou de force. Comment croire à leur foi immaculée après ça?

Ils paraissent tellement faibles et influençables. Pourtant je sais qu'au moins l'un d'entre eux poursuit sans relâche sa quête. Pour devenir paladin, il avait cherché une lumière dans les ténèbres. Ne l'y ayant pas trouvée, il était devenu lui-même cette lumière. Si quelqu'un pouvait, de par sa force d'âme et ses actes éclairés, réhabiliter le concept de Bien et rendre au mot "espoir" terni par tant de désillusions tout son éclat... c'était cet homme.

Celui-là même que j'ai rencontré il y a maintenant si longtemps... J'étais à cet âge où l'on n'est plus vraiment un enfant. Mais pas encore assez adulte pour avoir perdu mes idéaux... Il avait déjà battu un démon majeur. Et s'apprêtait à recommencer. Je me rappelle...

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« Un étranger vient d'arriver dans la région... » Voilà ce qu'on m'avait dit pour m'expliquer les récents chuchotements effrayés des badauds qui se multipliaient ces derniers temps dans mon village. Portant fièrement mes 16 ans comme un trophée, j'étais d'une curiosité insatiable dès qu'il s'agissait du monde extérieur. Dans les lieux hostiles où je suis né, le désert avait toujours été le seul maître. Jusqu'à ce qu'un mal pire encore que la sécheresse et les vers des sables n'envahisse la contrée. Les Démons quittaient la périphérie des Enfers pour marcher sur le monde, gagnant peu à peu du terrain sur l'Humanité en laissant dans leur sillage des traînées de flammes et de sang. Et ils étaient parvenus jusqu'à nous...

Avide d'aventure et de grands espaces, je n'avais qu'une hâte: enfin sortir de mon village pour explorer le pays. Bravant les Démons, les défiant même: j'avais une foi aveugle en mon courage, et bien que sans talent particulier à l'épée, je me débrouillais.... tout en étant persuadé que mon potentiel s'éveillerait face au danger. De même, je me gardais bien d'en parler mais en mon for intérieur j'étais certain qu'une puissance supérieure veillait sur nous. Une puissance bienveillante qui finirait par accorder le triomphe aux gens de bien en leur permettant de repousser les ténèbres jusque dans leur royaume. J'étais bien naïf en ce temps-là, et l'avenir allait me le faire comprendre à m'en rendre malade de dégoût.

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Je ne savais rien sur cet homme si ce n'est qu'il avait l'air d'inspirer à mes aînés autant de crainte que de respect. Était-il ennemi, ou allié? Pour avoir survécu malgré les Démons, était-il entièrement humain? Quoi qu'il en soit, il m'intriguait, et j'en oubliais presque mes rêves d'évasion tant je désirais le rencontrer. Mon village n'était pas bien grand, mais nous possédions la plupart des maigres ressources des environs. Donc si je ne pouvais venir à lui, j'étais certain que de toute manière, l'étranger finirait par venir vers moi. J'attendais son arrivée avec une impatience grandissante tandis que la tension qui augmentait progressivement était palpable dans tout le village. Mes parents, considérant sans doute que mon âge le leur permettait enfin, s'étaient peu à peu désintéressés de ce qu'il pouvait advenir de moi. Du moment que je restais dans le village et aidais aux travaux manuels, ils m'avaient donné une indépendance que je considérais comme salvatrice. J'avais donc passé les derniers jours à guetter la venue de cet être qui me semblait si fascinant, perché sur ce que les gardes appelaient pompeusement les remparts de notre cité.

Sauf qu'en lieu de cité il n'y avait qu'une bourgade et qu'en lieu de remparts il n'y avait que des murs défraîchis surplombant un fossé. Mais ces palissades s'étaient toujours montrées efficaces, et, combinées à la dextérité des gardes qui ne manquaient pas de courage, elles avaient jusqu'à présent tenu le coup face aux assauts de Démons de plus en plus nombreux. Je dormais dans la tourelle réservée aux soldats, plaisantant avec eux -qui étaient attendris par la présence d'un gosse aussi enthousiaste. Les hypothèses allaient bon train quant à la nature de l'étranger. De la plus effrayante à la plus fantaisiste, je les écoutais avec de grands yeux, passant du scepticisme à l'espoir tout en essayant de me forger ma propre opinion. Certains vétérans étaient persuadés qu'il s'agissait d'un démon majeur ayant adopté cette apparence pour nous tromper. Les quelques jeunots, à peine plus âgés que moi, pariaient au contraire sur un puissant mage venu nous secourir, pourquoi pas de la fratrie légendaire des Horadrims... Les autres étaient sans avis précis, mais tous étaient d'accord sur le fait que si humain il y avait, il ne pouvait qu'être fou à lier pour s'aventurer seul dans le pays à la merci des Démons.

Je n'osais rien objecter, mais je n'en pensais pas moins : et si cet homme était tout simplement comme moi? En beaucoup plus expérimenté, en beaucoup plus fort, en beaucoup plus classe? Cela résumait mon point de vue. J'étais jeune, j'étais ignorant... et d'un optimisme à toute épreuve.

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Je ne sais plus à quoi je m'attendais, mais ce fameux jour tout fut balayé par l'image que j'eus sous les yeux. Je somnolais dans la tour des gardes, et l'un d'eux vint brusquement me tirer de mes rêveries en me secouant l'épaule. "Tu ferais mieux de venir voir, Kayl. Il y a une colonne de sable qui s'élève dans le désert, et je parierais que c'est ton étranger. Ça sent pas le démon, c'est bien trop subtil."

Je me levai tout excité et me précipitai sur le mur d'enceinte pour scruter l'horizon. A mes côtés le silence s'était fait parmi les soldats, tandis que nous observions la cause de ma présence -si haut perché- s'avancer vers nous. Je m'inclinai devant l'acuité visuelle des gardes ; en ce qui me concerne je ne voyais pas grand-chose. A peine un changement de teinte sur le fond bleu éclatant du ciel : il y avait bien cette tâche beige-brune, mais elle ne m'évoquait rien de particulier... C'est presque avec étonnement que je vis peu à peu ce point éloigné grossir dans mon champ de vision. Le sable se soulevait doucement au passage de l'étranger pour retomber avec souplesse après son passage. Il marchait pourtant vite : cela en disait long sur les précautions qu'il prenait. Sans doute ce pas lui venait-il d'une expérience de longue date en terrain hostile... Du moins c'est ce que je me plaisais à imaginer.

Dès lors que je pus le voir de plus près, je m'empressai de le détailler de la tête aux pieds. Il avait fière allure, ça c'était le moins que l'on pouvait dire. Il était époustouflant! Même rendue terne par le sable du désert, son armure gardait une aura impressionnante. Je l'imaginais à son entrée dans la désert, rutilante, jetant ses mille rayons domptés d'un soleil torride dans toutes les directions... J'essuyai les larmes qui perlaient dans mes yeux éblouis. Perdu dans mes pensées, je m'étais mis à contempler l'astre de jour, seul maître du ciel car il n'y avait pas l'ombre d'un nuage aux alentours. Je focalisai de nouveau mon regard sur l'homme qui continuait d'avancer de son pas fluide. Pendant un instant il se mut au milieu des petites lignes et étoiles lumineuses qui avaient envahi mon champ de vision... Parmi ces flashs, il avait l'air encore plus surréel. Inutile de préciser que mon admiration pour lui ne faisait que croître, alors qu'il n'avait rien fait de plus que marcher... Je ne distinguais pas encore son visage, mais tandis que je plissais les yeux pour mieux voir les détails de son armure, je sentis soudain une vague de relâchement envahir les gardes. Il s'étaient à moitié détournés du mur d'observation et discutaient entre eux, faisant des plaisanteries pour se détendre après toute cette tension nerveuse accumulée. Tendant une oreille peu attentive vers eux, car restant concentré sur ma tâche, je captai quelques phrases dites avec soulagement.

"Ce n'est qu'un paladin..." "Oui... et pas débutant, haha!" "Mais de quel ordre est-il? Ses armoiries ne me sont pas familières..." "Tu réfléchis trop, Papy, à ton âge on prend sa retraite!" "Vous avez vu cette armure? Elle doit au moins peser le poids de Duke!" "...Avant ou après son régime?" "Très drôle, merci les gars!"

Ce genre de choses... Jusqu'à ce que l'un d'eux se dévoue pour aller attendre son arrivée à la grille constituant la porte principale (d'ailleurs c'était Duke...), tandis que les autres suivaient un de leur compères qui avait dit avoir vu traîner un "gigot trop gros pour sa femme et lui..." Sans compter les deux trois braves gars qui restaient à leur poste. "On" leur avait promis de leur amener une part... Quant à moi je restai encore quelques instants sur la muraille.

Alors c'était un "paladin"... Tout ce que je savais sur les paladins se résumait à "ce n'est pas un ennemi". Un peu limité comme connaissances... Je résolus d'en apprendre plus par moi-même. Je me penchai le plus possible vers l'avant et mis ma main en visière pour mieux me protéger de l'aveuglante lumière et observer cet homme.